Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 30 novembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Gérald Darmanin, ministre :

Dans le cadre du plan BAC que nous mettons en œuvre, les BAC seront équipées d'un bélier, car cela correspond aux interventions spécifiques dont elles sont chargées, sachant qu'il appartient au centre de traitement du 17 de faire la régulation. En revanche, je ne pense pas qu'il faille en équiper toutes les forces primo-intervenantes, notamment de police secours. Depuis les attentats, les policiers disposent, en cas de besoin, d'armes longues, de casques lourds et de gilets pare-balles plus performants. Pour l'essentiel de leurs interventions, ces outils ne leur servent pas. Il ne faudrait pas non plus surcharger les véhicules d'intervention, qui sinon rouleront beaucoup moins vite. Il est en outre compliqué de charger et décharger tout ce matériel. Il y a sans doute des cas où le bélier a fait défaut, mais, en proportion, la police secours est plus efficace sans cet équipement

Sans refaire l'histoire, je constate qu'il y a de nombreux forcenés, au minimum une dizaine par jour ; j'ignore s'il y en a davantage qu'il y a cinq ans. Il ne se passe pas une journée sans que l'on envoie l'unité de recherche, d'assistance, d'intervention et de dissuasion de la police nationale (RAID) ou le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) – c'est désormais le niveau d'intervention – pour un forcené, armé ou non, seul ou retenant sa femme, ses enfants ou son employeur. Ayons en tête que ces interventions sont, malheureusement, beaucoup trop nombreuses.

Quand réveille-t-on le préfet ou le ministre de l'intérieur ? Quand vous devenez ministre de l'intérieur, on ne vous remet pas de guide, et vous avez le poids des responsabilités dans les secondes qui suivent la passation de pouvoir. D'après mon expérience personnelle, beaucoup dépend de la manière dont vous fonctionnez vous-même et des consignes que vous passez.

Le ministre de l'intérieur est partout accompagné d'un officier de sécurité, qui fait partie d'une équipe plus large et qui est chargé de le réveiller en cas d'appel du directeur de cabinet, du chef de cabinet ou du conseiller de permanence. Il est arrivé plusieurs fois que l'on me réveille, par exemple lorsque la cathédrale de Nantes a brûlé ou lorsqu'un policier a été tué une nuit au Mans. Je n'avais donné aucune consigne, mais mes collaborateurs ont estimé qu'il était important que je sois au courant. Dans ces cas, on ne demande pas nécessairement au ministre de prendre une décision, mais il faut se préparer à se rendre sur les lieux. Néanmoins, il se pourrait aussi très bien que des événements en train de se dérouler appellent des décisions, par hypothèse un attentat, un détournement d'avion, des inondations ou des incendies importants, y compris outre-mer – sachant que le ministère de l'intérieur gère aussi des crises civiles. De tels événements peuvent par exemple nécessiter l'activation du CIC, sachant que le centre de crise du ministère de l'intérieur est situé juste au-dessous de la chambre du ministre.

Comment le cabinet ou les services de police, à commencer par le préfet de police, communiquent-ils des informations au ministre ? À partir de quel moment dérange-t-on celui-ci ? Pour ma part, j'ai demandé à être informé d'un maximum de choses. Cela me semble nécessaire dans le monde médiatique et de réseaux sociaux qui est le nôtre. Surtout, je dois répondre au Président de la République, au Premier ministre ou au Parlement. Que penserait-on d'un ministre de l'intérieur qui ne serait pas au courant d'un problème important survenu dans la circonscription d'un député qui l'interrogerait à ce sujet lors des questions au Gouvernement ?

Je reçois en permanence des alertes sur mon téléphone, que je transmets, en fonction de leur gravité, au Président de la République et au Premier ministre. La multiplicité des événements peut nuire à une vision à 360 degrés, et les faits n'ont pas nécessairement existé tel qu'ils sont décrits dans l'alerte. Partie d'un policier ou d'une personne qui a appelé le 17, l'information a été transmise de nombreuses fois avant de parvenir au cabinet du préfet de police ou au centre de crise du ministère de l'intérieur, qui me la transmettent à leur tour. C'est l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ! Certaines fois, la réalité correspond exactement à ce que l'on m'a décrit. D'autres fois, elle est plus grave ou moins grave.

Je le souligne, l'information que je reçois n'est pas nécessairement vérifiée. Il faut la recouper, parfois envoyer sur place une brigade pour constater et confirmer l'exactitude des faits rapportés par les policiers, qui ont pu être pris dans la nuit, dans la tourmente ou dans l'agression elle-même. Parfois, je n'ai connaissance de l'information véritable que quelques dizaines de minutes, voire quelques heures plus tard. C'est ce qui rend difficile le métier de ministre de l'intérieur.

Je ne peux pas vous dire à quel point le préfet de police est informé, ou pas – il faudrait lui poser la question. Mais il se passe beaucoup de choses sur la plaque parisienne – homicides, tentatives d'homicide, agressions nombreuses – car le réseau de transport est très dense et le territoire abrite deux aéroports internationaux. En outre, comme dans toute capitale mondiale, les équipements sportifs hébergent de très grands événements, les lieux culturels et les lieux de nuit sont extrêmement nombreux.

Il m'est aussi arrivé de transmettre au préfet de police une information diffusée sur Twitter ou dont un ami, mon chauffeur, ma femme, voire les pompiers, m'ont alerté. Il est aussi arrivé que le Président de la République m'informe et informe le préfet de police. Tout cela n'est pas une science exacte. Il est normal que ce dernier informe le ministre de l'intérieur, qui en informe le Président mais il arrive que la chronologie ne soit pas tout à fait celle-là – cela reste néanmoins exceptionnel.

Les informations sont parfois parcellaires et, sur le terrain, les policiers, les gendarmes, les pompiers, ont le choix entre deux mauvaises décisions : remonter des informations qui peuvent paraître dramatiques et qui devraient déclencher une réaction politique ou attendre de vérifier lesdites informations et devoir rendre des comptes aux élus car la nouvelle est diffusée via les réseaux sociaux.

En ce qui me concerne, le téléphone est toujours allumé – c'est une première façon de réveiller le ministre. En outre, j'ai fait le choix de dormir à Beauvau, comme quasiment tous mes prédécesseurs, et suis donc réveillé extrêmement rapidement par le conseiller de permanence et par les policiers qui m'accompagnent. Je considère en effet que je dois être immédiatement informé d'un attentat, d'un grand incendie, de la mort d'un policier, d'un pompier ou d'un gendarme – agents sous ma responsabilité. S'agissant des prises d'otages, tout dépend ce que l'on entend, car j'en ai connu beaucoup depuis que je suis ministre de l'intérieur et, souvent, elles ne font pas la une des médias. Ainsi, quand une femme et ses deux enfants sont séquestrés par un homme, on peut qualifier l'événement de prise d'otages.

En France, il y a malheureusement un millier d'homicides hors attentats. Si vous divisez ce chiffre par 365, vous passez votre journée à vous intéresser à des faits ignobles, mais qui font partie du quotidien. C'est ce qui rend le travail du ministre de l'intérieur très difficile – vous n'avez que des mauvaises nouvelles toute la journée…

Il est donc très difficile de distinguer ce qui relève de l'homicide « classique » de l'homicide à caractère islamiste, antisémite ou de la violence conjugale aggravée qui conduit à la mort. Je ne suis donc pas étonné, M. le député, qu'à l'époque, on n'ait pas réveillé le préfet de police. C'était il y a cinq ans et les moyens de communication étaient sans doute moins efficaces. En outre, il était quatre heures quarante du matin. Le temps que l'événement soit traité par le centre d'information et de commandement et qu'on établisse les faits, il devait être entre cinq heures et cinq heures et demie. On a pu se dire que le préfet de police arrivant au bureau à six heures – j'y suis moi-même à six heures trente –, l'information lui serait transmise à ce moment.

Quand j'ai appris la mort de Samuel Paty, j'étais en déplacement au Maroc. On m'a prévenu tout de suite et je suis rentré. Mais si l'événement était intervenu à quelques minutes d'un rendez-vous avec moi, on aurait probablement attendu pour me le dire et vérifier l'information.

Comment jugeons-nous du degré d'urgence des interventions ? À la suite de la hausse du nombre d'agressions visant les élus, au lendemain des élections municipales, nous avons entré tous les numéros de téléphone des élus municipaux qui le souhaitaient dans les bases du ministère de l'intérieur. Ainsi, quand un élu, un maire par exemple, appelle le 17, nous sommes en mesure de prendre son appel en urgence et d'intervenir également en urgence. C'est également le cas de certains lieux confessionnels – je pense notamment aux lieux confessionnels juifs – dont certains numéros de téléphone sont entrés dans les bases de la préfecture de police. Le téléphone grave danger (TGD) fonctionne de la même façon pour les femmes victimes de violences conjugales. On pourrait imaginer un dispositif similaire pour les personnes particulièrement menacées, qui mériteraient d'être protégées, mais je ne vois pas en quoi la personnalité de Mme Halimi, au moment des faits, aurait pu conduire à ce type de décision.

En outre, si ce n'est pas impossible techniquement, trop de numéros d'urgence risquent de tuer l'urgence.

Enfin, les personnes les plus menacées sont protégées par le service de protection des personnalités du ministère de l'intérieur.

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