Intervention de Jean-François Ricard

Réunion du mercredi 1er décembre 2021 à 15h05
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste :

La qualification dépend, au cas par cas, de plusieurs éléments. Je vous exposerai quelques exemples éclairants. Le 23 août 2018, à Trappes, un individu tue sa mère et sa sœur au couteau à son domicile puis blesse grièvement une troisième personne sur la voie publique. Il se retranche dans son domicile et crie « Allah Akbar » aux policiers. Il sort, avance en direction des policiers, refuse d'obtempérer et est abattu. L'intéressé était fiché S et inscrit au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). L'attaque a été revendiquée par l'État islamique. Je précise que le PNAT n'était pas encore en fonction, mais je me suis intéressé à ce dossier par la suite. En dépit de ces éléments, la section antiterroriste du parquet de Paris ne s'est pas saisie de ce dossier. Le profil psychiatrique de l'intéressé est apparu avant tout comme celui d'un déséquilibré. D'autre part, la dimension familiale était fondamentale. L'objectif n'était en rien de troubler l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

Le premier cas de ce type rencontré par le PNAT date du 31 août 2019. Un individu agresse à l'arme blanche plusieurs personnes à l'arrêt de bus. Il crie des phrases incompréhensibles, mais à connotation religieuse, « ils ne lisent pas le Coran », puis « les victimes n'étaient pas des musulmans ». Il fait neuf victimes, dont une personne décédée, et trois urgences absolues. L'affaire est sérieuse. Il est interpellé et identifié. Il s'agit d'un Afghan. Nous réfléchissons à notre saisine. Rapidement, l'individu déclare qu'il est en manque de produits stupéfiants. Ses propos apparaissent rapidement d'une extrême confusion, et son évolution psychiatrique dans le temps de la garde à vue fait état d'un état psychotique envahissant. Nous ne nous sommes pas saisis, compte tenu de l'état psychiatrique de l'intéressé, qui manifestait de la confusion et non une volonté de troubler l'ordre public.

Enfin, nous ne nous sommes pas saisis de l'attaque de la mosquée de Bayonne d'octobre 2019. Un individu âgé de 84 ans tente d'incendier la porte de la mosquée et blesse deux personnes par arme à feu à proximité de l'édifice. Un peu plus tard, il est interpellé à son domicile. Nous sommes en présence d'un individu manifestement d'idéologie d'extrême droite. Nous nous interrogeons longuement sur notre saisine. Pendant 24 heures, nous suivons heure par heure la situation et suivons toutes les pièces. Nous nous apercevons que l'individu est très perturbé. Ses déclarations sont totalement incohérentes et ses motivations délirantes, puisqu'il les rattache à la destruction de Notre-Dame et à un vol dont il aurait fait l'objet. Il est en même temps animé de motivations clairement racistes. Cependant, nous n'avons pas estimé que ces dernières étaient terroristes et nous ne nous sommes pas saisis de ce dossier.

L'exemple suivant vous montrera la nuance entre les cas de saisine et de non-saisine. Nous avançons sur une ligne de crête, et ce sont des éléments particuliers qui nous font pencher d'un côté ou de l'autre. Au début du mois de janvier 2020, dans un parc à Villejuif, un individu agresse plusieurs personnes au couteau. Un homme est tué et deux femmes sont gravement blessées. L'intéressé est neutralisé par les policiers vers lesquels il se dirige son couteau à la main. Ces affaires sont délicates, car l'individu ne peut plus être interrogé. Je me déplace sur place avec une équipe du PNAT, étant donné que l'intéressé nous a été présenté comme vêtu en djellaba, criant « Allah Akbar » et cherchant à tuer le plus de victimes possible. Nous nous interrogeons sur place, car nous voyons que l'intéressé est pieds nus. Il sort d'un séjour en psychiatrie et est en rupture de traitement. Nous laissons le parquet local compétent, mais procédons à une évaluation. Sans encore décider ou non de notre saisine, nous suivons l'avancement de l'affaire, les auditions des témoins et des victimes et les perquisitions. L'individu avait déménagé entièrement son domicile, et de la propagande jihadiste est retrouvée dans ses affaires. Des écrits attestent de la préméditation de son acte. Certains témoins décrivent que le meurtrier a vérifié que certaines victimes étaient capables d'adhérer à la foi musulmane afin de les épargner. Nous avons finalement décidé de nous saisir de cette affaire.

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