Intervention de Jean-François Ricard

Réunion du mercredi 1er décembre 2021 à 15h05
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste :

Si j'ai la prétention de connaître le domaine du terrorisme, je suis beaucoup plus modeste en ce qui concerne la psychiatrie. Je suis d'accord avec vous sur les critiques concernant le concept de radicalisé perturbé. Il n'y a pas de radicalisé perturbé. Il y a radicalisé et perturbé. Si un individu n'est pas dans une radicalisation qui correspond à la définition juridique du terrorisme de l'article 421-1 du code pénal, nous n'avons aucune raison de nous saisir. La question est de savoir si son état psychiatrique peut avoir des conséquences sur la volonté éventuellement retenue et démontrée par ailleurs d'accomplir un acte ayant pour finalité de troubler l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Pour que j'envisage la saisine, je dois me trouver face à un acte qui présente les caractères légaux d'un acte terroriste. Cela seul doit définir notre position.

J'entends parfaitement vos critiques sur le système judiciaire actuel en matière d'analyse de l'état psychiatrique d'un individu. Je comprends en tant que magistrat la problématique qui en découle. J'ai travaillé en droit commun avec des psychiatres. En matière de terrorisme, c'est une nouveauté, car nous ne nous trouvions pas en présence d'individus souffrant de problèmes de perturbation mentale. Cette nouveauté nous interpelle et nous met parfois mal à l'aise.

C'est la permanence du parquet local qui nous informe, en parallèle, éventuellement, des services décentralisés et des groupes antiterroristes locaux qui font remonter l'information aux services spécialisés. Nous sommes informés très rapidement d'un événement susceptible de recevoir une qualification terroriste. Ces informations sont quasiment quotidiennes. Elles peuvent survenir à deux ou trois reprises lors d'un seul week-end. Nous pouvons alors procéder à une forme de criblage, afin de savoir si l'intéressé est déjà connu des services de renseignement et rassembler les éléments des services spécialisés, ou alors à une forme d'évaluation, qui implique un suivi permanent de la situation locale par les services spécialisés avec lesquels nous sommes en lien. Il s'agit d'une grande partie de l'activité de notre permanence.

Il n'existe pas de délai pour nous saisir. Nous pouvons nous appuyer sur des éléments obtenus par des perquisitions. Elles entraînent des saisies de supports difficiles à examiner, car ils sont généralement cryptés. Leur examen peut prendre du temps. Les terroristes revendiquent rarement la dimension terroriste de leur action lorsqu'ils sont arrêtés, contrairement à ce que laissent entendre les journalistes. L'intéressé peut cacher des éléments, par exemple ses contacts avec Daech, qui ne sont découverts que lors de l'examen du contenu de leurs supports. Ainsi, nous nous apercevons parfois plus tard que les actes accomplis prennent une autre connotation. En pratique, pour des faits manifestement terroristes, nous nous saisissons dans l'heure ou les deux heures, comme dans le cas de l'affaire de la basilique de Nice. Lors de l'affaire de Villejuif, trente-six heures se sont écoulées avant que nous prenions notre décision.

Depuis 1986, notre compétence est concurrente avec celle des parquets locaux, mais les circulaires établissent clairement que nous sommes les seuls en pratique à pouvoir décider de cette qualification. Dès que nous nous saisissons, nous dessaisissons le parquet local. Si le dossier est déjà à l'instruction, une procédure particulière de dessaisissement de juge à juge est prévue dans le code de procédure pénale. En cas de difficulté particulière, le cas remonte à la chambre criminelle de la cour de cassation.

Il n'existe pas d'incompatibilité à retenir la qualification terroriste pour un individu présentant des perturbations psychiques. Cependant, il me paraît difficile de retenir l'irresponsabilité et l'affirmation que l'individu a eu la volonté de participer à une action individuelle ou collective ayant pour but de troubler l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Une incompatibilité demeurerait entre ces exigences.

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