Je vous paraîtrais prétentieux en vous disant qu'un cas comme celui de Kobili m'a été immédiatement familier. De par mes fonctions hospitalières, j'ai rencontré de très nombreux malades. En me renseignant sur son cas, j'ai eu l'impression de relire certains anciens dossiers parfaitement connus. Il est difficile, même dans le champ de la psychiatrie, de faire preuve d'originalité en inventant de nouvelles pathologies. Je sais que c'est une pure fantaisie mais si Kobili était parmi nous dans cette salle, vous verriez combien nous pouvons nous comprendre. Son affaire est une affaire humaine classique, répandue et en particulier chez les personnes d'origine africaine. Le souci premier est de les aider. Un effet collatéral éventuel de votre commission serait d'amener à ce qu'un procès ait lieu. Pas seulement pour rendre hommage à Sarah Halimi, mais pour le bien de Kobili. Il faut qu'il soit reconnu comme le responsable et non pas comme la victime qu'il assume d'être depuis son enfance. On lui a volé sa place, on ne lui donne pas sa langue, son pays, ses droits, on ne le reconnaît pas comme un homme. La première justice à lui rendre, ce serait de le juger et de lui permettre de purger sa peine, plutôt que d'être, si l'on en croit le Dr Bensussan, un futur patient des hôpitaux psychiatriques.
Il y a une question que nous évitons tous car elle prend tout de suite un tour philosophique : celle de la responsabilité. Mais être responsable de ses actes, c'est une caractéristique essentielle de l'être humain. C'est ce qui nous distingue de l'animal. L'homme ivre qui renverse quelqu'un sur la route est toujours responsable. De même s'il a pris de la cocaïne. Ce que nous jugeons, c'est la manière dont l'accusé traite la liberté de choix qui lui est offerte en tant que membre de cette espèce bizarre qu'est l'homme. Les animaux n'ont pas ces problèmes, leur conduite étant innée. C'est nous qui avons ce triste privilège d'avoir la liberté de choisir, ce qui nous angoisse et nous pousse à rechercher toutes sortes de supports. Lorsque nous jugeons une personne, en réalité, nous apprécions la manière dont l'accusé traite cette liberté de choix, et autrui est également englobé dans cette liberté de choix. C'est ce qui constitue son humanité. Il faut considérer que nous sommes responsables. Les disculpations offertes par la médecine sont des facilités qui escamotent la responsabilité. Ne va pas chercher le Grand livre, où tu ne fais que ce qui y est écrit. Tu es responsable de tes actes.
Vous avez certainement eu connaissance de l'affaire d'un imam toulousain qui tenait des prêches antisémites et qui a été acquitté, le juge considérant qu'il ne faisait que se référer à des textes religieux. Il n'était pas responsable, selon le juge, se contentant d'appliquer des sourates de sa religion. En réalité, la position juste serait de considérer qu'il est responsable de sa lecture de ces textes, qui sont ce qu'ils sont.