Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Réunion du jeudi 2 décembre 2021 à 18h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • bouffée délirante
  • délirante
  • expert
  • kobili
  • kobili traoré
  • psychiatrique
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La réunion

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Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Jeudi 2 décembre 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures trente-cinq

(Présidence de M. Meyer Habib, président)

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Mme la rapporteure, cher Docteur Melman, nous reprenons nos travaux sur l'affaire Sarah Halimi. Je vous remercie de votre présence. Vous êtes un éminent psychiatre et psychanalyste. Vous êtes né en 1930 et je vous suis très reconnaissant de vous être déplacé pour nous éclairer. Vous avez écrit plusieurs ouvrages de psychiatrie. Vous avez fondé en 1982 l'Association freudienne internationale, qui contribue fortement à la formation et à la reconnaissance des psychanalystes. Dans la mesure où vous êtes retraité, j'imagine que vous n'avez jamais été sollicité par un juge dans l'affaire Sarah Halimi mais vous vous êtes intéressé à l'affaire. L'expertise psychiatrique de M. Kobili Traoré a conduit à prononcer son irresponsabilité pénale.

Vous avez déclaré dans diverses vidéos que selon vous, non seulement le discernement de M. Kobili Traoré n'était pas aboli mais « aiguisé et en éveil ». Cela accréditerait la thèse de la préméditation, dont la famille est convaincue et certains commissaires, dont je suis.

Comme vous le savez, plusieurs avis psychiatriques contradictoires ont été établis, l'un selon lequel le discernement était partiellement aboli et l'autre qui aboutissait à la conclusion d'une abolition totale. La question de la préméditation est tout à fait cruciale.

Vous avez également pointé des éléments qui sembleraient indiquer que Kobili Traoré se préparait à une opération de ce genre. Votre témoignage sur ce point sera intéressant en ce qu'il pourrait être contradictoire par rapport aux conclusions des experts. Ces derniers ont pu rencontrer Kobili Traoré, contrairement à vous, mais vous vous êtes longuement penché sur la question et notamment sur le rapport du Dr Paul Bensussan selon lequel le discernement avait été totalement aboli.

Certaines questions sont pour nous sans réponses, et notamment pour ce qui est de l'état psychiatrique de Kobili Traoré avant, pendant et après les faits. Il n'avait pas d'antécédent psychiatrique, même si sa sœur est bipolaire. Son dossier judiciaire ne mentionne aucun antécédent psychiatrique ni aucun traitement.

Nous avons auditionné hier un témoin qui aurait une source en contact très proche avec Kobili Traoré, selon laquelle il ne suivrait aucun traitement et se serait même rendu chez sa famille à plusieurs reprises. Ce témoignage n'est pas encore avéré et ces informations sont donc à considérer avec prudence. La personne auditionnée est un journaliste qui nous semble fiable mais sa source n'a pas encore été vérifiée par nous à ce stade – le journaliste en question souhaite la préserver.

Tous ces éléments nous interpellent et votre analyse psychiatrique sera sans doute intéressante. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, avec Mme la rapporteure, vous auditionner. Je vous inviterai dans un instant à effectuer un propos liminaire mais avant cela, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demanderai de bien vouloir prêter serment en jurant de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ! »

(Le Dr Charles Melman prête serment).

Je vous remercie. Vous avez la parole pour une quinzaine de minutes puis nous vous poserons des questions.

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Dr Charles Melman

Si vous le permettez, je rassemblerai les questions que vous voudrez bien me poser sous deux rubriques essentielles à mes yeux : Kobili est-il responsable de son acte et s'agit-il d'un acte à caractère antisémite ?

Sa responsabilité ne fait aucun doute, d'un point de vue psychiatrique, même si mes confrères défendent une autre thèse, et ce pour une raison simple : son acte n'a pas été commandé par une idée insolite, saugrenue, imprévue, autrement dit délirante, qui aurait surgi dans un psychisme quotidien, banal, mais sa conduite a été dirigée par le même thème qui guide sa vie depuis son enfance : une force étrangère intruse le prive d'occuper sa place et de se faire reconnaître. Ce thème permanent a guidé son enfance, commandé sa violence contre diverses formes d'autorité (scolaire, sociale, policière ou autres). L'autorité était représentative de ce qui l'empêchait d'occuper sa place et en premier lieu à son domicile. La mort de son père alors qu'il avait sept ans l'a laissé, petit garçon, dans un milieu de femmes. Quant à son futur beau-père, il a adopté un comportement qui se voulait paternel, mais que, lui, a refusé. Il avait à son domicile une force intruse, étrangère qui l'a amené, du fait de sa violence, à se trouver comme un étranger à son domicile, chassé de son foyer, trimballé dans divers internats et familles d'accueil…

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Ce récit est intéressant car j'ignorais tous ces détails. Je savais qu'il avait été très turbulent dans sa jeunesse.

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Dr Charles Melman

J'ignore de quelles données vous disposez mais, de mon point de vue, son acte criminel, était une tentative, qui a réussi, de tuer définitivement la force intruse qui l'empêchait d'occuper son propre territoire. C'est le thème dominant de sa vie. En 2004, alors qu'il avait quatorze ans, sa mère s'est remariée avec son beau-père et depuis lors, il n'a cessé de fréquenter les maisons de correction et les milieux judiciaires. Il a même écopé de deux années de prison, ce qui dénote une délinquance sévère, et en 2015, deux années avant son crime, il était déjà condamné pour port d'arme prohibée. Sa délinquance affirmée prenait donc des proportions sérieuses. Le point principal est que l'acte qu'il a commis ne peut pas être considéré comme une manifestation saugrenue chez un jeune homme connaissant par ailleurs une existence banale de petit dealer. Ce qu'il a accompli est au contraire l'aboutissement de ce qui a dirigé toute sa vie.

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Il me semble d'ailleurs qu'il avait déjà séquestré une personne d'origine asiatique quelques années plus tôt dans son immeuble mais il l'avait libérée assez rapidement.

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Dr Charles Melman

J'ignorais ce point. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas lui faire injure que de dire qu'il a toujours été un mauvais garçon. À l'âge de huit ans, il agressa une femme plus âgée.

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Dr Charles Melman

Cela apparaît dans ses antécédents. Le toxique est allégué comme causal mais en réalité, le cannabis n'a agi, comme d'habitude, qu'en levant les inhibitions. Il n'a pas favorisé l'éclosion d'idées délirantes. Comme d'habitude, il n'a fait que lever les freins ordinaires organisant notre vie psychique, Attribuer au cannabis la circonstance qui l'aurait privé de responsabilité est donc mensonger – je ne trouve guère d'autre mot. Il n'a fait qu'obéir à ce qui ordonne son existence depuis l'âge de sept ans. Son acte ne peut pas être considéré comme « surprenant et délirant ».

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Quelles sont vos remarques à propos du diagnostic des experts, qui est contradictoire par rapport à votre avis ?

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Dr Charles Melman

J'ai échangé avec le Dr Daniel Zagury. Je n'ai pas voulu discuter du diagnostic de bouffée délirante. Ce genre de discussion entre confrères aboutit rarement à quelque chose de concret. En tant qu'ancien médecin responsable des admissions à l'hôpital Sainte-Anne, pendant de nombreuses années, je recevais tous les jours une trentaine de malades pour lesquels je devais établir un certificat d'admission ou de non-admission. J'ai donc été confronté à de nombreux cas de bouffées délirantes et j'ai soigné ces patients. Nous avions un service d'hospitalisation pour les cas aigus. Je ne l'ai pas choisi mais je suis familier de cette problématique, de même que je suis familiarisé avec les questions de psychopathologie africaine qui comptent en cette matière. J'ai été le psychiatre d'un centre d'ethnopsychiatrie et d'ethnopsychopathologie africaine qui dépendait de la Sorbonne, dont la finalité était de vérifier les différences de fonctionnement psychique entre les sociétés occidentales et africaines.

Bien que je ne l'aie jamais rencontré, les éléments présentés par Kobili me sont parfaitement familiers. Le délire de possession, le sentiment d'être saisi par une force malfaisante, et que d'aucuns ont qualifié de bouffée délirante – mais peu importe – est une manifestation fréquente dans les milieux africains. Ces malades sont familiers, parfaitement tolérés dans les villages de la brousse africaine.

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Il a déclaré à plusieurs reprises qu'il aurait été marabouté.

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Dr Charles Melman

Ces comportements n'entraînent là-bas aucune sanction thérapeutique et l'on salue même le caractère sacré d'un tel comportement. Si une personne est possédée, cela signifie qu'un dieu s'intéresse à elle. Il est habituel qu'au bout de quelques jours, tout rentre dans l'ordre. On n'en fait pas une affaire et la plupart du temps la personne n'est pas conduite à l'hôpital ni même chez le soigneur.

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Vous dites donc que c'est une pathologie courante.

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Dr Charles Melman

Oui, et socialement tolérée. Les individus atteints commettent quelques extravagances mais ce ne sont pas des comportements violents ou illicites.

Au risque d'être paradoxal, j'irai même jusqu'à dire que jamais son discernement n'aura été aussi aigu qu'au moment où il a identifié…

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Je vous cite : « L'action de la drogue provoque plutôt une forme d'acuité des perceptions et je dirai que de bout en bout, il a témoigné d'un discernement parfaitement inscrit dans l'intelligence de sa conduite. Il a ainsi, si j'ose ainsi m'exprimer, parfaitement prévu son propre point de chute, autrement dit la façon de se protéger, de s'introduire chez Mme Sarah Halimi. Il a constamment témoigné d'un discernement non seulement non aboli mais aiguisé et en réveil. »

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Dr Charles Melman

C'est exactement cela. Il a souffert d'un excès d'acuité de discernement. Il a identifié Sarah Halimi comme étant représentative de cette force malfaisante qui faisait qu'il avait été chassé du territoire qui lui revenait, et qu'il convenait dès lors de commettre cet acte, dont on peut à présent discuter de l'éventuel caractère antisémite.

On retrouve dans l'acte la dramaturgie du fidèle prêt à se sacrifier pour enfin gagner sa place et son identité au Ciel auprès de Dieu, en exécutant un infidèle et en devenant du même coup une figure glorieuse. Les faits n'ont guère duré plus d'une heure ou une heure et quart. Il a accompli une forme de rituel avec le changement de vêtements puis de sous-vêtement, le lavage, les pieds nus, les prières, etc. Tout cela est spécifique de celui qui se prépare à l'action sacrificielle qui lui permettra de gagner son accès au Ciel. C'est alors que l'on trouve une collusion avec son drame personnel privé – il est orphelin de père et n'a donc aucune figure adulte qui aurait pu lui servir de modèle qu'il aurait pu aimer. Sa solitude est d'autant plus grande que sa mère l'a chassé. On ne tient pas compte du fait que le soir du drame, sa mère l'a mis à la porte. Une fois encore, il s'est retrouvé exproprié, expatrié, chassé de chez lui, tout cela parce qu'il était en guerre avec son beau-père.

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Nous savons qu'il s'était violemment disputé la veille avec son beau-père et avec l'auxiliaire de vie des filles de sa sœur. Il avait même craché dans sa bouteille en disant qu'il était marabouté. Est-ce que vous contestez la bouffée délirante ?

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Dr Charles Melman

Oui. Je n'ai pas insisté sur ce thème. Je ne voudrais pas entrer dans une trop longue digression par rapport au sujet immédiat. Mais puisque vous m'invitez à en parler, il est vraisemblable que cet épisode délirant de possession par une force malfaisante est contemporain avec l'approche du moment où il allait se marier. Il était conduit à se marier par la volonté familiale. On ne lui connaît pas d'intérêt féminin. Il est clair que les femmes, ce n'est pas son affaire. Il allègue une histoire dans sa jeunesse mais je n'y crois absolument pas.

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Comment connaissez-vous aussi bien son histoire ?

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Dr Charles Melman

J'ai recherché les éléments qui permettaient d'évaluer sa personnalité. C'est un pauvre bougre, malheureux, d'un niveau culturel peu satisfaisant mais qui, socialement, s'est pas mal débrouillé en étant dealer. Cela étant, son islamisme est inexistant. Il ne sait pas lire le Coran. Il récite quelques prières, fréquente la mosquée avec son copain Abdelkader, mais ce n'est aucunement un fanatique ni un excité.

Il est poussé au mariage et il trouve une intruse en arrivant au domicile de sa mère. C'est quelqu'un qu'il ne connaît pas, qui est la remplaçante de l'aide sociale habituelle. Elle l'intrigue par le fait que tout en soignant sa sœur handicapée, elle crache dans une bouteille. Il soupçonne le caractère maléfique de cette personne. Le fait qu'elle soit haïtienne lui fait penser à un rite vaudou et à un ensorcellement. La présence d'une intruse à son domicile, alors qu'il va devoir épouser une fille qu'il ne connaît pratiquement pas, déclenche en lui l'idée qu'il est incapable d'assumer une fonction maritale, responsable, adulte et virile qui était exigée de lui et qui commence à faire déraper son monde. C'est cette sorte de forçage vers un mariage qui n'avait pas de place dans son organisation psychique qui va déclencher son sentiment d'être possédé par le Mal.

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Je n'ai aucune connaissance de base en psychiatrie ni en médecine mais je me suis intéressé au sujet en tant que président de cette commission pour essayer de comprendre certaines choses. Vous dites, au sujet de la préméditation : « Je pense que cette préméditation a été rapide, c'est-à-dire qu'il est passé en quelques heures de la dénonciation du beau-père à l'isolement comme figure persécutrice de cette voisine juive qu'il a appelée « la Sheitan du quartier », qu'il connaissait très bien puisque c'est sa voisine du haut. Certains éléments laissent penser qu'il se préparait à une opération de ce genre. »

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Dr Charles Melman

Nous n'avons aucun élément nous permettant de dire que, depuis des semaines, il avait le projet d'agresser ou d'éliminer cette femme mais, en tout cas, il est vraisemblable que s'être retrouvé de nouveau sans domicile a joué un rôle. Il n'avait comme domicile que celui de son copain Abdelkader qu'il venait de quitter à trois heures trente du matin et il venait d'essayer avec le domicile des Diarra, qui jouent un rôle important dans cette histoire. Il ne s'est pas senti chez lui au domicile des Diarra car il était toujours aussi anxieux. Il a brusquement « compris » que celle qui l'empêchait d'être chez lui, et même d'être enfin reconnu, était là. Il a alors préparé ce rituel qui visait à gagner son salut grâce à ce meurtre.

La suite est également en contradiction avec les effets du cannabis. Le cannabis place dans un état ébrieux et entraîne des difficultés de coordination motrice. Il est difficile, sous son effet, de passer d'un balcon à un autre. Une fois arrivé au domicile de la victime, il a fait montre d'une parfaite coordination motrice en la martyrisant pendant de longues minutes et en découvrant ce qui était sa tâche.

Le mensonge qui figure dans les conclusions de la juge comme des experts est l'allégation qu'il aurait découverte par hasard que c'était le domicile de cette femme. C'est un mensonge grossier. Tout d'abord, tous les amis de Sarah Halimi qui fréquentaient son domicile savaient qu'elle n'exposait pas de chandelier chez elle. C'était son droit mais il n'y en avait pas. Par ailleurs, il est peu probable que ce garçon à peu près inculte ait eu la capacité discriminative pour pouvoir repérer la Torah parmi les livres d'une bibliothèque ou dispersés sur une table.

En lisant le compte rendu de la première comparution devant la juge à l'unité des malades difficiles de l'hôpital Henri Colin, n'importe quel profane dans les questions juridiques peut s'apercevoir que la juge souffle les réponses à Kobili Traoré : « Vous aviez beaucoup fumé avant cet acte, n'est-ce pas ? » « Ah ben oui alors ! » La toxicologie ne le montre pas du tout.

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Abdelkader, chez qui il a dormi, a déclaré qu'il avait consommé un joint, ce qui était absolument courant pour lui. Il n'avait en aucun cas « beaucoup fumé ». En revanche, il a fumé beaucoup de cigarettes.

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Dr Charles Melman

Elle lui procure l'argument salvateur. Il n'est peut-être pas cultivé mais il est doté d'une certaine intelligence pratique et d'une certaine malignité. Il a donc saisi la perche. C'est également elle qui lui suggère : « Vous ne connaissiez pas l'endroit… » « Ah ben non alors ! Je l'ai découvert ! »

Un profane en droit qui lirait le dossier ne peut être qu'effaré en voyant que, dans cette affaire, la juge semble conclure avant même que d'instruire l'affaire. Je passe d'ailleurs sur le fait que le parquet a dû insister pour que le crime soit qualifié d'antisémite. Elle a fini par l'accepter.

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Tous ces éléments viennent de l'enquête de personnalité, qui a été totalement oubliée par les psychiatres !

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Dr Charles Melman

Complètement !

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Dr Charles Melman

Pour le dire autrement, on croit être généreux avec Kobili en le privant d'un procès, mais en réalité, d'un point de vue psychiatrique et humain, on le prive d'être reconnu comme celui qui aurait commis un crime. On le décrit comme étant quelqu'un qui aurait été victime d'une mécanique qui l'aurait saisi à son insu. On le prive de sa qualité de responsable, on le prive de sa personnalité, on le prive de son humanité. Il agit comme un « connard » humain ordinaire. Cette façon de lui épargner un procès est une façon de le confirmer dans sa position de victime, en refusant de considérer son acte comme une tentative d'être un homme. C'est ce qu'il a toujours cherché à obtenir : être reconnu comme un homme, ce qu'il ne parvenait pas à faire, et il n'était pas prêt à le devenir à travers le mariage.

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Dr Charles Melman

Je pense que c'est nécessaire.

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Me Francis Szpiner a dit « dans cette affaire, je pense que M. Bensussan n'a pas été choisi par hasard. Notons en outre les conflits personnels qui peuvent l'opposer à M. Zagury dans une sorte de querelle d'égo ». Avez-vous connaissance de l'animosité entre les Dr Paul Bensussan et Daniel Zagury ?

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Dr Charles Melman

Comme vous l'avez probablement compris, le cénacle des experts en psychiatrie est particulièrement étroit et tous les experts se connaissent mutuellement. La reconnaissance accordée à tel ou tel est soigneusement jalousée. Les experts ont tendance à comparer le nombre de dossiers qui leur sont confiés.

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C'est souvent la même chose pour les avocats, entre autres.

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Dr Charles Melman

Un autre détail « amusant » est qu'en nommant tel ou tel expert, le juge connaît déjà la réponse qu'il va obtenir. Il connaît les forces et faiblesses de chacun d'entre eux. M. Zagury est unanimement considéré par ses pairs comme étant le meilleur expert de notre génération. Ses conclusions sont simples et ne traduisent aucun engagement ni de considérations passionnelles. En substance, il souffrirait d'une altération de la discrimination – ce qui est généreux selon moi – mais il serait accessible à la peine. Quant au caractère antisémite de l'acte, il est établi. Cette expertise était susceptible de calmer le jeu radicalement. C'était la moins approximative, la plus juste finalement. La conclusion était qu'il avait besoin d'être puni.

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C'est-à-dire d'être traduit devant une cour d'assises…

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Dr Charles Melman

Oui. C'était un diagnostic de base et sain. J'en ai discuté avec lui.

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Selon vous, « la juge sait parfaitement prévoir à l'avance les décisions de l'expert qu'elle nomme, de telle sorte que je dirai qu'il n'y a pour elle aucune surprise. Il y a même une espèce de scenario, de triste comédie entre faire appel à un expert de qualité, reconnu et honorable, comme Daniel Zagury, dont elle pourrait prévoir qu'il opterait pour une altération du discernement et puis ensuite, six experts, pour démontrer qu'il s'agissait d'une abolition. La scène était jouée ». Je vous cite.

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Dr Charles Melman

C'est tout à fait comique !

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Dr Charles Melman

La juge s'est appuyée sur six experts pour parvenir à la conclusion d'une abolition du discernement. Parmi ces experts figure le Dr Bensussan. Il est génial car il a découvert que cette bouffée délirante était annonciatrice d'une schizophrénie. Or aucun psychiatre n'est capable, face à une bouffée délirante, de prévoir son évolution. Elle peut guérir spontanément en quelques jours, semaines ou mois ou bien elle peut prendre un caractère chronique de très mauvais augure. Mais devant une bouffée délirante, dire « Hum… cela est suspect d'une évolution schizophrénique ! » relève de la voyance, pas de la psychiatrie !

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Il nous a expliqué que le sujet était complexe. Selon vous, il est impossible de détecter une schizophrénie après une bouffée délirante…

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Dr Charles Melman

Il est impossible de prévoir, juste après un épisode délirant, si celui-ci évoluera vers une schizophrénie. On peut le craindre mais aucun élément clinique ne permet de le déterminer. Les bouffées délirantes guérissent parfois et parfois non, sans que l'on sache pourquoi d'ailleurs.

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Pardonnez-moi de vous interrompre dans votre exposé mais François Pupponi doit partir et il aimerait vous poser quelques questions. Je lui donne la parole, avec l'accord de Mme la rapporteure.

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Merci de toutes vos précisions. J'ai deux questions rapides. On considère donc que l'on a affaire à une bouffée délirante à caractère antisémite. Mais comme vous l'avez dit, une bouffée délirante se soigne, et si l'on considère que la bouffée délirante de M. Traoré a été soignée, plus aucun argument médical ne justifierait de prolonger son hospitalisation… La logique voudrait qu'une fois le patient guéri, il rentre chez lui…

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Dr Charles Melman

C'est ce qui embarrasse les psychiatres qui ont affaire à lui ! Je pense qu'il a retrouvé ses craintes ordinaires et non plus exceptionnelles, qu'il a retrouvé son statut de dealer au sein du service – il peut fournir, comme il est classique, les malades en haschich voire en cocaïne. Les psychiatres doivent être embarrassés par les conditions médico-légales pour continuer à garder dans leur service quelqu'un qui a retrouvé son état ordinaire.

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Dans une telle situation juridique, qui a le pouvoir de faire sortir le patient, considérant qu'il est guéri ?

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Dr Charles Melman

Le préfet décide et il peut en l'occurrence s'opposer à l'avis médical et commander que le patient reste dans l'unité. La décision médicale n'est pas souveraine. Le préfet peut décider que le patient représente un danger pour la société et qu'il doit donc rester interné.

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L'avis médical est-il renouvelé régulièrement pour ce type de cas ?

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Dr Charles Melman

Je n'en ai pas le souvenir.

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Ma dernière question porte sur le chandelier et la Torah. Nous avons visité l'appartement de Mme Halimi avec des membres de la commission. Il est resté en l'état. Nous n'avons pas vu de chandelier mais quatre bougeoirs. En arrivant par le balcon, on trouve une table sur laquelle se trouve un livre écrit en hébreu. Peut-on considérer qu'un individu comme M. Traoré, qui a peu de connaissances dans le domaine religieux, puisse s'être trompé ? Si c'est le cas, cela caractérise l'acte antisémite car il identifie des objets religieux juifs, ce qui l'aurait rendu fou à en croire son compte rendu d'audition. Cela caractérise-t-il l'antisémitisme ou dans la négative, qu'est-ce qui le caractérise ?

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Dr Charles Melman

Cela ne caractérise pas l'antisémitisme. Je ne suis même pas certain qu'il soit capable d'identifier une écriture hébraïque. Disons-le clairement, son instruction s'est arrêtée en classe de troisième et elle a été sans cesse perturbée par les divers placements. Ce pauvre garçon n'a jamais rien appris. Il ne sait d'ailleurs pas lire l'arabe. Ce qui permet en revanche de montrer qu'il connaissait déjà les lieux est que pendant qu'il passait d'un balcon à l'autre, l'un des fils Diarra est sorti – les Diarra n'étaient aucunement séquestrés, ils se protégeaient simplement de lui parce qu'il était agressif – et lui a dit : « Surtout ne va pas faire des bêtises ! » Quel aurait été le sens de cet avertissement prémonitoire si l'un et l'autre n'avaient pas su qui habitait dans l'autre appartement ?

Je ne peux pas me refuser le plaisir de parler d'un autre expert du nom de Roland Coutanceau. J'ai eu le bonheur de le voir s'exprimer à la télévision sur cette affaire et déclarer avec beaucoup d'aménité combien, en tant qu'expert, il avait dû être prudent dans la rédaction de son acte afin de ne pas heurter la sensibilité de la communauté à laquelle appartenait la victime. Il est étonnant d'entendre des déclarations aussi extravagantes de la part d'un expert car ce que l'on demande à un expert, ce n'est pas de faire un diagnostic du milieu de la victime mais du criminel qui pose problème. Il a insinué que le contenu de son rapport avait été influencé par le regard que portait cette communauté sur lui. En morale, on appelle cela de la félonie, c'est-à-dire un manquement total à sa fonction. C'est déshonorer sa fonction que de déclarer qu'il aurait été déchiré entre son opinion et la sensibilité de cette communauté.

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Lors de son séjour à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, le médecin de garde rédige une note de synthèse à son sujet : il fait part d'un doute sur un certain théâtralisme de la présentation d'un discours sans aucun élément délirant, ni discordance. Selon lui, l'accusé sur-stimule la sédation. Pensez-vous qu'il ait pu jouer la comédie ?

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Dr Charles Melman

Il a fréquenté ce genre de milieu, pas forcément psychiatrique, mais l'assistance éducative ou socio-éducative, et ce durant toute son enfance et son adolescence. Il connaît donc le discours qu'il est censé tenir et il le fait très bien. Il s'est parfaitement adapté.

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Le Dr Bensussan a déclaré devant notre commission que sa dangerosité psychiatrique était élevée et durable. Nous avons eu des témoignages qui restent à confirmer qu'il aurait continué à fumer et qu'il aurait dealé par le passé. Le Dr Bensussan considère également que M. Traoré serait dangereux si son traitement était interrompu. Je le cite : « Il est hautement improbable et hautement périlleux, avec ce malade mental, que mes collègues puissent dire qu'il va bien ». Ces affirmations sont-elles crédibles à votre avis ? Nous comprenons que la psychiatrie n'est pas tout à fait une science exacte mais j'aimerais connaître votre point de vue.

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Dr Charles Melman

Si j'étais en sa présence, je me permettrais un mot grossier. Je dirais que dire une chose pareille est dégueulasse : cela revient à condamner à rester à vie en hôpital psychiatrique une personne au lieu de lui permettre de purger les années de prison qu'il devait légitimement effectuer. C'est pour justifier sa propre expertise, rien d'autre, que l'on condamne quelqu'un à l'internement à vie. Il a raison sur la récidive, mais elle se produira pour un seul motif : au cours de ce premier crime, il n'a pas été reconnu comme responsable. Il risque donc de le reproduire jusqu'à ce qu'on le prenne pour l'homme véritable qu'il peut être, et qu'il soit reconnu comme une « créature supérieure » qui n'hésite pas à régler ses comptes. S'il y a un motif pour qu'il récidive, ce n'est pas parce qu'il serait de nouveau la proie de ce qu'ils appellent une bouffée délirante – je pourrais vous dire en deux mots pourquoi ce n'est pas une bouffée délirante mais peu importe – mais simplement par le fait que l'on se comporte avec lui comme si le crime qu'il a commis n'avait pas eu lieu. Mais alors, une fois de plus, c'est le pauvre garçon qui n'arrive pas à se faire respecter.

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Je donne la parole à Mme la rapporteure puis je vous poserai quelques questions à mon tour.

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Docteur, je vous remercie d'être venu à cette audition. Votre nom m'a été proposé par le Président et je l'ai accepté.

J'ai bien entendu votre appréciation sur les différentes expertises qui ont eu lieu et sur vos travaux de recherche. Vous avez apparemment mené votre propre enquête de personnalité sur Kobili Traoré. Les questions que j'aurais pu vous poser ont déjà été posées par François Pupponi. Je ne suis pas ici pour défendre mon intime conviction mais pour chercher des dysfonctionnements de police et de justice. Je tiendrai compte de vos propos et je repasse la parole au Président.

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Votre témoignage est très intéressant, et globalement il est très intéressant d'écouter des psychiatres pour des députés comme nous qui ne sommes pas initiés à ces questions. Je regrette beaucoup qu'un de nos collègues, Brahim Hammouche, qui est psychiatre, et qui pose toujours des questions très pertinentes, n'ait pas pu être présent. Nous avons eu un témoignage récent selon lequel Kobili Traoré, l'assassin déclaré pénalement irresponsable, sortirait régulièrement, accompagné, chez sa famille, le week-end. Est-ce courant ?

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Dr Charles Melman

C'est possible dans le cadre d'une réadaptation progressive. Il s'agit d'une mesure humanitaire qui lui permet de reprendre des contacts avec sa famille et son ami et de voir de quelle manière il reprend une vie sociale ordinaire et banale. C'est une pratique ordinaire et bien pensée.

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J'aimerais reparler du caractère antisémite du crime. Il a déclaré : « J'ai tué le Sheitan du quartier ». Nous ne sommes pas des experts. Ce qui nous importe, c'est sa connaissance des faits au moment des faits. Une bouffée délirante peut-elle faire en sorte que l'on perde tout discernement et simultanément, nous pousser à commettre un meurtre antisémite ? Certains ont répondu que oui. La justice a reconnu – tardivement – le caractère antisémite du crime. À votre avis, est-il possible de commettre un meurtre à caractère antisémite sous le coup d'une altération totale du discernement ?

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Dr Charles Melman

Il y a dans son entreprise – qui a duré quelques heures, à partir de onze heures trente la veille…

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Il a été arrêté la veille puis relâché mais on ne sait pas pourquoi. La police l'a arrêté dans la rue puis relâché. Nous avons auditionné une femme qui a déclaré avoir été réveillée vers une heure du matin par des cris « Allahu Akbar » venant de la cour puis elle s'est rendormie. D'après elle, c'était la voix de Kobili Traoré. On sait donc qu'il est sorti pour la première fois de chez son ami – chez qui il a dormi et avec qui il a vu un film – vers une heure du matin pour commencer à crier en arabe dans la rue. Peut-il avoir été en proie à une bouffée délirante à ce moment-là ?

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Dr Charles Melman

Je vous invite à vous informer sur ce qu'est une bouffée délirante en en trouvant la description dans un traité de psychiatrie classique de bonne qualité écrit par Henri Ey. En quelques pages, il décrit la bouffée délirante, s'appuyant lui-même sur Magnan, un psychiatre français du dix-neuvième siècle. Vous y verrez que les symptômes présentés par Kobili n'ont rien à voir avec une bouffée délirante. Il y a dans sa façon de faire une constance, une permanence, une cohérence, une suite, une finalité, une sorte de stabilité psychique dans la constitution et l'organisation de son projet, qui sont complètement antinomiques avec la définition d'une bouffée délirante. Lors d'une bouffée délirante, le comportement est au contraire complètement inconstant, sur tous les thèmes et avec toutes les variations, les idées les plus biscornues se succédant dans une agitation permanente. C'est tout le contraire d'un acte qui a été quasiment ritualisé et parfaitement ordonné.

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Pensez-vous qu'il ait pu être influencé par des éléments extérieurs, par exemple en entendant des prêches à la mosquée ? On sait que quelques jours avant, il a vu un film sur les attentats du 11 septembre, et qu'il a effectué des recherches sur sa tablette à propos des rapports israélo-palestiniens.

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Dr Charles Melman

Avant de commencer son affaire, il a vu le film The Punisher.

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C'est exact. Vous êtes parfaitement au courant du dossier.

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Dr Charles Melman

C'était juste avant de passer à l'acte.

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Je vous écoute avec attention mais d'éminents experts ont posé devant nous un diagnostic différent du vôtre. Le diagnostic du Dr Bensussan est quasiment opposé au vôtre.

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Dr Charles Melman

Cela ne m'inquiète pas !

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Comment l'expliquez-vous pour les parlementaires que nous sommes ? Le Dr Bensussan est un éminent psychiatre également. Nous avons compris que les approches pouvaient être différentes d'un psychiatre à l'autre mais à ce point… Quel était l'intérêt du Dr Bensussan ?

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Dr Charles Melman

Pour ma part, je ne participe à aucune compétition pour être reconnu comme expert par les tribunaux.

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Dr Charles Melman

Non, jamais, mais j'ai été médecin de la maison d'arrêt de Saint-Omer, où j'ai pu voir un certain nombre de détenus et je devais certifier s'ils étaient ou non en bonne santé psychique.

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Pensez-vous que le code pénal donne trop de place au diagnostic médical ? On ne juge pas des fous en France depuis le Moyen-Âge, et c'est bien normal, mais qu'est-ce qu'un fou ?

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Dr Charles Melman

Vous posez une question essentielle. Tous ces experts aboutissent finalement à nier la personnalité du criminel au profit de ce qui est symptôme, pathologie et en quelque sorte à l'assimiler à des forces mécaniques qui agissent à son insu. C'est une insulte, une offense qui lui est faite. Pour ma part, je ne peux que souhaiter que votre commission puisse aboutir à ce qu'un procès ait lieu…

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Ce n'est pas le but de notre commission. Notre objectif est de déterminer si des dysfonctionnements se sont produits. Le plus compliqué pour nous est de savoir si des dysfonctionnements médicaux ont eu lieu. Je sais que la famille souhaite une révision du procès mais cela n'a rien à voir avec notre commission, même si je peux comprendre la frustration de la famille. Comme l'a expliqué le Grand rabbin de France, à qui j'ai encore parlé aujourd'hui, une cour d'assises de la République est censée rendre justice. On a l'impression que justice n'a pas été rendue, ou en tout cas comme il le fallait, même si elle est définitive et nous oblige. Pour nous, l'objectif est de déterminer si des dysfonctionnements sont intervenus, par exemple dans la façon dont les experts ont été nommés. Est-il courant que la juge d'instruction, disposant déjà d'un avis de la part d'un éminent psychiatre comme le Dr Zagury, sollicite d'autres experts sans que la défense ait émis la moindre demande en ce sens ? Vous n'êtes pas le seul d'ailleurs à avoir déclaré que la juge a nommé un collège d'experts tout en sachant qu'ils infirmeraient le diagnostic du premier expert. Je ne vous cache pas que le plus compliqué pour nous est de comprendre les avis psychiatriques car nous n'avons pas de compétences dans ce domaine. Je vous écoute avec beaucoup d'attention, et la réunion étant enregistrée, nous aurons ensuite l'occasion d'en rediscuter avec tous les commissaires. Certains de vos propos me semblent tout à fait pertinents.

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Je prends connaissance de vos interventions avec beaucoup d'intérêt mais alors que le Dr Zagury et les autres experts ont rencontré Kobili Traoré, vous travaillez à titre personnel. Vous vous êtes déjà exprimé dans la presse à ce sujet. Je ne remets pas en cause votre analyse personnelle mais dans le cadre de nos travaux, sa portée est limitée.

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Dr Charles Melman

Je vous paraîtrais prétentieux en vous disant qu'un cas comme celui de Kobili m'a été immédiatement familier. De par mes fonctions hospitalières, j'ai rencontré de très nombreux malades. En me renseignant sur son cas, j'ai eu l'impression de relire certains anciens dossiers parfaitement connus. Il est difficile, même dans le champ de la psychiatrie, de faire preuve d'originalité en inventant de nouvelles pathologies. Je sais que c'est une pure fantaisie mais si Kobili était parmi nous dans cette salle, vous verriez combien nous pouvons nous comprendre. Son affaire est une affaire humaine classique, répandue et en particulier chez les personnes d'origine africaine. Le souci premier est de les aider. Un effet collatéral éventuel de votre commission serait d'amener à ce qu'un procès ait lieu. Pas seulement pour rendre hommage à Sarah Halimi, mais pour le bien de Kobili. Il faut qu'il soit reconnu comme le responsable et non pas comme la victime qu'il assume d'être depuis son enfance. On lui a volé sa place, on ne lui donne pas sa langue, son pays, ses droits, on ne le reconnaît pas comme un homme. La première justice à lui rendre, ce serait de le juger et de lui permettre de purger sa peine, plutôt que d'être, si l'on en croit le Dr Bensussan, un futur patient des hôpitaux psychiatriques.

Il y a une question que nous évitons tous car elle prend tout de suite un tour philosophique : celle de la responsabilité. Mais être responsable de ses actes, c'est une caractéristique essentielle de l'être humain. C'est ce qui nous distingue de l'animal. L'homme ivre qui renverse quelqu'un sur la route est toujours responsable. De même s'il a pris de la cocaïne. Ce que nous jugeons, c'est la manière dont l'accusé traite la liberté de choix qui lui est offerte en tant que membre de cette espèce bizarre qu'est l'homme. Les animaux n'ont pas ces problèmes, leur conduite étant innée. C'est nous qui avons ce triste privilège d'avoir la liberté de choisir, ce qui nous angoisse et nous pousse à rechercher toutes sortes de supports. Lorsque nous jugeons une personne, en réalité, nous apprécions la manière dont l'accusé traite cette liberté de choix, et autrui est également englobé dans cette liberté de choix. C'est ce qui constitue son humanité. Il faut considérer que nous sommes responsables. Les disculpations offertes par la médecine sont des facilités qui escamotent la responsabilité. Ne va pas chercher le Grand livre, où tu ne fais que ce qui y est écrit. Tu es responsable de tes actes.

Vous avez certainement eu connaissance de l'affaire d'un imam toulousain qui tenait des prêches antisémites et qui a été acquitté, le juge considérant qu'il ne faisait que se référer à des textes religieux. Il n'était pas responsable, selon le juge, se contentant d'appliquer des sourates de sa religion. En réalité, la position juste serait de considérer qu'il est responsable de sa lecture de ces textes, qui sont ce qu'ils sont.

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La justice a déclaré – du moins à ce stade – que Kobili Traoré n'était pas responsable de ses actes. C'est la raison pour laquelle il a été placé dans une unité médicalisée. J'ai trouvé votre audition passionnante. Nous en ressortons beaucoup plus savants. Je vous remercie à titre personnel, car malgré votre âge relativement avancé, vous faites preuve d'une intelligence, d'une finesse, d'une science, extraordinaires. Nous essaierons de faire la part des choses. Je vous remercie d'être venu et d'avoir répondu à nos questions.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinquante-cinq. Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. - M. Meyer Habib, Mme Florence Morlighem, M. François Pupponi

Excusés. - Mme Sandra Boëlle, Mme Aude Bono-Vandorme, M. François Jolivet, M. Aurélien Taché