Si la situation se répétait à l'identique, je ne retiendrais pas la préméditation et ne la demanderais pas au juge d'instruction. Cet élément ne change rien au drame vécu par Mme Halimi.
Sur l'expertise psychiatrique et la responsabilité, rappelons la jurisprudence de la Cour. La caractérisation d'une infraction nécessite la réunion d'un élément matériel et d'un élément moral. Le sujet dénué de libre arbitre ne peut être poursuivi et jugé : « il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était dans un état de démence au temps de l'action. » Beaucoup de propos erronés sont tenus sur la Cour de cassation. Je suis aussi là pour la défendre, en ayant conscience de la marge de progression de l'autorité judiciaire. Il a été demandé aux experts si l'individu était en proie à une abolition pure et simple des facultés mentales ou s'il se trouvait initialement en état de conscience altéré au moment des faits. Il s'agit d'une question factuelle qui ressort de l'appréciation souveraine des juges du fond, aidés par l'expertise du corps médical. La Cour de cassation juge toujours avec constance que l'état de démence est une question de pur fait, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, et sur laquelle la Cour de cassation n'exerce aucun contrôle en dehors des cas de contradiction de motifs. Elle ne viendra jamais déjuger, hors contradiction de motifs, l'appréciation d'un juge sur la question de la responsabilité.
Le trouble mental ne se présume pas. Il faut le prouver. Il doit être contemporain de l'action. Il peut être dû à une maladie, mais aussi à une prise de toxiques, comme l'alcool ou la drogue. En ce qui concerne la portée de la faute antérieure, et les parlementaires connaissent bien le sujet à la suite du projet de loi adopté, dès lors que l'abolition du discernement n'a pas été constatée, la chambre criminelle excluait l'irresponsabilité pénale en cas de consommation préalable volontaire d'alcool ou de stupéfiants. Aujourd'hui, la consommation de psychotropes est une circonstance aggravante. Concernant la thèse de l'innocuité de la faute antérieure, l'abolition du discernement, quand elle est retenue, est nécessairement exonératoire de responsabilité, indépendamment de son origine fautive. Dans le droit antérieur, même si la personne avait pris des stupéfiants, rien ne pouvait lui être fait.
Dans un arrêt du 12 mai 2012, la chambre criminelle avait jugé que la chambre de l'instruction avait statué sans insuffisance ni contradiction, en déclarant irresponsable une personne poursuivie pour assassinat, dont l'abolition du discernement était constatée et qui était au moment des faits sous l'emprise de cannabis. L'absence de conscience des conséquences possibles de l'usage de stupéfiants interdisait de retenir la responsabilité de l'auteur des faits. La cour avait dit en conséquence que la consommation de cannabis, seule mise en évidence par les analyses le jour des faits, ayant été effectuée sans conscience des conséquences possibles de cet usage de stupéfiants, ne pouvait davantage fonder la responsabilité d'une mise en examen.
En 2016, une deuxième décision avait été prise dans le cas de l'assassinat d'un membre du personnel administratif d'une université par un étudiant en proie à une crise de schizophrénie paranoïde qui avait aboli son discernement des faits. Cet étudiant avait pris un stupéfiant. Il avait été demandé à la Cour si l'absorption de cette substance, à la supposer avérée, était de nature à peser sur l'appréciation de sa prétendue responsabilité pénale. La prise d'alcool ou de drogues pouvait avoir favorisé un acte criminel sans que le discernement de l'intéressé soit aboli. La chambre de l'instruction qui a tenu pour acquise l'imputabilité de l'acte meurtrier à une pathologie mentale du mis en examen aurait statué par une motivation insuffisante, ce que la Cour n'a pas retenu.
Enfin, un arrêt intéressant a fait l'objet d'une mauvaise interprétation d'un ancien membre du Conseil constitutionnel et d'un journaliste du Figaro. Ces deux derniers l'ont utilisé dans des articles pour dire que la Cour de cassation, dans l'affaire Halimi, aurait reviré de jurisprudence. Cet arrêt de 2018 a en réalité fait l'objet d'une mauvaise lecture de la part de ces deux commentateurs. La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de Versailles pour une personne mise en examen du chef de tentative d'assassinat. Cet individu avait fait l'objet de trois expertises médicales dont deux avaient conclu à l'abolition du discernement et la troisième à l'altération du discernement. La cour d'appel avait exclu tout trouble psychique et avait décidé de renvoyer la mise en examen devant la cour d'assises, en relevant notamment que la consommation importante de stupéfiants ne doit pas s'analyser comme une cause d'abolition du discernement, mais au contraire comme une circonstance aggravante. Il est vrai que les arrêts de la Cour de cassation ne sont pas toujours faciles à lire et à interpréter. En réalité, dans cette affaire, les juges avaient retenu souverainement qu'il n'y avait pas abolition du discernement, en raison d'une dispute entre les expertises. Ils avaient estimé qu'il n'y avait pas d'abolition du discernement, non pas parce que l'intéressé avait consommé des stupéfiants, mais parce qu'il avait conservé une part de son discernement, ce qui est tout à fait différent.