Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • aggravante
  • antisémite
  • discernement
  • expert
  • halimi
  • instruction
  • juive
  • terroriste
  • traoré
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La réunion

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Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Mercredi 8 décembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures vingt-cinq

(Présidence de M. Meyer Habib, président)

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Nous reprenons nos travaux aujourd'hui avec l'audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation. Je vous remercie de vous être déplacé. Votre audition est extrêmement importante pour nous. Vous êtes depuis de nombreuses années l'une des plus hautes autorités judiciaires de notre pays. Vous avez été à la tête du parquet de Paris pendant de longues années au cours desquelles vous avez notamment fait face à de nombreuses crises, comme les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hypercacher, du 13 novembre, ou l'assassinat de Mireille Knoll et l'affaire de Sarah Halimi pour laquelle vous étiez procureur de Paris au moment des faits. C'est vous qui avez bataillé quelques mois après le meurtre pour que son caractère antisémite soit reconnu.

Vous avez envoyé un courrier, que je ne l'ai pas lu, mais qui a été confié à notre ancien rapporteur et vice-président et envoyé au président de l'Assemblée nationale, dans lequel vous vous inquiétez de la tenue de cette commission. Elle n'est pas un troisième degré de juridiction. La justice a tranché. Elle nous oblige. Malgré tout, le rôle de notre commission, comme celle qui a suivi l'affaire d'Outreau, est d'enquêter sur les éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice, pour qu'un tel drame ne puisse se reproduire.

Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, une femme française juive, âgée de 65 ans, docteure en médecine, devenue directrice de crèche, a été défigurée et défenestrée en plein Paris aux cris de « Allah akbar ». De nombreux policiers étaient présents sur place, de longues minutes avant même que débute le massacre. Dès le 4 avril, compte tenu de la gravité du crime, vous avez décidé de superviser l'enquête de police en étroite collaboration avec la substitute du procureur, Mme Johanna Brousse. Nous l'avons auditionnée. Elle était enceinte au moment des faits, et a témoigné avec une immense émotion. Vous avez très vite appris que Sarah Halimi était juive, ce qui vous a amené à être immédiatement en contact avec les représentants de la communauté juive de France, dont M. Joël Mergui, président du consistoire israélite de France, que nous venons d'auditionner. Cependant, à ce stade, vous décidez d'écarter le caractère antisémite de ce crime. Vous nous expliquerez peut-être quels éléments vous y ont conduit. Nous connaissons votre sensibilité sur le sujet, et comme l'a expliqué Mme Johanna Labrousse, dès les premiers instants, vous vous interrogiez sur le caractère antisémite du meurtre.

À l'époque, le parquet national antiterroriste (PNAT) n'existait pas encore, mais vous n'avez pas saisi la section antiterroriste du parquet de Paris, alors qu'une femme a été massacrée, aux cris de « Allah akbar », « que Dieu me soit témoin » et « j'ai tué le sheitan du quartier ». M. Traoré s'est rendu à trois ou quatre reprises à la mosquée dans la journée. Il ne tenait plus la porte aux femmes. Je ne crois pas qu'une enquête ait été menée sur la mosquée de Omar, réputée salafiste, qu'il fréquentait la veille du drame.

Pourquoi, M. le procureur, n'y a-t-il pas eu d'enquête sur les fréquentations de l'assassin, notamment ses deux amis Abdelkader Rabhi et Sofiane al-Bachir ? Ce dernier, je tiens à le confirmer devant tous nos collègues et Mme Camille Galliard-Minier, parle clairement dans son audition d'un trousseau de clés. Kobili Traoré se trouvait avec lui quelques minutes avant de massacrer Sarah Halimi. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'investigations sur le téléphone de Kobili Traoré, de sa famille ou de l'ami chez qui il s'est rendu lors du crime ? Pourquoi la préméditation n'a-t-elle jamais été envisagée ni par les enquêteurs ni par la juge ? Plusieurs éléments factuels nous laissent penser qu'il avait prémédité son crime, même s'il se trouvait sans doute, puisque tous les experts l'ont dit, en pleine bouffée délirante. Beaucoup de commissaires ici présents pensent qu'il y a eu prémédiatation. Les réponses à ces questions restent floues et j'espère que votre audition apportera de la lumière sur l'ensemble de ces points.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. le procureur général François Molins prête serment)

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Concernant nos inquiétudes, vous m'entendez dans le cadre d'une commission cherchant d'éventuels dysfonctionnements et je me prête volontiers à l'exercice. Je n'ai rien à cacher sur l'action du parquet de Paris. Je n'ai jamais lu intégralement le dossier. Ce n'est pas le travail du procureur de Paris. Je gérais 135 magistrats et 350 000 procédures par an. Mon regard s'arrête au 20 novembre 2018 et je ne suis donc pas comptable de la suite des événements. Je vous réponds en tant qu'ancien procureur de Paris, mais également comme président du conseil supérieur de la magistrature (CSM) et président de la formation chargé du parquet. Selon l'article 65 de la Constitution, le CSM a pour mission d'assister le président de la République dans la garantie de l'indépendance de la magistrature. Je me prête donc à l'exercice sous réserve du respect de quatre principes cardinaux. Le premier est la séparation des pouvoirs. Le deuxième est l'autorité de la chose jugée. Le troisième est le respect de l'office juridictionnel du juge : il est possible de chercher des dysfonctionnements, mais l'appréciation de la circonstance aggravante de préméditation, d'antisémitisme ou de terrorisme entre dans l'office juridictionnel du juge. Peu de procès font l'unanimité, et aucun procès ne ressemble à aucun autre. Les points de vue de l'autorité de poursuite, de la défense, des avocats de la partie civile sont différents, et le juge joue un rôle d'arbitre. Certaines décisions sont prises rapidement, d'autres sont plus complexes. C'est le cas de ce dossier. Il ne s'agit en rien d'un dysfonctionnement : c'est l'essence du procès pénal, qui se traduit par des décisions soumises au contrôle des juridictions supérieures qui les apprécient. Ainsi, dans le cadre du statut de la magistrature, il est possible d'être responsable disciplinairement de la violation renouvelée et grave de certaines dispositions de procédure pénale, on ne l'est pas sur le fond qui renvoie à l'essence du procès. Si une erreur a été commise par un magistrat, par des juges du premier degré, elle a vocation à être corrigée.

La commission a lu le dossier. Je me suis étonné d'analyses bâties sur des lectures du dossier par certains qui n'étaient ni avocats de la défense ni avocats des parties civiles, ce qui est contraire aux règles du secret de l'instruction. Je voudrais vous dire aussi que les circonstances dans lesquelles Mme Halimi a été tuée par Kobili Traoré sont particulièrement dramatiques et que je ne supporte pas plus que vous qu'une femme juive de 65 ans puisse être frappée et défenestrée en plein Paris. Cela étant dit, il me semble important de chercher l'apaisement plutôt que la polémique quand elle n'a pas lieu d'être. Il est donc vrai que lorsque votre commission a été créée, Mme Chantal Arens et moi nous en sommes inquiétés. Nous avons écrit au président de l'Assemblée nationale et à la présidente de la commission des lois pour rappeler les principes que je viens d'expliciter et que les décisions juridictionnelles ne peuvent être mises en cause par d'autres moyens que l'exercice des voies de recours. M. Richard Ferrand et Mme Yaël Braun-Pivet nous ont assuré que la représentation nationale partageait le même attachement à la séparation des pouvoirs et à l'indépendance de l'autorité judiciaire et qu'ils veilleraient à la bonne application de ces principes.

Je voudrais rappeler le cadre dans lequel j'ai travaillé sur les questions d'antisémitisme depuis quinze ans. La lutte contre le racisme et l'antisémitisme a toujours été une priorité de la politique pénale des deux parquets de Bobigny et de Paris que j'ai dirigés. Je me suis toujours attaché à apporter des réponses pénales fermes et adaptées à tout acte de racisme et d'antisémitisme, ce qui explique les liens réguliers que j'entretenais avec les représentants de la communauté.

Un crime ou un délit n'est pas antisémite du seul fait que la victime est juive, mais il le devient s'il est commis parce que la victime était juive. La loi du 27 janvier 2017 que vous avez adoptée et qui a entièrement réécrit l'article 132-76 du code pénal explique que l'intention raciste, xénophobe, antisémite peut être retenue comme circonstance aggravante pour l'ensemble des crimes et délits punis par une peine d'emprisonnement. Cependant, le procureur et le juge doivent qualifier les circonstances aggravantes. Puisque l'intention ou le mobile qui anime l'auteur est toujours difficile à rapporter en termes probatoires, vous avez retenu une définition objective de cette circonstance dans le code pénal. Selon l'article 132-76, la circonstance aggravante de racisme ou d'antisémitisme est constituée lorsque l'infraction « est précédé[e], accompagné[e] ou suivi[e] de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée  ». Dans ce cadre, j'avais adressé des instructions permanentes à mes collègues leur indiquant de regarder dans les dossiers de vol ou violence si la personne était de confession juive, afin de vérifier si la circonstance existe, pour la viser systématiquement. Nous le faisions avec une grande vigilance. Nous avions également initié au parquet de Paris, dès janvier 1994, un stage unique en France, intervenant pour la répression des actes ou propos à caractère raciste ou antisémite dans le cadre des alternatives aux poursuites ou des peines complémentaires. Grâce à un travail partenarial engagé avec la fondation pour le mémorial de la Shoah et soutenu par le conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), la convention conclue en 2014 instaurait un stage de citoyenneté intitulé « sensibilisation à l'histoire de la Shoah et des génocides ». Ce stage, fondé sur les valeurs laïques de tolérance et de respect d'autrui, pouvait aussi être ordonné à l'égard des auteurs d'infractions à caractère raciste ou antisémite. Vous pouvez donc constater notre implication et notre vigilance qui n'ont pas été absentes du traitement de ce dossier. Par manque de temps, je n'ai pas suivi tous les débats de votre commission. J'en ai cependant lu quelques procès-verbaux et ai été assez choqué par certains propos selon lesquels la justice aurait été partielle, ou aurait instruit à décharge. On n'instruit pas à décharge, on n'instruit pas à charge, on instruit aux deux.

Je vais répondre aux questions que vous m'avez adressées par écrit. Vous me demandiez comment j'ai appris le meurtre de Sarah Halimi et la séquestration des Diarra. Le meurtre s'est produit entre 4 h et 5 h du matin. J'en ai été informé dans la matinée du 4 avril 2017, lors des réunions d'action publique du parquet de Paris. Le procureur adjoint en charge de ce dossier m'a expliqué le déroulement dramatique des faits tels qu'ils apparaissaient après les premières constatations. L'auteur a été identifié très rapidement. Nous savions que les faits s'étaient produits dans des circonstances compliquées. Vous évoquez la présence de la police sur les lieux au moment où la victime est défenestrée, ce qui soulève en effet des questions. Vous avez entendu les fonctionnaires de police et le commissariat de l'arrondissement concerné. L'auteur identifié doit être mis en garde à vue. Nous appliquons donc le protocole et ne saisissons pas la brigade criminelle, non parce que nous sous-estimons la gravité des faits commis, mais parce que nous sommes confrontés à des faits criminels pour lesquels l'auteur est identifié. Les protocoles en cours à la section criminelle P12 du Parquet de Paris amènent la saisine non pas d'un service local, mais du district de police judiciaire, qui est le troisième district placé sous la direction du directeur de la police judiciaire de Paris. Cependant, la garde à vue de Kobili Traoré est très rapidement levée en raison des troubles manifestes qu'il présente. Il est donc conduit à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de Paris (I3P), puis hospitalisé en soins psychiatriques à l'hôpital Esquirol avant d'être transféré un mois plus tard à l'unité des malades difficiles de Villejuif.

Cette hospitalisation a un effet majeur sur la procédure. Elle ralentit les premières investigations puisqu'elle s'oppose à l'audition de Kobili Traoré. S'il nous avait dit plus tôt ce qu'il a déclaré devant la juge au mois de juillet, la situation aurait été plus simple. Cependant, la contre-indication médicale nous empêchait de l'entendre. En l'entendant, nous aurions couru un risque procédural important d'annulation de l'audition à suivre, parce qu'il n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses droits. La voie était donc fermée.

Nous nous sommes tout de suite demandé pourquoi cette femme a été tuée. Le dossier est resté suivi par la section P12 pendant quelques jours avant d'être suivi par la section P20, selon le protocole interne au parquet de Paris. Il n'y avait pas d'arbitrage de compétences avec des parquets spécialisés à effectuer. J'avais à disposition tous les services qui pouvaient éventuellement suivre l'affaire, dont notamment la section C1.

J'ai rencontré les représentants du culte quelques jours après les faits. Pourquoi, à ce stade, n'ai-je pas réalisé un réquisitoire prévoyant la qualification antisémite du crime ? Tant que la personne n'a pas été entendue, il est préférable de ne pas saisir immédiatement un juge d'instruction. La personne fait l'objet d'un placement d'office. La règle est d'attendre pour savoir s'il sera possible de l'entendre, et, dans le cas contraire, d'ouvrir une information.

Je reviens à l'appel des représentants de la communauté. Cette affaire a été très peu relayée sur le plan médiatique, ce que je considère comme une anomalie. Par la suite, j'ai en effet pensé que le contexte préélectoral l'expliquait en partie. La presse était occupée par les disputes entre les différents candidats, ce qui a certainement alimenté la montée en puissance, sur les réseaux sociaux, de la thèse selon laquelle les faits auraient été commis par un musulman radicalisé en prison, qui se serait attaqué à la victime en raison de sa religion juive.

Le 7 avril 2017, trois jours après le meurtre, M. Joël Mergui m'a téléphoné pour me demander de me rencontrer. Je l'ai reçu le jour même en fin de matinée, avec le Grand rabbin, M. Haïm Korsia, et le vice-président du Crif, Me Ariel Goldmann. Ils comprenaient la très vive émotion causée par ce drame, ainsi que toutes les interrogations suscitées au sein de la communauté. Je leur ai expliqué que j'étais incapable, en l'état actuel des choses, de dire s'il y avait une circonstance aggravante d'antisémitisme, et que je ne pouvais ni la retenir ni l'exclure. Nous étions en pleine enquête et je ne disposais pas des éléments nécessaires pour leur répondre. Je les ai assurés de notre vigilance sur le sujet, et leur ai dit que si des éléments objectifs permettaient de retenir cette circonstance aggravante, elle serait immédiatement retenue. Je cite le communiqué qu'ils ont publié après notre échange : «  Selon les premiers éléments de l'enquête et sur la base des premiers témoignages, rien ne permet de retenir le caractère antisémite. Mais rien ne permet de l'exclure. L'enquête se poursuit et toutes les pistes sont ouvertes.  » Ce communiqué me paraissait positif. Une nouvelle fois, j'ai été choqué des propos de certaines personnes que vous avez auditionnées, comme Me Majster, selon lequel j'aurais « intoxiqué » la communauté. Ces propos sont outrageants pour moi autant que pour les représentants de la communauté, compte tenu de la sensibilité et du soutien qu'ils ont manifesté auprès de la communauté juive. Je n'ai « intoxiqué » personne. S'ils n'avaient pas cru mes propos, je pense qu'ils l'auraient fait savoir.

Comme l'état de Kobili Traoré ne s'arrangeait pas, une information a été ouverte le 14 avril sous la qualification d'homicide volontaire au préjudice de Mme Halimi et de séquestration volontaire au préjudice de la famille Diarra. Vous vous demandez pourquoi nous n'avons pas retenu la circonstance aggravante à ce stade. Le parquet ne part pas au plus haut quand il ouvre une information. Le parquet est assez répressif. Dès que des éléments objectifs permettent de retenir des peines qui, sur un crime terrible, amèneront à sanctionner plus sévèrement la personne, nous n'hésitons pas à le faire. Seulement, nous avons pour cela besoin d'un minimum d'hypothèses. Une circonstance aggravante ne peut être retenue sur une simple hypothèse intellectuelle. Je reconnais le caractère pertinent que peut avoir l'hypothèse intellectuelle de la préméditation. Nous avons cependant considéré que nous ne disposions pas des éléments nécessaires à ce moment. Si nous constations qu'elle existait, ou que la juge d'instruction nous demandait notre avis, nous pouvions l'ajouter. Le débat est ouvert jusqu'à la fin de l'instruction, des qualifications peuvent être demandées au juge. Si le juge ne les donne pas, un recours devant la chambre de l'instruction est possible. Les différends se règlent dans ce jeu institutionnel. Cela a été aussi le cas pour l'antisémitisme : dès que nous avons estimé pouvoir l'ajouter, nous l'avons fait.

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Dans l'affaire terrible de Mireille Knoll, dès le surlendemain, alors que j'étais chez Me Gilles-William Goldnadel, et que les frères de la victime eux-mêmes n'étaient pas certains de la qualification, le caractère antisémite a été retenu.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Aucun dossier ne ressemble à un autre. Dans l'affaire Knoll, le caractère antisémite a été très rapidement retenu, car l'un des individus a déclaré que les Juifs ont de l'argent, ce qui pouvait constituer un mobile de l'acte. Dans l'affaire Merah, j'ai ouvert une enquête dans l'heure qui a suivi et j'ai visé la circonstance antisémite. Dans l'attentat de l'Hypercacher, j'ai également visé la circonstance antisémite immédiatement. L'affaire Halimi est différente. La circonstance est retenue lorsque des éléments objectifs permettent de penser que le meurtre a été commis parce qu'elle était juive. Le raisonnement est difficile d'accès. Il est banal d'avoir des différences d'appréciation entre le parquet et le juge d'instruction. Pourquoi le réquisitoire supplétif a-t-il été réalisé ? Le dossier se construit. Un juge peut trouver de nouveaux éléments, les apporter au parquet et lui demander d'accepter de prendre un supplétif. De notre côté, nous pouvons aussi avoir une lecture du dossier nous conduisant à demander au juge de retenir la circonstance aggravante. Nous avons suivi ce dossier en cherchant avec beaucoup de soin et de vigilance ces nouveaux éléments. J'ai eu de très nombreux contacts avec la section P20 pour savoir si des éléments permettaient de retenir la circonstance.

Deux éléments nous ont amenés à conclure que ce crime pouvait être qualifié d'antisémite. Dans un premier temps, lors de l'interrogatoire de première comparution réalisé par la juge d'instruction, Kobili Traoré a expliqué qu'en marchant dans l'appartement de Sarah Halimi, il avait vu une Torah et un chandelier. Il avait compris qu'il était chez une personne de confession juive, et a indiqué qu'il s'était senti «  oppressé sans savoir pourquoi  ». S'il avait prononcé le nom de « sheitan », c'est qu'il pensait que le démon était Mme Halimi. En outre, de nombreux témoignages soulignaient qu'il avait dit « Allah akbar » et « c'est le sheitan, je vais la tuer ». Au mois de juillet, nous nous sommes demandé si nous retenions cette circonstance aggravante. Nous avons considéré qu'il était encore trop tôt et qu'une consolidation de cet élément était nécessaire pour convaincre la juge d'instruction, qui ne l'avait pas retenue lors de la première comparution. Les conclusions de la première expertise psychiatrique du 4 septembre 2017 du Dr Zagury ont indiqué que Mme Halimi a projectivement été perçue comme une incarnation diabolique du fait de sa religion juive et du délire de Kobili Traoré. Elles expliquaient que la conscience du judaïsme de la victime avait ainsi joué le rôle de l'étincelle. Cet élément met en relation la construction du délire et la connaissance réactivée dans l'appartement par la vision de la Torah et du chandelier. Le 20 septembre, nous avons donc pris des réquisitions supplétives pour que soit retenue la circonstance aggravante d'antisémitisme dans le meurtre qui lui était reproché. La juge ne l'a pas fait tout de suite, c'était son droit. Nous n'avons pas fait de recours. Nous avons préféré rester dans le dialogue et le 27 février 2018, Kobili Traoré a été mis en examen supplétivement.

Vous posez des questions sur la collégialité et les modifications à apporter dans la procédure d'instruction. La collégialité n'est pas toujours généralisable. Nous avons tout de même progressé sur ce sujet. Le code de procédure pénale tel qu'il est rédigé permet au juge d'instruction comme au parquet ou aux parties civiles de demander des requalifications. La mesure de co-saisine peut très bien fonctionner. Elle dépend cependant beaucoup de la personnalité des juges et de leur degré d'entente. Elle constitue une première forme de collégialité. Elle a justement été prévue pour éviter que, dans les dossiers les plus complexes et sensibles, le juge d'instruction se retrouve seul. Dans ce dossier, deux juges d'instruction ont été désignés. Au niveau supérieur, en cas de recours devant la chambre de l'instruction, un président et deux conseillers assurent cette collégialité.

Vous m'interrogez ensuite sur la qualification terroriste. Nous nous sommes posé cette question. Vous me demandez si nous nous reposons sur des éléments systématiquement présents dans le mode opératoire, les antécédents ou les éventuels propos des meurtriers. J'ai un souvenir très précis du mode d'action du parquet de Paris à cette époque. Nous prenions toujours un soin particulier à qualifier les faits avec la plus grande rigueur, pour un certain nombre de raisons. Dès lors que le précédent est susceptible de redéfinir la politique pénale, l'analyse de ce qui peut conduire à retenir la qualification terroriste doit être rigoureuse. Il existe aussi des enjeux politico-médiatiques et les enjeux juridiques, comme une garde à vue plus longue, de 96 heures. Dans ce cas précis, il n'y aurait eu aucun impact sur Kobili Traoré, puisqu'il n'avait pas été entendu. La qualification terroriste permet aussi le recours à des techniques spéciales d'enquête comme dans le cadre du crime organisé. Notons également les enjeux pour les victimes, prises en charge par le fonds de garantie des victimes et l'État pour leur assurer une indemnisation adéquate. Il faut donc appliquer le droit. Pour être qualifié de terroriste, juridiquement, l'acte doit être commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Dans ces situations, nous nous tournons toujours vers les services compétents, notamment du parquet, et procédons à des criblages ou des évaluations pour apprécier l'éventuel caractère terroriste de l'infraction et l'opportunité d'une saisine du parquet de Paris. Le PNAT continue à procéder de la même façon. L'analyse du parquet de Paris est réalisée au cas par cas, en tenant compte pour chaque situation de l'ensemble des informations à disposition pour caractériser la volonté de commettre une infraction ayant une finalité terroriste, suivant la définition que j'ai rappelée. L'acte ne doit donc pas s'inscrire dans un différend d'ordre personnel ou privé. Un acte peut avoir un caractère politique violent, sans être pour autant de nature terroriste, comme dans le cas des mouvements sociaux. Il peut aussi s'inscrire dans une idéologie raciste ou antisémite, sans être forcément terroriste. Nous interrogeons la personnalité de l'auteur, pour savoir s'il est connu des services spécialisés ou s'il est en relation avec des personnes connues de ces services pour leur appartenance à des groupes terroristes ou extrémistes. Nous nous penchons sur son état psychiatrique, ce qui est important dans la mesure où cet état peut faire obstacle à la caractérisation d'une intention homicide terroriste.

J'ai deux exemples en tête à ce sujet. À Dijon, en décembre 2014, un automobiliste seul dans une voiture monte sur un trottoir en agitant un drapeau décrit comme islamiste en hurlant « Allah akbar » et renverse tous les piétons qu'il rencontre. Cet homme a fait l'objet de plusieurs dizaines de placements d'office en hôpital psychiatrique. Nous n'avons pas retenu son cas. À Marseille, un individu a foncé sur un abribus et tué une femme. Il souffrait également d'antécédents psychiatriques très lourds. La nature de l'acte est aussi importante : le mode opératoire est-il caractéristique des actions prônées par certaines organisations terroristes, comme l'égorgement ? Nous tenons compte de la gravité exceptionnelle des faits, ainsi que du résultat des perquisitions, de l'exploitation des différents supports numériques et téléphoniques de l'intéressé, des auditions en garde à vue et de l'éventuelle expertise psychiatrique. Le simple fait de dire « Allah akbar » ou d'être fiché S n'est pas suffisant. À Trappes, durant l'été 2018, un individu fiché S égorge sa mère. Le caractère terroriste n'a pas été retenu. Cet homme était fiché S parce qu'alors qu'il était conducteur de bus à la RATP, il avait un jour apostrophé tous les passagers de son bus en leur disant : « vous allez voir, un jour Daech s'occupera de vous ». Il s'est avéré qu'il n'allait pas même à la mosquée. Le différend était d'ordre familial.

Dans l'affaire Halimi, un contact entre la section P12 et la section C1 a permis de procéder à un criblage. L'individu n'était pas fiché S. Rien n'indiquait qu'il présentait le profil d'un individu radicalisé. En outre, il avait visiblement agi sous l'emprise d'un profond délire et était inaudible. Selon les conclusions du Dr Daniel Zagury, l'hypothèse de l'intention terroriste n'était en rien confirmée. Concernant la mosquée Omar, elle était peut-être salafiste, mais tous ceux qui se rendent dans une mosquée salafiste ne sont pas des terroristes. Sa pratique religieuse n'était pas particulièrement assidue. Il est avéré qu'il faisait sa prière. Je cite l'expertise du Dr Zagury : «  La polarisation idéique par la religion, perçue comme le seul refuge face à l'angoisse et au bouleversement délirant, était apparue à la phase prodromique. Certains délirants peuvent échafauder des projets terroristes, l'actualité nourrissant leur délire. Ce n'est pas son cas.  » Nous n'avons donc pas retenu cette qualification, et s'il fallait recommencer, je referais la même chose. Si nous nous étions présentés devant un juge d'instruction terroriste, il aurait considéré que nous manquions de sérieux. Avec les éléments adéquats, nous l'aurions retenu.

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Je peux vous donner ces éléments. Il dit : « Allah akbar » et « c'est le sheitan du quartier ». Il fait ses ablutions, se change, récite des sourates du Coran qui font allusion au meurtre de Juifs comparés à des singes. Il n'a aucun antécédent psychiatrique. Il a passé deux ans cumulés en prison et a fait l'objet de dizaines de condamnations. Il se rendait trois fois par jour à la mosquée. Ses amis, Abdelkader Rabhi, Sofiane al-Bachir et Nabil Benhamida, qui n'ont jamais été auditionnés, écrivent des commentaires antisémites sur Facebook. Nous l'avons appris après l'investigation. Tous les auditionnés nous ont rappelé votre détermination à lutter contre toute forme de racisme, d'antisémitisme ou d'homophobie. Dans cette affaire, cependant, nous nous posons des questions. La veille du meurtre, il s'est rendu trois fois à la mosquée.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Ce n'est pas suffisant pour qualifier une infraction de terroriste. C'est une question de crédibilité. L'hypothèse a le mérite d'être intellectuelle, mais à partir du moment où elle n'est pas fondée sur des éléments objectifs qui peuvent renvoyer à la définition juridique du terrorisme, nous ne la retenons pas.

Sur les degrés de pathologie, tout comme le PNAT, nous sommes de plus en plus confrontés à une forme de zone grise d'individus qui semblent avoir un pied dans le terrorisme et un pied dans le délire. Lorsque nous sommes face à des individus dont le trouble psychiatrique est aussi lourd, nous ne retenons pas leur dossier. Nous avons parfois été conduits à chercher si les personnes interpellées avaient fait l'objet d'hospitalisations d'office dans des établissements psychiatriques de la région parisienne. Le dossier Halimi a été travaillé exactement de la même manière que les autres.

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Dans ce dossier, à la différence de ce malade à Trappes, l'individu ne touche pas aux Diarra. Il les rassure même en leur disant qu'il ne leur fera pas de mal s'ils lui ouvrent. Il a un certain discernement. Il se rend sur le balcon. Nous nous sommes aperçus qu'il avait forcé la fenêtre. La juge dit que la fenêtre était ouverte : comment le sait-elle ? C'est ce qu'il prétend dans sa déclaration. Elle ne s'est jamais rendue sur place. Qu'elle ne fasse pas de reconstitution, c'est une chose ; c'en est une autre qu'elle ne se rende même pas sur les lieux. Tous les commissaires ici présents ont constaté que la fenêtre avait été forcée. Il savait où il allait. Il préméditait. Il l'a tirée de son lit, elle s'est sauvée, il l'a ramenée sur le balcon.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Ce n'est pas l'appréciation juridictionnelle achevée par des décisions définitives. Concernant la reconstitution, j'ai quitté mes fonctions avant la polémique. Ces informations sont remontées jusqu'à la chambre de l'instruction qui a confirmé la position de la juge. Je m'interdis de critiquer les décisions de justice, qui ne le sont que par les voies de recours.

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Je ne vous demande pas forcément de réponse, je veux simplement vous faire part des questions que nous nous posons. Je vous cite les propos du Président de la République : «  Je ne peux pas vous parler aujourd'hui avec le cœur, car, Président, je suis garant de l'indépendance de la justice. Un pourvoi en cassation a été formé. La justice française a reconnu le caractère antisémite de ce crime. Personne ne peut le remettre en cause. Même si à la fin le juge décidait que la responsabilité pénale n'est pas là, le besoin de procès est là.  »

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Vous savez ce que j'ai pensé de cette intervention. Nous avons écrit qu'il était sorti de son rôle et que ces propos constituaient une pression sur l'institution judiciaire.

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Pensez-vous que la prise de parole du Président de la République ait pu influencer la décision dans une direction ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Je pense que dans le cadre de la séparation des pouvoirs, il faut faire confiance à une institution. Ce dossier est tellement difficile qu'il a donné lieu à un débat. La polémique a commencé au début et a duré jusqu'à la fin. Elle continue aujourd'hui, ce qui est peut-être un signe de la difficulté d'appréhension de ce dossier.

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Et peut-être de certaines erreurs. Je comprends votre position. Nous sommes en audition publique. 80 parlementaires ont cosigné notre demande. Nous nous posons des questions. Le fait que la juge n'ait jamais été sur place est une immense interrogation. Des photos de Sarah Halimi ont été transmises à la juge par le frère de la victime, M. Attal. Les seules photos dans le dossier, vous les avez vues, sont terribles. Son visage est défiguré, elle est torturée au-delà de l'imaginable. La juge prend les photos et les donne à sa greffière, sans même les regarder. Excusez mon style sans doute passionné. J'essaie de prendre sur moi, mais cette affaire est terrifiante. Un témoin nous cite, «  c'était comme le bruit de la viande qui se fait cogner. C'était de la torture. Elle n'avait plus la force de continuer ses cris  » qui, explique-t-il, deviennent comme des cris de chat. Sur les photos, on ne la reconnaît pas. Certains ont pensé qu'il s'agissait d'une femme asiatique. Elle n'a plus de nez. Mme Johanna Brousse explique qu'elle n'arrive même pas à regarder le corps. Pourquoi ne pas avoir retenu l'acte de torture et de barbarie ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Un magistrat ne peut réagir en fonction de ses affects. Ces considérations humaines renvoient à des ressentis personnels. Elles ne permettent pas de prendre des réquisitoires introductifs ou supplétifs ou on est à côté de son office. Cette affaire ne se situe pas sur le plan juridique de la torture ou de la barbarie. Je suis l'approche de ma collègue. Mme Halimi est frappée de façon insoutenable, mais l'acte de barbarie diffère de l'extrême violence. L'acte de barbarie est retenu en cas de dimension attentatoire à la dignité humaine. L'affaire Halimi relève de l'extrême violence. Ce sont des notions juridiques qui n'enlèvent rien au drame. Nous devons agir sur la base d'articles du code pénal et de la jurisprudence de la chambre criminelle.

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Ces questions ne seraient pas posées si l'assassin était allé devant une cour d'assises de la République. Ingénieur de formation, je ne suis pas juriste, je n'en ai ni le savoir, ni la formation, mais ressens une grande frustration. Comment expliquer qu'aucun téléphone de la famille Traoré n'ait été investigué par la police, y compris ceux des trois amis mentionnés ? Le numéro de téléphone a été demandé à l'un d'entre eux. Il répond qu'il ne connaît pas son numéro et n'a pas le téléphone. Nous ignorons avec qui il a échangé. La juge n'a pas investigué la mosquée.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Ma connaissance du dossier ne me permet pas de répondre à de telles questions de détail.

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Je veux expliquer l'émotion autour de cette affaire. Ces questions ne se poseraient pas si, comme la France le pensait, en deuxième ou troisième instance, il y avait eu un procès. Nous aimons notre justice et lui faisons confiance. Comme dans l'affaire Outreau, cette commission d'enquête parlementaire ne devrait pas être nécessaire. Quand j'entends que les deux avocats réfléchissent à amener cette affaire devant la juridiction israélienne, je suis embarrassé. La famille souhaite une révision de ce dossier. Qu'en pensez-vous ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Juridiquement, la révision obéit, dans le code de procédure pénale, à des conditions très strictes, notamment l'apparition d'éléments nouveaux. Je n'en vois pas dans ce cas précis. Si une demande de révision nous est adressée, la Cour de cassation y répondra objectivement.

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Plus je rentre dans le sujet, et plus j'ai l'impression, sur la base de faits, que des dysfonctionnements ont eu lieu, notamment au niveau de la police. Ce n'est pas de votre ressort. Tous les policiers ont parlé d'un vigik, alors qu'il s'agissait d'un trousseau de clés, comme s'ils avaient voulu masquer quelque chose. C'est un autre débat. Ma conviction est qu'il y a eu préméditation. Kobili Traoré savait où il allait. Il a forcé la porte. Il s'est rendu sur la partie du balcon la plus difficile d'accès. La juge ne s'est jamais rendue sur les lieux.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

M. le président, nous n'allons pas refaire le procès. C'est votre conviction. La justice a décidé le contraire. Je vais vous rappeler la définition juridique de la préméditation puisque vous ne la connaissez pas. La préméditation est le dessein formé avant l'action d'aller faire quelque chose. L'hypothèse intellectuelle que vous évoquez peut être intéressante, mais elle est en contradiction majeure avec les constatations du dossier et les conclusions de l'expert. Ce dernier explique qu'il a agi sous l'effet d'une bouffée délirante, activant un délire suscité entre les désordres mentaux, la prise de stupéfiants et la vision de la Torah. Je ne suis ni expert ni juge. Que cette décision plaise ou non, elle représente une vérité judiciaire définitive, qui a été consacrée au plus haut niveau par la chambre de l'instruction de Paris. La préméditation n'a pas été demandée par le parquet. Elle a été demandée par les avocats des parties civiles aux juges et n'a pas été obtenue. Les avocats ne l'ont pas davantage obtenue au niveau de la chambre de l'instruction. Il devait exister des raisons à ce refus. Il ne faut pas faire un amalgame entre l'intérêt que peut avoir une hypothèse intellectuelle et les éléments d'un dossier et sa construction. Il faut pouvoir tenir les inculpations et les mises en examen jusqu'au jugement. Quand on poursuit les gens, il faut pouvoir obtenir les verdicts de condamnation.

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Je vous écoute. Je suis ignare dans le domaine juridique et ces questions me dépassent, mais elles ne dépassent pas les avocats à qui j'en parle.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Ne souhaitez-vous pas plutôt que j'aborde le sujet de l'expertise psychiatrique ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Le procès a été fait et la préméditation n'a pas été retenue. C'est l'office du juge.

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Sur la base de cette commission d'enquête et de nouveaux éléments que nous voyons, sur la base de faits, j'ai la conviction qu'il y a eu préméditation. La justice peut se tromper. Vous avez des centaines de dossiers. Dans l'affaire Dreyfus, qui n'a rien à voir, une révision du procès a eu lieu.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Si la situation se répétait à l'identique, je ne retiendrais pas la préméditation et ne la demanderais pas au juge d'instruction. Cet élément ne change rien au drame vécu par Mme Halimi.

Sur l'expertise psychiatrique et la responsabilité, rappelons la jurisprudence de la Cour. La caractérisation d'une infraction nécessite la réunion d'un élément matériel et d'un élément moral. Le sujet dénué de libre arbitre ne peut être poursuivi et jugé : «  il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était dans un état de démence au temps de l'action.  » Beaucoup de propos erronés sont tenus sur la Cour de cassation. Je suis aussi là pour la défendre, en ayant conscience de la marge de progression de l'autorité judiciaire. Il a été demandé aux experts si l'individu était en proie à une abolition pure et simple des facultés mentales ou s'il se trouvait initialement en état de conscience altéré au moment des faits. Il s'agit d'une question factuelle qui ressort de l'appréciation souveraine des juges du fond, aidés par l'expertise du corps médical. La Cour de cassation juge toujours avec constance que l'état de démence est une question de pur fait, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, et sur laquelle la Cour de cassation n'exerce aucun contrôle en dehors des cas de contradiction de motifs. Elle ne viendra jamais déjuger, hors contradiction de motifs, l'appréciation d'un juge sur la question de la responsabilité.

Le trouble mental ne se présume pas. Il faut le prouver. Il doit être contemporain de l'action. Il peut être dû à une maladie, mais aussi à une prise de toxiques, comme l'alcool ou la drogue. En ce qui concerne la portée de la faute antérieure, et les parlementaires connaissent bien le sujet à la suite du projet de loi adopté, dès lors que l'abolition du discernement n'a pas été constatée, la chambre criminelle excluait l'irresponsabilité pénale en cas de consommation préalable volontaire d'alcool ou de stupéfiants. Aujourd'hui, la consommation de psychotropes est une circonstance aggravante. Concernant la thèse de l'innocuité de la faute antérieure, l'abolition du discernement, quand elle est retenue, est nécessairement exonératoire de responsabilité, indépendamment de son origine fautive. Dans le droit antérieur, même si la personne avait pris des stupéfiants, rien ne pouvait lui être fait.

Dans un arrêt du 12 mai 2012, la chambre criminelle avait jugé que la chambre de l'instruction avait statué sans insuffisance ni contradiction, en déclarant irresponsable une personne poursuivie pour assassinat, dont l'abolition du discernement était constatée et qui était au moment des faits sous l'emprise de cannabis. L'absence de conscience des conséquences possibles de l'usage de stupéfiants interdisait de retenir la responsabilité de l'auteur des faits. La cour avait dit en conséquence que la consommation de cannabis, seule mise en évidence par les analyses le jour des faits, ayant été effectuée sans conscience des conséquences possibles de cet usage de stupéfiants, ne pouvait davantage fonder la responsabilité d'une mise en examen.

En 2016, une deuxième décision avait été prise dans le cas de l'assassinat d'un membre du personnel administratif d'une université par un étudiant en proie à une crise de schizophrénie paranoïde qui avait aboli son discernement des faits. Cet étudiant avait pris un stupéfiant. Il avait été demandé à la Cour si l'absorption de cette substance, à la supposer avérée, était de nature à peser sur l'appréciation de sa prétendue responsabilité pénale. La prise d'alcool ou de drogues pouvait avoir favorisé un acte criminel sans que le discernement de l'intéressé soit aboli. La chambre de l'instruction qui a tenu pour acquise l'imputabilité de l'acte meurtrier à une pathologie mentale du mis en examen aurait statué par une motivation insuffisante, ce que la Cour n'a pas retenu.

Enfin, un arrêt intéressant a fait l'objet d'une mauvaise interprétation d'un ancien membre du Conseil constitutionnel et d'un journaliste du Figaro. Ces deux derniers l'ont utilisé dans des articles pour dire que la Cour de cassation, dans l'affaire Halimi, aurait reviré de jurisprudence. Cet arrêt de 2018 a en réalité fait l'objet d'une mauvaise lecture de la part de ces deux commentateurs. La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de Versailles pour une personne mise en examen du chef de tentative d'assassinat. Cet individu avait fait l'objet de trois expertises médicales dont deux avaient conclu à l'abolition du discernement et la troisième à l'altération du discernement. La cour d'appel avait exclu tout trouble psychique et avait décidé de renvoyer la mise en examen devant la cour d'assises, en relevant notamment que la consommation importante de stupéfiants ne doit pas s'analyser comme une cause d'abolition du discernement, mais au contraire comme une circonstance aggravante. Il est vrai que les arrêts de la Cour de cassation ne sont pas toujours faciles à lire et à interpréter. En réalité, dans cette affaire, les juges avaient retenu souverainement qu'il n'y avait pas abolition du discernement, en raison d'une dispute entre les expertises. Ils avaient estimé qu'il n'y avait pas d'abolition du discernement, non pas parce que l'intéressé avait consommé des stupéfiants, mais parce qu'il avait conservé une part de son discernement, ce qui est tout à fait différent.

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L'expert – le Dr Zagury – a considéré que l'altération du discernement était partielle, sans que la défense fasse appel à la possibilité de l'envoyer en cour d'assises. D'après Me Francis Szpiner, la juge d'instruction a choisi un psychiatre en opposition, car elle savait que son diagnostic serait opposé.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Les juges peuvent s'appuyer sur des éléments factuels qui, selon eux, viennent contredire les constats des experts. Les juges ne sont jamais tenus par les conclusions des experts. Ils peuvent, en cas de contradiction, les interpréter. Il ne faut pas se méprendre sur la phrase «  les juges évoquent ensuite la consommation importante de stupéfiants  », qui ne doit pas s'analyser comme une cause d'abolition du discernement, mais au contraire comme une circonstance aggravante, parce que le juge ne suit pas l'expert jusqu'au bout et considère qu'il n'y a pas cette abolition du discernement. Il y a eu une lecture erronée de cet arrêt, et il n'y a aucune contradiction entre cette décision et celle rendue dans l'affaire Halimi par la chambre criminelle. Cette dernière, compte tenu de la jurisprudence et du libellé du texte, ne pouvait faire autrement. Si elle l'avait fait, nous aurions été accusés d'entrer dans des voies de gouvernement des juges. Le juge peut créer de la norme, mais toujours à partir de la norme et non du vide. L'arrêt du 14 avril 2021 rendu dans l'affaire du meurtre de Sarah Halimi s'inscrit donc dans la parfaite continuité de ces jurisprudences et des dispositions de l'article 122-1 du code pénal. Selon la jurisprudence relative à cet article, le prévenu doit être atteint d'un trouble psychique ou neuropsychique de nature à abolir le discernement au moment des faits. La faute antérieure consistant pour l'agent à s'enivrer importe peu, sauf s'il s'agissait simplement pour le meurtrier de se donner du courage pour aller commettre l'infraction ou sauf si la personne s'était volontairement intoxiquée avec une parfaite connaissance des effets que cette intoxication volontaire pouvait avoir sur elle.

Je voudrais enfin revenir sur le fait de pouvoir retenir à la fois la circonstance d'antisémitisme et l'abolition du discernement. Ce point, s'il a suscité un malaise que je comprends, est très cohérent sur le plan juridique. Il participe de la démarche initiale selon laquelle avant d'imputer des faits à quelqu'un, il faut d'abord les qualifier, ne serait-ce que pour savoir quelle peine pourra être prononcée contre lui. Ce point entre en outre dans le cadre que vous avez adopté avec la réforme législative de 2008. Cette réforme a voulu amener le débat sur la responsabilité devant la chambre de l'instruction avec un schéma procédural, que certains voulaient remettre en cause pour l'améliorer. Ainsi, pour que la culpabilité d'un individu soit tout de même affichée, un débat a lieu devant la chambre de l'instruction sur les faits. C'est le terrain de la culpabilité. Ensuite vient le terrain de l'imputabilité ou de la responsabilité, qui consiste à se demander si, compte tenu de l'état mental de la personne, ces faits peuvent lui être imputés de façon à la juger et à la condamner. Il n'est donc en rien contradictoire de dire, dans le cadre d'un examen des faits, que M. Kobili Traoré, dans son délire, est entré dans une logique antisémite qui l'a conduit à tuer Mme Halimi dans des conditions épouvantables, mais qu'en l'absence de discernement, il est déclaré irresponsable et ne pourra répondre des faits devant une juridiction et être condamné, mais sera hospitalisé d'office et confié à l'autorité administrative. Juridiquement, ce n'est pas du tout contradictoire.

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C'est en effet très précis. Cependant, il a prétendu voir une ménorah et une Torah. Or, je suis allé sur les lieux et ces objets n'existaient pas. La juge aurait facilement pu se rendre sur place pour le constater. Il dit également que la fenêtre était ouverte. Comment imaginer qu'une femme qui tremblait de peur à son égard dorme la fenêtre ouverte ? Nous avons constaté qu'elle avait été forcée. Les éléments qui sont dans le dossier ne sont pas avérés. Nous avons auditionné un journaliste de France 24, M. Christophe Dansette. Il dispose d'un témoignage audio provenant d'une source selon laquelle Traoré a mené un trafic de stupéfiants, qu'il continue à se droguer, qu'il n'a rien d'un fou, qu'il ne prend aucun traitement, et qu'il a été à plusieurs reprises chez lui et est sorti accompagné chez sa mère. Tous ces éléments interrogent et semblent nouveaux dans cette terrible et triste affaire.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Nous ne sommes pas tenus par les conclusions d'une expertise. C'est au juge d'apprécier les conséquences juridiques à en tirer, et en cas d'expertises différentes, les juges sont les seuls à pouvoir en tirer les conséquences juridiques.

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M. le procureur, je vous remercie d'être venu éclairer de votre précieuse expérience les travaux de notre commission d'enquête. Notre commission d'enquête est l'honneur de la représentation nationale et travaille dans l'objectif précis d'identifier d'éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice. Nos questionnements ne constituent pas des dysfonctionnements et nos intimes convictions non plus. Vous avez rappelé que dans cette affaire, les règles de droit ont été respectées et je vous en remercie. Néanmoins, si les règles de droit ont été respectées, elles ont suscité et suscitent encore une incompréhension majeure dans l'opinion publique. Cette affaire a choqué la société et nous devions l'éclairer. C'est pourquoi nous menons les auditions dans le cadre de cette commission d'enquête. Nous devons nous interroger sur l'évolution de certaines règles de procédure pénale et ce sera l'objet de notre rapport. Je resterai donc à votre écoute sur la suite de nos travaux.

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C'est l'office du juge d'avoir déterminé les conséquences pénales à tirer de cette affaire, y compris dans les responsabilités. Les questions que se pose la commission sur la préméditation et la qualification de terrorisme et d'antisémitisme sont légitimes. Nous n'avons cependant pas à y revenir en dehors de l'impact émotionnel qu'elles soulèvent. Mes questions sont plutôt une mise en perspective. Vous avez très justement rappelé des arrêts de la Cour de cassation. Je m'adresse au procureur général près la Cour de cassation. Selon vous, le système de fonctionnement des expertises en matière pénale est-il un système qui correspond parfaitement aux besoins de la justice pénale ? Ou faudrait-il le faire évoluer, notamment vers une meilleure pluridisciplinarité et un temps plus long d'analyse de la psychologie particulière de la personne mise sous main de justice ? Certaines auditions l'ont laissé entendre.

Nous pouvons légitimement nous interroger sur la suite qui sera donnée à cette affaire. Nous ne sommes plus dans le cadre judiciaire de la rétention de M. Kobili Traoré. La loi de 2018 fixe des règles particulières, avec l'intervention du juge des libertés et de la détention pour revoir la situation individuelle de M. Traoré tous les six mois. Contrairement à certaines craintes que nous pourrions avoir, il n'est pas du tout avéré qu'il puisse être libéré rapidement. C'est cependant une question de la commission et de la société dans son ensemble afin d'assurer sa protection la plus élémentaire en la matière. Dans ce système, l'individu est soit en détention, sous main de justice, ou sous l'autorité purement administrative dans le cadre d'un maintien en hôpital psychiatrique. Le juge des libertés et de la détention est la voie intermédiaire qui permet relier les deux systèmes afin que l'autorité administrative ait encore une intervention judiciaire. Est-ce selon vous suffisant pour protéger la société ?

Enfin, la question centrale de ce dossier n'est pas tant celle de la préméditation que celle de l'absence de jugement. Kobili Traoré n'a pas comparu devant une formation de jugement. Une évolution serait-elle concevable selon vous ? Une telle évolution a été évoquée à plusieurs reprises, et pas uniquement au sein de cette commission. Dans les discussions sur la loi responsabilité pénale et sécurité intérieure, il a été proposé de faire en sorte qu'une personne, fût-elle finalement déclarée irresponsable, comparaisse devant une cour d'assises dans des conditions réduites, préalables à un jugement éventuel, avec des jurés le cas échéant. La question pourrait se poser pour les personnes irresponsables. Qui devrait statuer sur l'irresponsabilité ? Cette discussion peut-elle rester simplement au niveau de l'instruction ? Ou une cour d'assises, même dans une formation réduite et préalable, devrait-elle statuer elle-même sur l'irresponsabilité, donnant plus de poids juridictionnel et sans doute plus de publicité au débat qui aurait lieu ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

La dernière question reprend des débats qui ont largement eu lieu dans le cadre du texte qui est devant vous. Je n'ai pas changé d'avis. Je n'ai jamais été partisan d'amener ces sujets devant des juridictions de jugement. Je pense que ce n'en est pas l'office. Il serait plus intéressant de travailler la piste de l'audience de la chambre de l'instruction en essayant de l'améliorer. Des propositions avaient été émises à ce sujet.

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Ces pistes n'ont pas été retenues, même dans l'hypothèse de la chambre de l'instruction.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Pouvez-vous reformuler votre question sur les experts ? Je crois que vous m'interrogiez sur leur déontologie.

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Non, pas exactement. Je souhaitais votre avis sur le fonctionnement des avis des experts, dont la complexité a été révélée. Ce système relève d'une forme de comptabilité algébrique. Vous paraît-il conforme à notre droit ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Je ne vois pas ce qui pourrait être proposé à la place. Le juge ne sait pas tout, il a besoin d'experts dans toutes les matières pour l'éclairer. C'est cependant lui qui décide à la fin.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Si, bien sûr. S'il y a des expertises différentes, c'est le juge qui devra décider. Dans certains dossiers criminels, trois expertises différentes sont rendues et un collège est finalement saisi, car le juge ne sait plus à quel avis se rendre. Selon moi, cette question renvoie surtout à la nécessité de disposer d'experts de qualité, qui respectent leur office. Il est important que les experts limitent leurs avis au diagnostic médical. Ils n'ont pas à se prononcer sur les conséquences judiciaires. Je pense aussi qu'il faut s'astreindre à une certaine déontologie qui renvoie à l'office de l'expert dans notre système de droit continental par rapport au système anglo-saxon. Dans les systèmes de la common law, l'expert est l'expert des parties. Chaque partie fait son enquête, elle a ses détectives, et l'expert est véritablement au service de la partie qui l'a missionné. En France, l'expert n'est pas l'expert des parties. C'est le juge qui dirige le procès. Je trouverais normal, en termes déontologiques, qu'un expert ne puisse s'exprimer sur le dossier sur lequel il travaille, tant que la décision judiciaire définitive n'a pas été rendue. Jusque-là, il est légitime à en parler au juge et à la juridiction qui l'a missionné, mais il ne devrait pas s'épancher dans les journaux pour justifier sa position, voire rechercher de la publicité. La Cour est très attachée à ces questions de déontologie et tient des discours très rigoureux aux experts réunis chaque année.

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J'ai écouté avec une très grande attention et un profond intérêt vos propos ainsi que votre défense de la Cour de cassation. Concernant la collégialité, dans l'affaire qui nous occupe, deux juges ont été co-saisis. J'entends que vous ne puissiez pas vous exprimer sur le travail des juges, mais quels éléments vous ont-ils amené à qualifier cette affaire de sensible et complexe, puisqu'elle a d'emblée suscité une cosaisine ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

L'affaire est sensible objectivement compte tenu de la gravité des faits commis et des circonstances dans lesquelles une femme de cet âge de la communauté juive est défenestrée et tuée. Le caractère sensible est évident, il n'est nul besoin d'avoir fait de longues études pour comprendre que ce n'est pas un dossier comme un autre.

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Je partage votre point de vue et vous remercie infiniment d'avoir dit les choses aussi clairement. Ce n'est pas un dossier comme les autres, il n'y a pas besoin d'avoir fait de longues études ou d'être grand clerc pour imaginer tout de suite l'émoi soulevé, non seulement au sein de la communauté juive, mais dans l'ensemble de la communauté nationale.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Cela s'est peu vu dans la presse.

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Je ne m'exprime pas sur la presse. Je parle en tant que députée de la nation et de la République. De grandes manifestations ont tout de même eu lieu.

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Ce n'était pas le cas au début. Le procureur a parfaitement raison. Il a fallu attendre ma question au gouvernement deux mois plus tard, lorsque je parlais de déni, pour que cette affaire attire l'attention.

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Oui, vous avez raison. Je reprends vos termes, il n'y a pas besoin d'avoir fait de grandes études pour comprendre le caractère sensible et complexe de cette affaire. Cela ne fait qu'inciter plusieurs membres de cette commission à déplorer fortement que les choses ne se soient pas passées en tenant compte du caractère extrêmement sensible et complexe de cette affaire.

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M. Victor Habert-Dassault, j'ai un mot pour votre oncle, le regretté Olivier Dassault, récemment disparu. J'avais à de nombreuses reprises longuement parlé de cette affaire avec lui, et j'ai une pensée émue en sa mémoire.

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Merci pour ces mots qui me touchent. Ma première question concerne la définition juridique de l'acte terroriste. Trouvez-vous que cette définition est trop restreinte ? Existerait-il un danger à l'élargir, en fonction des indices que révèle cette affaire ?

Ma deuxième question porte sur l'autorité administrative qui a pris en charge M. Traoré. Une bouffée délirante peut revenir si des soins adaptés ne lui sont pas apportés et si la consommation de cannabis se perpétue. Quelles garanties existent pour la société en cas de sortie de M. Traoré ? Des restrictions pourraient-elles être prises avec les autorités judiciaires et administratives pour sa prise en charge ?

Enfin, concernant la qualification des experts, vous avez parlé de déontologie. La déontologie est-elle intégrée dans la qualification même d'expert pour la rendre encore plus efficace ? Pensez-vous que cette qualification est assez stricte aujourd'hui ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

La définition de l'acte terroriste est très large et très bien pensée. Je vous conseillerais de ne pas la modifier. Elle a fait ses preuves depuis 1986.

M. Traoré n'avait pas de discernement au temps de l'action. Comme pour tous les malades mentaux, la question de ce qu'il fera le jour où il sera remis en liberté se pose. Aujourd'hui, des dispositifs de rétention de sûreté renvoient à des catégories de crimes très particuliers. Vous soulevez le problème plus général du suivi de toutes les personnes qui sortent de l'hôpital psychiatrique et du danger de réitération au regard des troubles mentaux dont elles souffrent.

Concernant les experts, pouvez-vous me rappeler votre question ?

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Pensez-vous que la qualification des experts est à propos et qu'elle est assez stricte ? Pour devenir un expert, les connaissances sont-elles suffisantes ? Vous avez souligné l'importance de la déontologie, que vous rappelez aux nouveaux experts.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

La Cour de cassation s'astreint à rappeler régulièrement cette importance aux compagnies des experts qui sont rassemblés en organismes professionnels. Des formations sont prévues dans ce cadre. Je n'ai pas de critiques à adresser sur le degré de qualité des experts. L'inscription sur une liste de cour d'appel nécessite l'instruction de la candidature, la vérification des titres, des diplômes, des travaux passés, des expertises et tient compte des besoins. Cette inscription est donc complexe. Dans l'affaire Halimi, un ou deux spécialistes sont experts près la Cour de cassation. L'inscription sur cette liste est encore plus complexe et requiert davantage de travaux et de qualification. Une amélioration possible concernerait moins la qualité que la quantité. Nous manquons d'experts. Depuis que les pouvoirs publics sont revenus sur un numerus clausus des études de médecine, nous espérons avoir davantage de psychiatres et de pédopsychiatres. Leur bonne rémunération est également importante.

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M. Georges Fenech, que nous avons auditionné, nous a suggéré de nous inspirer du modèle canadien et hollandais. Il a indiqué que les experts étaient souvent sous-payés en France et qu'il leur était contraignant de se rendre à la cour. Nous avons auditionné un éminent expert, le Dr Charles Melman, âgé de 91 ans. Il nous a confié qu'il contestait l'expertise du Dr Paul Bensussan. Nous ne sommes ni médecins ni psychiatres. Il serait toutefois utile de nous inspirer d'autres pays qui sembleraient plus performants.

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Merci pour vos propos d'une grande rigueur. Je souhaite aborder le problème de l'antisémitisme. J'ai été maire de Sarcelles, où vit une importante communauté juive, pendant vingt ans. J'ai souvent ressenti la difficulté des victimes d'actes antisémites à être reconnues comme telles par des autorités policières et judiciaires. Le ressenti de ces victimes, frappées parce que juives même si l'agresseur ne l'exprime pas clairement, représente une véritable difficulté. C'est le cas dans ce dossier, même si la visite sur place démontre l'aspect antisémite d'ailleurs postérieurement reconnu. Seriez-vous favorable à l'évolution des textes dans le domaine de la reconnaissance d'un acte antisémite, face aux difficultés actuelles ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Je ne crois pas que le problème vienne des textes. Nous sommes allés aussi loin qu'il était possible. Nous appliquons la circonstance d'antisémitisme à toutes les infractions. Deux difficultés se posent. La première est un problème d'acculturation. Certains services de police ne se penchent pas directement sur cet aspect, alors qu'il le faudrait. J'ai constaté une évolution sur ce sujet au travers des manquements en Seine-Saint-Denis. Le travail de la hiérarchie policière et du parquet consiste à surveiller et intervenir pour en tirer les conséquences. Des efforts restent certainement à fournir sur l'acculturation et la formation des services de police. L'offre probatoire représente un deuxième obstacle. Dans certains dossiers, comme ceux de l'Hypercacher ou de l'affaire Merah, la qualification est aisée. Il en va de même si, dans la rue, une personne portant la kippa se fait agresser, voler en lui disant « sale juif » : la poursuite et la condamnation interviendront sans difficulté. Cela est parfois plus difficile. Il serait cependant impossible juridiquement d'afficher que, dès que la victime est juive, cette circonstance doit obligatoirement être visée.

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Il me semble que M. Édouard Philippe avait suggéré cette idée.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Elle serait impossible à mettre en œuvre, car elle induirait une forme de préjugé.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

C'est une présomption. Je ne suis absolument pas convaincu de sa légitimité. Toutefois, la formation et la sensibilisation de la police, de la gendarmerie et des magistrats à une vigilance extrême sur ce sujet sont nécessaires : apprendre à se poser la question tout de suite.

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En effet, je retiens cette dimension éducative, bien qu'elle ne concerne pas notre commission d'enquête.

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Cette dimension soulève parfois des difficultés. Je me souviens de cas en Seine-Saint-Denis où la religion de la victime n'avait pas été abordée dans les dossiers. C'étaient les représentants de la communauté qui m'appelaient pour l'évoquer. Il s'agit d'un travail partenarial de vigilance de tous les instants.

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Merci beaucoup pour la clarté de vos propos. Mes questions concernent le travail de proposition que pourrait fournir notre commission. Vous avez compris que la question des circonstances aggravantes de torture, de barbarie, de préméditation et d'antisémitisme s'était posée. Pensez-vous que les procédures actuelles sont suffisantes pour que chacun, notamment les parties, puisse faire ces demandes et éventuellement les voir prospérer ? Cette question a été posée à la juge d'instruction, qui a indiqué qu'elle ne pouvait retenir cette circonstance qu'à la condition d'entendre de nouveau le prévenu. La juge d'instruction aurait-elle pu retenir cette circonstance en dehors de toute audition de la personne mise en examen ?

Enfin, je souhaite revenir sur la question de M. Didier Paris concernant vos éventuelles propositions sur l'audience. J'ai compris qu'il vous semblait qu'une juridiction de jugement ne devait pas forcément être saisie et que la réforme de 2008 était suffisante. Cependant, j'ai également entendu que certaines améliorations pourraient être apportées à cette audience. Nous constatons aujourd'hui les difficultés pour la partie civile à comprendre ce dossier, précisément parce que l'audience n'a pas fait son œuvre. Quelles seraient vos propositions ?

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François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Le système actuel permet à chacun de demander ces circonstances, je ne vois pas quelles améliorations pourraient être apportées. Elles seraient soumises à l'appréciation d'un juge du siège et d'une juridiction supérieure. Il faut un débat contradictoire pour notifier une circonstance aggravante, afin de modifier à la hausse l'incrimination reprochée à l'accusé et la peine qu'il encourt. Concernant l'audience, je n'ai pas de proposition à apporter.

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Au nom de tous mes collègues, je vous remercie pour votre visite et pour le travail que vous faites dans ce contexte difficile.

La réunion se termine à dix-sept heures cinq. Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. – Mme Laetitia Avia, Mme Aurore Bergé, Mme Sandra Boëlle, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Camille Galliard-Minier, M. Victor Habert-Dassault, M. Meyer Habib, Mme Constance Le Grip, M. Richard Lioger, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris, M. François Pupponi, M. Julien Ravier