Intervention de François Molins

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 15h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

François Molins, procureur général près la Cour de cassation :

Les juges peuvent s'appuyer sur des éléments factuels qui, selon eux, viennent contredire les constats des experts. Les juges ne sont jamais tenus par les conclusions des experts. Ils peuvent, en cas de contradiction, les interpréter. Il ne faut pas se méprendre sur la phrase «  les juges évoquent ensuite la consommation importante de stupéfiants  », qui ne doit pas s'analyser comme une cause d'abolition du discernement, mais au contraire comme une circonstance aggravante, parce que le juge ne suit pas l'expert jusqu'au bout et considère qu'il n'y a pas cette abolition du discernement. Il y a eu une lecture erronée de cet arrêt, et il n'y a aucune contradiction entre cette décision et celle rendue dans l'affaire Halimi par la chambre criminelle. Cette dernière, compte tenu de la jurisprudence et du libellé du texte, ne pouvait faire autrement. Si elle l'avait fait, nous aurions été accusés d'entrer dans des voies de gouvernement des juges. Le juge peut créer de la norme, mais toujours à partir de la norme et non du vide. L'arrêt du 14 avril 2021 rendu dans l'affaire du meurtre de Sarah Halimi s'inscrit donc dans la parfaite continuité de ces jurisprudences et des dispositions de l'article 122-1 du code pénal. Selon la jurisprudence relative à cet article, le prévenu doit être atteint d'un trouble psychique ou neuropsychique de nature à abolir le discernement au moment des faits. La faute antérieure consistant pour l'agent à s'enivrer importe peu, sauf s'il s'agissait simplement pour le meurtrier de se donner du courage pour aller commettre l'infraction ou sauf si la personne s'était volontairement intoxiquée avec une parfaite connaissance des effets que cette intoxication volontaire pouvait avoir sur elle.

Je voudrais enfin revenir sur le fait de pouvoir retenir à la fois la circonstance d'antisémitisme et l'abolition du discernement. Ce point, s'il a suscité un malaise que je comprends, est très cohérent sur le plan juridique. Il participe de la démarche initiale selon laquelle avant d'imputer des faits à quelqu'un, il faut d'abord les qualifier, ne serait-ce que pour savoir quelle peine pourra être prononcée contre lui. Ce point entre en outre dans le cadre que vous avez adopté avec la réforme législative de 2008. Cette réforme a voulu amener le débat sur la responsabilité devant la chambre de l'instruction avec un schéma procédural, que certains voulaient remettre en cause pour l'améliorer. Ainsi, pour que la culpabilité d'un individu soit tout de même affichée, un débat a lieu devant la chambre de l'instruction sur les faits. C'est le terrain de la culpabilité. Ensuite vient le terrain de l'imputabilité ou de la responsabilité, qui consiste à se demander si, compte tenu de l'état mental de la personne, ces faits peuvent lui être imputés de façon à la juger et à la condamner. Il n'est donc en rien contradictoire de dire, dans le cadre d'un examen des faits, que M. Kobili Traoré, dans son délire, est entré dans une logique antisémite qui l'a conduit à tuer Mme Halimi dans des conditions épouvantables, mais qu'en l'absence de discernement, il est déclaré irresponsable et ne pourra répondre des faits devant une juridiction et être condamné, mais sera hospitalisé d'office et confié à l'autorité administrative. Juridiquement, ce n'est pas du tout contradictoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.