Intervention de Laurence Lazerges

Réunion du mercredi 15 décembre 2021 à 13h10
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre :

. Je suis magistrat depuis 1999. J'ai exercé des fonctions de juge placée auprès du premier président d'une cour d'appel, ce qui m'a permis d'exercer toutes sortes de fonctions et dans des tribunaux différents. Immédiatement après, j'ai été nommée auditeur à la Cour de cassation et j'ai exercé cette fonction pendant quatre ans. J'étais alors chargée du suivi de la jurisprudence de la chambre criminelle. Dans le droit fil de ces fonctions, j'ai été nommée conseillère référendaire à la Cour de cassation et j'ai travaillé pendant six ans et demi à la chambre criminelle de la Cour de cassation, puis pendant trois ans à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. J'ai souhaité par la suite exercer des fonctions totalement différentes, et c'est dans ces conditions que j'ai été nommée vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal judiciaire de Paris. J'ai exercé ces fonctions à l'instruction de septembre 2016 à septembre 2020. Depuis, je suis coordonnatrice du pôle famille du tribunal judiciaire de Nanterre.

Vous avez souhaité m'auditionner en ma qualité de vice-présidente chargée de l'instruction, juge cosaisie de l'instruction suivie contre M. Kobili Traoré. Il faut savoir que je n'ai pas été désignée dans ce dossier à l'ouverture de l'information judiciaire, mais plus d'un an après, en juin 2018. À l'ouverture de l'information judiciaire en avril 2017, deux magistrates avaient été désignées : Mme Ihuellou, qui était de permanence ce jour-là et qui a été nommée magistrat chargé de l'information, et Mme Van Geyte, magistrat adjoint. En juin 2018, prenant en considération le prochain départ de la juridiction de Mme Van Geyte, Mme Ihuellou a demandé au premier vice-président du tribunal en charge du pénal la désignation d'un troisième magistrat. C'est dans ces conditions que, pendant une courte période de l'instruction, nous étions en réalité trois. Ces désignations des magistrats figurent dans la cote pièces de fond du dossier.

Vous avez rappelé, M. le président, que les actes qui ont été commis sont particulièrement horribles. Personne n'en disconvient. Pour effectuer mon travail, j'ai dû mettre à distance cette émotion, parce que le devoir du juge d'instruction est d'instruire à charge et à décharge. Je voudrais aborder les difficultés rencontrées par les parties civiles au cours de l'information judiciaire. Dans un cadre plus général que celui de ce seul dossier, le parcours des parties civiles au cours d'une information judiciaire est difficile. S'agissant des infractions à caractère sexuel, ces parties civiles souffrent beaucoup pendant l'information judiciaire. Elles craignent de ne pas être crues, se sentent accusées à tort, subissent des examens extrêmement intrusifs et sont soumises à des examens psychologiques et psychiatriques très difficiles à vivre. Pourtant, le juge d'instruction est obligé d'instruire à charge et à décharge, de procéder à des vérifications, et d'entendre ce que la personne qui fait l'objet des poursuites souhaite dire.

Dans les dossiers dans lesquels les parties civiles ont perdu un proche, victime d'une infraction, qu'il s'agisse d'un meurtre, d'un assassinat ou d'un homicide involontaire, elles ne sont préparées ni au drame qui survient brutalement et violemment ni à ce que leur réserve l'information judiciaire. Pour les personnes qui ont perdu un proche, qui plus est dans les conditions aussi horribles que ce qu'a subi Mme Halimi, cette information judiciaire est déstabilisante et douloureuse. Le temps est long pour les parties civiles. Elles doivent attendre d'être auditionnées par le juge d'instruction pour avoir accès au dossier, pour rencontrer le juge d'instruction et pour connaître sa démarche. Des expertises et contre-expertises sont effectuées. Des batailles d'experts surgissent fréquemment. C'est à ce moment-là que peut naître un malentendu entre le juge d'instruction et les parties civiles. Ces dernières ont l'impression que le juge se désintéresse de leur dossier, qu'il n'accorde pas l'attention qu'il devrait y porter. En réalité, le juge d'instruction travaille à un rythme qui n'est pas compréhensible pour les parties. Les décisions du juge sont parfois inaudibles, fondées en droit, mais décalées par rapport au sentiment des parties civiles. Pendant l'instruction, le temps est en quelque sorte suspendu pour les proches de la personne décédée. Comme ils le disent, il faut attendre que le procès soit terminé pour que le deuil puisse se faire.

Dans l'affaire que vous examinez, la procédure est aujourd'hui terminée. Une chambre de l'instruction a rendu un arrêt, déclarant irresponsable pénalement l'auteur des faits après que se sont déroulés des débats contradictoires en audience publique le 27 novembre 2019. Lors de ces débats ont été entendus M. Traoré, des experts psychiatres, les avocats des parties civiles, le ministère public et l'avocat de M. Traoré. Par la suite, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt, de sorte que l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction est aujourd'hui définitif.

Je voudrais vous dire quelques mots de la cosaisine.

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