Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Réunion du mercredi 15 décembre 2021 à 13h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • cosaisine
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  • instruction
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  • traoré
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La réunion

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Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Mercredi 15 décembre 2021

La séance est ouverte à treize heures dix

(Présidence de M. Meyer Habib, président)

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Nous ouvrons notre séance avec une audition importante aujourd'hui. Nous arrivons à la fin de nos travaux. J'espère encore pouvoir réaliser quelques auditions que je n'ai pas réussi à effectuer. Mme Lazerges, vous avez été vice-présidente chargée de l'instruction dans l'affaire Sarah Halimi. Vous étiez en cosaisine avec Mme Anne Ihuellou, juge d'instruction que nous avons longuement auditionnée. Aujourd'hui, vous êtes première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre. Nous vous remercions de vous être déplacée pour répondre à nos questions.

Votre audition est très importante pour cette commission, pour la famille de Mme Halimi, et peut-être plus largement pour tout le peuple français. Le Président de la République est sorti de sa réserve, selon l'avis du procureur général Molins, en déclarant lors d'un voyage en Israël que le besoin de procès était là. Comme l'a dit parfaitement le Grand rabbin de France que nous avons auditionné, M. Haïm Korsia, «  la justice est rendue au nom du peuple français, mais lorsqu'une décision paraît incompatible, je la conteste  ». L'instruction est close, et le verdict nous oblige. C'est la loi. Le rôle de notre commission est d'identifier les dysfonctionnements de la justice et de la police dans cette affaire. L'expression d'éventuels dysfonctionnements ne me paraît plus adéquate, après plusieurs semaines d'audition, car je n'ai pas, pour ma part, de devoir de réserve, mais de vérité, en mon âme et conscience, en tant que président de cette commission. J'ai tout fait pour qu'elle existe, avec Mme Constance Le Grip, vice-présidente – ce n'était pas simple – puis pour qu'elle ait réellement lieu, ce qui est très compliqué à l'Assemblée nationale.

Beaucoup d'éléments nous interpellent, en particulier l'absence totale de reconstitution, pourtant quasi systématique dans ce genre d'affaires. Le Dr Zagury avait indiqué que la présence de M. Traoré aurait été possible. Il pensait même que cela l'apaiserait, et son avocat n'y était pas opposé. Le deuxième élément est l'absence totale d'auditions de témoins, entendus par la police judiciaire, mais pas par la juge d'instruction. La juge nous a répondu sur ce point qu'elle n'était pas seule. Nous souhaitons donc savoir pourquoi les juges que vous êtes n'ont pas auditionné des témoins capitaux. Beaucoup d'autres témoins n'ont pas même été entendus par la police judiciaire, comme des étudiants qui habitaient dans un immeuble du Crous. Une autre question qui se pose est l'absence de saisie et d'investigation des téléphones de M. Traoré et de sa famille. Il était pourtant connu très défavorablement par les services de police. Certains membres de sa famille ont tenu des propos antisémites. Enfin, je souhaiterais vous entendre sur le caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi, qui a mis plus de dix mois à être retenu alors qu'il avait été immédiatement envisagé, selon le procureur Molins et la magistrate primo-intervenante. Nous aurons d'autres questions à vous poser. Je vous propose de commencer par un propos liminaire.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Laurence Lazerges prête serment).

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je suis très heureuse de pouvoir vous parler. Vous m'avez convoquée il y a peu, juste avant la clôture de vos travaux. J'espère que nous pourrons avoir cet après-midi un dialogue constructif et que je pourrai vous donner un certain nombre d'éclairages sur la conduite d'un dossier d'instruction et sur le rôle et la place des parties civiles au cours de l'information judiciaire. Je suis accompagnée de Mme Lucie Delaporte, secrétaire générale de l'Association française des magistrats instructeurs.

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. Je précise que nous vous avions demandé de venir seule. Nous n'auditionnons pas Mme Delaporte.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

. Je suis magistrat depuis 1999. J'ai exercé des fonctions de juge placée auprès du premier président d'une cour d'appel, ce qui m'a permis d'exercer toutes sortes de fonctions et dans des tribunaux différents. Immédiatement après, j'ai été nommée auditeur à la Cour de cassation et j'ai exercé cette fonction pendant quatre ans. J'étais alors chargée du suivi de la jurisprudence de la chambre criminelle. Dans le droit fil de ces fonctions, j'ai été nommée conseillère référendaire à la Cour de cassation et j'ai travaillé pendant six ans et demi à la chambre criminelle de la Cour de cassation, puis pendant trois ans à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. J'ai souhaité par la suite exercer des fonctions totalement différentes, et c'est dans ces conditions que j'ai été nommée vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal judiciaire de Paris. J'ai exercé ces fonctions à l'instruction de septembre 2016 à septembre 2020. Depuis, je suis coordonnatrice du pôle famille du tribunal judiciaire de Nanterre.

Vous avez souhaité m'auditionner en ma qualité de vice-présidente chargée de l'instruction, juge cosaisie de l'instruction suivie contre M. Kobili Traoré. Il faut savoir que je n'ai pas été désignée dans ce dossier à l'ouverture de l'information judiciaire, mais plus d'un an après, en juin 2018. À l'ouverture de l'information judiciaire en avril 2017, deux magistrates avaient été désignées : Mme Ihuellou, qui était de permanence ce jour-là et qui a été nommée magistrat chargé de l'information, et Mme Van Geyte, magistrat adjoint. En juin 2018, prenant en considération le prochain départ de la juridiction de Mme Van Geyte, Mme Ihuellou a demandé au premier vice-président du tribunal en charge du pénal la désignation d'un troisième magistrat. C'est dans ces conditions que, pendant une courte période de l'instruction, nous étions en réalité trois. Ces désignations des magistrats figurent dans la cote pièces de fond du dossier.

Vous avez rappelé, M. le président, que les actes qui ont été commis sont particulièrement horribles. Personne n'en disconvient. Pour effectuer mon travail, j'ai dû mettre à distance cette émotion, parce que le devoir du juge d'instruction est d'instruire à charge et à décharge. Je voudrais aborder les difficultés rencontrées par les parties civiles au cours de l'information judiciaire. Dans un cadre plus général que celui de ce seul dossier, le parcours des parties civiles au cours d'une information judiciaire est difficile. S'agissant des infractions à caractère sexuel, ces parties civiles souffrent beaucoup pendant l'information judiciaire. Elles craignent de ne pas être crues, se sentent accusées à tort, subissent des examens extrêmement intrusifs et sont soumises à des examens psychologiques et psychiatriques très difficiles à vivre. Pourtant, le juge d'instruction est obligé d'instruire à charge et à décharge, de procéder à des vérifications, et d'entendre ce que la personne qui fait l'objet des poursuites souhaite dire.

Dans les dossiers dans lesquels les parties civiles ont perdu un proche, victime d'une infraction, qu'il s'agisse d'un meurtre, d'un assassinat ou d'un homicide involontaire, elles ne sont préparées ni au drame qui survient brutalement et violemment ni à ce que leur réserve l'information judiciaire. Pour les personnes qui ont perdu un proche, qui plus est dans les conditions aussi horribles que ce qu'a subi Mme Halimi, cette information judiciaire est déstabilisante et douloureuse. Le temps est long pour les parties civiles. Elles doivent attendre d'être auditionnées par le juge d'instruction pour avoir accès au dossier, pour rencontrer le juge d'instruction et pour connaître sa démarche. Des expertises et contre-expertises sont effectuées. Des batailles d'experts surgissent fréquemment. C'est à ce moment-là que peut naître un malentendu entre le juge d'instruction et les parties civiles. Ces dernières ont l'impression que le juge se désintéresse de leur dossier, qu'il n'accorde pas l'attention qu'il devrait y porter. En réalité, le juge d'instruction travaille à un rythme qui n'est pas compréhensible pour les parties. Les décisions du juge sont parfois inaudibles, fondées en droit, mais décalées par rapport au sentiment des parties civiles. Pendant l'instruction, le temps est en quelque sorte suspendu pour les proches de la personne décédée. Comme ils le disent, il faut attendre que le procès soit terminé pour que le deuil puisse se faire.

Dans l'affaire que vous examinez, la procédure est aujourd'hui terminée. Une chambre de l'instruction a rendu un arrêt, déclarant irresponsable pénalement l'auteur des faits après que se sont déroulés des débats contradictoires en audience publique le 27 novembre 2019. Lors de ces débats ont été entendus M. Traoré, des experts psychiatres, les avocats des parties civiles, le ministère public et l'avocat de M. Traoré. Par la suite, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt, de sorte que l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction est aujourd'hui définitif.

Je voudrais vous dire quelques mots de la cosaisine.

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Je voudrais que vous soyez assez brève, nous auditionnons le garde des sceaux après vous.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je vais être tout à fait brève, mais la première question de Mme la rapporteure porte sur la cosaisine. J'entends pouvoir vous parler de la cosaisine.

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Avec le respect que j'ai pour vous Mme la juge, je dirige les débats. Je vais d'abord poser mes questions, avant de passer à celles de la rapporteure.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je n'ai pas fini mon propos liminaire.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

La cosaisine n'est pas une collégialité. Le législateur que vous êtes, compte tenu du manque de moyens, a préféré retenir la cosaisine, qui permet d'adjoindre un ou plusieurs magistrats à celui en charge de l'information. Les textes prévoient un juge chargé de l'information qui en coordonne le déroulement, avec une compétence exclusive pour réaliser certains actes. Tous les actes en matière de détention provisoire, les avis de fin d'information et l'ordonnance de règlement relèvent de la compétence exclusive du juge chargé de l'information. Il existe toutes sortes de cosaisines puisque le code ne fixe aucune règle sur le fonctionnement de la cosaisine. Dans certains cas, donc, tous les actes et toutes les ordonnances sont rendus conjointement par l'ensemble des magistrats. Dans d'autres cas, la cosaisine est plus formelle et seuls les actes les plus importants sont décidés à plusieurs. Le juge cosaisi n'est en aucun cas un juge chargé du contrôle de ce que fait le juge en charge de l'information. La cosaisine permet des échanges entre les magistrats sur l'ensemble des actes d'investigation, c'est-à-dire la rédaction des commissions rogatoires, des missions d'expertise, le choix des experts, auditions et interrogatoires. Quand le magistrat en charge de l'information et les magistrats en cosaisine sont en désaccord, le magistrat cosaisi ne signe pas les ordonnances rendues par le magistrat en charge de l'information.

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Avez-vous été en désaccord avec votre collègue ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

M. le Président, si tel avait été le cas, ce serait couvert par le secret professionnel. Je ne répondrai à aucune question sur les échanges qui ont eu lieu avec ma collègue.

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Pourquoi alors nous expliquer tout cela ? Ce qui nous intéresse, c'est l'affaire Halimi.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je vais arrêter de vous parler de la cosaisine, mais toute question ne peut être comprise qu'en remontant aux principes généraux et au fonctionnement général. Vous ne pouvez pas comprendre le dossier, si vous vous arrêtez à des points de détail. Mais si je ne peux pas m'exprimer dans un propos liminaire, je ne poursuivrai pas mon propos liminaire. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Je vous ai donné une dizaine de minutes pour votre propos liminaire. Nous avons beaucoup de questions importantes à vous poser. Je dirige les débats. J'ai accepté la présence d'une de vos collègues. Une commission d'enquête parlementaire a ses règles de fonctionnement. Si vous avez des choses importantes à dire concernant l'affaire, n'hésitez pas. J'ai ensuite des questions à vous poser avant les nombreux collègues qui ont demandé à prendre la parole.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

J'arrête le propos liminaire, mais il me paraît important de vous donner les grandes directions de la façon dont je serai amenée à vous répondre.

Il faut que vous ayez en tête que je n'ai plus le dossier depuis 2019. Je n'ai donc pas pu le relire et mes souvenirs peuvent manquer de précision. Par ailleurs, si j'ai longtemps travaillé sur les questions de procédure pénale, depuis un an et demi, je m'occupe d'un domaine très différent. Surtout, je dois vous rappeler mes obligations déontologiques. Je ne peux pas répondre à des questions qui mettraient en cause une décision juridictionnelle prise par la chambre de l'instruction, car cette décision s'imposait à moi, juge d'instruction. Il ne m'appartient ni de la critiquer ni de la commenter. Il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur le travail de mes collègues. Enfin, si je suis déliée du secret de l'instruction puisque vous avez le dossier, tel n'est pas le cas du secret professionnel. Je ne pourrai donc faire état d'aucune des discussions que nous avons eues avec mes collègues.

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Merci, Mme la juge. Vous n'avez pas répondu aux questions que j'ai évoquées dans mon propos liminaire. Une femme a été massacrée, tuée et défenestrée parce que juive. Deux témoins ont une vue directe sur l'appartement de Mme Sarah Halimi. Ils ont assisté, impuissants, à la scène. Ils ont appelé à plusieurs reprises la police. Je comprends que vous n'étiez pas présente durant la première année du dossier. Cependant, comment expliquez-vous que des témoins aussi importants n'aient pas été auditionnés par la juge Mme Ihuellou ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

De quels témoins s'agit-il ?

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. Je ne souhaite pas donner leur nom publiquement afin de conserver l'anonymat. Je vous les transmets par écrit.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Vous voulez que je parle de la question des témoins.

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Dans une affaire aussi importante, qui a défiguré la France, parce qu'une femme de soixante-cinq ans, docteur, a été massacrée, tuée, défenestrée, les juges d'instruction n'auditionnent pas les témoins ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Une grande partie des actes d'enquête est déléguée à la police judiciaire aux enquêteurs. Il s'agit de la façon normale de procéder. Il serait présomptueux de penser que le magistrat auditionnera de façon bien meilleure le témoin. Vous avez constaté l'important nombre de témoins entendus dans ce dossier. Le magistrat procède lui-même à une audition de témoins quand les avocats demandent à poser eux-mêmes des questions aux témoins.

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. Dans ce cas précis, des témoins ont vu toute la scène. Leur audition aurait été très éclairante. Vous n'en êtes pas responsable, mais certains témoins ont dû se rendre de leur propre initiative au commissariat.

Lors de la première rencontre avec la juge d'instruction, la famille de Sarah Halimi lui donne des photos d'elle avec ses enfants. Dans le dossier, il n'y avait que les photos d'elle après le drame, massacrée, les photos terribles d'une autopsie. Comment expliquer que la juge d'instruction ne regarde même pas ces photos et les passe directement à la greffière ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Il ne m'appartient pas de porter le moindre regard sur ce qui a été fait par ma collègue.

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. En votre âme et conscience, si vous aviez été premier magistrat, auriez-vous regardé ces photos ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Me posant cette question M. le Président, vous voulez m'inviter à porter une appréciation sur le travail de ma collègue. Je refuse de le faire.

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. Vous refusez de le faire. Notre commission cherche à identifier des dysfonctionnements.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

M. le président, puis-je parler de ces dysfonctionnements ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Si je ne peux pas m'exprimer, je me demande vraiment pourquoi vous avez souhaité m'auditionner.

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Aucune expertise de téléphone n'a été réalisée ni sur celui de Traoré dont le numéro n'est pas même connu, ni sur ceux de sa famille ou de ses amis, comme Abdelkader Rabhi, avec qui il a passé les derniers moments avant le drame. Interrogé, Abdelkader Rabhi dit ne pas connaitre son propre numéro de téléphone, qu'il n'a pas son téléphone, et on en reste là ! La juge n'a pas même essayé de savoir où était ce téléphone, s'il avait cherché à communiquer avec quelqu'un.

Un autre témoin, Nabil Benhamida, a posté un commentaire en janvier 2017 sur Facebook que je cite : «  je savais que tu avais l'esprit tordu. En même temps, je ne peux être qu'admiratif sur ton choix d'antisémitisme. Allez, fais ton coming out, comme moi, tu te sentiras libéré.  » Comment expliquez-vous l'absence d'enquête, d'audition par la juge d'instruction ? Vous-même, lorsque vous entrez dans l'affaire, soit vous êtes obligée de valider tout ce qui s'est passé, soit nous vous posons une question que tout citoyen se pose, pas un haut magistrat, mais un Français lambda, quelle que soit sa confession, son origine, révolté par le fait qu'une femme a été tuée parce qu'elle était juive. Nous identifions là un dysfonctionnement. Pouvez-vous me répondre sur la question de la téléphonie ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je reviens d'abord sur la notion de dysfonctionnement. Votre commission a été créée à la suite de l'émotion considérable suscitée par l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 14 avril 2021. Y aurait-il aujourd'hui une commission chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice si M. Traoré, au lieu d'être déclaré irresponsable pénalement, avait été renvoyé devant une cour d'assises ? Je ne le pense pas. Pourtant, cela aurait pu être sur la base du même dossier. J'ai l'impression que vous inversez les perspectives.

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. Comme dans l'affaire d'Outreau, notre commission d'enquête est particulière et son devoir est d'investiguer pour savoir s'il y a eu des dysfonctionnements. Je les pointe concrètement.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Vous ne comprendrez pas le dossier si vous ne voulez pas voir les perspectives. Le dossier d'instruction aurait été le même.

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. Mes collègues de tous bords politiques ne comprennent pas la situation. Vous arrivez avec des notes préparées. Nous voudrions parler à une femme, pas simplement à un magistrat. Vous ne répondez pas, vous vous contentez de lire vos notes. Je vous pose des questions, Mme la juge. Vous devez nous répondre, c'est la loi.

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. Inverser les rôles : vous êtes dans votre cabinet de juge d'instruction et vous convoquez un député. Accepteriez-vous qu'un député vous explique votre métier, en vous disant : Mme la juge, vous ne comprenez rien. Nous sommes députés de la République, nous connaissons nos droits. Vous êtes en commission d'enquête parlementaire sous serment. Vous répétez que nous ne comprenons pas le dossier. Je pense que nous sommes capables de bien faire notre métier de législateur et de député. Ne jugez pas nos capacités à comprendre. Je ne me permettrai jamais de dire à un juge d'instruction qu'il n'est pas capable de comprendre. Je n'accepte pas qu'un représentant de l'institution judiciaire puisse porter une telle accusation contre les représentants du peuple.

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. Pour la bonne tenue de cette audition, vous êtes interrogée ici en tant qu'ancienne juge d'instruction de ce dossier, et nous sommes parlementaires au sein d'une commission d'enquête, qui est une volonté de l'Assemblée nationale. Respectons chacun nos prérogatives. Je rejoins les propos de M. Pupponi. Vous ne pouvez pas nous dire que nous n'allons pas comprendre et nous apprendre comment exercer notre mission et notre mandat dans cette commission. Nous avons chacun notre connaissance des faits ou non, selon nos perspectives, nos parcours, nos visions.

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. Lors de son audition, Mme la juge Ihuellou a déclaré : «  Les investigations se sont poursuivies, étant précisé que notre saisine, qui limite notre champ d'action, portait, au 14 avril, sur les faits suivants : “homicide volontaire au préjudice de Mme Lucie Attal et séquestration avec absence de libération volontaire avant le septième jour depuis son appréhension au préjudice de la famille Diarra”. Je précise le principe de la saisine : le juge d'instruction ne peut se saisir lui-même d'autres faits que ceux dont il est saisi.  » Pourtant, la substitute du procureur, que nous avons entendue par la suite, nous a déclaré : « toute qualification est encore possible lorsqu'on décide de saisir la juge avec la qualification sans viser de circonstances supplémentaires. Cela ne signifie pas que nous bloquons cette saisine et que nous écartons toutes les circonstances aggravantes. Et contrairement à ce que j'ai pu entendre, nous n'excluons pas à ce stade complètement la piste antisémite. La juge est tout à fait libre de le faire dès la mise en examen, ou plus tard si d'autres éléments peuvent apparaître. Il n'y avait pas besoin de réquisitoire supplétif pour permettre à la juge de retenir la circonstance aggravante d'antisémitisme. Ce n'est pas nécessaire juridiquement  ». Comment expliquez-vous que votre collègue ait pu nous dire sous serment quelque chose de faux ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

La question de la saisine du juge d'instruction est simple sur le plan théorique, mais elle est compliquée sur le plan pratique. Sur le plan théorique, le juge d'instruction ne peut pas s'autosaisir. Il ne peut instruire que sur les faits dont il est saisi. Le juge d'instruction est saisi des faits. Il n'est pas lié par la qualification donnée aux faits par l'auteur de la poursuite. En effet, le juge d'instruction peut qualifier en théorie les faits autrement que ce qui est indiqué sur l'acte de saisine, sur le réquisitoire introductif. Cependant, il ne peut pas mettre en examen pour des faits distincts. Un juge d'instruction saisi par exemple des faits d'homicide volontaire, qui se rapporte à des pièces pourrait théoriquement mettre en examen pour un meurtre avec une circonstance aggravante. En pratique, beaucoup de juges d'instruction travaillent autrement. De peur que leurs actes d'instruction soient annulés par la suite, au reproche de s'être autosaisis, ils préfèrent s'entourer de davantage de précautions et avoir un réquisitoire supplétif du procureur qui vise expressément la circonstance aggravante.

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. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de reconstitution ? Vous êtes arrivée un an après. Pourquoi, cependant, la juge ne s'est-elle jamais rendue sur les lieux ? Elle aurait pu constater, comme tous les commissaires qui sont allés sur place, qu'à peine un mètre du balcon qui en mesure cinq environ permettait de défenestrer Mme Halimi depuis trois mètres de haut. Si elle était tombée d'une autre partie du balcon, elle ne serait peut-être pas morte. Pourquoi la juge a-t-elle refusé pendant un an, y compris quand vous êtes arrivée, d'auditionner Me Gilles-William Goldnadel, l'un des avocats des parties civiles ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Bien avant que je n'arrive dans le dossier, les magistrats instructeurs ont été saisis d'une demande d'acte portant sur la reconstitution. Ces magistrats ont, par ordonnance motivée susceptible d'appel, rejeté la demande. Cette décision a été frappée d'appel, de sorte que la chambre de l'instruction s'est prononcée par un arrêt du 5 juillet 2018 et a considéré, au terme d'une motivation assez longue, qu'il n'y avait pas lieu dans ce dossier de faire de reconstitution. Vous pouvez lire cette motivation dans le dossier. En raison des obligations déontologiques, je ne peux aller au-delà de ce qu'a dit la chambre de l'instruction et je n'ai pas le droit de porter d'appréciation sur les motifs qu'elle a retenus. Je dirais simplement que la reconstitution n'est pas automatique et elle n'est pas toujours pertinente. Il m'est arrivé de faire une reconstitution dans des faits où une jeune femme avait été retrouvée au sol dans une cour. S'agissant de savoir si elle avait sauté d'elle-même ou si elle avait été poussée, la reconstitution ne nous a pas éclairés.

Le transport sur les lieux n'est pas un acte fréquemment ordonné par les juges d'instruction. Les juges d'instruction se reposent souvent sur les procès-verbaux des enquêteurs, les albums photos et les plans annexés aux procès-verbaux. Je suis arrivée dans le dossier en juin 2018 et n'ai pas le souvenir d'une demande en ce sens. Ce transport n'est donc pas apparu utile à la manifestation de la vérité.

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. Me Goldnadel dit : «  je suis incapable de vous décrire physiquement ou psychologiquement la juge. Jamais la juge ne m'a fait l'honneur de répondre à l'un de mes innombrables courriers.  » À cette question, la juge nous a répondu : «  la charge de travail ne permet pas au juge de tenir salon.  » Ce n'est pas à vous de juger, mais j'ai pour ma part trouvé cette réponse lamentable.

J'ai demandé à la juge comment elle avait appris que la porte-fenêtre du balcon de Sarah Halimi était ouverte. Vous paraît-il plausible qu'une femme âgée, qui craint pour sa vie, dorme la fenêtre ouverte, alors qu'elle était barricadée au point qu'un door raider a été nécessaire pour entrer chez elle ? Si la juge s'était rendue sur les lieux, elle aurait vu que la porte-fenêtre a été forcée. La juge a décidé que la porte-fenêtre était ouverte, parce que c'est ce que lui a dit M. Traoré. Il y a là un dysfonctionnement total. M. François Pupponi, Mme Constance Le Grip, Mme la rapporteure Florence Molinghem, qui sont présents, l'ont constaté. Je fais venir cette semaine un expert judiciaire auprès du tribunal, pour constater que la porte-fenêtre a été forcée.

Ce point est important parce qu'il prouve la préméditation. Il s'est rendu du côté du balcon le plus compliqué d'accès. Il savait où était Mme Halimi. Il savait que Mme Halimi était juive. Or, s'il a prémédité, la juge d'instruction aurait pu se rendre compte que la thèse de l'absence totale de discernement était impossible. Trop d'éléments montrent cette préméditation.

Je vous demande de ne pas communiquer avec votre collègue. Nous en sommes convenus. Vous vous y êtes engagées. Vous êtes en train de communiquer devant tous les commissaires. Je vous demande de ne pas le faire. Vous n'avez pas à regarder votre collègue.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je ne regarde pas ma collègue.

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Je pose les questions. Vous êtes seule à être auditionnée. Vous m'avez demandé de faire entrer votre collègue. J'y était opposé, mais je l'ai accepté. Vous êtes en train de communiquer l'une avec l'autre. Mme Delaporte, je vous demande sortir. Vous pouvez suivre nos travaux sur le réseau.

Mme la magistrate, je vous ai posé des questions extrêmement précises et extrêmement claires. Je voudrais, pour Mme la rapporteure et pour les commissaires ici présents, que vous répondiez à mes questions.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

. Je ne communiquais pas avec ma collègue. Je suis surprise de la façon dont l'audition se passe. Je suis seule contre tous.

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Vous n'êtes accusée de rien. Nous vous posons des questions. Vous êtes magistrat, vous rendez la justice au nom du peuple français. Nous sommes de modestes députés.

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Nous cherchons à comprendre s'il y a eu des dysfonctionnements ou non. S'il y en a eu, il ne s'agit pas de rejuger les personnes, mais de s'assurer qu'une telle situation ne puisse se reproduire. Nous essayons de savoir si des évolutions du droit français sont nécessaires. Un individu n'a pas été condamné, il risque de sortir dans les jours qui viennent parce qu'il n'a aucune raison de rester en hôpital psychiatrique. Nous voulons seulement savoir si les institutions de notre République ont bien fonctionné et si malheureusement elles n'ont pas bien fonctionné, ce qui parfois arrive, essayer de modifier la loi pour que cela ne se reproduise plus. Vous n'êtes pas seule contre tous. Vous n'êtes pas là dans un tribunal. Vous êtes à l'Assemblée nationale avec des parlementaires qui essaient de comprendre la situation pour légiférer. C'est la seule chose ce qui nous intéresse.

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Continuons ces débats dans le calme. Je voudrais seulement que vous vous mettiez une seconde à la place de la famille de Mme Halimi. Il n'y a qu'une victime, Mme Halimi, qui a été massacrée, et je n'ai d'empathie que pour sa famille, ses enfants, ses petits-enfants, qui ne la verrons plus jamais et qui nous regardent. Nous ne sommes pas contre vous. Des questions peuvent être dérangeantes, mais nous devons les poser, chacun avec son style, mais avec sincérité et honnêteté

Pourriez-vous répondre aux questions de préméditation et de visite sur les lieux ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Sur la préméditation, premièrement, ce n'est pas parce que le réquisitoire introductif ne visait pas la préméditation et que les juges d'instruction n'ont pas mis en examen en retenant l'assassinat que cette qualification n'a pas été envisagée. En deuxième lieu, l'arrêt de la chambre de l'instruction rendu en 2019 a clairement énoncé que dans ce dossier, il n'y avait aucun élément qui indiquait que l'homicide volontaire était prémédité. Enfin, même si la préméditation avait été retenue, M. Traoré aurait pu être déclaré irresponsable pénalement. Il faut savoir que la prise en compte de la circonstance de préméditation n'exclut pas par elle-même l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement. Pendant vos travaux, et je dois dire qu'ils sont très riches sur le sujet des experts psychiatres, il a été expliqué que retenir la circonstance aggravante tenant à ce que le crime a été commis sur une victime en raison de sa religion n'exclut pas l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement. Le raisonnement de la chambre de l'instruction se fait en deux temps. Il porte, d'abord, sur la recherche de charges contre la personne pour savoir si elle a commis les faits. Dans un second temps, elle va rechercher si la personne était atteinte d'un trouble psychique ou neuropsychique. La Cour de cassation a indiqué que le fait d'avoir sciemment mis en œuvre un mécanisme en vue d'un assassinat et d'avoir agi sous l'emprise d'un trouble psychique ou neuropsychique n'était pas contradictoire.

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Je vous remercie. Je regrette cependant que toutes vos réponses soient écrites à l'avance. À aucun moment, je n'ai l'impression d'avoir casser l'armure, d'aller au fond des choses, d'avoir des réponses à des questions simples, que se posent des Français lambda, la famille de la victime, les spectateurs de nos travaux. Il n'y a rien de politique. Il s'agit de comprendre où la justice n'a pas fonctionné. Je n'arrive pas à obtenir de réponse.

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Le recours aux expertises psychiatriques est-il suffisamment encadré, notamment en ce qui concerne l'initiative, les questions posées et le choix de l'expert ? Selon vous, la marge de liberté du magistrat instructeur par rapport aux conclusions de l'expert psychiatrique doit-elle être renforcée ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Dans le code de procédure pénale, tout est précisément encadré, mais, dans le choix des experts, le juge d'instruction est libre. En principe, il doit choisir des experts sur les listes des cours d'appel et de la Cour de cassation. Il doit faire une motivation spéciale s'il choisit un expert qui ne figure sur aucune de ces listes.

Concernant votre deuxième question, la chambre de l'instruction n'a pas établi sa position uniquement au vu des expertises, mais s'est également fondée sur les témoignages et les interrogatoires de M. Traoré. Le juge d'instruction n'est pas lié par les conclusions. Cependant, s'il a recours à un expert, c'est qu'il a besoin d'un avis technique, car il ne dispose pas des connaissances nécessaires. Il tient donc compte des conclusions de l'expert. Le juge n'a aucun moyen de faire un diagnostic sur la pathologie de la personne.

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Merci de vos réponses. Durant cette commission, j'ai appris qu'une femme se fait massacrer en plein cœur de Paris pendant vingt minutes. La police est sur les lieux, notamment dans la cour. Tous les voisins de l'immeuble et de celui d'en face entendent les hurlements et sortent sur leur balcon. Ils disent à l'individu d'arrêter de frapper la victime. Ils appellent la police et l'agent au téléphone appelle le procureur de permanence qui se déplace sur les lieux avant même le drame. Les policiers, qui sont sur place, nous ont expliqué qu'ils ne se sont pas plus avancés dans la cour, par risque de se trouver à découvert. Nous avons le sentiment qu'ils auraient pu voir ce qui se passait et intervenir. L'assassin ne peut pas être auditionné pour des motifs psychiatriques. Dans ce cas, d'autres magistrats auraient pu se rendre sur place pour bien appréhender ce dossier. C'est notre réaction en tant que commissaires et nous avons décidé de visiter les lieux. Un autre exemple est que le policier au téléphone n'a pas fait le lien entre les appels qu'il a reçus et qui émanaient de la rue du Moulin Joly et ceux mentionnant la rue de Vaucouleurs. Il n'a pas compris qu'il s'agissait de la même affaire, ce qui peut s'entendre. La visite sur place aurait là aussi été éclairante.

Ne pensez-vous pas qu'à l'avenir, sans rejuger les faits, il faudrait conseiller aux magistrats de se rendre sur place pour mieux comprendre le dossier quand une personne est en hôpital psychiatrique et ne peut être auditionné ? Cet élément pourrait par exemple être abordé pendant la formation à l'École nationale de la magistrature.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Cela n'enlève rien d'aller sur place. Le code prévoit seulement de réaliser les actes utiles à la manifestation de la vérité.

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Pour l'avenir, il faut tirer les leçons de cette terrible affaire. Les policiers sont dans une cour et ne font pas un mètre pour regarder ce qui s'y passe. Les experts psychiatres disent que M. Traoré ne présente aucune pathologie. Il a eu une bouffée délirante. Juridiquement, il va sortir de l'hôpital psychiatre, puisqu'il n'a pas été condamné et qu'il n'est pas malade.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je n'ai rien à ajouter sur ce point qui dépasse complètement mon champ d'intervention.

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Vous disposiez de dix minutes pour exposer votre vision de la situation. Vous avez consacré une partie de ce temps à la place des victimes dans le procès pénal de manière générale. Tout ce que vous avez dit est vrai. Une grande partie de votre propos a consisté, dès le début, à indiquer quels étaient les autres magistrats en charge, puis vous êtes longuement revenue sur la cosaisine. Vous avez précisé qu'il n'y avait pas de collégialité, que les décisions s'imposaient à vous et qu'il ne vous appartenait pas de critiquer des décisions de votre collègue. Ces propos relèvent largement d'une forme de sémantique d'exonération de responsabilité. Vous avez indiqué que si vous étiez en désaccord avec votre collègue, vous n'auriez pas cosigné ses actes. Existe-t-il des actes que vous n'avez pas cosignés ? En outre, le message que vous portez aujourd'hui est-il que s'il y a en effet eu un dysfonctionnement, il ne relève pas de votre faute, mais de celle de vos collègues ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Ce n'est absolument pas ce que je pense. Vous verrez dans le dossier que j'ai cosigné tous les avis et ordonnances. Lorsque je suis arrivée en juin 2018, nous avons rendu une ordonnance d'irrecevabilité de constitution de partie civile que j'ai signée. J'ai également signé une ordonnance de commission d'expert, ainsi que l'avis de fin d'information et l'ordonnance de transmission de pièces. Je ne cherchais pas à me défausser dans mon propos liminaire mais à rappeler mes obligations déontologiques.

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J'avais posé à votre collègue la question que je m'apprête à vous poser. Le dossier est extrêmement sensible, ce qui explique la cosaisine et les nombreux avis extérieurs sur ce qui relèverait de votre mission. Pensez-vous que ces commentaires externes – cette atmosphère – ont pu altérer votre façon d'instruire ce dossier ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Dans ce dossier, je n'ai ressenti aucun impact. Parfois, la pression est extrêmement lourde pour les juges d'instruction traitant des dossiers médiatiques, ce que j'ai beaucoup ressenti durant cette période. Cette situation peut être difficile à vivre, d'autant que les juges d'instruction sont liés par le secret de l'instruction et que nous n'avons pas la possibilité de communiquer. Seul le procureur de la République peut prendre la parole et faire des communiqués pour rectifier des inexactitudes qui auraient été dites dans la presse. Le juge d'instruction ne dispose pas de cette faculté.

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À ce titre, le procureur Molins nous a confié avoir été surpris par le manque de couverture médiatique de cette affaire. Le climat présidentiel a sans doute amené la presse à se désintéresser de l'affaire. En avez-vous été surprise ? Aujourd'hui même, très peu de médias s'intéressent à notre commission d'enquête. À titre personnel, je dois constater que cette affaire beaucoup plus grave intéresse moins que, par exemple, l'affaire Benalla.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je ne saurais l'expliquer. Le dossier a tout de même été beaucoup mentionné dans la presse à une certaine période.

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Quels sont les différents actes que vous avez demandés dans ce dossier ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Outre les quatre actes que je vous ai mentionnés, j'ai oublié d'évoquer que j'ai participé au dernier interrogatoire de M. Traoré.

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Avez-vous sollicité vous-même des actes ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

J'ai demandé une expertise, collectivement avec ma collègue.

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J'avais compris qu'il n'y avait pas de collégialité.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Les échanges que nous avons eus ma collègue et moi sont couverts par le secret professionnel. Je ne peux pas vous en détailler le propos. Tout ce qui est public figure dans le dossier, cosigné après juin 2018.

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Avez-vous délivré des commissions rogatoires, vous-même, au policier dans ce dossier ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Non. Quand je suis entrée dans ce dossier, tout ce qui concernait les faits avait été déjà examiné. Nous étions dans la période d'instruction.

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Il serait intéressant d'auditionner, si le temps le permet, la juge Mme Van Geyte, qui était davantage primointervenante dans l'instruction. Vous avez cassé l'armure, et je vous en remercie, en disant qu'à défaut de reconstitution, aller sur place aurait pu aider à faire la lumière sur cette enquête.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

J'ai dit que le transport peut toujours être fait. Il ne faut pas travestir mes pensées. Je n'ai pas dit que cela aurait donné un dossier différent, avec une solution différente.

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Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que cela aurait aidé à faire la lumière. C'est notre conviction absolue, à nous-mêmes, simples commissaires d'une commission d'enquête, qui nous rendrons pour la deuxième fois sur place, la nuit, pour essayer de mieux comprendre ce qui s'y est passé.

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Je voulais enfin savoir si rétrospectivement, vous auriez demandé d'autres actes, que ce soit concernant le traitement des parties civiles ou les actes d'instruction.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Non. Je peux simplement vous indiquer que ce qui a été difficile dans ce dossier pour les parties civiles, c'est qu'elles ont fait de nombreuses demandes visant à voir les faits requalifiés ou à obtenir des mises en examen supplétives. En l'état du droit français, ces demandes sont irrecevables venant des parties civiles. Elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 82-1 qui énonce l'ensemble des demandes que les parties civiles peuvent former. L'impossibilité pour les parties civiles que soit examinée leur demande de requalification représente sans doute l'une des sources du malentendu entre la juridiction d'instruction et les parties civiles.

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La question était surtout celle de la considération portée aux parties civiles de la famille de la victime, au-delà de la procédure judiciaire. Concernant les actes qui auraient pu être faits différemment, je précise que, lors de son audition, votre collègue a indiqué qu'elle se serait déplacée sur les lieux.

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Je souhaitais revenir sur la cosaisine et le sujet de la qualification de la circonstance aggravante d'antisémitisme. J'ai entendu que vous étiez tenue par votre déontologie et par le secret professionnel, et nous ne vous demandons pas de dévoiler les échanges que vous avez eus avec la juge en charge de l'information. Sur la question de la cosaisine, j'ai expressément interrogé le procureur Molins. Dans le cas de dossiers sensibles et complexes, il y a généralement cosaisine. Pour reprendre ses termes, le dossier Sarah Halimi était complexe et sensible et il n'y avait nul besoin d'avoir fait de longues études pour le comprendre : une dame de confession juive défenestrée et tuée dans ces circonstances est forcément un dossier complexe et sensible justifiant la cosaisine. Cela soulève la question de la très grande lenteur avec laquelle a finalement été retenue la qualification de circonstance aggravante d'antisémitisme. Dans un tel dossier, s'agissant d'une défenestration d'une femme de confession juive, dans des circonstances horribles, ne pensez-vous pas que la qualification d'antisémitisme doit être d'emblée retenue ? Vous nous avez dit que les juges pouvaient, par crainte de certains reproches au cours de la procédure, se montrer prudents. S'exposeraient-ils réellement à des reproches par la hiérarchie ou les médias, en retenant plus rapidement cette circonstance ? En votre for intérieur, auriez-vous repoussé aussi longuement la qualification d'antisémitisme ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je sais que la question vous tenait à cœur. J'avais eu l'occasion de lire une réponse du gouvernement à la suite de votre question à ce sujet en 2017. Dans ce dossier, la chambre de l'instruction a reconnu le caractère antisémite des actes. Je ne peux pas m'exprimer sur ce caractère que vous estimez tardif, étant donné que je n'étais pas encore désignée dans le dossier. Cependant, un dossier d'instruction est un dossier en construction. C'est un processus évolutif vers une vérité judiciaire. Ce n'est que vers la fin de l'instruction que les qualifications se figent. Pour les parties civiles et pour beaucoup, cette question a été douloureuse en raison de la date à laquelle était intervenue la prise en compte de la circonstance aggravante. Il faut retenir que la mise en examen peut intervenir en toute fin d'instruction, lorsque le renvoi devant la juridiction de jugement est envisagé.

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Pourquoi avez-vous été mandatée après un an ? Quel était votre rôle précis ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Le magistrat qui était cosaisi, Mme Van Geyte, était sur le point de partir. Son changement de juridiction était acté, à la suite de problèmes de santé, et il a été demandé qu'un autre magistrat soit cosaisi.

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Je ne cherche pas à mettre la responsabilité sur qui que ce soit, y compris Mme la juge Ihuellou que nous avons auditionnée. Vous vous basez sur les procès-verbaux des policiers. Je suis surpris qu'il n'y ait eu aucune demande de compléter l'enquête par des commissions rogatoires.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Il y a eu des commissions rogatoires bien avant mon arrivée dans le dossier.

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Je l'entends, mais beaucoup de questions se posent. Je parle de l'ouverture de la fenêtre – la fenêtre n'était pas ouverte, elle a été forcée – des dysfonctionnements de la police, qui ont été évoqués par François Pupponi et d‘autres, en l'occurrence les policiers avaient les clefs dont ils ne se sont pas servi. La police était dans la cour, où l'on ne pouvait pas ne pas entendre les cris que tous les témoins ont entendus. Je parle des témoins qui n'ont pas été invités à être auditionnés par la police. On aurait pu imaginer que la juge donne des commissions rogatoires pour étoffer les témoignages.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Il me semble qu'un très grand nombre de témoins a été entendu dans ce dossier.

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Concernant la qualification de circonstance aggravante d'antisémitisme, il ressort du dossier que le juge d'instruction attend le réquisitoire supplétif, survenu au mois de septembre. La question a été posée à la juge instruction : pourquoi avoir attendu le mois de février pour retenir cette qualification ? Elle nous a indiqué avoir attendu la possibilité d'entendre de nouveau M. Traoré. Je souhaitais savoir si le fait de l'entendre était une obligation légale pour ouvrir cette circonstance aggravante, ou si cette décision aurait pu être prise dès le réquisitoire supplétif en septembre.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

La mise en examen supplétive qui ajoute la circonstance aggravante se passe obligatoirement au cours d'un interrogatoire puisque vous devez soumettre à la personne le fait que vous envisagez d'aggraver la qualification. Vous devez lui demander de présenter des observations sur la nouvelle qualification envisagée.

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Merci pour votre réponse. Mon autre question porte sur la cosaisine. Nous avons compris que ce dossier revêtait une importance particulière, ce qui permettait de justifier la cosaisine. J'ai un peu plus de mal à comprendre quel est l'avantage au cours de l'instruction. J'ai entendu que cela permet les échanges entre les magistrats, ce qui est important, et je comprends que vous en conserviez aujourd'hui le secret. Cependant, Mme Ihuellou a évoqué le manque de temps et le nombre de dossiers qu'elle avait en charge. Je souhaitais savoir s'il était possible de vous partager certains actes, notamment des auditions. Des témoins ont été entendus par les policiers, mais pas nécessairement dans le cadre des instructions. Auriez-vous pu réaliser seule des auditions ? Des parties civiles ont indiqué avoir demandé, sinon à être entendues, à pouvoir évoquer le dossier avec Mme la juge d'instruction, qui a indiqué ne pas en avoir le temps. La cosaisine permet-elle de se partager la charge du dossier et de faire plus d'actes ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Certains actes relèvent de la compétence exclusive du magistrat en charge de l'information. Les actes qui n'en relèvent pas peuvent être réalisés par l'autre magistrat cosaisi, comme une audition ou un interrogatoire. Concernant la charge de travail d'un juge d'instruction, au service général du tribunal de Paris, chaque année, un magistrat reçoit entre 65 et 85 nouveaux dossiers ainsi que trois à quatre cosaisines. Il faut par conséquent qu'il en sorte autant chaque année de son cabinet. Dans les pôles spécialisés, la cosaisine est quasiment systématique. Beaucoup moins de dossiers y sont traités, mais ils sont très complexes. Ils ont pour habitude de se partager les actes et certains se spécialisent sur certaines auditions, par exemple des parties civiles.

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Pourquoi, alors, dans ce dossier, aucune initiative d'audition directe par vous-même n'a-t-elle été prise ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Lorsque je suis entrée dans le dossier, cette initiative n'a pas paru nécessaire. Concernant les auditions de témoins dans ce dossier, dans la mesure où elles avaient été faites par les enquêteurs, il n'est pas spontanément apparu nécessaire de les refaire en tant que magistrat.

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Une réforme en 2008 a permis de sortir les décisions de reconnaissance d'irresponsabilité du bureau du juge d'instruction pour qu'une audience puisse se tenir. Cette audience ressemble davantage à ce qui s'observe dans une cour d'assises. Ce dossier montre toutefois les inconvénients de cette audience sur la compréhension du fond du dossier. Faudrait-il, selon vous, aller encore plus loin et faire en sorte que même s'il faut conclure à une décision d'irresponsabilité, une juridiction de jugement soit saisie pour s'exprimer sur cette question, avant de prendre une décision d'irresponsabilité ou bien d'aboutir à une décision de condamnation ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Quand la loi de 2008 est entrée en vigueur, elle est apparue extrêmement compliquée à mettre en œuvre pour les juges d'instruction parce qu'elle les contraignait à procéder à des mises en examen alors que, le cas échéant, la personne était hors d'état de comprendre ce qui lui était dit. Face à ces difficultés, je ne suis pas favorable à ce qu'une audience proprement dite de jugement soit instaurée. Il ne me paraîtrait pas opportun d'entendre ces personnes dans une audience de jugement.

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Je voudrais revenir sur la question de la préméditation et sur les conséquences de l'appréciation de cette préméditation au regard des troubles psychiques. Vous avez globalement dit qu'en cas de trouble psychique, que l'acte soit ou non prémédité, l'irresponsabilité était déclarée. Cependant, il ne me semble pas que l'état actuel de la jurisprudence corresponde à ce que vous décrivez. En cas de préméditation, il faut ensuite étudier la source du trouble psychique et savoir donc s'il y a une consommation volontaire de substances qui génère ce trouble psychique. C'est l'état de la jurisprudence, que nous avons renforcée par la loi que nous venons de voter. Dans le droit existant, si la personne a recherché l'ivresse ou a consommé de la drogue dans le but de commettre une infraction, donc avec préméditation, elle est responsable. Si elle s'est enivrée ou se trouve sous l'empire d'une drogue sans avoir prévu l'état d'inconscience engendré par cette consommation, le juge pourra y voir soit une cause d'atténuation soit une cause d'aggravation de celle-ci. Il peut donc y avoir un effet de la volonté, préalable à la consommation de substances, de vouloir commettre un crime, sur ce trouble psychique. Pourriez-vous donc revenir sur ce point au regard de ces éléments ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je vous indiquais la jurisprudence de la Cour de cassation sur l'application de l'article 706-125, sur le contexte d'une déclaration d'irresponsabilité pénale. Dans au moins deux arrêts, il a été considéré qu'il n'y avait pas de contradiction de motifs entre le fait de retenir la préméditation et l'irresponsabilité pénale. Vous posez une autre question : l'hypothèse où la personne aurait fait exprès de prendre des stupéfiants pour se mettre dans un état qui la conduira à commettre un crime.

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Je vous fais état de la jurisprudence également sur la disposition de l'article 122-1. D'autres jurisprudences que celle que vous évoquez existent. L'étude de la préméditation pouvait avoir ensuite un effet sur le reste de l'appréciation du dossier. Vous sembliez dire que même si la préméditation avait été retenue, en cas de troubles psychiques, M. Traoré aurait été déclaré irresponsable. Or, s'il y a examen de la préméditation, il peut y avoir examen davantage poussé de ce trouble psychique et des sources de ce dernier. On en arrive alors à un autre traitement de l'affaire.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Il faut regarder les éléments particuliers de l'espèce pour en tirer des conclusions. Je vous lis un arrêt de la chambre de l'instruction où le fait d'avoir retenu la préméditation n'a pas empêché une déclaration d'irresponsabilité pénale : «  les circonstances de la mort de la victime, plus particulièrement le nombre important de coups délibérément portés dans une zone vitale par un tiers démontre que, sous réserve de la responsabilité pénale de leur auteur, les faits de l'espèce répondent dans tous leurs éléments matériels et intentionnels à la définition légale du meurtre.  » Plus loin : «  l'appel téléphonique de la veille et l'attente au petit matin de l'arrivée de la victime démontrent que Monsieur X a projeté à l'avance son passage à l'acte puisqu'il n'est fait état d'aucun autre dessein qui pourrait les expliquer, de sorte que la circonstance aggravante de préméditation doit être retenue en l'espèce.  » Dans le deuxième temps de la réflexion de ces juges, il est établi que « la convergence de deux collèges d'experts dans ses conclusions impose de retenir que M. X était sous l'emprise d'un trouble psychique ou neuropsychique, en l'espèce une schizophrénie paranoïde ayant aboli son discernement, le contrôle de ses actes, lors de la commission des faits, ce qui emporte son irresponsabilité pénale.  » Dans ce cas d'espèce, ont été retenues à la fois la préméditation et l'irresponsabilité pénale. Mais vous avez raison : il faut étudier chaque cas avec ses particularités.

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Dans ce cas précis, M. Traoré n'avait aucun antécédent psychiatrique.

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Vous évoquez la jurisprudence et l'appréciation de cas d'espèce. Or, dans cette affaire, la justice s'est-elle donné les moyens d'avoir une telle approche in concreto et de cas d'espèce pour savoir si cette préméditation ou non était compatible avec ces troubles psychiques ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

C'est la décision de la chambre d'instruction qui a apprécié qu'au vu du dossier il n'y avait pas d'indices suffisants pour retenir la préméditation. Je ne peux que me référer à cet arrêt.

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Les travaux de notre commission ont apporté la lumière sur les innombrables éléments qui prouvent, à mon sens, la préméditation. Comment expliquer qu'il ait ouvert la fenêtre, qu'il se soit rendu sur la partie du balcon la plus difficile d'accès, qu'il ait amené les deux enfants la veille, que des serviettes qui n'appartenaient pas aux Diarra aient été retrouvées chez eux ? Les Diarra ont immédiatement appelé la police, avant qu'il ne commette quoi que ce soit. Les amis, chez qui il a dormi, ont couru, très inquiets. Selon un éminent psychiatre, le Dr Charles Melman, le fait qu'il n'ait jamais eu une relation amoureuse avec une jeune femme a pu constituer un élément interne qui a pu jouer dans sa volonté de passer à l'acte. M. Traoré a prétendu avoir vu une Torah et un chandelier juif dans l'appartement de Mme Halimi alors qu'il n'y en avait pas. D'après un des avocats, la juge d'instruction a suggéré qu'il y avait un chandelier et une Torah.

Vous rendez la justice au nom du peuple français, et je suis sûr que vous le faites en votre âme et conscience, comme tous vos collègues. Le témoin que nous allons auditionner cet après-midi nous dira à quel point Mme Halimi avait peur de M. Traoré, et évoquer des précédents avec la famille Traoré qui aurait proféré des insultes antisémites à son encontre. La veille même, elle avait très peur. S'il y a préméditation, c'est un élément important. Dans un premier temps, le Dr Zagury a conclu à l'altération du discernement. C'est la juge, alors que la défense ne le lui demandait pas, qui a pris l'initiative d'ordonner une nouvelle série d'expertises qui ont conclu autrement. Me Szpiner pense qu'elle savait que le Dr Bensussan apporterait une expertise contraire à celle du Dr Zagury. Si un juge doit juger à charge et décharge, en l'occurrence, certains se demandent si cette juge n'a pas uniquement jugé à décharge et non à charge. Toutes ces questions nous interpellent, qui souhaitons savoir où des dysfonctionnements se sont produits en matière de justice.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Le procureur général près la Cour de cassation vous a donné son avis. Selon lui, il n'y avait absolument aucun élément sur la préméditation.

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Je vous donne des éléments concrets. Les serviettes et vêtements retrouvés sur place et qui n'appartenaient pas aux Diarra conduisent à penser qu'il a peut-être apporté des affaires et donc prémédité son acte. Le fait qu'il ait amené pour la première fois de sa vie les deux enfants de sa sœur quelques heures avant peut également montrer une possible préméditation. J'apporterai au rapport de la commission une contribution sur les éléments qui me font penser qu'il y a eu préméditation. Si c'est bien le cas, la question d'abolition partielle ou totale du discernement s'en voit changée.

Nous essayons vainement d'auditionner M. Benhamida. Cependant, qu'en est-il de votre côté ? J'ai cru comprendre que l'instruction s'était rendue au 19 rue de Vaucouleurs où il loge, mais sans parvenir à le voir. Pourquoi ne pas y être retourné ? C'était le 16 novembre 2018. Vous aviez la charge du dossier. Pourquoi n'avez-vous pas été plus loin pour auditionner les personnes que vous aviez souhaité entendre ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

À cette époque, nous voulions faire avancer le dossier. Les délais de détention provisoire ne doivent pas être dépassés. À partir du moment où il a été mis en examen pour homicide volontaire aggravé, le délai maximum était de trois ans. Cependant, au cours de l'instruction, une requête en nullité qui retarde le cours de l'instruction peut survenir. En fin d'instruction, des délais de discussion pour les parties s'imposent et il est donc nécessaire d'accélérer l'instruction.

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Je comprends. Il s'agit peut-être d'un dysfonctionnement. Avec beaucoup de commissaires ici présents, nous souhaitons auditionner les proches de M. Traoré. Je voudrais également lui rendre visite avec plusieurs commissaires. Je souhaite au moins auditionner ses amis, chez qui il était la veille avant de partir, avec qui il a communiqué. Nous avons appris des éléments en auditionnant par exemple les Diarra. Je le dis publiquement, je n'ai pas réussi à ce stade à auditionner les amis de M. Traoré, malgré mes demandes au ministre de l'intérieur, au garde des sceaux. Ces auditions permettraient de mieux cerner psychologiquement son profil. Vous étiez juge d'instruction chargée de l'enquête. Il n'y avait personne chez M. Benhamida et vous n'avez pas tenté davantage de l'auditionner. Ne voyez-vous pas là un dysfonctionnement ?

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Je ne pense pas, parce que les actes qui devaient être faits dans ce dossier ont été faits, les voies de recours qui devaient être exercées par les parties ont été exercées, la chambre de l'instruction a apporté à plusieurs reprises son regard sur ce dossier, ainsi que la Cour de cassation. La justice a bien fonctionné dans ce dossier.

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Je comprends que par respect pour vos collègues et l'appareil judiciaire, vous estimiez qu'il n'y a pas de dysfonctionnement. À ce stade des travaux de notre commission, moi-même et plusieurs éminents commissaires constatons des dysfonctionnements. Nous les avons décelés. Je peux vous les lister. Je parle de se rendre sur les lieux, de reconstitution, de saisie des téléphones, des auditions des témoins et de la famille. Ce sont des éléments concrets.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Vous parlez de saisie des téléphones. Les perquisitions ont été faites le 4 avril 2017 au stade de l'enquête. Vous mélangez des éléments qui concernent l'enquête et l'instruction.

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Je parle de dysfonctionnements mêlés dans la justice et dans la police. Tous ces dysfonctionnements ne vous concernent pas en effet. Lorsque les policiers voient des téléphones dans l'appartement, ils n'en saisissent aucun pace qu'ils ne savent pas à qui ils appartiennent. Je pense qu'il s'agit d'une erreur.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

Il ne faut pas concevoir l'instruction comme un objet à part. L'instruction s'appelle dans le code de procédure pénale instruction préparatoire, car l'instruction est censée préparer ce qui se passe par la suite. Il faut se demander si tous les éléments dont avait besoin la chambre d'instruction pour se prononcer figuraient dans le dossier. L'instruction sert à la suite de la procédure. Il faut que la juridiction de jugement ait les éléments dont elle a besoin.

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La famille souhaite une révision de ce dossier. Ce n'est ni le but ni l'objet de cette commission d'enquête. Toutefois, si cette commission, en révélant certains dysfonctionnements, peut apporter des éléments nouveaux importants qui n'ont pas été mis en avant dans ce dossier, je crois que la France se grandirait à accepter la révision de ce procès, si la famille en fait la demande.

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Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre

En droit français, la révision en défaveur n'est pas possible. Cette demande n'entre pas dans les cadres légaux.

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Je vous remercie. Je suspends la séance avant l'audition du garde des sceaux.

La réunion se termine à quinze heures. Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. - Mme Laetitia Avia, Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, Mme Constance Le Grip, Mme Florence Morlighem, M. François Pupponi

Excusé. - M. Aurélien Taché