Intervention de Meyer Habib

Réunion du mercredi 15 décembre 2021 à 15h05
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib, président :

M. le garde des sceaux, cher Éric Dupond-Moretti, je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionné par notre commission d'enquête.

Vous n'étiez pas en fonction au moment du drame, quelques semaines avant l'élection présidentielle de 2017. Jean-Jacques Urvoas, qui l'était, et auquel ont succédé avant vous François Bayrou et Nicole Belloubet, ne nous a pas dit grand-chose. Je crains que vous ne puissiez nous en dire davantage, pour les mêmes raisons. Il importe pourtant de vous entendre, en votre qualité de garde des sceaux, pour savoir si oui ou non, suite à cette affaire, des changements ont été opérés au sein de la justice.

Vous avez présenté un important projet de loi, qui a été adopté et que vous évoquerez. Je rappelle, s'il le fallait, que cette commission d'enquête n'est pas un énième degré de juridiction. La justice a tranché. Elle nous oblige. Notre vocation est d'enquêter. Ce n'est pas l'éminent avocat pénaliste que vous avez été dans une précédente vie qui me contredira sur ce point.

Le Président de la République lui-même est sorti de sa réserve, j'ai eu l'occasion de le rappeler au procureur Molins. S'il s'est exprimé avant même le pourvoi en cassation des parties civiles, c'est parce que, comme l'a dit le Grand rabbin de France, si une décision de justice rendue au nom du peuple français nous semble incompréhensible, nous pouvons la contester. Tel est hélas le sentiment de nombreux concitoyens, de toutes confessions, dans le cas précis du meurtre de Mme Sarah Halimi.

J'ai une immense confiance dans la justice de notre pays et je lui porte un immense respect. Toutefois, nous venons d'auditionner l'une des deux juges d'instruction saisies de l'affaire. Je regrette, sans aller jusqu'à l'accuser de pratiquer la langue de bois, que nous n'ayons pas été éclairés sur des points précis.

Je vais vous parler franchement : à ce stade de nos travaux, ma conviction, qui est aussi celle de plusieurs membres de la commission d'enquête ici présents, est qu'il y a eu, dans cette affaire, des dysfonctionnements dans la justice et dans la police.

Plusieurs points soulèvent des interrogations, au premier rang desquels l'absence de reconstitution, en dépit de l'atrocité des faits. Certes, procéder à une reconstitution n'est pas une obligation, mais comment ne pas le faire lorsqu'une personne a été tuée ? Pire : aucune des deux juges d'instruction ne s'est rendue sur place, ce qui leur aurait permis de constater, entre autres, que le crime était prémédité. De nombreux éléments étayent la théorie de la préméditation, dont je suis intimement convaincu qu'elle est avérée, même si la justice en a décidé autrement.

Il convient également de s'interroger sur la place de la psychiatrie dans la justice. Dans l'affaire qui nous concerne, l'une des juges d'instruction a décidé, alors même que rien ne l'y obligeait, d'autant que l'expertise du Dr Daniel Zagury avait décelé une abolition partielle du discernement, et que même la défense ne le lui demandait pas, de saisir un collège d'experts. D'après l'un de vos anciens confrères, Me Francis Szpiner, elle savait, ce faisant, qu'elle obtiendrait une expertise exactement inverse de celle du Dr Daniel Zagury. Ce choix nous intrigue.

Tel est aussi le cas de l'absence totale d'investigations en matière de téléphonie, notamment des téléphones portables de Traoré et de sa famille, ainsi que de leurs conversations. Comment est-il possible, sachant qu'une femme a été défenestrée, de ne pas au moins essayer d'investiguer un tant soit peu la téléphonie ? Il s'agit, me semble-t-il, du B.A.-BA dans une enquête pour homicide. Compte tenu de la profession que vous avez exercée dans une précédente vie, vous pourrez peut-être nous en dire un peu plus sur ce point.

Comment expliquer que le procureur Molins, que nous avons auditionné, ait dû batailler pour que la juge d'instruction retienne le caractère antisémite du crime ? Elle l'a fait huit mois après les faits, alors même qu'elle avait la possibilité de le faire bien plus tôt. Dans l'affaire Knoll, le caractère antisémite du meurtre a été reconnu quarante-huit heures après les faits – je l'ai appris dans le bureau de Me Gilles-William Goldnadel. Dans le cas qui nous occupe, il est au moins aussi évident.

Vous avez été un éminent avocat, l'un des plus grands avocats français ; vous avez obtenu de très nombreux acquittements ; vous connaissez par cœur le fonctionnement de notre justice. Je doute que ces éléments, à titre personnel, vous laissent sans réaction. Certes, votre fonction vous impose un devoir de réserve. Toutefois, le Président de la République lui-même, qui n'ignore rien de la séparation des pouvoirs, a dit : « Le besoin de procès est là ». En tout état de cause, il importe que nous vous auditionnions. Votre regard et votre expérience seront très bénéfiques à notre commission d'enquête.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

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