La réunion

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Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Mercredi 15 décembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures cinq

(Présidence de M. Meyer Habib, président)

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M. le garde des sceaux, cher Éric Dupond-Moretti, je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionné par notre commission d'enquête.

Vous n'étiez pas en fonction au moment du drame, quelques semaines avant l'élection présidentielle de 2017. Jean-Jacques Urvoas, qui l'était, et auquel ont succédé avant vous François Bayrou et Nicole Belloubet, ne nous a pas dit grand-chose. Je crains que vous ne puissiez nous en dire davantage, pour les mêmes raisons. Il importe pourtant de vous entendre, en votre qualité de garde des sceaux, pour savoir si oui ou non, suite à cette affaire, des changements ont été opérés au sein de la justice.

Vous avez présenté un important projet de loi, qui a été adopté et que vous évoquerez. Je rappelle, s'il le fallait, que cette commission d'enquête n'est pas un énième degré de juridiction. La justice a tranché. Elle nous oblige. Notre vocation est d'enquêter. Ce n'est pas l'éminent avocat pénaliste que vous avez été dans une précédente vie qui me contredira sur ce point.

Le Président de la République lui-même est sorti de sa réserve, j'ai eu l'occasion de le rappeler au procureur Molins. S'il s'est exprimé avant même le pourvoi en cassation des parties civiles, c'est parce que, comme l'a dit le Grand rabbin de France, si une décision de justice rendue au nom du peuple français nous semble incompréhensible, nous pouvons la contester. Tel est hélas le sentiment de nombreux concitoyens, de toutes confessions, dans le cas précis du meurtre de Mme Sarah Halimi.

J'ai une immense confiance dans la justice de notre pays et je lui porte un immense respect. Toutefois, nous venons d'auditionner l'une des deux juges d'instruction saisies de l'affaire. Je regrette, sans aller jusqu'à l'accuser de pratiquer la langue de bois, que nous n'ayons pas été éclairés sur des points précis.

Je vais vous parler franchement : à ce stade de nos travaux, ma conviction, qui est aussi celle de plusieurs membres de la commission d'enquête ici présents, est qu'il y a eu, dans cette affaire, des dysfonctionnements dans la justice et dans la police.

Plusieurs points soulèvent des interrogations, au premier rang desquels l'absence de reconstitution, en dépit de l'atrocité des faits. Certes, procéder à une reconstitution n'est pas une obligation, mais comment ne pas le faire lorsqu'une personne a été tuée ? Pire : aucune des deux juges d'instruction ne s'est rendue sur place, ce qui leur aurait permis de constater, entre autres, que le crime était prémédité. De nombreux éléments étayent la théorie de la préméditation, dont je suis intimement convaincu qu'elle est avérée, même si la justice en a décidé autrement.

Il convient également de s'interroger sur la place de la psychiatrie dans la justice. Dans l'affaire qui nous concerne, l'une des juges d'instruction a décidé, alors même que rien ne l'y obligeait, d'autant que l'expertise du Dr Daniel Zagury avait décelé une abolition partielle du discernement, et que même la défense ne le lui demandait pas, de saisir un collège d'experts. D'après l'un de vos anciens confrères, Me Francis Szpiner, elle savait, ce faisant, qu'elle obtiendrait une expertise exactement inverse de celle du Dr Daniel Zagury. Ce choix nous intrigue.

Tel est aussi le cas de l'absence totale d'investigations en matière de téléphonie, notamment des téléphones portables de Traoré et de sa famille, ainsi que de leurs conversations. Comment est-il possible, sachant qu'une femme a été défenestrée, de ne pas au moins essayer d'investiguer un tant soit peu la téléphonie ? Il s'agit, me semble-t-il, du B.A.-BA dans une enquête pour homicide. Compte tenu de la profession que vous avez exercée dans une précédente vie, vous pourrez peut-être nous en dire un peu plus sur ce point.

Comment expliquer que le procureur Molins, que nous avons auditionné, ait dû batailler pour que la juge d'instruction retienne le caractère antisémite du crime ? Elle l'a fait huit mois après les faits, alors même qu'elle avait la possibilité de le faire bien plus tôt. Dans l'affaire Knoll, le caractère antisémite du meurtre a été reconnu quarante-huit heures après les faits – je l'ai appris dans le bureau de Me Gilles-William Goldnadel. Dans le cas qui nous occupe, il est au moins aussi évident.

Vous avez été un éminent avocat, l'un des plus grands avocats français ; vous avez obtenu de très nombreux acquittements ; vous connaissez par cœur le fonctionnement de notre justice. Je doute que ces éléments, à titre personnel, vous laissent sans réaction. Certes, votre fonction vous impose un devoir de réserve. Toutefois, le Président de la République lui-même, qui n'ignore rien de la séparation des pouvoirs, a dit : « Le besoin de procès est là ». En tout état de cause, il importe que nous vous auditionnions. Votre regard et votre expérience seront très bénéfiques à notre commission d'enquête.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. le garde des sceaux prête serment.)

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Si je vous dis que je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous, ce n'est pas vrai, car je suis ici en raison d'un drame absolument effroyable. J'estime toutefois qu'il est de mon devoir d'être ici. La commission d'enquête parlementaire m'a demandé de venir, je viens. Dans la mesure des possibilités que m'offre le droit, je répondrai aux questions que vous voudrez bien me poser.

Avant d'aborder tout cela dans le détail, je tiens à vous dire toute l'émotion qui a été la mienne lorsque, comme tous nos compatriotes, j'ai découvert avec effroi le drame qui s'est déroulé en ce début d'année 2017. J'ai d'emblée pensé à la douleur de la famille, notamment celle des enfants et des petits-enfants, face à la perte d'un être si cher.

Ses circonstances, qui ont suscité l'indignation la plus vive, ajoutent au drame l'angoisse et l'incompréhension. Parmi ces circonstances, une question se pose, celle de la motivation antisémite du crime. Elle est tout sauf anodine. La question se pose également de savoir si l'assassin avait conscience de ce qu'il faisait au moment d'enlever la vie de Mme Attal Halimi dans ces circonstances terribles. Comme le prévoient les lois de notre pays, c'est à la justice, et à elle seule, qu'a incombé la lourde tâche de répondre à ces interrogations. Elle a dû le faire face à une opinion publique choquée, une communauté attaquée, une famille dévastée.

La justice a répondu, dans le respect de notre règle de droit. Elle a d'abord confirmé le caractère antisémite du meurtre, et, dans un second temps, retenu l'abolition totale du discernement du meurtrier. Comment peut-on tuer une personne parce qu'elle est juive tout en étant irresponsable pénalement ? Telle est l'interrogation qui a fait naître une grande émotion, au retentissement immense dans le pays. Je le dis clairement : cette interrogation est légitime.

Vous le savez, M. le président, il m'est impossible d'aller plus loin dans mon expression sur cette affaire, qui est au cœur de votre commission d'enquête. Non pas que je n'en pense rien ; non pas que, devenu ministre, j'aie été lobotomisé ; mais la règle, dans notre République, est très claire : il n'appartient pas au ministre de la justice d'interférer dans une affaire judiciaire ni de commenter une décision de justice, quelles qu'elles soient. En vertu de nos principes constitutionnels, il me sera donc prohibé de répondre aux questions précises sur la procédure judiciaire, notamment sur l'instruction, menée sous la direction de magistrats indépendants, sur lesquels chacun sait que je n'ai pas autorité, ce qui, en démocratie, est heureux.

En revanche, le ministre de la justice a la responsabilité, en matière pénale, de déterminer la politique générale du Gouvernement, de diriger les administrations compétentes de la Chancellerie, de donner aux juridictions ainsi qu'aux établissements pénitentiaires les moyens de fonctionner au mieux et de proposer toutes les réformes, législatives notamment, qu'il estime nécessaires. C'est précisément ce que j'ai fait sur le sujet qui nous réunit, en présentant le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, qui a été définitivement adopté par l'Assemblée nationale pas plus tard qu'avant-hier.

En ma qualité de garde des sceaux, je dois également vous rappeler que la justice se rend dans les prétoires et nulle part ailleurs. Je respecte naturellement les prérogatives du Parlement, s'agissant notamment de la création de commissions d'enquête, mais je veillerai attentivement à ne pas laisser se rejouer, par ce truchement, une procédure judiciaire. La loi s'impose à tous, particulièrement à ceux qui la votent.

En revanche, la loi peut être modifiée. En tant que ministre de la justice, j'aimerais aborder les modifications du droit que j'ai entreprises, à la demande du Président de la République et avec les parlementaires, pour tirer les conséquences de cette affaire, qui a provoqué l'émotion légitime et immense que je viens d'évoquer. Ma responsabilité est de modifier la loi et de cela, je puis parler en toute liberté.

Le 14 avril 2021, dans un arrêt particulièrement motivé, que je vous engage tous à lire ou à relire, la Cour de cassation a confirmé la déclaration d'irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme Sarah Attal Halimi, constatant que l'auteur avait agi sous le coup de l'abolition de son discernement, tout en consacrant le caractère antisémite du meurtre. Cette décision a provoqué un profond sentiment d'incompréhension, et sans doute aussi d'injustice, notamment parce qu'elle privait la famille de la tenue d'un procès. Cet émoi, dont témoigne également la création d'une commission d'enquête parlementaire, nous l'avons tous entendu. Il n'en est pas moins indispensable de rappeler que le droit dont procède cette décision de justice a été parfaitement respecté.

La Cour de cassation s'est définitivement prononcée sur l'irresponsabilité pénale de M. Traoré. La loi disposait alors qu'un mis en cause, même s'il a provoqué la perte de son discernement par un comportement volontaire, ne peut par la suite répondre des actes qu'il a commis. L'impossibilité de distinguer l'origine de la perte de discernement, qui fonde la décision d'irresponsabilité, a été parfaitement explicitée par l'avocate générale de la Cour de cassation. Elle a ainsi rappelé dans ses conclusions que « la décision d'irresponsabilité pénale préalablement prononcée par la chambre de l'instruction est parfaitement conforme au droit » et que « seul le législateur peut poser un principe d'exclusion systématique de l'irresponsabilité pénale lorsque l'abolition du discernement a pour cause une consommation volontaire de toxiques ».

Le Président de la République m'a confié, à la suite de cette décision, un mandat très clair. J'ai alors lancé une vaste réflexion sur l'évolution souhaitable de notre procédure pénale, et je ne l'ai pas menée seul. Le projet de loi proposé au Parlement s'est construit sur une large consultation, plusieurs semaines durant, de psychiatres, de magistrats, d'avocats, d'universitaires et de représentants des cultes, qui ont été entendus par la Chancellerie et le plus souvent par moi-même.

Mes réflexions ont également été accompagnées par les conclusions de la mission flash transpartisane, de très grande qualité, menée par Naïma Moutchou et Antoine Savignat, elles aussi favorables à l'indispensable évolution de notre droit. Elles ont enfin été guidées par l'avis du Conseil d'État rappelant qu'un délit n'existe que si son auteur a conscience de le commettre.

Cet avis nous rappelait, s'il en était encore besoin, la prudence dont il faut faire preuve lorsque l'on modifie la loi, dans le respect le plus absolu de nos exigences constitutionnelles. Le principe est clair, et il a été respecté lors de la fabrication de cette loi nouvelle : en démocratie, on ne juge pas les fous et on ne les jugera jamais, sous peine de connaître une régression sociétale majeure, qui nous renverrait au Moyen-âge.

Les débats devant les deux chambres ont été passionnants et passionnés. Le texte issu de la commission mixte paritaire a permis de trouver l'équilibre entre l'exigence de respect de nos grands principes et la volonté exprimée par les Français. Je rappelle que c'est la société qui fait le droit et non le droit qui fait la société.

Concrètement, dans la recherche de la responsabilité pénale, il sera désormais possible, pour les magistrats, d'établir la distinction entre l'individu atteint d'une pathologie psychiatrique, endogène en quelque sorte, et l'individu dont la folie découle de la consommation volontaire de produits psychotropes. Le nouvel article L. 122-1-1 du code pénal introduit une unique exception au principe d'irresponsabilité pénale, dans les cas où l'abolition du discernement résulte de la consommation volontaire de substances psychotropes dans un temps très voisin de l'action, dans le dessein de commettre l'infraction ou d'en faciliter la commission. S'intoxiquer pour se donner du courage, de façon parfaitement assumée, ne permettra plus à son auteur d'échapper à sa responsabilité pénale lorsque l'abolition du jugement n'aura duré que le temps du passage à l'acte.

La loi a également été modifiée afin que la déclaration d'irresponsabilité pénale, en cas d'avis d'experts divergents, relève de l'appréciation des juges du fond, soit une juridiction de jugement, et ne soit plus de la seule responsabilité du magistrat chargé de l'instruction. Désormais, lorsque le juge d'instruction estimera que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte, au moins partiellement, de son fait, notamment en raison d'une consommation de psychotropes, et qu'il existe une ou plusieurs expertises concluant que le discernement de la personne est seulement altéré, il devra la renvoyer devant la juridiction de jugement. Le tribunal – la cour d'assises en l'espèce – statuera à huis clos, lors d'une audience à part, sur la question de la responsabilité pénale du mis en cause et de sa capacité à répondre de ses actes devant ses juges. Si la personne n'est pas déclarée pénalement irresponsable, le procès sera renvoyé à une audience ultérieure, pour que le mis en cause soit jugé pour les faits.

La nouvelle loi ne se limite pas à cette seule modification de la procédure pénale. Conformément au souhait du Gouvernement de permettre la poursuite de comportements qui ne pouvaient pas être poursuivis jusqu'à présent, de nouvelles infractions ont été créées. Il s'agit de délits permettant de sanctionner la consommation volontaire de psychotropes ayant provoqué un état de folie temporaire au cours duquel le mis en cause a commis un acte violent ou homicide. Ce n'est donc pas l'acte commis en état d'abolition temporaire du jugement qui sera sanctionné, mais le comportement fautif et volontaire qui l'a précédé.

Le Parlement a dressé la liste limitative des infractions susceptibles de donner lieu à des poursuites sur ce fondement, retenant l'homicide volontaire, les actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort, une mutilation, une infirmité permanente ou une interruption temporaire de travail (ITT) supérieure à huit jours, et le viol. Le quantum des peines a été fixé au regard de la gravité des atteintes causées à autrui. Il est compris entre deux et dix ans de détention. Il existe une condition indispensable à la constitutionnalité de ces nouvelles infractions : les magistrats devront établir que le mis en cause avait conscience que la consommation de produits psychotropes peut l'amener à mettre délibérément la vie d'autrui en danger. Je tiens à souligner que ces nouvelles incriminations permettront de juger des actes qui, jusqu'à présent, ne pouvaient pas être sanctionnés, comblant ainsi une lacune juridique majeure.

Par ailleurs, afin de s'assurer qu'un mis en cause devra répondre de sa consommation antérieure lors d'un procès d'assises, la question subsidiaire portant sur ces nouvelles infractions devra obligatoirement être posée au cours du délibéré, en cas d'irresponsabilité pénale de l'auteur des faits, si l'abolition du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes était susceptible de résulter d'une consommation volontaire de substances psychoactives.

Enfin, la loi s'est attachée à entendre les demandes légitimes des proches des victimes de mieux comprendre et d'être mieux entendus. En cas de conclusion d'irresponsabilité pénale au cours de l'instruction, l'intégralité du rapport d'expertise psychiatrique, et pas uniquement sa conclusion, comme le prévoyait notre droit, sera systématiquement adressée aux parties au cours de l'instruction, même en l'absence de demande. Lors de l'audience de la chambre de l'instruction statuant en matière d'irresponsabilité pénale, la juridiction devra obligatoirement entendre la partie civile si elle en formule la demande. La chambre de l'instruction saisie par le juge d'instruction du cas d'une personne paraissant irresponsable en raison d'un trouble mental pourra demander une actualisation du dossier ou un complément d'expertise pour statuer en toute connaissance de cause.

Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement a pris ses responsabilités sur ce sujet éminemment sensible et a mené, de concert avec le Parlement, la nécessaire réforme de la responsabilité pénale. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, dans la mesure des contraintes que m'impose ma fonction.

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Une première question s'impose. Certes, nous avons modifié la loi, mais l'objet de notre commission est d'enquêter sur le meurtre par défenestration de Mme Sarah Halimi. Compte tenu du fait que Traoré lui-même a déclaré ignorer que la drogue qu'il consommait pouvait provoquer une réaction de folie, la décision de justice aurait-elle été différente de ce qu'elle a été si le projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure avait été adopté auparavant ?

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éric Dupond-Moretti, ministre

Il ne m'est pas possible de réécrire l'histoire. Je sais ce que comporte le texte que vous avez voté. Je ne peux pas vous dire s'il aurait permis de changer le cours des choses. Quand bien même j'aurais une idée sur la question, je n'ai pas eu connaissance, ce qui est bien normal, des éléments du dossier. Il serait pour le moins imprudent et aléatoire de dire si le texte précité aurait vocation à s'appliquer dans une situation dont je ne connais pas les détails. Pour parler d'affaires judiciaires, il vaut mieux savoir de quoi l'on parle.

Par ailleurs, vous me demandez, au fond, de faire un tour d'horizon de la procédure pénale appliquée au cas qui nous occupe. Je répète qu'il ne m'est pas possible de porter quelque appréciation que ce soit, ni même d'égrener les actes juridiques accomplis au cours de l'instruction. Même si j'étais devant vous en qualité d'avocat – vous avez rappelé cette qualité qui fut la mienne – de l'une des parties, je serai tenu au secret professionnel.

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Chacun est dans son rôle !

J'aimerais également vous interroger, tout en sachant que je m'expose à être déçu par votre réponse, sur l'absence de reconstitution. Aucune des deux juges d'instruction ne s'est rendue sur les lieux. Le bureau de notre commission d'enquête, lui, s'y est rendu et y retournera. Si les juges s'étaient rendues sur place, à défaut de procéder à une reconstitution, elles se seraient rendu compte, de façon certaine, qu'il y a eu préméditation.

Beaucoup de gens ont du mal à comprendre, en dépit des explications fournies, comment la justice a pu à la fois reconnaître le caractère antisémite du meurtre et déclarer son auteur pénalement irresponsable. Comment imaginer qu'un tel drame n'ait pas donné lieu à une reconstitution ? Cela aurait permis de prendre conscience que le côté du balcon par lequel l'assassin est entré est d'un accès moins aisé que l'autre, et que la porte-fenêtre a été ouverte avec un objet contondant. Nous nous rendrons sur les lieux avec l'un des meilleurs experts de France pour confirmer l'hypothèse que l'assassin a prémédité son acte et ne s'est pas rendu là par hasard.

Aucune menorah, qui est un chandelier à sept branches, n'était visible. Seuls l'étaient des bougeoirs, comme on en trouve dans toutes les maisons de France, ainsi que des livres, écrits en français ou en hébreu, mais aucun exemplaire de la Torah. Par ailleurs, le meurtrier a apporté des affaires n'appartenant pas à la famille.

Tout cela m'amène à dire, avec toute l'émotion qui est la mienne, mais aussi avec la force d'un propos basé sur des faits, et à l'unisson des membres de la commission d'enquête ayant suivi nos travaux depuis le début, que la justice aurait exigé que les juges se rendent sur les lieux et procèdent à une reconstitution.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Les questions sont parfois plus importantes que les réponses. La Constitution consacre la liberté juridictionnelle. Je m'exprimerai sur ce point de façon très générale, en m'extrayant du cas qui nous occupe, dans le détail duquel chacun a compris que je ne veux pas entrer.

La liberté juridictionnelle a pour corollaire la possibilité et la nécessité, pour le juge, de faire des choix – reconstitution ou pas, interrogatoire ou pas –, menant comme il l'entend son instruction. Il y a donc un risque d'erreur. Quand on me parle de la façon dont la justice est rendue en matière pénale, en disant qu'elle ne l'a pas été dans telle ou telle affaire, je réponds qu'on ne peut pas résumer le traitement de 150 000 affaires en matière pénale à une seule. La liberté juridictionnelle a pour corollaire le risque d'erreur. Or, il est impossible d'y renoncer, sous peine de mettre un terme à l'indépendance des juges, sans laquelle nous ne sommes plus une démocratie.

Quant à l'appréciation subjective des situations, je ne peux rien en dire. Vous dites que, dans le cas d'espèce, la reconstitution aurait permis de l'infléchir. Je ne peux pas vous répondre. Si je dis qu'il aurait fallu procéder à une reconstitution, je me mêle de juridictionnel et dis à un juge des choses que je ne peux pas lui dire. S'il existe des dysfonctionnements en droit, le garde des sceaux, qui veut formuler des réponses en droit et de façon générale, sans entrer dans le détail de l'affaire, n'a qu'une possibilité : l'assignation de l'Agent judiciaire du Trésor pour faute lourde, laquelle doit être démontrée. Telle est la règle de droit. Je ne dirai pas ce qu'il fallait faire ou ne pas faire, car je n'en ai pas le droit.

Quand on a la liberté de faire comme on l'entend, on a la liberté de bien faire, et celle de ne pas forcément bien faire. Tout repose sur une analyse subjective, dans laquelle, s'agissant du cas qui nous occupe, je n'entends absolument pas entrer. Au demeurant, je préfère le risque d'erreur à une justice aux ordres et à la botte. Nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, sur cette position de principe, qui est au fondement de la Constitution.

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Vous avez dit que les questions sont parfois plus importantes que les réponses, ce qui est une façon élégante de dire que vous ne pouvez pas répondre à toutes mes questions ès qualité. Je vous en poserai quand même une autre.

Dans une autre vie, vous avez été l'un des plus grands pénalistes français. Des témoins, dont l'appartement donne directement sur celui de Sarah Halimi, ont assisté au massacre. Ils n'ont jamais été entendus par la juge d'instruction. Par ailleurs, un de vos anciens confrères, Me Gilles-William Goldnadel, s'est dit incapable de décrire physiquement ou psychologiquement cette dernière, affirmant qu'elle ne lui a jamais fait l'honneur de répondre à ses courriers. Vous est-il souvent arrivé, dans des affaires pénales, de ne jamais rencontrer le magistrat instructeur ?

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éric Dupond-Moretti, ministre

Vous appelez mon attention sur ce qui vous semble, si j'ai bien compris, constitutif de dysfonctionnements de la justice. Je ne peux pas entrer dans ce périmètre, de même que je ne peux pas dire s'il fallait, dans ce dossier, procéder ou non à une reconstitution, et entendre ou non tel ou tel témoin. Vous avez si bien compris que je ne peux pas le dire que, par une sorte de prétérition fine, vous en appelez à mes souvenirs d'avocat pour me demander s'il est fréquent qu'un juge d'instruction n'entende pas les victimes. Je ne peux pas vous répondre. J'ai à ce sujet un avis que je n'exprimerai pas.

Puisque vous faites appel à ma mémoire d'avocat, j'y puiserai l'exemple de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau.

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La création de la présente commission d'enquête s'en est inspirée. Le procureur Molins a adressé au président de l'Assemblée nationale un courrier rappelant qu'elle ne saurait, en aucune façon, porter une appréciation sur la décision de justice en elle-même, en raison de la séparation des pouvoirs.

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éric Dupond-Moretti, ministre

J'ai été l'un des rares, sinon le seul, à m'opposer à l'audition du juge Fabrice Burgaud par la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau, pour les raisons que j'ai avancées tout à l'heure. J'étais alors avocat ; je n'ai pas changé d'avis, ce qui peut m'arriver, comme tout un chacun. Je redoutais la possibilité d'un mélange des genres. Je n'insinue pas que la commission d'enquête que vous présidez s'y adonne. Je me contente de rappeler que la séparation des pouvoirs n'est pas à sens unique, étant entendu que les magistrats n'exercent pas un pouvoir, mais une autorité. La séparation des pouvoirs s'impose à tous.

Vous me demandez si je réfléchis encore depuis que je suis ministre. Je vous rassure, la réponse est oui. Vous me demandez si j'ai encore un cœur depuis que je suis ministre. Je suis obligé de vous dire que oui. Vous me demandez si j'ai encore une sensibilité depuis que je suis ministre, et si j'ai encore une idée de la façon dont chacun doit être traité dans une procédure judiciaire. La réponse est oui. Rien de tout cela ne m'amène à répondre aux questions portant sur l'affaire à laquelle est consacrée cette commission d'enquête, ce qui m'est impossible, comme je vous remercie de l'avoir rappelé à plusieurs reprises.

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Je vous le dis une nouvelle fois, car vous ne connaissez pas le dossier : la juge d'instruction n'a ordonné aucune investigation en matière de téléphonie. Ni pour le téléphone de Traoré, ni pour ceux de ses amis proches – Abdelkader Rabhi, Sofiane Si-Bachir, Namil Benhamida –, tous très défavorablement connus des services de police. Je vous pose cette question parce que nous essayons de les auditionner, ainsi que les sœurs de Traoré. Cela me semble important.

Nous allons auditionner un témoin qui a indiqué que la victime avait très peur de Traoré depuis des mois et des années. Elle l'avait confié à ses collègues de travail, y compris la veille du drame, et c'est l'une d'entre elles que nous allons entendre tout à l'heure. Mme Halimi avait aussi peur des sœurs de Traoré, qui lui avaient craché dessus et l'avaient traitée de « sale juive » par le passé.

J'en ai parlé au ministre de l'intérieur, qui m'a dit qu'il fallait vous saisir. J'ai donc pris contact avec votre excellent collaborateur. Les travaux de cette commission ont véritablement débuté en septembre, et depuis lors nous n'arrivons pas à auditionner les trois amis de Traoré et la personne avec laquelle il était juste avant de commettre le crime. Les gens refusent de venir, alors que la loi le leur impose. J'ai demandé le concours du ministère de l'intérieur. Des instructions seront données pour que les fonctionnaires de police répondent à leur convocation. J'espère que nous pourrons les entendre dans le temps qu'il nous reste.

Je demande votre aide de la manière la plus officielle, pour qu'une commission d'enquête parlementaire d'une institution de la République puisse procéder aux auditions de ces témoins.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Avec toute l'amitié et le respect que j'ai pour vous, s'agissant de la question de la reconstitution je vous réponds : je n'ai rien à en dire. De même pour l'audition des témoins. Fallait-il ordonner des investigations téléphoniques ? Je n'ai rien en dire. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'aspects juridictionnels.

On peut avoir son idée, une idée de bon sens.

Vous posez un certain nombre de questions, très clairement orientées. Vous pensez que des choses auraient dû être faites alors que tel n'a pas été le cas. Je ne peux pas vous suivre sur ce terrain. Je m'en suis longuement expliqué.

Je me permets de vous dire : attention à ne pas refaire l'enquête.

Vous voulez auditionner des témoins…

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On essaie de voir s'il y a eu des dysfonctionnements. C'est une commission d'enquête.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Lors de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau, l'instruction n'avait pas été refaite et les témoins n'avaient pas été réentendus.

La commission s'était penchée sur les mécanismes qui n'avaient pas fonctionné, notamment en ce qui concerne le contrôle de la détention.

L'impératif m'est interdit lorsque je m'adresse à vous et je suis infiniment respectueux de la représentation nationale, mais je me permets très aimablement de vous le dire : faites attention de ne pas regarder cette affaire comme si vous étiez vous-même juge d'instruction. Cela présenterait un risque majeur.

J'entends la passion et l'émotion qui vous animent.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Elles sont palpables.

Mais pour autant : attention ! Il faut que nous soyons extrêmement vigilants sur le respect des principes constitutionnels.

Je peste souvent contre les médias lorsqu'ils présentent la justice sous le seul prisme du fait divers. La justice, c'est autre chose qu'un dysfonctionnement – et je parle de manière générale, pas de cette affaire. J'essaie de prendre de la hauteur en me référant à nos principes et, en dépit de ce que vous pouvez penser, je dis qu'il faut faire très attention. Quand on se respecte ont doit tout se dire avec beaucoup de liberté. Faites attention à ne pas donner le sentiment que cette commission refait une instruction, car ce n'est pas le lieu pour le faire.

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On ne refait pas l'instruction. On essaie de comprendre pourquoi certaines questions n'ont pas été posées à cette occasion.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Je ne doute pas un instant que nous serons sur la même longueur d'onde, mais la justice n'est pas rendue ici – et pas davantage dans la rue, sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux de télévision. La justice est rendue au palais de justice.

L'institution judiciaire peut parfois donner le sentiment qu'elle a raté son rendez-vous avec la justice. Il est d'ailleurs tout à l'honneur des Français de dire de temps en temps qu'une décision n'est pas juste – sachant que cela comprend une grande part de subjectivité. Une fois encore, mes propos ne portent pas sur l'affaire Halimi.

L'émotion ne doit pas l'emporter sur nos principes.

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Je l'accepte bien volontiers.

Comme nous tous, la justice peut aussi se tromper, tout simplement parce qu'elle est humaine.

Dans le cas d'espèce, j'ai la conviction absolue qu'il y a eu des dysfonctionnements. J'essaye de faire en sorte qu'un tel drame ne puisse pas se reproduire, avec les modestes pouvoirs dont nous disposons et avec les commissaires ici présents – nous avons passé des dizaines d'heures en audition. Hélas, Mme Halimi ne reviendra pas. Mais comme me l'a dit sa famille, puisqu'il n'y a pas eu de procès en cour d'assises, il y a cette commission d'enquête.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Je le répète : quand une partie a la certitude, à tort ou à raison, qu'un certain nombre de dysfonctionnements ont eu lieu, elle peut assigner l'agent judiciaire de l'État pour faute lourde. Il appartient ensuite au tribunal judiciaire d'apprécier si les faits sont constitutifs d'une faute lourde, selon les critères très précis établis par une longue jurisprudence.

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Il y a peut-être des éléments nouveaux. Je sais que la famille souhaite demander une révision de ce procès. Les avis divergent sur la possibilité d'une telle démarche, et cette question me dépasse. La piste que vous avez évoquée sera peut-être suivie par la famille.

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Cette commission d'enquête se rapproche de son terme et il est intéressant d'échanger avec le garde des sceaux en fonction sur les enseignements que nous pouvons tirer de nos travaux. Mes questions porteront donc sur d'éventuelles améliorations législatives.

J'aimerais recueillir votre avis au sujet de la prise en charge des auteurs de crimes selon les règles de l'hospitalisation sous contrainte. Cette prise en charge est-elle satisfaisante ? Qui contrôle le maintien en soins et selon quels critères ? Le risque de récidive est-il pris en considération ? Si la personne n'est plus malade, peut-elle sortir de l'hôpital sans aucun contrôle ?

Les experts psychiatres auprès des tribunaux sont-ils suffisamment sélectionnés ? Le sont-ils trop ? Ne faudrait-il pas revoir rapidement leur rémunération ?

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éric Dupond-Moretti, ministre

Lorsque la justice estime qu'un individu est pénalement irresponsable pour des raisons psychiatriques, son suivi relève de la compétence du ministère de la santé – je le précise de manière factuelle, et non pour fuir la question. On est dès lors en présence de quelqu'un qui est considéré comme un malade et qui va faire l'objet d'un traitement psychiatrique spécifique.

L'articulation entre justice et santé est en réalité complexe, puisqu'on a affaire à quelqu'un atteint par une pathologie qu'il faut soigner. Telle est bien la difficulté.

Vous l'avez très justement dit, cette commission a pour but de faire des propositions dans son rapport. Je suis toujours preneur de bonnes idées.

Le fait que la partie civile n'a pas été reçue par le juge d'instruction a été évoqué précédemment. N'est-il pas temps de prévoir dans le code de procédure pénale des dispositions qui imposeraient qu'il y ait un échange de points de vue lors d'une réunion entre celui qui mène l'instruction et la partie civile ? C'est d'ailleurs ce qui est prévu dans le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. La partie civile participera à l'audience de la juridiction de jugement destinée à statuer sur la responsabilité pénale.

Nous avons revalorisé les rémunérations des psychologues et des psychiatres. Les expertises psychiatriques classiques sont passées de 429 à 507 euros, tandis que celles concernant des infractions sexuelles sont passées de 448,50 à 526 euros. Il est prévu une augmentation de 20 euros pour les expertises psychologiques.

L'indemnité de comparution aux assises est quant à elle passée de 43,50 à 100 euros.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Une augmentation de 129 % ce n'est pas rien.

Le recours à l'expertise hors norme – portant sur des questions inhabituelles qui nécessitent des recherches spécifiques – est facilité, avec une indemnité fixée à 750 euros au maximum.

Mais nous faisons face à une difficulté : l'attractivité du travail judiciaire pour les psychiatres. Un certain nombre d'initiatives heureuses ont été prises. Je pense notamment au protocole signé par la cour d'appel de Montpellier et la faculté de médecine, qui forme les psychiatres. Il vise à fluidifier les relations entre les magistrats et les futurs psychiatres, afin que ces derniers aient davantage envie d'exercer au sein du monde judiciaire.

À vrai dire – et je fais appel à mes souvenirs d'avocat qui a rencontré beaucoup de psychiatres – je ne suis pas convaincu du lien entre la rémunération et la qualité du travail réalisé. En revanche, ce lien existe en matière d'attractivité.

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Je partage complètement votre avis sur l'indépendance de la justice et sur la liberté juridictionnelle.

Mais on est au cœur du fonctionnement des institutions. Nous sommes députés et membres d'une commission d'enquête. À l'occasion des travaux de celle-ci, j'ai le sentiment d'avoir constaté des dysfonctionnements. Il n'est pas question de refaire l'histoire, mais je les constate. Comment faire pour que cela n'arrive plus ?

Si nous publions un rapport où ces dysfonctionnements sont analysés, comment l'institution policière et l'institution judiciaire vont-elles l'accueillir ? Nous restons dans notre rôle et nous respectons la Constitution en leur demandant d'essayer d'en tirer les conséquences. Il peut s'agir éventuellement de modifications de la loi, mais aussi de changements dans la formation des policiers et des magistrats. Mais s'il n'est tenu aucun compte des propositions de la commission d'enquête et que chacun reste dans son coin au motif qu'il est indépendant, cela pose un problème.

Encore une fois : il n'est pas question de rejuger cette affaire, mais de constater qu'il existe selon nous une difficulté et de la faire figurer dans un rapport parlementaire. J'espère que les institutions concernées en tireront les conséquences.

Le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure va dans le bon sens. Il prévoit que si une personne consomme des substances psychoactives dans le dessein de commettre une infraction ou d'en faciliter la commission, on peut la considérer pénalement responsable. Mais pour démontrer qu'il l'a fait volontairement, il faut une instruction en bonne et due forme, qui ne soit pas bâclée. On vote une loi, mais elle n'aura d'effet que si les institutions chargées de son application procèdent aux investigations nécessaires. C'est un peu le sentiment que l'on a s'agissant de ce dossier particulier, où l'instruction aurait pu permettre de démontrer un certain nombre de choses.

Si l'on reprend le cas de M. Traoré, les experts judiciaires concluent tous à l'absence de pathologie.

Il a eu une bouffée délirante à la suite de l'absorption de produits.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Je ne suis pas médecin.

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Il est désormais gardé dans un hôpital psychiatrique, mais il n'est pas malade.

Cela pose un problème : comment peut-on garder un individu en hôpital psychiatrique s'il n'est pas malade ? Qui décide ?

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Nous avons même un témoignage selon lequel il ne serait pas sous traitement médical.

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C'est une information importante.

Nous sommes confrontés à un problème très particulier. Lors d'une audition et à l'occasion d'un déplacement dans l'appartement de Mme Halimi, deux témoins nous on dit officiellement que M. Traoré continue à consommer et à vendre de la drogue à l'hôpital. Il tient des propos antisémites. On nous informe de délits importants dans le cadre d'une commission d'enquête. Que faisons-nous ?

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Il se rendrait régulièrement chez lui le week-end.

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L'article 40 du code de procédure pénale s'impose-t-il à nous ? Je n'en suis pas certain.

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Le Dr Paul Bensussan a dit qu'il était dangereux et qu'il pouvait passer à l'acte.

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D'un point de vue juridique, quelle procédure doit être utilisée par des députés lorsqu'ils ont eu connaissance d'une éventuelle infraction dans le cadre des travaux d'une commission d'enquête ? Il faudrait peut-être faire évoluer le droit.

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éric Dupond-Moretti, ministre

De mémoire de praticiens – et j'ai beaucoup consulté – une situation comme celle qui s'est manifestée dans cette affaire n'intervient qu'une fois tous les quarante ans. Une consommation de psychotrope qui engendre une bouffée délirante aiguë au cours de laquelle l'intéressé commet un crime : c'est exceptionnellement rare.

Au cours de ma carrière, j'ai souvent vu des accusés qui revendiquaient à tort la consommation de produits stupéfiants ou d'alcool comme une circonstance atténuante – alors qu'en réalité c'est généralement et fort logiquement considéré comme une circonstance aggravante.

En l'espèce, il s'agissait d'une situation paroxystique absolument exceptionnelle. Je l'ai dit, le ministère public a effectué ses réquisitions en ne pouvant s'appuyer que sur des textes incomplets. D'où le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, destiné à combler une lacune béante apparue à l'occasion de cette affaire.

Je réponds de manière complète à la question de la rapporteure sur la manière dont est organisée la sortie de l'hospitalisation sous contrainte. Il existe plusieurs garanties importantes. Conformément à l'article L. 3213-8 du code de la santé publique, il revient à un collège d'experts d'émettre un avis selon lequel la mesure d'hospitalisation psychiatrique n'est plus nécessaire. Le préfet ordonne alors une expertise de l'état mental de la personne par deux psychiatres, qui doivent se prononcer dans un délai maximal de soixante-douze heures. Lorsque leurs deux avis confirment l'absence de nécessité d'une hospitalisation complète, le préfet ordonne la levée des mesures de soins psychiatriques.

M. Pupponi s'est demandé si les propositions que vous ferez seront appliquées par les services concernés. Vous avez oublié une étape. Le rapport de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau comportait plus de quatre-vingts propositions. Mais comme la volonté politique de les appliquer était égale à zéro, deux ou trois seulement d'entre elles ont été reprises. Le reste dort encore dans un tiroir de la chancellerie. Vous allez faire des propositions, mais il faut ensuite une volonté politique pour les traduire sur le plan réglementaire ou législatif et que votre travail ne soit pas inutile.

J'ai vécu une commission d'enquête dont je pensais qu'elle était indispensable et qui, selon moi, était l'occasion d'autopsier le fonctionnement procédural de manière transpartisane – vous vous souvenez de MM. Houillon et Vallini. D'Alain Marceau aux communistes, tous les députés étaient d'accord sur le constat des dysfonctionnements. Les 82 propositions étaient fortes.

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éric Dupond-Moretti, ministre

D'une toute petite souris !

C'est la raison pour laquelle je dis que vous passez à l'étape suivante lorsque vous vous demandez comment vos propositions seront reçues par les policiers et les magistrats. Il faut avant tout une volonté politique de les mettre en œuvre.

S'agissant des infractions dont on vous a fait part, l'article 40 du code de procédure pénale s'applique.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Vous êtes parlementaires et vous apprenez un certain nombre de choses dans le cadre des travaux d'une commission d'enquête. Rien ne vous interdit de les communiquer au procureur de la République.

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C'est ce que nous avons fait, en torturant un peu les textes.

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éric Dupond-Moretti, ministre

L'article 40 est assez clair. Cela correspond pleinement à votre mission.

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Pour être tout à fait clair, ces faits nous ont été rapportés par un journaliste qui a enquêté. Nous n'avons pas pu les constater par nous-mêmes mais ils semblent extrêmement crédibles. C'est donc un peu plus compliqué.

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Éric Dupond-Moretti ministre

Pardonnez-moi, mais il arrive tous les jours que le parquet ouvre d'initiative une enquête. En l'occurrence, vous avez entendu quelqu'un qui vous a fait part d'éléments. Il y a matière à saisir le parquet, si vous le souhaitez, lequel fera ensuite ce qu'il voudra en toute indépendance.

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Au préalable, je rappelle que nous ne sommes pas médecins, chers collègues. Les protocoles de soins comportent notamment des phases de traitements médicamenteux, des suspensions de ceux-ci, l'utilisation de placebos et des autorisations de sortie. L'unité pour malades difficiles (UMD) de Villejuif a l'habitude de s'occuper d'un public particulièrement dangereux. Selon moi, notre rôle n'est pas de porter une appréciation sur le protocole de soin retenu par l'UMD.

J'en viens à mes questions. Je précise que si je fais référence à des faits précis relatifs à l'affaire Halimi, ce n'est pas pour vous inciter à les commenter, M. le garde des sceaux, mais pour mieux indiquer l'origine des questions.

Vous avez évoqué la prise en compte des victimes, notamment avec ce qui est prévu par le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure que nous avons voté récemment. Lors des auditions, on nous a interpellés sur la considération qui a parfois fait défaut envers les parties civiles. Jugez-vous nécessaire d'encourager une audition systématique des parties civiles et des familles par le juge d'instruction dans les affaires particulièrement sensibles ? Cela pourrait être fait par une circulaire, ou résulter d'une modification de la procédure par la loi ou le règlement.

Cette affaire a fait l'objet d'une cosaisine. Pourtant, certains nous ont dit lors des auditions que le dossier avait été traité comme un autre et sans y accorder davantage d'importance. Estimez-vous que cette procédure devrait être revue ? Faut-il prévoir qu'un juge d'instruction exerce un rôle de contre-pouvoir d'un autre juge d'instruction ? Comment favoriser la collégialité dans le cas d'une procédure de cosaisine ?

Lors de la précédente audition, un débat a eu lieu sur l'appréciation de la préméditation en présence d'un trouble psychique. Lorsque l'on considère le projet de loi relatif à l'irresponsabilité pénale et à la sécurité intérieure et que l'on envisage l'affaire Halimi, on pense aux articles 2, 3 et suivants, et pas forcément à l'article 1er. Mais en fait, ce dernier permet une approche différente du trouble psychique. Le juge doit se demander si la substance a été absorbée pour faciliter ou encourager la commission du crime. Y a-t-il un lien entre cet article 1er et cette affaire ?

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éric Dupond-Moretti, ministre

La loi exige que le juge d'instruction auditionne la partie civile. J'ai évoqué précédemment une possible modification et je reviens sur ce point pour plus de clarté. Je souhaite qu'il y ait plusieurs étapes. Lors d'une audition sur le fond les parties civiles n'ont parfois rien à dire, notamment si elles n'ont pas été témoin des faits. On peut imaginer une audition récapitulative, lorsque l'instruction touche à sa fin. C'est d'ailleurs ce qui est souvent pratiqué avec le mis en examen et qu'on appelait l'interrogatoire récapitulatif. L'obligation d'auditionner les parties civiles figure déjà très clairement dans la loi, mais le choix du moment est laissé à l'appréciation du juge d'instruction.

J'ai peu de choses à dire sur la cosaisine, si ce n'est des généralités. La cosaisine, c'est un travail d'équipe – et j'y suis assez favorable. Cela fonctionne ou cela ne fonctionne pas. Dans le premier cas c'est un plus et les magistrats témoignent alors des avantages de réfléchir à plusieurs. Mais cela n'apporte parfois pas de valeur ajoutée. La collégialité avait été réclamée après l'affaire d'Outreau. Je ne pense pas qu'il est nécessaire de modifier la loi sur ce point. Il ne me semble pas opportun de prévoir une hiérarchie entre les juges d'instruction. Cela étant, ce n'est que mon sentiment. Une telle mesure mérite d'être expertisée davantage et d'entendre des équipes de juges qui ont travaillé ensemble.

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Cela fera peut-être l'objet d'une recommandation de la commission.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Il ne faut pas aborder la collégialité à travers le seul prisme de cette affaire. Dans certains cas, je suis certain que les magistrats vous diront qu'ils ont été heureux de travailler plus efficacement ensemble. D'ailleurs, si on relit tout ce qui a pu être écrit sur la collégialité, notamment par la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau, on a le sentiment qu'elle était perçue comme une nécessité pour faire face à la solitude du juge et au risque d'erreur. La collégialité permet d'avoir deux regards, qui peuvent être différents et permettent des discussions.

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Ce qui est en question, c'est aussi le système français du juge d'instruction. Lors de son audition, Georges Fenech, ancien député et ancien magistrat, a fait part de l'exemple d'autres pays comme piste de réflexion pour mettre fin au juge d'instruction et à sa solitude.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Mme Avia m'a interrogé au sujet de l'article 1er du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Cet article nous éloigne beaucoup de ce qui a pu être dit sur l'affaire Halimi.

Il y a des exemples jurisprudentiels où l'absorption volontaire de psychotropes aide à se donner le courage – ou la lâcheté – de tuer, notamment avec la consommation de captagon dans une affaire en Espagne. On a vu cela dans des entreprises terroristes. C'est sur ce point que nous avons souhaité légiférer. Même s'il y a ensuite une perte du discernement, il y a quand même un acte qui doit être assimilé à une complicité parce que l'on a consommé le psychotrope avec une intention ferme de commettre une infraction.

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Vous avez raison de nous rappeler les limites, qui s'appliquent à votre audition tout comme à notre commission. C'est d'ailleurs ce qui rend notre tâche délicate : sans instruire à nouveau, nous devons tirer les conséquences des difficultés qui ont pu être rencontrées au cours de l'instruction.

Vous avez également évoqué la récente adoption de la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, qui traduit les évolutions que vous avez souhaitées en ce domaine.

Je vous poserai deux questions assez techniques, auxquelles vous pourrez répondre plus tard, si vous le souhaitez.

Nous nous trouvons face à une personne qui aurait pu être condamnée devant une juridiction pénale mais qui, du fait de son état psychiatrique sur lequel il n'est pas question de revenir, se trouve, non plus sous main de justice, mais sous l'autorité des psychiatres. La question n'est pas celle de savoir si, aujourd'hui, cette personne fume ou non, mais si elle représente un danger pour la société du fait des risques de récidive. Dans l'état du droit, une personne déclarée pénalement irresponsable relève du code de la santé publique, en particulier de l'article L. 3211-12 qui dispose que le juge des libertés et de la détention peut être saisi, à tout moment, aux fins d'ordonner, à bref délai, la mainlevée immédiate d'une mesure de soins psychiatriques, quelle qu'en soit la forme. D'une certaine manière, cet article traduit la primauté de la liberté individuelle et de la protection individuelle des personnes placées en hôpital psychiatrique, ce qui est légitime. Cependant, lorsque des médecins ordonnent la sortie d'une personne déclarée pénalement irresponsable et, de ce fait, placée sous l'autorité du préfet, serait-il possible que le parquet en soit informé et, le cas échéant, puisse saisir un juge des libertés et de la détention pour ordonner une nouvelle expertise et, éventuellement, maintenir la personne en unité psychiatrique ? Il faut protéger les gens hospitalisés mais aussi la société contre une personne qui, pour une raison qui a pris fin, a été déclarée pénalement irresponsable. Il ne serait pas cohérent, en effet, que du jour au lendemain, celle-ci échappe à tout suivi judiciaire du fait de son passage en unité psychiatrique.

Ma deuxième question concerne l'article 1er de la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure : lorsque le juge d'instruction estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait, il renvoie celle-ci devant la juridiction de jugement compétente qui statue à huis clos. Je salue cette évolution du texte qui répond à notre souci de préserver l'oralité du débat et l'expression de chacun. Les dispositions de cet article, aujourd'hui limitées à la consommation de substances psychoactives dans le dessein de commettre une infraction ou d'en faciliter la commission, pourraient-elles être étendues à tous les cas d'irresponsabilité ? L'irresponsabilité ne serait plus définitivement constatée par une juridiction d'instruction mais par une juridiction de jugement, le cas échéant à huis clos et par une formation réduite, par exemple devant les magistrats professionnels de la cour d'assises.

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éric Dupond-Moretti, ministre

La cour d'assises est saisie en cas de divergence entre les experts. En l'espèce, le huis clos a été décidé pour que le public ne cède pas à la curiosité malsaine de venir observer, dans le box des accusés, un détenu à la lippe pendante. Soit l'accusé est en pleine possession de ses moyens et le procès se déroule normalement, soit il ne l'est pas et il faut le protéger. C'est en ce sens que les parlementaires ont voté le huis clos. Pour le reste, si les expertises convergent, le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction pourront prononcer un non-lieu, quelle que soit la nature de l'infraction.

D'autre part, doit-on prévenir le parquet de la sortie d'une personne hospitalisée en unité psychiatrique suite à la reconnaissance de son irresponsabilité pénale ? J'y suis favorable mais il faut analyser en profondeur cette proposition et vérifier sa conformité à la Constitution. Par prudence, j'accepte votre invitation à vous répondre plus tard, le temps que les services de la Chancellerie y réfléchissent. Voilà un homme que les médecins considèrent qu'il n'est plus malade et qui recouvre la liberté : peut-on encore le surveiller ? Comment ? S'agit-il d'un simple avertissement ou faut-il aller au-delà ? Cela étant, le juge des libertés et de la détention est informé de la décision car il se trouve au cœur du débat.

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Si nous sommes membres de cette commission d'enquête, c'est parce que nous avons été marqués par le drame survenu, qui a provoqué l'émotion de la communauté juive mais aussi de toute la communauté nationale. Au-delà des éventuels dysfonctionnements que nous pourrons constater et dont nous devrons tirer les conséquences, quelles actions avez-vous souhaité entreprendre pour lutter contre le fléau de l'antisémitisme ?

Vous dites avoir accueilli avec réserve l'annonce de l'audition du juge Burgaud par la commission d'enquête sur l'affaire Outreau. Pourriez-vous nous en donner les raisons ? Depuis le début des travaux de la présente commission d'enquête, il est très difficile de nous positionner en tant que parlementaires, de délimiter notre rôle, de ne pas céder à la tentation de refaire l'instruction. J'ai été surprise, M. le président, d'apprendre qu'une délégation se rendrait à nouveau sur place et que la fenêtre ferait l'objet d'une nouvelle expertise. Ce n'est pas notre rôle. Si nous mélangeons les genres entre la fonction législative et la fonction judiciaire, nous faisons courir un risque à notre démocratie et nous remettons en cause la pertinence même de cette commission d'enquête.

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éric Dupond-Moretti, ministre

J'étais réservé pour les mêmes raisons que vous, en particulier la crainte de refaire le procès, même si vous devez vous trouver dans une situation encore plus délicate que ne l'était la mienne à l'époque puisque j'étais auditionné en qualité de témoin. D'autre part, il régnait un climat que je ne retrouve pas ici, fort heureusement. On avait l'impression de sonner l'hallali et je n'aime pas la meute. Je l'avais d'ailleurs dit, en ces termes. Le juge Burgaud connaissait ma position et dieu sait pourtant que je n'ai pas été tendre avec lui. J'étais alors avocat et ce dossier était particulier.

Nous avons fait beaucoup pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme et nous en sommes fiers. Une première circulaire relative à la lutte contre les discriminations, les propos et les comportements haineux a été prise le 4 avril 2019. Nous avons voulu sensibiliser les services de police et de gendarmerie à la qualité de l'accueil des victimes d'agressions à caractère raciste, antisémite ou homophobe et les inviter à privilégier la prise d'une plainte à la main courante. Au passage, rappelons que ceux qui veulent tricher avec les chiffres pour faire baisser ceux de la délinquance préfèrent la main courante à la plainte. Ce sont souvent les mêmes qui dénoncent l'augmentation de la délinquance quand ils ne sont plus aux affaires. Fermons la parenthèse.

Par la circulaire du 10 janvier 2020 relative à la protection de la laïcité et à la lutte contre la radicalisation et le communautarisme, nous demandons de veiller à mettre en œuvre les incriminations visant à sanctionner les abus et les dérives commis au nom des religions et celles visant à protéger des atteintes commises en raison des religions. Nous avons, en parallèle, développé les mesures de remplacement à dimension pédagogique.

Une dépêche relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens a été prise le 20 octobre 2020.

La circulaire le 24 novembre 2020 relative à la lutte contre la haine en ligne crée, à droit constant, un pôle national de lutte contre la haine en ligne, à la suite de l'adoption de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

Le tribunal judiciaire de Paris sera désigné comme pôle pour centraliser sous la direction du procureur de Paris le traitement des affaires significatives de cyberharcèlement et de haine en ligne. Depuis le 4 janvier 2021, le pôle a été doté de trois magistrats, deux juristes assistants, un assistant spécialisé et un fonctionnaire de police. Il s'est saisi de 423 dossiers dont plusieurs phénomènes de harcèlement en ligne qui présentent une dimension d'atteinte aux valeurs républicaines. Je pense notamment aux faits commis à l'encontre de cette jeune femme de confession juive, première dauphine de Miss France : on se souvient tous du torrent d'insanités déversées sur les réseaux sociaux.

Je ne m'attarderai pas sur la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République que vous connaissez parfaitement. Plusieurs délits de presse, notamment les délits de provocation à la haine ou à la discrimination, pourront faire l'objet de procédures accélérées. On n'a pas touché à la loi de 1881 qui protège la liberté de la presse – en revanche, depuis qu'il a été malmené par un journaliste de TF1, un candidat à l'élection présidentielle voudrait abroger ce texte qui a permis à des juges de le condamner. Passons. Nous voulons que les haineux en ligne soient immédiatement jugés car ils s'abritaient derrière ce texte qui permet de protéger les seuls journalistes. Ces gens revendiquaient cette protection alors qu'ils n'étaient pas journalistes. Ils n'étaient que des haineux et ils seront désormais jugés en tant que tels, en comparution immédiate.

Dans chaque juridiction, un magistrat référent pour les infractions de discrimination sera désigné. La répression des infractions à caractère raciste ou accompagnées d'une circonstance aggravante de racisme sera accrue. Permettez-moi de vous donner quelques chiffres. Le taux de réponse pénale s'élevait à 86 % en 2020, 43 % de poursuite devant les juridictions pénales, 57 % de procédures alternatives aux poursuites, hausse de 4,2 % des condamnations entre 2019 et 2020, soit 875 condamnations. Le taux d'emprisonnement en 2020 atteignait 88 % pour les atteintes à la vie et les violences dont 36 % d'emprisonnement ferme, 65 % pour les menaces dont 48 % d'emprisonnement ferme, 49 % pour les provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence dont 11 % d'emprisonnement ferme et 21 % pour injure et diffamation à caractère raciste dont 9 % d'emprisonnement ferme. Les mentalités évoluent. Nous sommes plus attentifs et ces faits sont davantage punis qu'ils ne l'étaient autrefois.

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Je vous le confirme : l'énergumène qui m'a menacé de mort a écopé d'une peine de cinq ans d'emprisonnement ferme !

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éric Dupond-Moretti, ministre

Il est important que les gens sachent que l'on ne peut impunément exprimer tout ce que l'on veut. Les propos racistes, antisémites, ne sont pas des opinions mais des délits susceptibles d'être punis par des peines d'emprisonnement. Des peines d'emprisonnement ferme sont parfois prononcées et je m'en félicite. On ne peut plus raconter toutes les horreurs que l'on veut sur les réseaux sociaux en toute impunité.

Concernant la formation des magistrats, les 333 auditeurs de justice de la promotion 2021 ont bénéficié, en formation initiale à l'École nationale de la magistrature (ENM), des séquences de formation dédiées à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Le cursus de formation se poursuit, naturellement. L'ENM s'est associée à la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) pour créer deux webinaires qui couvrent largement le sujet de la haine en ligne.

Un projet de formation déconcentrée est en cours avec la LICRA pour organiser une demi-journée de sensibilisation à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, au sein du Mémorial de la Shoah à Paris. Cette session est ouverte aux magistrats parisiens.

J'entends par ailleurs porter, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, l'élargissement de l'article 83 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, à de nouvelles infractions, pour lutter contre le racisme, l'antisémitisme et d'autres discriminations. On prend de nombreuses mesures sur le plan national mais il serait important que l'Europe rappelle quelles sont ses vraies valeurs pour que l'on unifie les droits nationaux en ce domaine et que ces infractions soient désormais réprimées en Europe, en particulier en France, en Italie et en Allemagne.

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Après les événements tragiques de Nanterre, je voudrais ajouter à cette liste la christianophobie et vous remercier, au nom de cette commission, pour vos actions.

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Vous avez proposé, M. le garde des sceaux, que l'on rende systématique, ou obligatoire, une audition de parties civiles conclusive. Cette étape, qui a souvent lieu lorsqu'il est décidé de correctionnaliser une affaire criminelle, serait particulièrement importante dans ce type de dossier, pour que le juge explique aux parties civiles les raisons de son choix et les prépare à ce que l'auteur des faits puisse être reconnu irresponsable pénalement. Les auditions que nous avons menées nous ont fait prendre conscience des difficultés des parties civiles à comprendre le cheminement judiciaire. Peut-être conviendrait-il de prendre une circulaire en ce sens.

S'agissant de la cosaisine, vous avez répondu en évoquant la collégialité. Or, la juge d'instruction que nous avons auditionnée avant vous a bien rappelé que la cosaisine était différente de la collégialité. Cette procédure, qui se situe entre le juge d'instruction, seul, et la collégialité, ne représente pas une réelle avancée. Le juge cosaisi peut faire des actes mais certains actes très importants ne peuvent être réalisés que par le juge instruction désigné en premier. Lorsque l'on estime nécessaire de saisir deux magistrats en raison de la sensibilité d'un dossier, sans doute conviendrait-il de préciser davantage le champ de leur mission et de leur responsabilité.

Enfin, les experts psychiatres chargés de réaliser l'expertise psychiatrique de Kobili Traoré ont tous rappelé la nécessité de distinguer entre le diagnostic et le pronostic. Concernant le diagnostic, ils ont unanimement reconnu l'abolition du discernement, du fait d'une bouffée délirante. En revanche, ils n'ont pas posé le même pronostic. Certains, notamment le Dr Daniel Zagury, ont considéré qu'il s'agissait d'un événement unique et que Kobili Traoré, aujourd'hui, n'est pas malade. Le Dr Paul Bensussan s'est montré plus nuancé en estimant qu'il s'agissait d'un phénomène inaugural d'une maladie psychiatrique, la schizophrénie. Nous lui avons indiqué que la chambre de l'instruction était revenue sur ses conclusions et il nous a répondu que M. Traoré était peut-être en bonne forme ce jour-là. Bref, ces experts ont examiné Kobili Traoré et leurs conclusions ont eu des conséquences très importantes puisqu'elles ont été soumises à l'appréciation des juges qui en ont conclu à l'irresponsabilité pénale. Ne serait-il pas nécessaire, au moment de décider de la sortie, que ces mêmes experts rencontrent à nouveau la personne hospitalisée pour évaluer son état psychiatrique ? Je ne propose pas qu'ils soient les seuls mais la loi prévoit que seuls deux experts puissent donner leur avis. Le Dr Paul. Bensussan lui-même aurait été intéressé par cette proposition puisque son pronostic a été remis en cause.

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éric Dupond-Moretti, ministre

S'agissant tout d'abord de la différence entre cosaisine et collégialité, je me suis exprimé de façon générale en ayant conscience d'égrener un certain nombre de poncifs. En effet, elles sont légèrement différentes puisque, en cas de cosaisine, le premier juge saisi conserve un pouvoir spécifique en cas de désaccord. Certains juges trouveront beaucoup d'avantages à travailler avec d'autres collègues, d'autres moins. C'est du cas par cas. C'est pourquoi je me suis permis de vous conseiller, avant de formuler des propositions en ce domaine, d'auditionner des magistrats qui travaillent régulièrement en cosaisine et en collégialité.

Pour le reste, ce que vous dites est vrai. J'ai connu un immense avocat pénaliste, Jean-Louis Pelletier. Il exprimait ce sentiment d'apaisement que l'on peut éprouver à l'issue d'un verdict quand l'accusé s'est senti entendu et les parties civiles, prises en considération : un bon verdict est celui dans lequel tout le monde est enfermé. Il faudrait, de la même façon, être enfermé par l'instruction. L'accusé doit avoir le sentiment d'avoir été entendu, les parties civiles aussi. Au fond, cette vieille formule de Camus, qui n'est pas écrite dans le code de procédure pénale, est très juste : la justice est une chaleur de l'âme. Je m'exprime ici de façon très générale, vous l'aurez compris.

Oui, la loi prévoit l'audition. La temporalité est laissée à la libre appréciation du juge mais je suis favorable à ce que l'on procède, surtout dans ce type de dossier, à une audition récapitulative au cours de laquelle le juge explique les raisons de sa décision pour que les parties ne l'apprennent pas par la notification. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que les verdicts de culpabilité doivent être motivés. Il est normal qu'un homme sache quels arguments ont été retenus pour fonder sa culpabilité. Dans un deuxième temps, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité que j'avais plaidée, nous avons obtenu la motivation du quantum de la peine. Le condamné doit savoir pourquoi on lui inflige une peine de vingt ans d'emprisonnement et non pas de quinze. Cette considération vaut aussi pour les parties civiles : elles doivent comprendre pourquoi un magistrat-instructeur souhaite prononcer un non-lieu.

Nous allons y réfléchir ensemble. Vous proposez que je prenne une circulaire. Soit mais, vous le savez bien, la force de la circulaire est ténue. Nous pouvons toujours, cependant, appeler l'attention des procureurs généraux.

Concernant les expertises judiciaires, vous souhaitez que les experts qui ont examiné l'auteur des faits soient aussi en charge de son suivi médical. Je comprends votre intention mais l'auteur a été pris en charge médicalement dans un établissement psychiatrique et il me semble compliqué que les experts psychiatres judiciaires y interviennent alors que des spécialistes sont déjà à l'œuvre et que nous manquons d'experts judiciaires. Je ne suis pas convaincu par votre proposition mais je vais y réfléchir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez parlé d'apaisement. En l'espèce, les parties civiles ont eu le sentiment que le juge s'était parfois substitué à la défense de Traoré alors que l'on attendait de lui une parfaite impartialité. Par exemple, le parquet a demandé la requalification des faits cinq mois après la mise en examen. La juge ne souhaitait pas retenir l'antisémitisme contrairement au parquet. Un éminent expert judiciaire, le Dr Daniel Zagury, avait établi un diagnostic qui envoyait l'assassin en cour d'assises mais la juge, alors que la défense ne le lui demandait pas, a désigné un autre collège d'experts, dont Me Francis Szpiner nous a dit qu'elle savait qu'il rendrait un diagnostic inverse. Bien sûr, en France, on ne doit pas juger les fous, heureusement ! Mais beaucoup de questions se posent et nous essayons d'y répondre. Si l'affaire avait été portée devant la cour d'assises, celle-ci aurait tout aussi bien pu retenir l'irresponsabilité pénale. L'implication du Président de la République, les manifestations populaires, les dizaines de milliers de personnes descendues dans la rue, en France et ailleurs, montrent que tout n'a sans doute pas fonctionné correctement.

Merci d'avoir répondu à notre invitation, M. le garde des sceaux et de vous être exprimé sans langue de bois.

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éric Dupond-Moretti, ministre

Je comprends vos arguments mais n'oublions pas que la justice, c'est la confiscation du droit à la vengeance par une institution étatique. Lorsque des victimes ont le sentiment que la justice n'a pas été rendue, le chagrin et la frustration qui en découlent sont immenses, je le reconnais bien volontiers, mais le garde des sceaux ne peut que rappeler ces règles essentielles.

Angelo Rinaldi, écrivain que j'aime beaucoup, expliquait que, pour écrire, il revêtait une chemise, une cravate, et s'installait à sa table de travail, même lorsqu'il était chez lui et aurait pu préférer une tenue plus décontractée, parce qu'il considérait que les petits abandons entraînent les grands. C'est ce que j'ai voulu dire.

La réunion se termine à seize heures cinquante-cinq. Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Laetitia Avia, Mme Aurore Bergé, Mme Sandra Boëlle, Mme Coralie Dubost, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Constance Le Grip, M. Richard Lioger, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris, M. François Pupponi