Intervention de Meyer Habib

Réunion du jeudi 6 janvier 2022 à 10h30
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib, président :

Mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter une magnifique année 2022. Après une année 2021 compliquée et alors que nous vivons encore des moments difficiles, nous avons tous besoin d'unité, de santé et de sérénité. Faisons en sorte que la France brille de mille feux !

Notre commission d'enquête se réunit pour la dernière fois, après quelques mois de travaux consacrés à la terrible affaire du meurtre de Mme Sarah Halimi.

Je rentre de Jérusalem. J'ai tenu à me rendre, pour la première fois de ma vie, sur la tombe de la victime. J'étais accompagné de ses enfants, et j'ai pleuré. Tous les témoignages que nous avons entendus nous ont montré à quel point cette femme, mère de famille, médecin et directrice de crèche, vivant très simplement, était la bonté même. Elle est maintenant sous terre, parce qu'elle a été massacrée pendant quinze minutes avant d'être défenestrée. Le hasard fait que son caveau se trouve à quelques dizaines de mètres de ceux de Jonathan Sandler, de ses deux enfants Arieh et Gabriel, et de la petite Myriam Monsonego dont on commémorera, dans quelques semaines, les dix ans de l'assassinat à bout portant par un barbare islamiste – je crois d'ailleurs que le Président de la République se rendra à Toulouse à cette occasion. Un peu plus loin se trouve également la tombe d'Ilan Halimi, sur laquelle je m'étais recueilli il y a quelques mois aux côtés d'Éric Danon, ambassadeur de France en Israël, ainsi que celles des quatre victimes de l'Hyper Cacher, tuées alors qu'elles faisaient leurs courses de shabbat. Alors que le cimetière est immense, toutes ces victimes françaises se trouvent réunies dans un tout petit périmètre. La seule personne tuée pour son identité juive à être enterrée en France est Mireille Knoll – j'étais d'ailleurs à son enterrement, auquel assistait également le Président de la République. Pendant que je me recueillais sur la tombe de Sarah Halimi, j'ai pris un engagement : celui de tout faire pour comprendre pourquoi elle est morte, déterminer s'il y a eu des dysfonctionnements et permettre d'éviter un tel drame si pareille situation devait se reproduire. Au début, je ne connaissais pas grand-chose à cette affaire, mais j'en sais aujourd'hui beaucoup. Rien n'est jamais parfait mais, avec mon équipe, j'ai examiné chaque détail et essayé de rendre ce qui était approximatif le plus précis possible.

Nous examinons donc aujourd'hui le rapport de Mme Florence Morlighem. Le premier rapporteur, M. Didier Paris, ici présent, a démissionné – ce que je regrette, car nous avions de bons rapports. C'est le plus calmement possible que je vais vous livrer mon intime conviction : j'ai l'impression que, même dans le cadre de cette commission d'enquête, on a voulu ne pas aller au bout. On me répète en permanence qu'on ne refait pas un procès. J'en conviens, et je le dis depuis le premier jour : il y a eu un jugement, en première instance, en appel et en cassation, qui nous oblige. Mais la justice est faillible et je suis persuadé, au plus profond de moi-même, qu'elle a effectivement failli. Même si les règles de droit ont sans doute été respectées, ma conviction, que partage le grand rabbin de France, est que la justice s'est trompée, de manière involontaire. J'espérais que notre commission d'enquête transpartisane permettrait d'y voir plus clair.

Je tiens à remercier les quatre-vingts parlementaires qui ont accepté de cosigner la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête. Après un long parcours, nous y sommes arrivés ! Je regrette cependant le faible nombre de députés de la majorité parmi les cosignataires. On me répond que le Parlement a adopté un projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Certes, ce texte est important – je l'ai d'ailleurs voté –, mais il ne résout en rien les dysfonctionnements constatés dans cette affaire, pas plus qu'il n'explique les invraisemblances et les mensonges auxquels nous avons été confrontés. Je regrette également que ni les socialistes, ni les communistes, ni les insoumis n'aient participé, ne serait-ce qu'une minute, à nos travaux. Je ne sais pas pourquoi – il faudrait le leur demander. Est-ce parce que notre commission d'enquête se penchait sur le meurtre d'une femme à cause de son identité juive ? Est-ce parce qu'elle était présidée par Meyer Habib, député français, juif et sioniste ?

En un jour et demi, je n'ai pas eu le temps de lire le projet de rapport en détail, d'autant que la journée d'hier a été très chargée, mais je l'ai parcouru avec attention, du début à la fin, et j'ai pris quelques notes. Je ne pourrai pas le voter. Je suis déçu et peiné : on a essayé de cacher, de camoufler les choses.

J'avais des doutes sur le fait que les cris de Mme Halimi puissent être entendus par les policiers : je me suis donc rendu sur place mais vous n'avez pas voulu m'accompagner. J'ai appelé personnellement certains d'entre vous et j'ai envoyé un mail à tous les membres du bureau de la commission. Finalement, quatre membres du bureau étaient présents, ainsi que deux journalistes, un cameraman et un expert judiciaire près la cour d'appel de Chambéry que j'ai mandaté pour me remettre un rapport d'expertise. La seule chose qui m'intéresse, au-delà de toute autre considération, c'est la vérité – nous y sommes attachés, au plus profond de nous-mêmes, et c'est ce qui nous a poussés à devenir députés. Nous ne pouvons pas afficher une version édulcorée de cette vérité. Lorsque nous nous sommes rendus sur place, nous avons pu constater avec certitude qu'il était impossible de ne pas entendre, quel que soit l'endroit où l'on se trouvait, des cris qui ont duré entre douze et quatorze minutes – je note au passage que de nombreux chiffres cités dans le projet de rapport sont faux. Mes deux officiers de sécurité, qui étaient présents eux aussi, me l'ont également confirmé. Aussi, quand des policiers affirment qu'ils n'ont rien entendu alors qu'ils étaient dans la cour ou derrière la porte de l'appartement des Diarra, ils ne disent pas la vérité. J'aurais tellement voulu que vous soyez là, vous qui êtes des députés honnêtes ! Heureusement, tout a été filmé et l'affaire n'est pas terminée.

Je vous invite à lire les procès-verbaux. Lorsque la juge demande à M. Traoré si la porte-fenêtre était « un peu ouverte » ou « beaucoup ouverte », l'intéressé répond qu'elle était « un peu ouverte ». Lorsqu'elle lui demande s'il a bien vu une Torah en entrant dans l'appartement, il répond qu'il a effectivement vu une Torah et un chandelier juif. Or il n'y avait aucun de ces objets au domicile de Mme Halimi, et un expert judiciaire a constaté que la porte avait été forcée – sans que l'on puisse savoir, bien évidemment, si cela s'est produit le jour des faits. Les portes des appartements des familles Traoré et Diarra ont été ouvertes avec un Door-Raider, et non avec une clé, même si M. Traoré en possédait une. Il était absolument impossible que la victime ait laissé la fenêtre ouverte ; elle était totalement barricadée chez elle. Le meurtre était donc prémédité. Ce n'est pas par hasard que M. Traoré est entré chez Mme Halimi : il a préparé son coup, déposé des affaires et fait ses ablutions.

Une voisine musulmane, policière – une femme extraordinaire –, a expliqué devant notre commission d'enquête que Mme Halimi s'était confiée à elle, quarante-huit heures avant le drame, et qu'elle lui avait dit combien elle avait peur de Traoré. Elle-même, policière armée, avait peur de cet individu. Elle m'a d'ailleurs téléphoné après son audition pour me dire que Kobili Traoré, qu'elle connaissait depuis trente ans, n'était pas fou et qu'il venait encore très régulièrement dans le quartier – son frère l'avait encore aperçu quelques semaines auparavant – pour fanfaronner auprès de son équipe.

Nous n'avons pas réussi à auditionner tous les amis de Traoré. Pour certains, on nous a répondu qu'on ne savait pas où ils habitaient – ils habitent en réalité dans le même immeuble. Nous avons un témoignage audio de la gardienne.

Vous nous direz que nous avons refait une enquête. Il ne s'agit pas de cela : nous avons voulu voir s'il y avait eu des dysfonctionnements. On nous dit que les policiers n'ont pas entendu de cris : ce n'est pas vrai ! Une femme a crié pendant quatorze minutes mais ils ne sont pas intervenus. Toute l'instruction a été faite à décharge. Lorsque l'expert psychiatre a conclu à une altération partielle du discernement de l'assassin, la juge a demandé que soit réalisée une autre expertise, sans même que la défense ni qui que ce soit ne l'ait réclamé !

Quand je lis ce projet de rapport, je suis terriblement déçu. Tout a été édulcoré. Je ne donnerai qu'un exemple : comment peut-on encore laisser croire qu'il y a un doute sur le fait que les policiers disposaient d'une clé ou d'un vigik ? Les membres de la famille Diarra ont déclaré qu'ils leur avaient jeté un trousseau de clés, ce qu'ont reconnu un policier et un témoin. Les déclarations les plus importantes sont celles des témoins, qui ont eu l'impression que le massacre avait duré une heure, mais le projet de rapport les évoque à peine. Il commence d'ailleurs par remettre en cause notre commission d'enquête et proposer une modification du fonctionnement de ce type d'instance…

Arrêtez de pester, madame la rapporteure ! Je vous donnerai la parole tout à l'heure.

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