Intervention de Constance Le Grip

Réunion du jeudi 6 janvier 2022 à 10h30
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Ce n'est que la deuxième commission d'enquête parlementaire à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, après celle sur les attaques à la préfecture de police de Paris, mais malgré ce peu d'expérience, je suis amère et marrie d'avoir vu nos travaux régulièrement entachés par des prises à partie. S'agissant d'une affaire aussi tragique, qui me fend le cœur à chaque fois que je l'évoque, j'aurais souhaité que nous nous montrions tous de bonne volonté, soucieux de comprendre et d'accepter autrui, malgré nos différences de tempérament et d'approche du travail parlementaire.

J'ai lu le rapport de A à Z, y compris l'introduction. Beaucoup des propositions vont dans le bon sens, je peux les faire miennes et le groupe Les Républicains peut s'y retrouver. Toutefois, nous avons été choqués de constater que les deux premières recommandations concernent la révision de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et ont pour objet de contraindre, ou de corseter, davantage le travail de la représentation nationale en matière de commissions d'enquête. Je sais ce que signifie la séparation des pouvoirs – nous avons d'ailleurs reçu ces dernières semaines beaucoup de leçons, par écrit et par oral, sur le respect strict de ce principe et l'autorité de la chose jugée. Mais est-il acceptable de faire figurer dans les premières pages du rapport des propositions qui visent, encore une fois, à embrigader des parlementaires disposant déjà de peu de latitude dans ce domaine ? Les députés du groupe Les Républicains, qui ont participé à ces travaux en faisant montre de disponibilité et de bonne volonté, ne le pensent pas.

Nous regrettons que la partie consacrée à l'intervention de la police et celles relatives à la justice ne soient pas traitées de la même façon ; c'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne voterons pas en faveur du rapport.

La partie consacrée à l'intervention de la police contient des éléments intéressants. Certaines phrases, remarques, ou même adjectifs, ne sont pas employés par hasard mais je regrette que bien des passages ne soient pas suffisamment mis en lumière et que l'ensemble manque singulièrement de relief. Ainsi, le C de la première partie est intitulé « Un respect strict de la doctrine d'intervention ayant conduit à un échec de l'opération ». Le mot « échec » n'est pas anodin mais le constat semble s'évaporer dans le développement, dont le ton est nettement atténué. Vous écrivez en conclusion, madame la rapporteure, que vous avez été « surprise par l'absence d'investigation interne de la part de la police nationale » sur cette intervention, alors que c'est bien d'un dysfonctionnement majeur qu'il conviendrait de parler. Cette euphémisation des propos, qui semble procéder d'une stratégie peu claire, se trouve en décalage avec le ressenti des députés Les Républicains et engendre, il faut le dire, une frustration certaine.

De la même manière, dans la partie consacrée à la conduite de l'instruction et intitulée « Une surprenante absence d'exploitation du téléphone », vous détaillez les raisons pour lesquelles les téléphones trouvés au domicile de M. Kobili Traoré n'ont pas été saisis et vous concluez que « cette attitude a pu laisser penser à un manque d'investissement des enquêteurs dans la recherche de preuves ». Dont acte. Je partage votre surprise et j'estime que vous auriez dû qualifier cela de dysfonctionnement.

Si l'on ajoute à cela les difficultés de communication et de partage d'information entre les équipes contactées au 17 et au 18, on dresse un tableau qui permet à toute personne honnête de considérer, sans vouloir accabler ou incriminer les forces de l'ordre – dont je respecte infiniment le travail –, que de réels dysfonctionnements se sont produits. Nous aurions souhaité qu'ils soient franchement mis en avant.

Concernant la partie judiciaire et la conduite de l'instruction, le rapport évoque le choix des deux juges de ne pas procéder à une reconstitution, choix que vous qualifiez de contestable ; il l'est au plus haut degré et cela devrait être beaucoup plus mis en lumière. Un rapport de commission d'enquête peut contenir des messages visibles et assumés.

En revanche, vous ne parlez pas du tout du fait que les deux juges ne se sont pas déplacées sur les lieux. Or si l'on comprend – vous le détaillez dans le rapport et la juge Ihuellou nous l'avait dit – que la reconstitution soit une procédure longue, complexe et coûteuse, surtout quand le meurtrier est placé en unité spécialisée, un tel déplacement, en revanche, est beaucoup plus léger. Nous aurions dû écrire clairement que nous ne comprenons pas, et que nous considérons comme un dysfonctionnement, que les deux juges en cosaisine n'aient même pas eu l'idée d'envisager cette démarche.

Selon le procureur Molins – je le lui ai fait répéter à deux reprises quand nous l'avons interrogé –, dès lors qu'il y a cosaisine, c'est que l'affaire est « complexe et sensible », d'après ses propres termes. Comme il me l'avait dit, « nul besoin d'avoir fait de longues études » pour comprendre ce caractère immédiatement complexe et sensible. Voilà pourquoi, je le répète, le rapport devrait souligner de manière très claire et assumée que le fait que les deux juges n'aient même pas envisagé le déplacement est un réel et grave dysfonctionnement, un manquement.

Le rapport contient par ailleurs des développements juridiques très intéressants sur l'irresponsabilité pénale et ses implications, notamment en matière de préméditation, et sur la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, ainsi que sur la distinction, subtile pour les non-juristes mais tout à fait intéressante, entre l'imputabilité et la culpabilité. Mais ces passages masquent peut-être l'incapacité du rapport à mettre en avant de manière évidente et assumée le constat de dysfonctionnements graves, de manquements et de failles.

Le groupe Les Républicains formulera des propositions précises sur plusieurs sujets, y compris sur la reconstitution ou la possibilité pour les parties d'être entendues par un juge dans ce genre d'affaire, pour muscler la liste actuelle des préconisations.

Vu la présentation et la rédaction du rapport, vu la formulation et l'ordre même de ses douze propositions, nous ne nous y reconnaissons pas et nous ne pouvons donc pas le voter.

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