Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de me présenter devant vous aujourd'hui.
Quelques mots, tout d'abord, de mon parcours professionnel varié ou un peu atypique. J'ai toujours exercé des fonctions de magistrat, du siège et du parquet. J'ai été en poste au sein de l'administration centrale et dans des juridictions. J'ai exercé mes fonctions en province et à Paris, ou en région parisienne, au sein de juridictions de taille modeste ou importante.
J'ai également connu deux expériences professionnelles un peu particulières : la première assez longuement au sein de l'inspection générale des services judiciaires, aujourd'hui dénommée inspection générale de la justice ; la seconde pendant plusieurs années en cabinet ministériel. J'y ai notamment servi trois gardes des Sceaux successifs, ce qui n'est pas si fréquent dans l'histoire du fonctionnement de nos institutions.
L'intérêt que vous portez à la question de l'indépendance du pouvoir judiciaire est consubstantiel de l'approche que l'on peut avoir de l'institution judiciaire depuis 1958. Comme vous le savez, les institutions de la Ve République ont en effet attribué à l'autorité judiciaire une place – une reconnaissance – particulière. Mais je suis toujours étonné que l'on se focalise toujours sur le juge judiciaire, sans intégrer la justice administrative dans les enjeux des rapports entre le justiciable, c'est-à-dire nos concitoyens, et la justice. Or pour un grand nombre d'administrés, les rapports avec l'État, les collectivités locales, les préfets ou les autorités administratives passent par la justice administrative.
Je trouve donc, même si c'est parfaitement légitime, que l'on accorde toujours beaucoup d'attention à l'autorité judiciaire, sans s'interroger sur le fonctionnement de la justice administrative au regard de principes directeurs, notamment la notion d'indépendance.
Cela étant, dans l'exercice de mes fonctions, notamment au sein de l'inspection générale, mais également en tant que chef de cour, comme procureur général près la cour d'appel de Bourges pendant trois ans et demi, j'ai été très attaché à l'appréciation du fonctionnement de services de la justice qui participent, eux aussi, à l'autorité judiciaire, à savoir les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes qui sont composés non pas de magistrats professionnels, mais de juges élus. Dans le périmètre de la notion d'indépendance de l'autorité judiciaire, quel regard portons-nous sur l'indépendance des juges qui composent les tribunaux de commerce ou les conseils de prud'hommes eu égard aux impératifs que l'on assigne légitimement aux magistrats de l'ordre judiciaire ?
Pour s'assurer du bon fonctionnement de l'institution judiciaire, il importe de prendre en considération deux notions : celle, bien évidemment, d'indépendance, qui relève du statut, lui-même découlant de la Constitution et de la loi organique, mais également celle d'impartialité, qui relève davantage de la déontologie et de l'éthique du juge. Ces deux notions ont évolué et progressé depuis le début de la Ve République et depuis que le recrutement et la formation des magistrats sont assurés par l'École nationale de la magistrature. Elles font désormais partie du corpus des magistrats et sont bien maîtrisées, même si elles font toujours l'objet, compte tenu de leur importance, d'interrogations de la part tant des observateurs que de la communauté des juges eux-mêmes.
Eu égard aux fonctions de président du tribunal judiciaire de Paris que j'exerce actuellement, j'insisterai davantage sur le regard que les magistrats du siège peuvent porter sur ces notions. Certaines déclinaisons ou appréciations de ces dernières peuvent varier en effet selon qu'on est au siège ou au parquet.
S'agissant des conditions de nomination des magistrats du siège, vos premières interrogations concernent le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Son évolution, notamment dans sa composition et dans son rôle, a atteint un point d'équilibre. Une des évolutions les plus importantes que nous ayons connues ces dernières années a trait à sa composition : les magistrats professionnels n'y sont plus majoritaires. Les personnalités extérieures, ou les « laïcs » dans le jargon des juristes et des magistrats, sont désormais majoritaires au sein du Conseil.
Cette évolution ne fait plus l'objet de critiques virulentes : une sorte de maturité a été atteinte, grâce notamment à l'ouverture de la magistrature, élément important pour assurer le lien avec nos concitoyens. Cette nouvelle composition du CSM constitue donc une avancée importante.
On peut, en revanche, relever que les attributions du CSM lui permettent de continuer à prêter une attention particulière aux conditions de nomination des magistrats du siège et du parquet. Vous m'interrogerez certainement sur ce que je peux penser de l'évolution du statut du parquet. Je réponds par avance et franchement : il est important que tous les travaux parlementaires en cours dans le cadre de la navette du projet de loi constitutionnelle aboutissent enfin à faire évoluer le statut du parquet. La nomination des magistrats du parquet après l'avis conforme du CSM ? Il appartient à la représentation nationale de le décider et à l'exécutif de convoquer le Congrès afin de faire adopter cette réforme qui est attendue par la communauté des magistrats.
Si je m'en réfère à mon expérience, une évolution des fonctions du CSM est également envisageable s'agissant de l'intégration dans la magistrature. Comme vous le savez, la tradition républicaine veut que l'on entre dans la magistrature par concours. Mais depuis de nombreuses années, l'institution judiciaire s'étant ouverte, il est désormais possible de l'intégrer en présentant un dossier de candidature, et après avoir été entendu par des chefs de juridiction ou de cour ainsi que par les membres de la commission d'avancement qui est composée exclusivement de magistrats professionnels.
Le CSM pourrait se voir reconnaître la décision d'intégrer des magistrats. De même, il pourrait revenir au CSM d'assurer la promotion des magistrats au travers notamment de l'inscription sur la liste d'aptitude. Le CSM validerait en quelque sorte les premières années de carrière professionnelle dans le second grade et permettrait l'accès au grade supérieur.
De même, les contestations des décisions de la commission d'avancement, qui dispose d'une compétence d'évaluation des magistrats, pourraient être portées devant le Conseil supérieur de la magistrature. Cela permettrait d'étendre ses missions en termes de gestion des ressources humaines. L'un des enjeux de l'évolution du CSM tourne en effet autour de la gestion du corps.
L'étude du fonctionnement et de la composition du CSM impose également de se pencher sur son mode de renouvellement, en intégralité, tous les quatre ans. Ceci peut nuire à l'efficacité comme à l'engagement d'une équipe qui, pendant la durée du mandat, s'est investie, a procédé à de très nombreuses auditions, a visité des juridictions, s'est intéressée au fonctionnement de l'institution judiciaire et a pu apprécier les enjeux liés à la formation. Il est peut-être dommage qu'au terme de quatre ans, cette connaissance se perde, seul le secrétariat général du CSM étant à même d'assurer la continuité entre les équipes. C'est une bonne chose, mais il ne dispose pas de la même légitimité que les membres du CSM.
Pour autant, ces derniers ne siègent pas à plein temps. Ils ont, par ailleurs, une occupation professionnelle, soit en tant que magistrats, soit en tant qu'universitaires, ou fonctionnaires issus d'autres administrations. Pour la formation du parquet, ils siègent un jour par semaine, et deux jours pour la formation du siège.
Il est certain qu'une extension des compétences du CSM nécessiterait de la part de ses membres une disponibilité beaucoup plus grande : ce serait une autre approche de leur mandat.
Depuis un certain nombre d'années, des débats portent sur le fait de reconnaître ou non la vocation du CSM à devenir un conseil de justice, c'est-à-dire une autorité exerçant davantage de missions dans la gestion de la justice voire une fonction d'inspection des cours et des tribunaux et d'appréciation des procédures administratives. Le sujet est difficile car, au-delà de l'aspect ayant trait aux ressources humaines, il y a aussi des enjeux budgétaires.
J'avoue être un peu plus réservé sur cette évolution : elle imposerait en effet de repenser complètement le périmètre d'intervention du Conseil en termes de durée de mandat et de disponibilité pour l'exercer. En outre, l'architecture administrative du ministère de la justice est devenue extrêmement complexe. On pourrait cependant concevoir que le Conseil supérieur de la magistrature dispose d'un « droit de tirage » sur les missions confiées à l'inspection générale de la justice qui dépend actuellement du garde des Sceaux. Dans cette hypothèse, l'inspection ne rendrait compte qu'au conseil.
Le CSM exerce aussi une compétence en matière disciplinaire : dans ce domaine également, les choses ont culturellement évolué. Cette compétence a constitué une révolution culturelle désormais parfaitement intégrée : les chefs de cour pourront vous présenter, en termes de sanctions ou de suites disciplinaires, certains éléments quantitatifs et qualitatifs.
Vous auditionnerez sûrement la première présidente de la Cour de cassation et le procureur général, qui vous présenteront l'organisation mise en place pour traiter les requêtes des particuliers, ce qu'elles représentent en nombre et en contenu. Ils vous indiqueront également qu'il est important que le CSM engage régulièrement un dialogue nourri notamment avec la direction des services judiciaires ainsi qu'avec le ministère en général : c'est globalement le cas puisque le directeur des services judiciaires est son interlocuteur privilégié s'agissant des nominations de magistrats.
Je vous ai franchement indiqué ma position concernant les conditions de nomination des procureurs. S'agissant des missions du CSM, on peut envisager certaines évolutions qui sont cependant conditionnées à une redéfinition de la durée du mandat et des missions de ses membres, afin qu'elles s'exercent avec davantage de continuité dans le temps.
Vous m'avez également interrogé sur le point de savoir si les allers-retours entre le siège et le parquet étaient susceptibles de nuire à l'indépendance de la justice : très franchement, je pense que non. Bien au contraire.
Une autre de vos questions porte sur le fort corporatisme qui marquerait aujourd'hui l'institution judiciaire et qui alimente certaines critiques. On pourrait y répondre par une boutade : qui n'est pas corporatiste dans notre pays ? Au-delà du corporatisme, il faut éviter l'isolement ou le repli du juge, notamment du juge du siège. Il est donc important qu'au cours de sa carrière professionnelle un magistrat, quelle que soit son affectation, puisse bénéficier d'une ouverture. Je n'ai jamais entendu des magistrats du siège passés par le parquet regretter ce type d'expérience – et inversement. De tels allers-retours entre le siège et le parquet représentent forcément un enrichissement professionnel. Je ne crois pas qu'ils puissent être perçus comme une atteinte à l'indépendance.
Lorsque vous siégez au parquet, les missions de l'action publique sont certes particulières mais elles correspondent à des enjeux fondamentaux du fonctionnement de la justice. De même, l'acte de juger n'a rien à voir avec l'acte de poursuivre : ils nécessitent cependant tous deux de s'approprier les enjeux de l'ensemble du procès judiciaire.
Une des évolutions importantes, désormais très marquées, que j'ai mentionnée précédemment, a trait à l'ouverture du corps des magistrats. Il y a plus de vingt ans, seuls des étudiants sortant des facultés de droit ou des instituts d'études politiques devenaient magistrats et faisaient toute leur carrière au sein de la magistrature. Désormais, un nombre non négligeable de personnes dites extérieures, c'est-à-dire ayant eu une carrière professionnelle dans un autre secteur, soit au sein des professions judiciaires – comme la protection judiciaire de la jeunesse ou l'administration pénitentiaire – ou juridiques, soit parfois dans le secteur privé, intègre la magistrature.
Ayant été chef de cour et étant actuellement encore chef de juridiction, je mesure la richesse et le caractère précieux de leur apport : il oxygène en quelque sorte la maison justice au sens le plus large. Cette ouverture est donc une bonne chose.
L'unité de la magistrature entre le siège et le parquet, qui fait notre spécificité, constitue un très fort élément de notre identité institutionnelle – le corps des magistrats y est d'ailleurs très attaché. Je réponds catégoriquement que ces allers-retours entre le siège et le parquet ne portent pas atteinte à l'indépendance de la magistrature : il faut simplement veiller – et les conditions statutaires sont bien déterminées – que l'on ne passe pas de l'un à l'autre dans la même juridiction, voire dans la même cour, et qu'il n'y ait pas d'ambiguïté en termes d'apparence vis-à-vis du justiciable.
Il reste, mais cet aspect relève de la déontologie – le recueil des obligations déontologiques le rappelle et les chefs de cour et de juridiction doivent y veiller –, qu'il ne faut pas que le justiciable puisse avoir le sentiment qu'il existe une trop grande proximité ou une connivence entre le siège et le parquet. Il est vrai qu'ils travaillent tous deux au sein des juridictions, et que parfois, dans celles de taille modeste, ils partagent les mêmes couloirs. Cependant, à l'audience, on veille à ce que les magistrats ne fassent pas leur entrée ensemble et à ce qu'ils n'échangent pas au cours des suspensions. De même, avant une affaire, on évite de déjeuner ensemble pour ne pas donner le sentiment qu'il peut exister une proximité entre des acteurs judiciaires qui, au moment du procès, ne représentent pas les mêmes intérêts dans l'issue du litige. Cela me paraît très important.
Sur la question de la mobilité géographique, beaucoup d'éléments sont à souligner. Premièrement, le corps de magistrats est marqué par une très grande mobilité : chaque année plusieurs centaines de magistrats changent d'affectation.
Cette mobilité s'explique tout d'abord parce qu'à la sortie de l'école, les jeunes magistrats commencent principalement leur carrière soit dans le Nord, soit dans l'Est, soit dans le centre de la France, régions, où du fait de difficultés particulières, il est plus difficile de pourvoir certains postes, alors que les magistrats sont plutôt issus des grands pôles urbains et des grandes métropoles régionales. Il existe donc une mobilité liée à l'âge ainsi qu'à la géographie.
Le second élément tient à l'existence d'une magistrature régionale : les carrières se déroulent essentiellement au sein des grandes cours d'appel. Il est rare, en effet, qu'au cours de sa carrière, un magistrat soit affecté successivement à Boulogne-sur-Mer, Toulon et à Clermont-Ferrand puis qu'il revienne à Avesnes-sur-Helpe pour terminer à Toulouse ou à Bordeaux.
Ainsi les magistrats originaires du Sud-Ouest regagnent-ils très vite leur région d'origine pour y rester. En termes de proximité géographique, ce phénomène peut parfois, au travers de pressions ou d'une trop grande connaissance de l'environnement, soulever une difficulté. Il est donc nécessaire à mon sens de bien veiller à ce qu'au-delà de l'inamovibilité du magistrat du siège, principe fondamental pour garantir son indépendance, il n'existe pas de trop grande proximité géographique entre les juges et leur environnement que certains d'entre eux peuvent connaître depuis trop longtemps.
Je vous livre deux anecdotes. J'ai été pendant un peu plus de deux ans président du tribunal de grande instance de Belley, petite juridiction dans le sud du département de l'Ain. Mes collègues de l'époque et moi-même, en l'absence de restaurant administratif, déjeunions dans le petit restaurant ou le café du coin. Or à l'époque, ce tribunal exerçait une compétence commerciale : il devait de ce fait juger toutes les difficultés rencontrées par les commerçants. Nous avons vite compris que nous allions sans doute parfois déjeuner chez des restaurateurs qui se trouvaient en redressement judiciaire. Devions-nous déontologiquement continuer à le faire ? Pouvions-nous accepter qu'on nous offre un café ? Même s'il n'était question ni de pression ni d'atteinte à notre indépendance, il était nécessaire de prendre du recul.
Cela signifie que, lorsque vous évoluez dans un environnement que vous connaissez trop, la distance, qui est absolument essentielle dans l'exercice des fonctions de magistrat, n'est pas toujours facile à conserver dans la durée.
Seconde anecdote, lorsque j'étais procureur général près la cour d'appel de Bourges, j'ai mesuré la réalité de l'existence d'une magistrature régionale. Les magistrats qui y étaient en poste avaient effectué leur carrière entre Bourges, Châteauroux, Nevers et parfois, mais très peu, Orléans et Clermont-Ferrand. Cette situation faisait que les membres de la communauté professionnelle rassemblant magistrats, avocats, notaires, huissiers et milieux économiques se connaissaient nécessairement. Je m'interrogeais régulièrement pour savoir si nous étions suffisamment attentifs aux conséquences déontologiques que cela pouvait engendrer.
La mobilité géographique doit donc être également perçue comme une garantie de l'indépendance du juge. Il n'existe cependant pas, dans le statut de la magistrature, d'obligation de mobilité géographique.
Actuellement, certaines fonctions spécialisées, comme les juges d'instruction ou les juges des enfants, doivent respecter une obligation statutaire et ne pas être exercées plus de dix ans. Pour les chefs de cour et de juridiction, la limite a été fixée à sept ans. Ces obligations ont fait suite aux conclusions de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau, mais la mobilité géographique n'a fait l'objet d'aucune réflexion particulière. Certes, elle peut constituer un handicap car une trop grande mobilité désorganise les juridictions. Mais une trop grande stabilité dans un même lieu peut faire naître des interrogations quant à l'indépendance du juge. Même si je n'ai pas d'idée arrêtée sur le sujet, à la lumière de ce que j'ai pu connaître, je m'interroge, sous l'angle de l'impartialité.
L'appartenance syndicale d'un magistrat peut-elle nuire à son indépendance ? La question du syndicalisme dans la magistrature est difficile, et elle est régulièrement posée. Se syndiquer, adhérer à une organisation professionnelle représentative est désormais un droit acquis pour les magistrats, reconnu par les dispositions statutaires et figurant dans les recommandations du Conseil de l'Europe.
Je n'ai pas le sentiment que le fait pour un magistrat d'appartenir à une organisation syndicale nuise à son indépendance. La nécessité de conserver une certaine distance par rapport à toute forme d'engagement ou d'adhésion est un principe déontologique qui vaut aussi pour l'appartenance syndicale. Cet impératif doit être rappelé.
Recevoir une décoration est-il, pour un magistrat, compatible avec l'exigence d'indépendance ? Je porte aujourd'hui la mienne, honoré de la distinction que la République a bien voulu me reconnaître. L'institution judiciaire mérite d'être distinguée au même titre que les autres grandes institutions de la République, et l'engagement de celles et ceux qui s'investissent dans le fonctionnement de la justice mérite d'être reconnu.
Ce n'est pas parce qu'on est distingué par une décoration que l'on est davantage susceptible d'allégeance vis-à-vis de celui qui vous l'a obtenue ou qui vous la remet. À nouveau, cela relève de l'éthique du juge, et jamais je n'ai constaté autour de moi que la remise d'une décoration ait pu porter le discrédit sur l'indépendance d'un juge. En préparant cette audition, je me suis d'ailleurs demandé si on se posait la même question pour les universitaires. Je ne pense pas qu'un universitaire décoré perd sa liberté intellectuelle dans la façon d'appréhender un débat. La maturité républicaine de notre société est telle que ceux qui sont distingués par la République savent faire la part des choses entre une distinction officielle et l'engagement professionnel au quotidien.
En revanche, j'ai été confronté indirectement à des comportements susceptibles de porter atteinte à l'indépendance de la justice à l'occasion des contrôles effectués lorsque j'étais à l'inspection générale sur le fonctionnement des tribunaux de commerce ou des conseils de prud'hommes. Ces instances présentent deux difficultés d'ordre déontologique : la proximité géographique et l'élection. Compte tenu de ce mode de désignation et de renouvellement de mandat, les conditions de nomination et d'exercice des fonctions y sont différentes des juridictions de droit commun.
Dans certains conseils de prud'hommes, on assiste à un rapport de force extrêmement tendu entre le collège salarié et le collège employeur, et la distance requise par rapport au milieu professionnel qui les a élus n'est pas toujours respectée par les juges, ce qui pénalise le fonctionnement de l'institution judiciaire.
Assez récemment, lors de la prestation de serment des nouveaux conseillers prud'homaux devant le tribunal de grande instance de Créteil, j'ai fait un discours assez musclé de mise en garde : tout en reconnaissant la valeur de leur engagement syndical, de leurs années de militantisme, je leur ai rappelé qu'ils avaient désormais pour fonction de juger, et que l'exigence déontologique propre à cette fonction requérait un effort intellectuel particulier pour se détacher de ce patrimoine et changer d'habit afin de se mettre au service de la cause de la justice.