Le passage en administration centrale est précieux pour la culture du magistrat, en ce qu'il lui permet incontestablement de s'ouvrir sur la société, et d'apprécier comment l'institution judiciaire s'y insère. C'est aussi le moyen de voir quelle est la place du ministère de la justice dans le fonctionnement de l'État, au travers des enjeux interministériels, et de prendre la mesure des enjeux budgétaires propres à l'institution judiciaire.
Lorsqu'un magistrat est en administration centrale, il n'est plus juge : il ne participe plus à l'activité juridictionnelle. Je ne pense pas qu'à son retour en juridiction son indépendance soit entamée. Jamais je n'ai constaté, de la part des collègues que j'ai pu accueillir en juridiction de retour d'un passage en administration centrale, une quelconque dégradation de la qualité d'appréciation, de l'impartialité ou de l'indépendance. J'ai même trouvé chez ces magistrats une certaine gourmandise professionnelle à retrouver le cœur de métier après dix années dans l'administration centrale finalement perçues comme une parenthèse.
Ces expériences n'en restent pas moins précieuses. Voici un exemple très concret : une magistrate, passée par la direction des affaires criminelles et des grâces, était une spécialiste de la coopération internationale. Elle avait mené des négociations avec Bruxelles et des échanges bilatéraux avec certains États. Nommée juge d'instruction dans le Val-de-Marne, à Créteil, elle a été d'une aide précieuse pour moi-même et mes collègues juges d'instruction pour rédiger une commission rogatoire internationale, la diffuser et en assurer l'exécution. Elle disposait de relais institutionnels pour faciliter le dialogue avec l'administration centrale, ce qui ne constituait nullement une atteinte à son indépendance, et qui d'ailleurs n'était perçu comme telle ni par elle-même, ni par ses collègues.
J'aurais de multiples exemples à vous donner. Le dernier en date est celui d'une magistrate que nous avons accueillie au tribunal de Paris, qui était à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et qui s'était beaucoup investie dans la réforme de l'ordonnance de 1945. J'ai considéré qu'elle était pour le service une personne ressource dans l'appréhension de l'ensemble du travail préparatoire réalisé par le ministère, certainement en lien avec la commission des Lois de votre assemblée, et dans la compréhension des enjeux de la refonte de ce texte réglementaire. Il ne me semble pas que ce soit là une atteinte à son indépendance.
Vous m'avez interrogé sur la possibilité d'obtenir un avancement plus rapide en passant par l'administration centrale de la justice. Un élément objectif pourrait aller dans ce sens : il est acquis que l'on est plus vite inscrit au tableau d'avancement, ce qui permet de passer plus rapidement au premier grade.
Je le répète : le passage en administration centrale constitue pour le magistrat un enrichissement personnel pour l'exercice de ses fonctions futures. Il permet de concevoir l'institution judiciaire non plus exclusivement dans le périmètre classique et très noble du prétoire ou du jugement d'une affaire, qui est le cœur du métier, mais dans son environnement, dans son travail avec les divers partenaires que sont les professions judiciaires et juridiques, les autorités préfectorales, les élus, les acteurs de la protection de l'enfance, et d'acquérir ainsi une culture administrative.