Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré d'avoir été convoqué par votre commission d'enquête sur un sujet qui m'est cher et qui est important pour tout magistrat de l'ordre judiciaire.
Je suppose que ce sont mes fonctions actuelles d'inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, qui vous intéressent en priorité, mais je suis prêt à vous répondre sur l'ensemble des fonctions que j'ai exercées.
L'inspection générale de la justice est une institution très jeune – à peine trois ans – qui a été créée par un décret de décembre 2016.
Il y a toujours eu, au ministère de la justice comme dans l'ensemble des ministères – finances, affaires sociales, intérieur – des inspections générales remplissant une mission d'inspection.
Jusqu'en 2016, le ministère de la justice comptait trois inspections distinctes : une inspection générale des services judiciaires, compétente pour l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire ; une inspection des services pénitentiaires, dédiée essentiellement aux établissements pénitentiaires et aux services pénitentiaires d'insertion et de probation – j'y ai exercé les fonctions d'adjoint au directeur de l'administration pénitentiaire – ; et une inspection de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dédiée au réseau de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.
En 2016, le Gouvernement a souhaité fusionner ces trois inspections. Un débat opposait depuis une vingtaine d'années les tenants de la position fractionniste à ceux de la position unioniste au sein du ministère de la justice. Les unionistes l'ont emporté et le Premier ministre de l'époque a signé un décret supprimant les trois inspections et en créant une nouvelle : l'inspection générale de la justice.
C'est une inspection placée auprès du garde des sceaux et compétente sur l'ensemble des services du ministère de la justice. Ce ministère regroupe des missions très diverses – administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, services judiciaires – mais il a une unité forte.
À cet égard, les débats de l'Assemblée nationale qui ont eu lieu en 1911, lors du rattachement par la loi de l'administration pénitentiaire au ministère de la justice, sont toujours d'actualité. Le rapporteur du texte à l'époque indiquait à l'Assemblée pourquoi il était indispensable que l'administration pénitentiaire, jusqu'alors rattachée au ministère de l'intérieur, soit rattachée au ministère de la justice. Je rappelle que l'administration pénitentiaire a été rattachée au ministère de l'intérieur au XXe siècle à une seule occasion, entre 1940 et 1944. Le rapporteur de 1911 expliquait que l'unité du ministère de la justice tenait à l'exercice du mandat judiciaire, et qu'afin d'exercer pleinement ses fonctions, son périmètre devait comprendre non seulement la production de la norme juridictionnelle, mais également son exécution, ce qui explique le rattachement de l'administration pénitentiaire au ministère de la justice. C'est une spécificité française forte que l'on ne retrouve dans quasiment aucun autre État européen.
L'inspection générale est la traduction de cette unité : il n'y a pas de hiatus entre la manière de concevoir l'exercice judiciaire et son exécution. Il faut qu'un ensemble exécutif unique exerce un contrôle administratif global sur l'ensemble des trois secteurs, et détermine une politique juridictionnelle.
La création de l'inspection générale de la justice a également changé les choses en matière de fonctionnement de l'inspection, de recrutement et de missions.
S'agissant des missions, les textes fondant les trois inspections préalables, très spécifiques, détaillaient des points de contrôle et des secteurs de contrôle pour chacune d'entre elles. À l'inverse, le décret de 2016 est très clair : il prévoit que l'inspection générale de la justice est compétente sur l'ensemble des services du ministère de la justice, sur l'ensemble des juridictions et pour l'appréciation du comportement professionnel de l'ensemble des magistrats et agents publics qui travaillent au ministère de la justice. Il précise aussi – on l'oublie souvent – que l'inspection générale est également compétente pour contrôler l'ensemble des personnes privées ou publiques travaillant pour le compte ou avec le ministère de la justice, dès lors qu'elles sont financées directement ou indirectement par le ministère. Ce champ de compétence nouveau porte sur les associations – associations d'aide aux victimes, de réinsertion – mais aussi sur le secteur de l'assistance éducative, qui est partagé entre les départements et l'institution judiciaire. Le périmètre de contrôle correspond donc aux attributions du garde des sceaux, ministre de la justice.
Le fonctionnement de l'inspection a été modifié à deux titres.
Premièrement, les membres de l'inspection – inspecteurs et inspecteurs généraux – sont recrutés au sein du corps judiciaire, parmi les magistrats de l'ordre judiciaire, mais aussi au sein des administrations du ministère : directeurs territoriaux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; chefs d'établissements pénitentiaires ; responsables de service pénitentiaire d'inspection et de probation (SPIP). Et la réforme a créé un statut d'emploi spécifique à l'inspection qui permet d'y recruter, par voie de détachement, tout agent public, même s'il vient d'un autre ministère.
Par exemple, l'inspection comprend actuellement des administrateurs civils issus des collectivités locales – ancien directeur général des services, ancien secrétaire général de commune –, des administrateurs civils du corps interministériel, des universitaires et des professionnels de tous les corps et de tous les ministères. Bénéficier, au sein d'une même inspection, des regards croisés extérieurs offrant une pluralité d'approches pour exercer des missions de contrôle ou d'évaluation constitue une révolution. Il y a cependant un important bémol, puisque le décret de 2016 prévoit que le contrôle des juridictions de l'ordre judiciaire est effectué par des magistrats, et que les enquêtes administratives qui peuvent concerner des magistrats sont exercées uniquement par d'autres magistrats. À l'exception de ce bémol statutaire, il n'y a pas de différence particulière.
Deuxièmement, le décret de 2016 précise la manière dont l'inspection générale doit fonctionner et son positionnement par rapport au garde des sceaux et aux pouvoirs publics. Il indique très clairement qu'elle est rattachée exclusivement au garde des sceaux – c'est un principe fondamental qui lui permet d'être indépendante – et qu'elle ne peut pas s'autosaisir, même si une jurisprudence du Conseil d'État laisse entendre le contraire.
L'inspection est totalement maîtresse de sa méthodologie : le garde des sceaux n'intervient pas sur ce point et elle est indépendante dans ses écrits et sa production. Cette indépendance est garantie par plusieurs dispositions, dont celle prévoyant que l'inspection choisit seule les membres affectés à une mission. L'inspection est saisie par une lettre de mission du garde des sceaux, elle décide ensuite librement qui réalisera la mission et selon quelles modalités. Quant aux écrits, nous les rendons nous-mêmes, et le garde des sceaux n'a aucune prise dessus.
Ces dispositions qui figurent dans le décret de 2016 ont été soumises au contrôle du Conseil d'État, un recours ayant été formé par certaines organisations syndicales contre le décret. Dans une décision du 23 mars 2018, le Conseil d'État a exclu la Cour de cassation du champ de l'inspection, et dans les considérants douze et treize de sa décision, a validé le principe de l'indépendance de l'inspection sur la méthodologie et sur les écritures.
La question fondamentale posée au Conseil d'État revenait à déterminer si une inspection générale rattachée au garde des sceaux pouvait contrôler les juridictions de l'ordre judiciaire, qui sont par essence et par nature indépendantes. Le Conseil d'État a répondu par l'affirmative, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'inspection est maîtresse de sa méthodologie et de son écriture. Deuxièmement, les inspecteurs qui sont désignés pour une mission signent personnellement le rapport. Troisièmement, les contrôles de fonctionnement effectués sur les juridictions de l'ordre judiciaire sont réalisés par des magistrats. Quatrièmement, les magistrats au sein de l'inspection bénéficient de la protection statutaire des magistrats de l'ordre judiciaire.
Sur ce dernier point, je tiens à souligner le rôle du Parlement. L'article 1er de la loi organique du 11 août 2016 définit désormais comme magistrat de l'ordre judiciaire : un magistrat en juridiction, du siège et du parquet ; un magistrat en administration centrale, qui aura un statut particulier ; et un magistrat à l'inspection générale de la justice. Les magistrats de l'inspection bénéficient des garanties statutaires reconnues aux magistrats en juridiction, non de celles des magistrats en administration centrale.
Autrement dit, le magistrat affecté à l'inspection générale de la justice est nommé comme l'ensemble des magistrats de juridiction, avec les mêmes garanties statutaires, sur avis favorable du Conseil supérieur de la magistrature, et il bénéficie de l'inamovibilité au même titre que les magistrats de juridiction. C'est une dérogation qui fait que les magistrats de l'inspection, ne pouvant être déchargés de leurs fonctions ou affectés dans un autre service que s'ils sont candidats au poste proposé, y compris en avancement. La règle de l'inamovibilité garantie par la Constitution s'applique aux magistrats de l'inspection comme aux magistrats de juridiction.
Cette distinction paraît un peu technique, mais elle donne aux membres de l'inspection un statut spécifique qui garantit leur indépendance. C'est pour ce faisceau de raisons que le Conseil d'État indique dans sa décision de mars 2018 que le garde des sceaux peut disposer d'une inspection générale compétente pour contrôler les juridictions de l'ordre judiciaire, dès lors que les magistrats qui la composent sont les seuls à pouvoir le faire et qu'eux-mêmes sont nommés selon les garanties statutaires que je viens d'évoquer.
Enfin, il me paraît fondamental de rappeler la nature des missions de l'inspection et la manière dont nous fonctionnons.
Au-delà des textes, un appareil déontologique interne prévoit un référent déontologue et une charte de déontologie. Surtout, notre méthodologie de travail est publique : elle peut être consultée sur le site de l'inspection. Cette méthodologie garantit des règles de transparence et d'indépendance ainsi que l'indépendance des membres qui effectuent les contrôles.
Depuis un an que je suis à la tête de ce service qui, je le rappelle, couvre l'ensemble du ministère, je peux dire que je n'ai eu aucune difficulté de quelque nature que ce soit, et que nos contrôles sont effectués dans des conditions très processuelles – la procédure est faite pour garantir la manière dont les choses sont faites. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur la procédure suivie par l'inspection lorsque nous sommes dans un des secteurs sensibles, à savoir l'examen administratif de la situation particulière d'un magistrat à un moment donné.
L'arrêt du Conseil d'État que j'ai évoqué est considéré dans l'institution judiciaire comme une garantie très importante de la manière dont nous devons fonctionner.