Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du jeudi 30 janvier 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • disciplinaire
  • indépendance
  • inspection
  • juridiction
  • magistrat
  • magistrature
  • pénitentiaire

La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.

La commission d'enquête entend M. Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice.

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Mes chers collègues, nous auditionnons M. Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice.

Cette audition est publique, ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Avant de commencer, je précise que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

(M. Jean-François Beynel prête serment.)

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré d'avoir été convoqué par votre commission d'enquête sur un sujet qui m'est cher et qui est important pour tout magistrat de l'ordre judiciaire.

Je suppose que ce sont mes fonctions actuelles d'inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, qui vous intéressent en priorité, mais je suis prêt à vous répondre sur l'ensemble des fonctions que j'ai exercées.

L'inspection générale de la justice est une institution très jeune – à peine trois ans – qui a été créée par un décret de décembre 2016.

Il y a toujours eu, au ministère de la justice comme dans l'ensemble des ministères – finances, affaires sociales, intérieur – des inspections générales remplissant une mission d'inspection.

Jusqu'en 2016, le ministère de la justice comptait trois inspections distinctes : une inspection générale des services judiciaires, compétente pour l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire ; une inspection des services pénitentiaires, dédiée essentiellement aux établissements pénitentiaires et aux services pénitentiaires d'insertion et de probation – j'y ai exercé les fonctions d'adjoint au directeur de l'administration pénitentiaire – ; et une inspection de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dédiée au réseau de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

En 2016, le Gouvernement a souhaité fusionner ces trois inspections. Un débat opposait depuis une vingtaine d'années les tenants de la position fractionniste à ceux de la position unioniste au sein du ministère de la justice. Les unionistes l'ont emporté et le Premier ministre de l'époque a signé un décret supprimant les trois inspections et en créant une nouvelle : l'inspection générale de la justice.

C'est une inspection placée auprès du garde des sceaux et compétente sur l'ensemble des services du ministère de la justice. Ce ministère regroupe des missions très diverses – administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, services judiciaires – mais il a une unité forte.

À cet égard, les débats de l'Assemblée nationale qui ont eu lieu en 1911, lors du rattachement par la loi de l'administration pénitentiaire au ministère de la justice, sont toujours d'actualité. Le rapporteur du texte à l'époque indiquait à l'Assemblée pourquoi il était indispensable que l'administration pénitentiaire, jusqu'alors rattachée au ministère de l'intérieur, soit rattachée au ministère de la justice. Je rappelle que l'administration pénitentiaire a été rattachée au ministère de l'intérieur au XXe siècle à une seule occasion, entre 1940 et 1944. Le rapporteur de 1911 expliquait que l'unité du ministère de la justice tenait à l'exercice du mandat judiciaire, et qu'afin d'exercer pleinement ses fonctions, son périmètre devait comprendre non seulement la production de la norme juridictionnelle, mais également son exécution, ce qui explique le rattachement de l'administration pénitentiaire au ministère de la justice. C'est une spécificité française forte que l'on ne retrouve dans quasiment aucun autre État européen.

L'inspection générale est la traduction de cette unité : il n'y a pas de hiatus entre la manière de concevoir l'exercice judiciaire et son exécution. Il faut qu'un ensemble exécutif unique exerce un contrôle administratif global sur l'ensemble des trois secteurs, et détermine une politique juridictionnelle.

La création de l'inspection générale de la justice a également changé les choses en matière de fonctionnement de l'inspection, de recrutement et de missions.

S'agissant des missions, les textes fondant les trois inspections préalables, très spécifiques, détaillaient des points de contrôle et des secteurs de contrôle pour chacune d'entre elles. À l'inverse, le décret de 2016 est très clair : il prévoit que l'inspection générale de la justice est compétente sur l'ensemble des services du ministère de la justice, sur l'ensemble des juridictions et pour l'appréciation du comportement professionnel de l'ensemble des magistrats et agents publics qui travaillent au ministère de la justice. Il précise aussi – on l'oublie souvent – que l'inspection générale est également compétente pour contrôler l'ensemble des personnes privées ou publiques travaillant pour le compte ou avec le ministère de la justice, dès lors qu'elles sont financées directement ou indirectement par le ministère. Ce champ de compétence nouveau porte sur les associations – associations d'aide aux victimes, de réinsertion – mais aussi sur le secteur de l'assistance éducative, qui est partagé entre les départements et l'institution judiciaire. Le périmètre de contrôle correspond donc aux attributions du garde des sceaux, ministre de la justice.

Le fonctionnement de l'inspection a été modifié à deux titres.

Premièrement, les membres de l'inspection – inspecteurs et inspecteurs généraux – sont recrutés au sein du corps judiciaire, parmi les magistrats de l'ordre judiciaire, mais aussi au sein des administrations du ministère : directeurs territoriaux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; chefs d'établissements pénitentiaires ; responsables de service pénitentiaire d'inspection et de probation (SPIP). Et la réforme a créé un statut d'emploi spécifique à l'inspection qui permet d'y recruter, par voie de détachement, tout agent public, même s'il vient d'un autre ministère.

Par exemple, l'inspection comprend actuellement des administrateurs civils issus des collectivités locales – ancien directeur général des services, ancien secrétaire général de commune –, des administrateurs civils du corps interministériel, des universitaires et des professionnels de tous les corps et de tous les ministères. Bénéficier, au sein d'une même inspection, des regards croisés extérieurs offrant une pluralité d'approches pour exercer des missions de contrôle ou d'évaluation constitue une révolution. Il y a cependant un important bémol, puisque le décret de 2016 prévoit que le contrôle des juridictions de l'ordre judiciaire est effectué par des magistrats, et que les enquêtes administratives qui peuvent concerner des magistrats sont exercées uniquement par d'autres magistrats. À l'exception de ce bémol statutaire, il n'y a pas de différence particulière.

Deuxièmement, le décret de 2016 précise la manière dont l'inspection générale doit fonctionner et son positionnement par rapport au garde des sceaux et aux pouvoirs publics. Il indique très clairement qu'elle est rattachée exclusivement au garde des sceaux – c'est un principe fondamental qui lui permet d'être indépendante – et qu'elle ne peut pas s'autosaisir, même si une jurisprudence du Conseil d'État laisse entendre le contraire.

L'inspection est totalement maîtresse de sa méthodologie : le garde des sceaux n'intervient pas sur ce point et elle est indépendante dans ses écrits et sa production. Cette indépendance est garantie par plusieurs dispositions, dont celle prévoyant que l'inspection choisit seule les membres affectés à une mission. L'inspection est saisie par une lettre de mission du garde des sceaux, elle décide ensuite librement qui réalisera la mission et selon quelles modalités. Quant aux écrits, nous les rendons nous-mêmes, et le garde des sceaux n'a aucune prise dessus.

Ces dispositions qui figurent dans le décret de 2016 ont été soumises au contrôle du Conseil d'État, un recours ayant été formé par certaines organisations syndicales contre le décret. Dans une décision du 23 mars 2018, le Conseil d'État a exclu la Cour de cassation du champ de l'inspection, et dans les considérants douze et treize de sa décision, a validé le principe de l'indépendance de l'inspection sur la méthodologie et sur les écritures.

La question fondamentale posée au Conseil d'État revenait à déterminer si une inspection générale rattachée au garde des sceaux pouvait contrôler les juridictions de l'ordre judiciaire, qui sont par essence et par nature indépendantes. Le Conseil d'État a répondu par l'affirmative, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'inspection est maîtresse de sa méthodologie et de son écriture. Deuxièmement, les inspecteurs qui sont désignés pour une mission signent personnellement le rapport. Troisièmement, les contrôles de fonctionnement effectués sur les juridictions de l'ordre judiciaire sont réalisés par des magistrats. Quatrièmement, les magistrats au sein de l'inspection bénéficient de la protection statutaire des magistrats de l'ordre judiciaire.

Sur ce dernier point, je tiens à souligner le rôle du Parlement. L'article 1er de la loi organique du 11 août 2016 définit désormais comme magistrat de l'ordre judiciaire : un magistrat en juridiction, du siège et du parquet ; un magistrat en administration centrale, qui aura un statut particulier ; et un magistrat à l'inspection générale de la justice. Les magistrats de l'inspection bénéficient des garanties statutaires reconnues aux magistrats en juridiction, non de celles des magistrats en administration centrale.

Autrement dit, le magistrat affecté à l'inspection générale de la justice est nommé comme l'ensemble des magistrats de juridiction, avec les mêmes garanties statutaires, sur avis favorable du Conseil supérieur de la magistrature, et il bénéficie de l'inamovibilité au même titre que les magistrats de juridiction. C'est une dérogation qui fait que les magistrats de l'inspection, ne pouvant être déchargés de leurs fonctions ou affectés dans un autre service que s'ils sont candidats au poste proposé, y compris en avancement. La règle de l'inamovibilité garantie par la Constitution s'applique aux magistrats de l'inspection comme aux magistrats de juridiction.

Cette distinction paraît un peu technique, mais elle donne aux membres de l'inspection un statut spécifique qui garantit leur indépendance. C'est pour ce faisceau de raisons que le Conseil d'État indique dans sa décision de mars 2018 que le garde des sceaux peut disposer d'une inspection générale compétente pour contrôler les juridictions de l'ordre judiciaire, dès lors que les magistrats qui la composent sont les seuls à pouvoir le faire et qu'eux-mêmes sont nommés selon les garanties statutaires que je viens d'évoquer.

Enfin, il me paraît fondamental de rappeler la nature des missions de l'inspection et la manière dont nous fonctionnons.

Au-delà des textes, un appareil déontologique interne prévoit un référent déontologue et une charte de déontologie. Surtout, notre méthodologie de travail est publique : elle peut être consultée sur le site de l'inspection. Cette méthodologie garantit des règles de transparence et d'indépendance ainsi que l'indépendance des membres qui effectuent les contrôles.

Depuis un an que je suis à la tête de ce service qui, je le rappelle, couvre l'ensemble du ministère, je peux dire que je n'ai eu aucune difficulté de quelque nature que ce soit, et que nos contrôles sont effectués dans des conditions très processuelles – la procédure est faite pour garantir la manière dont les choses sont faites. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur la procédure suivie par l'inspection lorsque nous sommes dans un des secteurs sensibles, à savoir l'examen administratif de la situation particulière d'un magistrat à un moment donné.

L'arrêt du Conseil d'État que j'ai évoqué est considéré dans l'institution judiciaire comme une garantie très importante de la manière dont nous devons fonctionner.

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Pourriez-vous nous donner des précisions sur l'organisation de l'inspection ? J'ai cru comprendre qu'elle avait un aspect interministériel.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Nous pouvons être saisis par le garde des sceaux, le Premier ministre, ou encore par plusieurs ministres dont le garde des sceaux, lorsque les sujets que nous devons aborder concernent plusieurs secteurs de l'activité politique, de l'activité publique ou des politiques publiques. Par exemple, Mmes Elisabeth Borne et Nicole Belloubet sont intervenues ce matin à l'occasion d'un colloque organisé par votre collègue Bérangère Abba à l'Assemblée nationale sur le thème : « Quelle justice pour répondre à l'urgence environnementale ? » Ce colloque fait suite à un travail confié à l'inspection générale de la justice et à notre homologue du ministère de la transition écologique par les deux ministres sur la justice et l'environnement. Alors que la transformation climatique est en route, il s'agit de savoir si l'appareil judiciaire dispose des outils et des moyens suffisants pour avoir une action efficace sur les questions climatiques. Nous avons répondu à ces questions dans un rapport qui a été remis aux ministres et rendu public aujourd'hui. C'est un exemple des travaux interministériels que nous réalisons.

Les missions que nous réalisons sont de différentes natures.

Nous effectuons les missions de contrôle assez classiques que l'on retrouve dans tous les corps d'inspection. Il s'agit de contrôler un secteur, un service, une maison d'arrêt, un centre pénitentiaire, un foyer de la PJJ, ou encore une juridiction.

Nous faisons aussi des inspections de fonctionnement, lorsque des difficultés particulières se posent dans un établissement ou un service. Par exemple, nous intervenons dans un établissement pénitentiaire si une évasion pose des questions concernant la sécurité ou la sûreté, si la prise en charge d'un détenu présente des difficultés, ou encore en cas de suicide d'un détenu. Nous sommes alors amenés à faire des constatations et un rapport.

Nous effectuons également des missions thématiques, internes au ministère ou interministérielles, sur l'évaluation d'une politique publique.

Nous réalisons aussi des missions d'enquête administrative. Ces enquêtes disciplinaires représentent de 5 à 10 % de notre activité. C'est l'activité la plus faible en équivalent temps plein travaillé (ETPT) et en moyens fournis.

Nous accomplissons aussi des missions d'examen de situations : il s'agit de faire un diagnostic de l'ensemble du ministère sur des dysfonctionnements managériaux dans une structure, qu'elle soit judiciaire, pénitentiaire, qu'il s'agisse de la PJJ ou d'une association, et de formuler des propositions.

Enfin, nous effectuons les missions d'appui et de conseil comme toutes les inspections, c'est-à-dire que nous apportons notre soutien méthodologique à l'accompagnement et l'application d'une réforme.

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Comment se répartit la charge de travail entre ces différentes missions ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Je vais me référer à l'année 2019, avec une analyse financière assez classique en rapportant le temps de travail des femmes et des hommes qui composent l'inspection aux missions qu'ils ont exercées.

Entre 5 et 10 % du temps de travail de l'inspection est consacré aux enquêtes administratives, autrement dit disciplinaires ; 40 % est consacré aux missions thématiques, c'est-à-dire des enquêtes qui concernent l'examen ou l'évaluation des politiques publiques, qu'elles soient demandées par le garde des sceaux, plusieurs ministres ou le Premier ministre ; 15 % aux inspections de fonctionnement relatives à un dysfonctionnement particulier ; entre 15 et 20 % aux missions d'appui et de soutien à des politiques publiques, à des rénovations ou à la mise en œuvre de réformes. Le reste du temps est consacré à examiner des situations de management, mais c'est minoritaire, ou à des questions d'organisation interne du ministère de la justice.

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Quelle est la répartition entre le secteur judiciaire, le secteur pénitentiaire et la PJJ ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Depuis la fusion, l'inspection se consacre à peu près à équivalence entre les trois secteurs. Certaines années, nous travaillons 40 % du temps sur le judiciaire et 28 % sur le pénitentiaire, mais en général nous consacrons entre 28 % et 35 % à chacun des trois blocs structurants de l'inspection.

Au regard de la situation passée, dans laquelle l'inspection générale des services judiciaires se consacrait à 100 % aux services judiciaires ; l'inspection des services pénitentiaires à 100 % aux missions pénitentiaires et l'inspection de la PJJ à 100 % à la PJJ ; la diversité est beaucoup plus grande aujourd'hui. L'intérêt fondamental de la fusion tient à la mixité des personnels. La faculté de composer des équipes polyvalentes issues d'horizons professionnels différents, y compris de membres de l'inspection qui ne sont pas issus du ministère de la justice, est extrêmement positive. Cela permet d'avoir un regard croisé, sauf pour les contrôles de fonctionnement des juridictions et les enquêtes disciplinaires des magistrats qui doivent être menés par un magistrat.

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Vous dites que des garanties d'indépendance sont offertes par votre fonctionnement, votre méthodologie, et la procédure de nomination, même s'il demeure un lien évident avec le garde des sceaux, seul à pouvoir vous saisir avec le Premier ministre.

Certaines de vos prérogatives, notamment en matière disciplinaire, semblent se superposer au rôle du Conseil supérieur de la magistrature. Comment évaluez-vous la répartition de vos rôles, sachant que le Conseil supérieur de la magistrature est censé garantir l'indépendance des magistrats dans leur ensemble ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Je vais peut-être vous surprendre : je pense que tout magistrat, quel qu'il soit et quelles que soient les fonctions qu'il exerce, garantit l'indépendance de la magistrature. Je suis magistrat depuis trente-six ou trente-sept ans. J'ai exercé de nombreuses fonctions et j'ai toujours garanti l'indépendance de la magistrature, parce que c'est un principe constitutionnel et que c'est le fondement de notre démocratie. Il en va de même pour les libertés individuelles : il n'y a pas de fonctionnaires dédiés à la défense des libertés individuelles, tous les agents publics défendent les libertés individuelles, ou devraient le faire.

Heureusement, nous ne venons pas nous superposer au Conseil supérieur de la magistrature, la Constitution nous en préserve. Nous ne sommes pas un organe constitutionnel, nous sommes rattachés au garde des sceaux, avec des missions particulières, tandis que le Conseil supérieur de la magistrature est une institution qui relève de la Constitution et qui a une mission tout à fait distincte. Nous ne prononçons pas de sanction disciplinaire, nous ne nous prononçons pas sur l'échelle des sanctions possibles. Notre compétence disciplinaire est très précise, elle existe dans tous les ministères.

Elle porte sur l'ensemble des corps du ministère : les directeurs de services pénitentiaires, les greffiers, les agents de la PJJ, et les magistrats. Ces derniers ne représentent qu'une partie des 5 à 10 % de notre temps de travail consacré aux enquêtes disciplinaires.

Notre démarche est la même pour tous les corps : nous apportons au garde des sceaux, dans un rapport, un point de vue sur les faits et sur leur déroulement.

Le garde des sceaux décide ensuite de l'opportunité d'engager des poursuites sur la base de notre rapport, il est libre de ne pas suivre nos recommandations puisque la Constitution et la loi organique lui donnent le droit de saisir le Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire. Il peut le saisir en suivant notre rapport ou sans le suivre, il peut nous demander une enquête ou ne pas la demander ; la décision se trouve à la main du ministre à qui nous rendons le rapport.

Ce rapport remplit des conditions particulières, nous suivons une méthodologie d'enquête administrative qui ne s'applique pas qu'aux magistrats, mais à tous les agents concernés par nos travaux, et qui est transparente et contradictoire à l'égard de la personne concernée.

Lorsque nous engageons une enquête administrative, nous notifions d'abord au magistrat la lettre de mission qui nous a saisis et qui décrit les faits. Nous lui laissons ensuite un temps de réflexion. Il a la liberté de se faire assister, dans tous les actes qui seront accomplis, par un avocat de son choix, un conseil ou quiconque souhaitant l'accompagner. Nos travaux sont tous contradictoires : ils font tous l'objet d'un procès-verbal écrit, signé et systématiquement communiqué au magistrat concerné. Toutes les pièces que nous récoltons au cours de l'enquête lui sont communiquées et, lorsque nous procédons à son audition, nous devons respecter un délai de quinze jours entre la communication des pièces et celle-ci, de manière à ce qu'il puisse préparer sa défense. Enfin, toutes les auditions se font en présence du conseil de son choix, qui a la liberté de faire toutes les observations qu'il pense utiles. Le rapport est ensuite complètement transparent.

Notre méthodologie d'enquête assure donc à la personne concernée des garanties très importantes. Ensuite, ce rapport est communiqué à celui qui nous l'a demandé, c'est une obligation constitutionnelle puisque c'est le garde des sceaux qui a l'initiative des poursuites disciplinaires. Le garde des sceaux est un des acteurs de la procédure disciplinaire, tout comme le citoyen, qui peut saisir la commission des recours du CSM. Le garde des sceaux fait ensuite l'usage qu'il souhaite de notre rapport.

Enfin, nos rapports sont à charge et à décharge : nous nous attachons à vérifier l'exactitude des faits rapportés et s'ils sont de nature à constituer une faute disciplinaire. Nous prenons également soin de retracer la carrière du magistrat et de contextualiser les faits. Surtout, nous procédons systématiquement à tous les actes d'investigation que le magistrat concerné nous demandera de réaliser.

Lors de sa première audition, nous commençons par lui expliquer la procédure, en précisant qu'il sera assisté tout au long de celle-ci, que nous entendrons tous ceux qu'il souhaite que nous entendions, et que nous réaliserons tous les actes qu'il nous demandera de faire, en les portant à sa connaissance. Jusqu'au bout, le magistrat peut nous demander tout acte utile.

Nous ne nous superposons donc pas du tout au CSM. Selon le choix que fait le garde des sceaux, le rapport que nous produisons peut être transmis au CSM et servir d'élément de débat. Mais une fois encore, cela se fera dans le respect du principe du contradictoire, et les deux parties concernées – le représentant du garde des sceaux d'un côté, le collègue magistrat de l'autre – pourront en débattre devant le CSM.

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En dépit des garanties méthodologiques que vous avez détaillées, le fait que seul l'exécutif – le garde des sceaux et le Premier ministre – puisse vous saisir pour mener des enquêtes, notamment sur l'organisation judiciaire – pourtant réputée indépendante – ne pose-t-il pas problème à l'égard de la séparation des pouvoirs ? S'agit-il d'une « dépendance indépendante » ? Comment pourrait-on qualifier cette situation ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Je n'y vois pas de contradiction. La nation a choisi de confier l'administration de la justice au garde des sceaux, ministre de la justice, qui en répond politiquement devant le Parlement par le vote de son budget, par l'exercice du pouvoir d'interpellation du Parlement, par le vote de la loi ou le contrôle du Parlement et de la Cour des comptes sur l'institution judiciaire. Dès lors que le ministre de la justice répond de cette administration devant le Parlement, il est utile qu'il dispose d'une inspection indépendante pour assurer l'audit et le contrôle de cette organisation. Mais c'est l'administration de la justice qui est confiée au garde des sceaux, ce ne sont pas les décisions judiciaires.

Quant au risque de superposition de nos prérogatives disciplinaires avec celles du CSM, nous rendons un rapport au garde des sceaux, mais celui-ci est partie à l'instance disciplinaire ; en effet, dans la majorité des cas, c'est son représentant qui est porteur de l'engagement de la poursuite. Nous sommes au service du garde des sceaux pour l'éclairer du mieux possible et le plus indépendamment possible sur la qualification des faits et leur éventuelle portée disciplinaire. Je n'y vois pas d'inconvénient en matière d'indépendance : les rôles respectifs des uns et des autres sont clairement établis, et c'est le CSM, institution totalement indépendante, qui rendra une décision elle-même soumise à un contrôle juridictionnel, en l'occurrence celui du Conseil d'État. L'ensemble du système me semble équilibré.

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Vous expliquiez que le rattachement de l'institution pénitentiaire au ministère de la justice avait une histoire expliquant que l'inspection des services pénitentiaires fasse partie de vos missions en raison de l'unité du mandat judiciaire. Si l'on poursuit votre raisonnement, il faudrait aussi que la police judiciaire soit rattachée au ministère de la justice et comprise dans votre périmètre d'inspection. Pensez-vous que cela soit souhaitable ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Je ne me lancerai pas dans le débat sur le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice ou au ministère de l'intérieur. Ma vision est très pragmatique : la police judiciaire, comme son nom l'indique, est judiciaire. Le code de procédure pénale est d'une clarté absolue : la police judiciaire est dirigée par le parquet, par le procureur de la République et par l'autorité judiciaire.

De par mon expérience, je ne suis pas sûr que le débat sur le rattachement de la police judiciaire soit essentiel. Il me semble que cette question a été tranchée par différentes instances juridictionnelles administratives de plus haut niveau. Dès lors que le code de procédure pénale s'applique totalement – et celui-ci n'est pas du tout ambigu, puisqu'il indique clairement que la police judiciaire est dirigée par le procureur de la République, ou par le juge d'instruction sur commission rogatoire – il n'y a pas de difficulté, en matière de fonctionnement de l'institution judiciaire, à ce que la police judiciaire soit rattachée au ministère de l'intérieur pour son organisation et son administration.

Dans ce cadre, quel est le rôle de l'inspection générale de la justice ? La police judiciaire est très fréquemment l'objet de nos interventions, et son rattachement opérationnel à l'autorité judiciaire a un impact important sur nous. Lorsque le Gouvernement s'interroge sur le fonctionnement global de la police judiciaire, par exemple en se demandant si ses services sont suffisamment organisés et structurés à l'échelle nationale pour faire face aux fraudes, il ordonne une enquête qui n'est pas confiée uniquement à l'inspection du ministère de l'intérieur ; celle-ci est nécessairement conduite de manière conjointe avec nos services. Il n'y a pas d'ambiguïté, nous participons au contrôle de la police judiciaire par les missions d'inspection qui nous sont confiées. Quant à la question du rattachement de cette institution à tel ou tel ministère, je pense qu'elle n'est pas cruciale et qu'il faut se contenter de suivre le code de procédure pénale.

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Vous avez sans doute vu un article paru dans La Lettre A du 16 décembre 2019, dans lequel vous êtes cité, qui s'intitule : « Comment l'inspection de la justice sert de sas de décompression pour les magistrats “politiques” ? »

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Je ne suis pas un grand lecteur de ce type de courrier ; je crois qu'il ne se lit que par abonnement, et je n'y suis pas abonné.

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Il est remarquable que beaucoup de magistrats passés dans l'administration centrale ou dans les cabinets ministériels, rejoignent ensuite l'inspection générale de la justice avant de retrouver des fonctions de magistrat en juridiction. Est-ce un faux constat, ou cela peut-il poser des problèmes d'indépendance et de composition de votre inspection ?

On pourrait faire le même reproche à l'inspection générale de la police : confier le soin de contrôler ses collègues à des personnes qui ont effectué leur carrière et la poursuivront au sein de cette institution, est-ce la meilleure garantie d'un contrôle efficace ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

D'abord, le terme de « magistrats politiques », utilisé dans cet article, me gêne. En tant que citoyen et en tant qu'agent public, j'ai un profond respect pour la politique, qui est pour moi quelque chose de très important, et cet adjectif ne peut être utilisé dans un sens réducteur. Que veut-on dire par là ? La connotation de cette expression me paraît curieuse, comme si, en accolant ces deux termes, on voulait affaiblir l'un par l'autre.

Je ne sais pas comment La Lettre A a effectué ses calculs, ni ce qu'elle entend par « beaucoup ». Mais il est fondamental de rappeler que depuis une réforme statutaire, les magistrats amenés à exercer des fonctions dans les cabinets ministériels, quels qu'ils soient et quel que soit le Gouvernement en place, sont nommés pour ordre à l'inspection générale de la justice, même s'ils n'y exercent pas de manière effective, pour des raisons statutaires et budgétaires.

Je préfère mille fois cette solution à la situation antérieure, dans laquelle les magistrats exerçant dans les cabinets ministériels étaient prélevés, du point de vue budgétaire, sur des postes en juridiction. Au moins, ils ne prennent pas de poste en juridiction et leur statut est clair. En outre, c'est une garantie d'indépendance : en cas de changement de ministre ou de démission de leurs fonctions au cabinet, ils conservent un poste de rattachement. Cela permet d'éviter toute pression dans l'exercice de leurs fonctions en cabinet.

L'inspection générale de la justice a une mission de contrôle qui s'exerce sur l'ensemble du ministère de la justice, pas seulement sur les magistrats. Le raisonnement est le même pour tous, et peut-être La Lettre A s'intéressera-t-elle, après les magistrats, à ceux qui, issus de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou du corps des administrateurs civils, sont passés par les cabinets ministériels avant d'arriver à l'inspection générale de la justice – car il y en a.

L'inspection fait appel à des compétences techniques, à des compétences liées à un métier particulier et à des compétences transversales. Puisque l'inspection exerce une mission transversale, il est sain que ces compétences soient recherchées et que ceux qui les détiennent y soient nommés. L'inspection compte aussi des magistrats ou d'autres agents publics dont les compétences techniques sont tirées de leur expérience en juridiction, elles leur permettent d'apporter une connaissance du terrain. On y trouve d'anciens premiers présidents de cour d'appel ou de la Cour de cassation, d'anciens présidents de juridiction, procureurs de la République, juges d'instruction ou juges des enfants. Il y a aussi des magistrats qui ont été juge d'instruction ou juge des enfants, qui sont passés par l'administration centrale avant de revenir en juridiction, et qui ont à un moment de leur carrière fait un passage en cabinet ministériel – j'en fais partie. En matière de compétences et de diversité de recrutement, le passage par un cabinet ministériel, quelle que soit sa couleur politique, est le signe d'une solide formation professionnelle, d'un intérêt pour la chose publique et d'une vraie appétence à appréhender la complexité et la diversité des sujets. À mon sens, ce n'est pas un problème, car cela ne me semble pas avoir un quelconque lien avec la question de l'indépendance.

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La mission dévolue à l'inspection générale de la justice vous amène à contrôler l'attitude de toute personne intervenant dans le cadre de la mission de service public de la justice. Au-delà des cas individuels, avez-vous constaté – récemment ou pas – des problèmes systémiques plus généraux relatifs à l'organisation ou au mode de fonctionnement du système judiciaire de nature à remettre en cause les garanties d'indépendance ? Si l'indépendance est d'abord une question de responsabilité individuelle, je vous rejoins sur ce point, avez-vous identifié des problèmes systémiques, et avez-vous présenté des propositions précises pour faire évoluer la situation ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Mon expérience personnelle est brève : je suis à la tête de l'inspection depuis un an. Cela dit, les archives sont bien faites, et on connaît sa maison. Je n'ai jamais eu connaissance d'un dossier spécifique qui, du point de vue systémique, aurait soulevé des difficultés relatives à l'indépendance. Évidemment, je ne parle que de la période récente, je ne vais pas remonter à la création de l'inspection en 1965, c'est un peu lointain et je pense que ce serait moins intéressant pour vous. Pour ma part, je suis magistrat depuis 1984, et j'ai fait un premier passage à l'inspection en tant qu'inspecteur en 2005 et 2006. J'y suis de nouveau depuis l'année dernière, et je n'ai jamais connu, vu ou entendu parler d'un problème global en matière d'indépendance. Les dysfonctionnements que j'ai connus étaient liés à des comportements individuels posant des difficultés d'ordre déontologique et disciplinaire, ou au fonctionnement même du système, comme c'est le cas dans n'importe quel autre ministère, mais je n'ai jamais connu de cas précis dans lesquels on aurait pu, à un moment donné, constater que l'indépendance juridictionnelle était remise en cause.

Je dois préciser que j'ai toujours été magistrat du siège. J'ai beaucoup d'admiration pour mes collègues du parquet, étant très attaché à l'unité du corps judiciaire, mais par appétence personnelle, par goût et par choix, j'ai toujours exercé comme magistrat du siège. Et au cours de ma carrière de magistrat du siège, je n'ai jamais constaté de difficultés liées à l'indépendance du pouvoir judiciaire.

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Le champ de compétences de l'inspection générale de la justice est très large. Il ne comprend pas les tribunaux administratifs, mais il inclut les tribunaux de commerce. L'indépendance tient aussi à la composition de la juridiction, or le tribunal de commerce a la particularité d'être composé de personnes issues de la société civile, dont les allers-retours entre la société civile et l'institution judiciaire sont permanents et quotidiens. Avez-vous le sentiment que ces juridictions, compte tenu des caractéristiques particulières de leur organisation et de la qualité de leurs membres, posent davantage de difficultés en matière d'indépendance que le reste de notre système judiciaire ? Est-il possible de mesurer ce phénomène, et avez-vous déjà mené des enquêtes spécifiques à ce sujet, comme ce fut récemment le cas concernant le tribunal de commerce de Nice ? Je ne veux pas évoquer de cas précis, mais je voudrais savoir si l'inspection générale a soulevé des points particuliers pouvant menacer la garantie d'indépendance à laquelle nous sommes attachés, et, le cas échéant, si elle a formulé des préconisations afin de faire évoluer la situation.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Je confirme que l'inspection est compétente pour le contrôle de toutes les juridictions, tribunaux de commerce mais aussi conseils de prud'hommes ou pôles sociaux créés par la loi du 19 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

En France, la justice est majoritairement rendue par les citoyens – on a tendance à l'oublier. En volume, les citoyens rendent beaucoup plus de décisions de justice que les magistrats professionnels. Il s'agit des usagers quotidiens de l'institution judiciaire, par exemple la femme qui cherche à ne pas être licenciée alors que son mari l'a quittée, et qui a par ailleurs affaire au juge aux affaires familiales (JAF) et au juge du surendettement. Je suis fier de mon métier car on s'y occupe des pauvres et des malheureux. La clientèle du ministère de la justice, ce sont les plus déshérités de nos concitoyens, les femmes battues, les surendettés, les expulsés, les détenus. C'est notre quotidien ; le juge est à l'écoute, il règle d'abord et avant tout les problèmes des plus malheureux et des plus pauvres de nos concitoyens. Je ne le répéterai jamais assez, car c'est pour cela que je suis devenu magistrat et que j'aime ce métier.

La justice quotidienne est d'abord rendue par des magistrats citoyens. Les conseils de prud'hommes sont composés uniquement de citoyens qui donnent de leur temps bénévolement pour juger les litiges prud'homaux. Les membres des tribunaux de commerce, les assesseurs des tribunaux pour enfants, des pôles sociaux des juridictions, ou encore les jurés d'assises sont des citoyens. Le citoyen est chez lui dans l'institution judiciaire, et il rend la justice tous les jours. Votre question est très intéressante, et je ne veux pas la contourner mais, en prenant le curseur de l'indépendance, je ne sens pas de différence structurelle d'appréciation entre le magistrat professionnel et celui qui ne l'est pas. Cela va peut-être vous paraître naïf, mais je ne veux pas que l'on puisse dire, parce que je ne l'ai pas constaté, que ces dizaines de milliers d'hommes et de femmes qui donnent de leur temps gratuitement pour contribuer à la justice de leur pays – ceux qui exercent les fonctions de juge de commerce, de conseiller prud'homal ou d'assesseur au tribunal pour enfants prennent ce temps sur leurs loisirs personnels – ne rendent pas leurs décisions de manière véritablement indépendante.

Néanmoins, je comprends votre question, qui fait écho au problème plus large de la formation professionnelle et de l'adaptation de chacun aux fonctions qu'il exerce. De ce point de vue, je peux surtout m'attacher à mesurer l'évolution des choses, plutôt qu'à dresser un constat à un moment donné. Je peux donc observer les efforts réalisés par le législateur, notamment ces dernières années, pour rendre obligatoire et améliorer la formation des conseillers prud'homaux ainsi que des juges consulaires, qui ont enfin un statut équivalent à celui des magistrats professionnels, sont aussi formés au sein de l'école nationale de la magistrature (ENM), et sont soumis aux mêmes règles déontologiques et aux mêmes déclarations d'intérêts qu'eux. Je mesure donc l'effort consenti par l'État pour apporter aux juges non professionnels les moyens de disposer de l'indépendance qui doit leur être assurée. Comme vous le disiez tout à l'heure, monsieur le rapporteur, l'indépendance, c'est une question d'état d'esprit, mais il faut aussi lui apporter des garanties. En imposant la formation des juges consulaires et des conseillers prud'homaux par l'ENM et en les soumettant au même statut et aux mêmes obligations déontologiques que les magistrats professionnels, l'État contribue à l'indépendance de la justice et fait progresser les choses.

Finalement, les difficultés liées à l'indépendance sont les mêmes que vous soyez juge consulaire, juge des enfants ou substitut du procureur. Certes, les fonctions judiciaires peuvent être, de par leur nature, plus ou moins exposées à ces difficultés, mais je n'ai pas mesuré entre elles de différence majeure à ce sujet.

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Un décret du 2 mai 2017 a institué l'obligation pour tous les magistrats de transmettre une déclaration d'intérêts. Ce système vous semble-t-il satisfaisant ? Les chefs de cours ou de juridictions jouent-ils le jeu, sachant que l'obligation de mener un entretien avec chaque magistrat sur sa déclaration d'intérêts n'est assortie d'aucun délai ? Le conseil de déontologie auprès de la Cour de cassation remplit-il son rôle ?

Cette déclaration d'intérêts vous paraît-elle suffisante pour couvrir le champ des difficultés qui pourraient se rencontrer ? Elle est nettement moins contraignante que celle qui s'impose aux parlementaires, par exemple.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

J'ai vu fonctionner le mécanisme de la déclaration d'intérêts comme chef de l'inspection, mais aussi en tant que chef de cour. J'ai été trois ans et demi premier président de la cour d'appel de Grenoble, au moment où ce dispositif a été mis en place. J'ai donc moi-même fait transmettre par tous les magistrats du ressort une déclaration d'intérêts la première année ; par la suite, elle n'est remplie qu'au moment d'un changement de poste.

Vous dites qu'il peut y avoir une variation sur le délai de la déclaration ; dans le décret, il n'en est prévu aucune !

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Sauf erreur, il est prévu un délai de deux mois pour la déclaration, mais il n'est pas prévu de délai pour l'entretien entre le chef de cour et le magistrat à propos de cette déclaration d'intérêt.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

En effet. Le directeur des services judiciaires serait en mesure de vous donner la statistique précise car toutes les déclarations d'intérêt qui lui sont remises sous pli cacheté. Si, au sein d'une cour d'appel, des déclarations n'étaient pas transmises, ou dans des proportions anormalement faibles, la direction des services judiciaires serait amenée à réagir. Quoi qu'il en soit, dans ma cour d'appel, tout le monde avait transmis sa déclaration en respectant le délai imparti, et je peux témoigner de l'efficacité du système, qui se mesure à plusieurs titres.

Tous les magistrats ont fait une déclaration d'intérêts – moi le premier, auprès du premier président de la Cour de cassation. La loi et le texte réglementaire prévoient que la déclaration s'accompagne d'un entretien avec le premier président de la juridiction. J'ai conçu cet entretien comme une vraie discussion, en trois temps.

Le premier temps portait sur la nature de la déclaration d'intérêts, et comportait la lecture de l'article 7-1 de l'ordonnance portant loi organique, qui la définit. C'est un texte moderne et puissant, qui a retenu la définition la plus large du conflit d'intérêts : tous les comportements, dispositions et attitudes qui constituent en eux-mêmes un conflit d'intérêts ou qui sont susceptibles d'en paraître un aux yeux d'un observateur de bonne foi. Il s'agit donc non seulement des liens directs – par exemple si le juge est le conjoint de l'avocat qui plaide – mais aussi de comportements pouvant laisser paraître qu'il existe un conflit d'intérêts. Lors de l'entretien, mes collègues ont découvert la portée de cette notion très large.

La discussion ainsi engagée, je demandais à mon interlocuteur quelles difficultés particulières il pouvait rencontrer, pour examiner le moyen de les résoudre.

Dans un troisième temps, je recevais la fameuse déclaration d'intérêts. Sans être une révolution, cette démarche a permis à l'ensemble des magistrats de s'interroger et de se repositionner face à d'éventuels conflits d'intérêts. Elle a donc été relativement efficace.

La déclaration d'intérêts permet à la hiérarchie de prendre les dispositions nécessaires : il est possible d'être en conflit d'intérêts, tout en étant un excellent magistrat. Lorsque j'étais jeune auditeur de justice et stagiaire au parquet – cela remonte à quelques années –, j'ai vu arriver dans la salle d'audience un coiffeur de ma ville natale chez qui j'allais. J'ai immédiatement informé mon maître de stage de mon souhait de ne pas travailler sur ce dossier, afin que nul ne puisse penser que mes réquisitions avaient été influencées par le fait que je connaissais cette personne.

Pour répondre à votre question, je pense donc que la déclaration d'intérêts, qui a permis à la hiérarchie de réorganiser le service en fonction des difficultés identifiées, a été très bénéfique.

Le fait qu'elle soit actée la rend très efficace : des présidents de cours qui s'interrogent sur la faute éventuelle commise par un magistrat peuvent en effet s'y reporter pour confronter les faits à la déclaration.

Par ailleurs, le formulaire me semble couvrir l'ensemble des questions que l'on peut se poser sur un magistrat de l'ordre judiciaire : les éventuels conflits d'intérêts avec les activités de son conjoint ou les intérêts associatifs, personnels et financiers du magistrat. Le champ que couvrent les questions du formulaire est très large.

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Ma question était double. Premièrement, il s'agissait de savoir si, à titre personnel, vous considérez que la démarche pourrait aller plus loin que la simple déclaration d'intérêts, et viser la déclaration de patrimoine.

Deuxièmement, il y a une grande spécificité du système institué par l'article 7-1 de l'ordonnance de 1958 pour les magistrats de l'ordre judiciaire. La déclaration est strictement confidentielle, sous pli privé, un citoyen n'y a donc pas accès.

Vous semble-t-il nécessaire de conserver ou de faire évoluer ce système ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

La question de la déclaration de patrimoine, qui ne s'imposerait qu'à certains magistrats de l'ordre judiciaire, dans des conditions définies, a été débattue au Parlement. Je travaillais en administration centrale à l'époque, et je me rappelle très bien de ce débat important, qui a donné lieu à des décisions des plus hautes instances judiciaires du pays.

Obliger à une déclaration de patrimoine est un choix d'opportunité politique, sur lequel je ne me prononcerai pas : il revient au Parlement souverain de prendre ses responsabilités. À titre personnel, je ne suis pas convaincu qu'elle soit vraiment nécessaire, étant donné le champ que recouvre actuellement la déclaration d'intérêts.

En France, le corps judiciaire est très contrôlé. Tous les magistrats de l'ordre judiciaire font des déclarations d'intérêts. Par ailleurs, nous sommes le seul corps d'agents publics dont les instances disciplinaires sont publiques et ouvertes, notamment à la presse. Je ne connais pas d'autre corps d'agents publics dont les problèmes disciplinaires sont jugés en public. C'est la contrepartie normale des fonctions que nous exerçons.

En outre, nos décisions sont toujours rendues en public, sauf exceptions qui tiennent à d'autres raisons. Elles sont toutes soumises à recours. Il y a une inspection qui, sans fausse modestie, est efficace, comme l'est le contrôle exercé par le Parlement.

La comparaison avec nos voisins européens m'incite à considérer l'institution judiciaire française comme l'une des plus transparentes et ouvertes à de tels contrôles, notamment sur le volet disciplinaire. On ne mesure pas l'importance que revêt le fait que les débats disciplinaires aient lieu en public – j'y suis très attaché. Le Conseil supérieur de la magistrature siège publiquement. Tous les journalistes peuvent assister à ses audiences disciplinaires et en rendre compte dans la presse comme ils l'entendent. C'est une forte garantie démocratique et une pression positive sur le corps.

Quant à savoir si le citoyen doit avoir accès aux déclarations d'intérêts des magistrats, la question revêt aussi une part d'opportunité politique. Le Parlement doit décider s'il souhaite aller plus loin dans la transparence des magistrats. Je m'interroge toutefois sur ce que la publicité apporterait de plus. Certes, on saurait qu'un magistrat est adhérent et membre du bureau du club de football où jouent ses enfants…

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Permettez-moi de vous interrompre, cela permettrait aux parties au procès de déterminer si elles se trouvent elles-mêmes en situation de conflit d'intérêts avec le magistrat qui instruit leur affaire, et de ne pas se reposer uniquement sur la capacité du magistrat à se déporter.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Pour parler franc, monsieur le président, vous heurtez là un principe démocratique fondamental, en vertu duquel on ne choisit pas son juge. Et il y aura danger le jour où un prévenu le choisira, sur les critères que vous avez énoncés.

Le juge est présumé être un agent public de bonne foi, qui exerce au nom de la République une partie de la souveraineté nationale. Les inconvénients qu'entraînerait la possibilité d'accéder à son intimité dépassent largement les avantages. Sans lancer de débat sur la déclaration d'intérêts et le déport, j'estime qu'il faut être prudent dans ce domaine et garder une sphère qui appartient au juge.

Lorsque les éléments qui peuvent conduire au déport sont objectivement connus des parties et que celles-ci en font état, ils peuvent donner lieu à certaines procédures, comme la récusation. Ces procédures existent et sont pratiquées par l'ensemble des juridictions, dont la Cour de cassation.

Il n'en va pas de même si chacun des magistrats voit ses activités personnelles, associatives, philosophiques, politiques, amicales, exposées au public. La robe que porte le magistrat n'a pas pour fonction de faire peur ou de paraître Ancien Régime, mais de cacher ses vêtements lors de l'audience, afin que l'on ignore s'il préfère le foulard Hermès ou les baskets. Le magistrat est juge, d'abord.

Je suis attaché à ce principe, et, en tant que citoyen, je me suis toujours méfié de la mise à nu et de la transparence absolue.

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Pourriez-vous rappeler à grands traits le régime de responsabilité professionnelle des magistrats dans le cadre de leurs fonctions ? Ce régime particulier est en effet évoqué lors des affaires où l'on parle d'erreurs judiciaires.

J'entends que vous n'êtes ni un service judiciaire, au sens de la police judiciaire, ni un service entièrement disciplinaire. Votre inspection serait-elle cependant susceptible d'intervenir si une nouvelle affaire Outreau survenait ?

De même, intervient-elle contre les auteurs des fuites qui alimentent tant les chroniques judiciaires et façonnent l'image que le citoyen peut se faire de la justice, sachant que celles-ci relèvent de la sanction disciplinaire, voire de la faute pénale ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Votre première question porte sur la responsabilité professionnelle du magistrat, c'est-à-dire le principe selon lequel le magistrat n'est pas personnellement responsable. Le service public de la justice assume sa responsabilité en cas d'erreur ou de difficulté.

Dans les deux cas que vous avez évoqués, l'affaire Outreau et les fuites, l'inspection a été saisie. Elle a notamment rendu un rapport public sur l'affaire Outreau, peut-être éclipsé par la commission d'enquête parlementaire. Le rapport avait été publié sur le site du ministère de la justice.

S'agissant des fuites, j'ai en tête plusieurs affaires instruites par l'inspection générale des services judiciaires sur des faits allégués de fuites commis par magistrats de l'ordre judiciaire. Il me semble que l'une des affaires a été débattue publiquement devant le Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que le rapport de l'inspection qui avait abouti à des conclusions permettant de qualifier le comportement du magistrat.

L'inspection est donc susceptible d'intervenir dans les deux cas que vous avez cités : elle serait probablement saisie et rendrait un rapport car cela fait partie de ses missions.

Pour revenir à la responsabilité professionnelle des magistrats, je ne suis pas habilité à avoir un avis autre que personnel et professionnel sur ce sujet. Je n'ai pas la légitimité du Parlement pour savoir comment légiférer dans ce domaine.

La décision judiciaire est une décision humaine, complexe et difficile. Plusieurs réformes du droit disciplinaire des magistrats ont été engagées. L'ordonnance de 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui définit notamment la faute professionnelle du magistrat, a été modifiée à plusieurs reprises. Dans la rédaction actuelle, le magistrat est responsable disciplinairement lorsqu'il commet sciemment des actes de procédure de manière à bafouer volontairement le droit des parties. Le texte va donc déjà très loin. Je doute qu'il faille en faire plus.

Considérant la fragilité de la décision judiciaire et la complexité de la prise de décision, il est heureux que, dans une démocratie, la collectivité nationale assure la protection qu'elle doit aux magistrats, comme à l'ensemble des agents publics. À moins de démontrer que les faits commis sont entièrement détachables de la mission juridictionnelle, exercée au nom de la collectivité nationale, s'ils lui sont rattachés très directement, il paraît logique de recevoir une protection. Dans le cas contraire, nous entrerions sur le terrain glissant de la liberté et de l'indépendance.

Prendre des décisions juridictionnelles, c'est toujours prendre un risque. La réalité n'est jamais blanche, ou noire, mais grise. Elle nécessite une analyse, une pesée car il y a toujours des arguments dans les deux sens. Le juge, par nature, est confronté à des arguments, des intérêts et des valeurs contradictoires. Il doit trancher, donner une opinion. Cette analyse doit être faite en toute liberté et en toute indépendance pour être juste, franche et étayée. S'il faut prendre en compte le risque de se voir imputer une faute personnelle dans le cas où la décision prise n'a pas la conséquence imaginée, et anticiper le comportement des agents sociaux, cette liberté et cette indépendance sont largement entamées. Pour juger, il faut être libre, et libre de beaucoup de choses.

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C'est une excellente remarque, sur laquelle je reviendrai.

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Monsieur le chef de l'inspection, vous êtes magistrat du siège depuis 1984. Une telle expérience permet de prendre un certain recul, diriez-vous que la question de l'indépendance du pouvoir judiciaire se pose davantage ou différemment aujourd'hui qu'hier ? Si vous constatez une évolution, comment l'expliquez-vous ?

Au préalable, que recouvre pour vous la notion d'indépendance du pouvoir judiciaire ? Certains considèrent en effet qu'il existe une brèche dans l'indépendance de la justice, dès lors qu'un ministre de la justice conduit la politique pénale.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Vous me demandez si, au cours de ma carrière, j'ai constaté des évolutions du point de vue de l'indépendance de la justice, dans un sens comme dans un autre. Je vous répondrai en tant que magistrat du siège, et ma réponse ne serait pas tout à fait la même si j'avais été magistrat du parquet.

Je n'ai jamais eu de problème d'indépendance, ni le sentiment qu'il y ait eu une évolution sensible depuis les années 1980. Au début de ma carrière en tant que juge d'instruction à différents postes, j'ai eu à prendre des décisions importantes dans des dossiers très complexes, liés à l'exercice de mandats ou de fonctions publiques. J'ai toujours été indépendant, aujourd'hui comme hier. Je répète que je réponds là en tant que magistrat du siège.

S'agissant de la seconde question, j'estime qu'il est heureux que le garde des sceaux donne des instructions en matière de politique pénale. Il agit en tant que membre du Gouvernement, qui, d'après la Constitution, « détermine et conduit la politique de la Nation » et en assume la responsabilité politique devant le Parlement – veuillez m'excuser si j'enfonce là des portes ouvertes. Il me semble ainsi tout à fait normal et démocratique que le garde des sceaux puisse indiquer ses priorités en matière de politique pénale. Qui serait mieux placé que lui pour donner de telles directives ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Peut-être voudriez-vous que l'Assemblée nationale indique aussi ses priorités en matière agricole ou dans d'autres domaines ?

Je vous renvoie alors la question, qui me dépasse. Il ne s'agit pas d'un problème judiciaire, mais constitutionnel : le partage des pouvoirs publics entre l'exécutif et le législatif, afin de déterminer la marge de manœuvre et l'exercice de responsabilité politique du Gouvernement.

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Je ne crois pas que le principe de séparation des pouvoirs consacre un pouvoir agricole, mais nous évoluerons peut-être en la matière !

Vous évoquiez précédemment un exemple de déport, lorsque vous étiez magistrat stagiaire. Cette situation n'est-elle pas différente de celle des trois magistrats de la chambre sociale de la Cour de cassation qui ne se sont pas déportés dans l'affaire Wolters Kluwer France (WKF) ? Leur comportement n'a pourtant emporté aucune conséquence disciplinaire.

On peut s'interroger sur l'impact auprès du public de cette affaire, relayée médiatiquement car les audiences disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature sont publiques. Bien que les débats et la décision aient été publics, la décision rendue n'est pas à la hauteur de l'exigence d'indépendance dont vous avez fait preuve en tant que stagiaire.

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur la nature des décisions rendues par le Conseil supérieur de la magistrature. Je n'ai aucun avis sur le sujet, et je n'ai pas à en avoir.

Le Conseil supérieur de la magistrature est un organe souverain, constitutionnel, composé, selon la volonté du constituant, de magistrats élus et désignés, ainsi que de représentants des différents organes constitutionnels de la République. Il est placé sous le contrôle du Parlement, puisque les personnalités extérieures ne peuvent y exercer si les trois cinquièmes des membres des deux commissions des lois s'y sont opposés. Il s'agit donc d'un organe constitutionnel qui rend des décisions souveraines, comme le Conseil constitutionnel.

En tant que juriste, je crois à la force de la loi et des institutions. Votre question évoque également la façon dont le magistrat se positionne en son intime conviction. Je ne peux que renvoyer chacun à sa conscience.

Je conclurai en disant que, dans cette affaire, il n'y a pas eu d'inspection.

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Dans une autre affaire, celle de Geneviève Legay, manifestante bousculée par les policiers, votre collègue de Nice, Jean-Michel Prêtre, a reconnu devant la chancellerie avoir modifié la réalité des faits à la suite des déclarations du Président de la République. J'ignore s'il y a eu une inspection, mais de la même manière, aucune sanction disciplinaire n'a été prise. Seule une mutation comme avocat général près de la cour d'appel de Lyon a été prononcée.

Ces deux affaires ont eu lieu en 2019. Or, selon vous, 2019 semblait avoir été une année où aucun problème d'indépendance de la justice n'avait été soulevé. S'agit-il du point de vue de l'inspection, c'est-à-dire uniquement des affaires que vous avez-vous eues à connaître et des contrôles que vous avez pu opérer, ou d'un jugement plus global de votre part ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Le rapporteur m'a demandé tout à l'heure si j'avais eu connaissance de problèmes relatifs à l'indépendance dans ma pratique professionnelle. Je lui ai répondu dans ce cadre, uniquement.

Je ferai la même réponse à la question du président sur la seconde affaire individuelle qu'il évoquait. C'est une affaire dans laquelle des recours sont possibles ; l'intéressée a pu les exercer. Le statut de la magistrature prévoit, outre la disposition visée, la possibilité d'un déplacement dans l'intérêt du service.

Le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi et a rendu sa décision. Là encore, je ne me permettrai pas de le critiquer, comme je ne critiquerai pas le Conseil d'État également saisi dans cette affaire, ni l'ordonnance de 1958, qui permet ce type de procédure.

Dans les cas que vous évoquez, je ne peux que constater que les textes comme les droits attachés aux magistrats, tels qu'ils sont prévus, ont été respectés.

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Un magistrat peut-il exercer ses fonctions tout en étant membre, voire président, d'une association supposée défendre l'éthique en politique et intervenant dans le champ judiciaire de l'éthique en politique ? Sur ce sujet, pouvez-vous donner votre sentiment personnel, qui n'est pas nécessairement celui de l'inspection générale que vous représentez ?

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Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice

Monsieur le rapporteur, c'est peut-être la seule question à laquelle je ne peux pas vous répondre, pour des raisons que vous comprenez d'évidence. Je ne peux y répondre ni comme citoyen, ni à titre professionnel, car si je le faisais, je manquerais moi-même à mon devoir d'indépendance.

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Le rapporteur vous interrogeait sur l'enquête qui est en train d'être menée sur votre collègue, Éric Alt, que nous auditionnerons à plusieurs titres. On peut s'interroger sur l'opportunité, de la part de la garde des sceaux, à diligenter ou non une enquête sur une personne. Je ne vous demande pas nécessairement de répondre à cette remarque.

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Et je n'ai pas non plus demandé au président d'interpréter ma question.

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Je le fais d'autorité.

Pour conclure, j'attends avec impatience le rapport qu'ont commandé à votre inspection le ministère de la justice, le ministère de l'intérieur et le ministère de l'économie et des finances, sur les moyens de lutte contre la fraude. Je suis heureux que la commande ait été passée car je ne suis pas entièrement étranger à ce rapport.

La séance est levée à 16 heures 40.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Fabien Gouttefarde, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - M. Ian Boucard, M. Dimitri Houbron