Intervention de Jean-François Beynel

Réunion du jeudi 30 janvier 2020 à 15h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice :

Je confirme que l'inspection est compétente pour le contrôle de toutes les juridictions, tribunaux de commerce mais aussi conseils de prud'hommes ou pôles sociaux créés par la loi du 19 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

En France, la justice est majoritairement rendue par les citoyens – on a tendance à l'oublier. En volume, les citoyens rendent beaucoup plus de décisions de justice que les magistrats professionnels. Il s'agit des usagers quotidiens de l'institution judiciaire, par exemple la femme qui cherche à ne pas être licenciée alors que son mari l'a quittée, et qui a par ailleurs affaire au juge aux affaires familiales (JAF) et au juge du surendettement. Je suis fier de mon métier car on s'y occupe des pauvres et des malheureux. La clientèle du ministère de la justice, ce sont les plus déshérités de nos concitoyens, les femmes battues, les surendettés, les expulsés, les détenus. C'est notre quotidien ; le juge est à l'écoute, il règle d'abord et avant tout les problèmes des plus malheureux et des plus pauvres de nos concitoyens. Je ne le répéterai jamais assez, car c'est pour cela que je suis devenu magistrat et que j'aime ce métier.

La justice quotidienne est d'abord rendue par des magistrats citoyens. Les conseils de prud'hommes sont composés uniquement de citoyens qui donnent de leur temps bénévolement pour juger les litiges prud'homaux. Les membres des tribunaux de commerce, les assesseurs des tribunaux pour enfants, des pôles sociaux des juridictions, ou encore les jurés d'assises sont des citoyens. Le citoyen est chez lui dans l'institution judiciaire, et il rend la justice tous les jours. Votre question est très intéressante, et je ne veux pas la contourner mais, en prenant le curseur de l'indépendance, je ne sens pas de différence structurelle d'appréciation entre le magistrat professionnel et celui qui ne l'est pas. Cela va peut-être vous paraître naïf, mais je ne veux pas que l'on puisse dire, parce que je ne l'ai pas constaté, que ces dizaines de milliers d'hommes et de femmes qui donnent de leur temps gratuitement pour contribuer à la justice de leur pays – ceux qui exercent les fonctions de juge de commerce, de conseiller prud'homal ou d'assesseur au tribunal pour enfants prennent ce temps sur leurs loisirs personnels – ne rendent pas leurs décisions de manière véritablement indépendante.

Néanmoins, je comprends votre question, qui fait écho au problème plus large de la formation professionnelle et de l'adaptation de chacun aux fonctions qu'il exerce. De ce point de vue, je peux surtout m'attacher à mesurer l'évolution des choses, plutôt qu'à dresser un constat à un moment donné. Je peux donc observer les efforts réalisés par le législateur, notamment ces dernières années, pour rendre obligatoire et améliorer la formation des conseillers prud'homaux ainsi que des juges consulaires, qui ont enfin un statut équivalent à celui des magistrats professionnels, sont aussi formés au sein de l'école nationale de la magistrature (ENM), et sont soumis aux mêmes règles déontologiques et aux mêmes déclarations d'intérêts qu'eux. Je mesure donc l'effort consenti par l'État pour apporter aux juges non professionnels les moyens de disposer de l'indépendance qui doit leur être assurée. Comme vous le disiez tout à l'heure, monsieur le rapporteur, l'indépendance, c'est une question d'état d'esprit, mais il faut aussi lui apporter des garanties. En imposant la formation des juges consulaires et des conseillers prud'homaux par l'ENM et en les soumettant au même statut et aux mêmes obligations déontologiques que les magistrats professionnels, l'État contribue à l'indépendance de la justice et fait progresser les choses.

Finalement, les difficultés liées à l'indépendance sont les mêmes que vous soyez juge consulaire, juge des enfants ou substitut du procureur. Certes, les fonctions judiciaires peuvent être, de par leur nature, plus ou moins exposées à ces difficultés, mais je n'ai pas mesuré entre elles de différence majeure à ce sujet.

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