Je vais peut-être vous surprendre : je pense que tout magistrat, quel qu'il soit et quelles que soient les fonctions qu'il exerce, garantit l'indépendance de la magistrature. Je suis magistrat depuis trente-six ou trente-sept ans. J'ai exercé de nombreuses fonctions et j'ai toujours garanti l'indépendance de la magistrature, parce que c'est un principe constitutionnel et que c'est le fondement de notre démocratie. Il en va de même pour les libertés individuelles : il n'y a pas de fonctionnaires dédiés à la défense des libertés individuelles, tous les agents publics défendent les libertés individuelles, ou devraient le faire.
Heureusement, nous ne venons pas nous superposer au Conseil supérieur de la magistrature, la Constitution nous en préserve. Nous ne sommes pas un organe constitutionnel, nous sommes rattachés au garde des sceaux, avec des missions particulières, tandis que le Conseil supérieur de la magistrature est une institution qui relève de la Constitution et qui a une mission tout à fait distincte. Nous ne prononçons pas de sanction disciplinaire, nous ne nous prononçons pas sur l'échelle des sanctions possibles. Notre compétence disciplinaire est très précise, elle existe dans tous les ministères.
Elle porte sur l'ensemble des corps du ministère : les directeurs de services pénitentiaires, les greffiers, les agents de la PJJ, et les magistrats. Ces derniers ne représentent qu'une partie des 5 à 10 % de notre temps de travail consacré aux enquêtes disciplinaires.
Notre démarche est la même pour tous les corps : nous apportons au garde des sceaux, dans un rapport, un point de vue sur les faits et sur leur déroulement.
Le garde des sceaux décide ensuite de l'opportunité d'engager des poursuites sur la base de notre rapport, il est libre de ne pas suivre nos recommandations puisque la Constitution et la loi organique lui donnent le droit de saisir le Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire. Il peut le saisir en suivant notre rapport ou sans le suivre, il peut nous demander une enquête ou ne pas la demander ; la décision se trouve à la main du ministre à qui nous rendons le rapport.
Ce rapport remplit des conditions particulières, nous suivons une méthodologie d'enquête administrative qui ne s'applique pas qu'aux magistrats, mais à tous les agents concernés par nos travaux, et qui est transparente et contradictoire à l'égard de la personne concernée.
Lorsque nous engageons une enquête administrative, nous notifions d'abord au magistrat la lettre de mission qui nous a saisis et qui décrit les faits. Nous lui laissons ensuite un temps de réflexion. Il a la liberté de se faire assister, dans tous les actes qui seront accomplis, par un avocat de son choix, un conseil ou quiconque souhaitant l'accompagner. Nos travaux sont tous contradictoires : ils font tous l'objet d'un procès-verbal écrit, signé et systématiquement communiqué au magistrat concerné. Toutes les pièces que nous récoltons au cours de l'enquête lui sont communiquées et, lorsque nous procédons à son audition, nous devons respecter un délai de quinze jours entre la communication des pièces et celle-ci, de manière à ce qu'il puisse préparer sa défense. Enfin, toutes les auditions se font en présence du conseil de son choix, qui a la liberté de faire toutes les observations qu'il pense utiles. Le rapport est ensuite complètement transparent.
Notre méthodologie d'enquête assure donc à la personne concernée des garanties très importantes. Ensuite, ce rapport est communiqué à celui qui nous l'a demandé, c'est une obligation constitutionnelle puisque c'est le garde des sceaux qui a l'initiative des poursuites disciplinaires. Le garde des sceaux est un des acteurs de la procédure disciplinaire, tout comme le citoyen, qui peut saisir la commission des recours du CSM. Le garde des sceaux fait ensuite l'usage qu'il souhaite de notre rapport.
Enfin, nos rapports sont à charge et à décharge : nous nous attachons à vérifier l'exactitude des faits rapportés et s'ils sont de nature à constituer une faute disciplinaire. Nous prenons également soin de retracer la carrière du magistrat et de contextualiser les faits. Surtout, nous procédons systématiquement à tous les actes d'investigation que le magistrat concerné nous demandera de réaliser.
Lors de sa première audition, nous commençons par lui expliquer la procédure, en précisant qu'il sera assisté tout au long de celle-ci, que nous entendrons tous ceux qu'il souhaite que nous entendions, et que nous réaliserons tous les actes qu'il nous demandera de faire, en les portant à sa connaissance. Jusqu'au bout, le magistrat peut nous demander tout acte utile.
Nous ne nous superposons donc pas du tout au CSM. Selon le choix que fait le garde des sceaux, le rapport que nous produisons peut être transmis au CSM et servir d'élément de débat. Mais une fois encore, cela se fera dans le respect du principe du contradictoire, et les deux parties concernées – le représentant du garde des sceaux d'un côté, le collègue magistrat de l'autre – pourront en débattre devant le CSM.