Intervention de Jean-Michel Hayat

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 8h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-Michel Hayat, premier président de la cour d'appel de Paris :

Je me présente rapidement. J'ai eu une carrière exclusivement de magistrat du siège. Je n'ai jamais exercé des fonctions au parquet, par choix personnel et par conviction que mon indépendance passait par l'exercice exclusif des fonctions au siège. Considéré comme un magistrat pénaliste, j'ai, à l'occasion de l'évolution de ma carrière, exercé des fonctions au civil à plusieurs reprises. Après avoir été juge d'instruction et président de chambre correctionnelle, puis président de cour d'assises, j'ai bifurqué à l'âge de cinquante ans, à ma demande, vers des fonctions de chef de juridiction.

Ce choix personnel m'a amené, en 2005, à me porter candidat à la fonction de président du tribunal de grande instance de Nice. Je percevais parfaitement les grandes difficultés que traversait cette juridiction, après la mise à la retraite d'office de l'ancien doyen des juges d'instruction pour des faits d'atteinte lourde à la déontologie des magistrats, puisqu'il avait été sanctionné par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L'enjeu fut considérable. Il m'a fallu remettre cette juridiction sur les rails, pour corriger une image particulièrement flétrie au terme d'années noires. La tâche fut très difficile, mais j'ai eu la satisfaction de voir cette juridiction retrouver son crédit au bout de cinq ans.

Cinq ans plus tard, j'ai été nommé président du tribunal de grande instance de Nanterre, qui était divisé, là encore, par une affaire très médiatisée. En 2014, j'ai été nommé président du tribunal de grande instance de Paris. C'est donc tout récemment que j'ai accédé aux fonctions de premier président de la cour d'appel de Paris. J'ai par ailleurs effectué deux années en cabinet ministériel, puisque j'ai été nommé membre du cabinet du ministre de l'éducation nationale, plus précisément à l'enseignement scolaire. J'ai été chargé du traitement des problèmes de société qui traversaient l'institution. Le premier sujet important dont j'ai eu à connaître était la lutte contre la pédophilie, sujet que ne savait pas traiter l'éducation nationale, puisque – si je puis me permettre l'expression – on se « refilait le mistigri », lorsque l'on repérait un enseignant qui pouvait avoir des difficultés de cet ordre. J'ai ensuite été chargé de tous les sujets de société : la violence en milieu scolaire ; l'organisation des sorties scolaires, pour éviter des drames, en termes de sécurité des enfants – nous étions juste après l'affaire du Drac, où des enfants avaient été emportés par un lâcher d'eau d'EDF – ; la transmission des bulletins scolaires aux deux parents, lorsque les parents étaient séparés – c'était il y a vingt ans un sujet très important, même si cela semble aujourd'hui naturel – ; l'enseignement privé ; le foulard islamique ; la lutte contre les sectes ; l'obligation scolaire. Tout cela m'a passionné. Ce ne fut pas pour autant un accélérateur de carrière pour ce qui me concerne, puisque j'étais vice-président du tribunal correctionnel de Versailles lorsque je suis parti en cabinet ministériel, et suis devenu vice-président au tribunal de grande instance de Nanterre lorsque j'en suis sorti.

Après quarante ans de carrière, j'ai le sentiment que la marche vers l'indépendance de la justice a été un long combat qui n'est toujours pas gagné. Pourquoi ? Parce que la réforme absolument indispensable, à savoir une évolution fondamentale du statut du parquet n'est toujours pas faite. On ne peut plus la retarder : les difficultés pour atteindre un consensus sur la réforme constitutionnelle doivent épargner cette question. Je pense que la réforme telle qu'elle est envisagée, c'est-à-dire l'avis conforme du CSM et l'alignement de la procédure disciplinaire, est une réforme a minima. J'ai acquis la conviction que, pour protéger la nomination des magistrats du parquet de toute suspicion, il faut l'aligner complètement sur celles des magistrats du siège, avec un pouvoir de proposition du CSM pour les postes de procureurs de la République et de procureurs généraux. Très clairement, nous y gagnerons.

Je veux ensuite souligner la très grande insuffisance du budget du ministère de la justice, en dépit des efforts considérables de l'État, notamment la construction du nouveau tribunal de Paris, qui est une réussite architecturale impressionnante. Cette construction a considérablement amélioré les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires, qui sont globalement fiers de leur tribunal. Ce premier pas n'est toutefois pas suffisant. Le vrai problème est l'insuffisance des moyens et des équipes autour des magistrats ; elle pèse considérablement sur notre travail. Nous avons trop peu de collaborateurs, d'assistants spécialisés, de juristes assistants. Les magistrats sont confrontés à un rythme effréné de traitement des contentieux. Par exemple, les juges des libertés qui traitent à la fois de la décision de maintien en liberté ou de placement en détention provisoire, de la rétention administrative des étrangers et des hospitalisations sans consentement, sont à Paris, au nombre de douze pour 22 000 décisions rendues par an ! Chaque année, il faut se battre pour obtenir des moyens, qu'on ne nous donne qu'au compte-gouttes. Tout devient extrêmement lourd. Les juges des enfants à Paris sont confrontés à 15 ou 20 déferrements de mineurs non accompagnés tous les jours. Alors qu'auparavant un seul juge des enfants était de permanence, maintenant ils sont parfois deux. Dans mes fonctions de premier président de cour d'appel, je constate que toutes les chambres sont écrasées de travail. Je l'affirme : l'indépendance passe aussi par des moyens qui permettent d'effectuer son travail. Les magistrats doivent disposer du temps nécessaire pour étudier les dossiers, ne pas être toujours dans le stress de deux ou trois audiences collégiales par semaine, dans lesquelles il faut étudier des dossiers très complexes.

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