Intervention de Jean-Michel Hayat

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 8h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-Michel Hayat, premier président de la cour d'appel de Paris :

Cette juridiction a fait l'objet d'un très grand nombre d'inspections, par l'inspection générale de la justice, à l'époque inspection générale des services judiciaires. Il existait une forme de porosité. Une affaire, tout particulièrement, portait sur une escroquerie internationale. L'argent de l'escroquerie avait transité sur le faux compte Carpa d'un avocat, qui était le futur bâtonnier du barreau de Nice. L'information judiciaire n'a jamais avancé. Le doyen des juges d'instruction avait, à l'évidence, ralenti le cours de cette information. C'est dans ces conditions, alors que nous étions à la limite du délai de prescription, que le procureur de la République de l'époque, Éric de Montgolfier, a demandé au président le dessaisissement du juge d'instruction qui avait été désigné. Ce fut un tremblement de terre. Le changement de juge d'instruction a enfin permis à cette instruction de démarrer et d'aboutir à des mises en examen, y compris du professionnel de justice concerné, en l'occurrence l'ancien futur bâtonnier de Nice.

Cette affaire fut une véritable tempête au sein de la juridiction, qui s'est fracturée en deux chez les avocats, et entre les magistrats du ministère public et les magistrats du siège. Je suis arrivé après la décision prise par le CSM de mise à la retraite d'office de cet ancien doyen des juges d'instruction. Entre-temps, le dossier d'instruction avait prospéré et venait le moment du jugement de cette affaire. Il fallait prendre une décision pour savoir qui allait la juger. Je considérais qu'il fallait absolument la dépayser. Nous ne pouvions juger cette affaire dans ce climat de tension extrême. Voilà qui a beaucoup divisé ; j'ai vu les uns les autres intervenir et les réseaux fonctionner. C'est dans ces conditions que la Cour de cassation a ordonné le dépaysement de cette procédure, qui a été jugée à Lyon ; les condamnations sont intervenues. Tout cela a été extrêmement difficile.

J'ai aimé cette juridiction, j'ai aimé cette ville et je suis heureux du travail accompli. Il y avait beaucoup de démocrates qui en avaient assez de toutes ces affaires, de tous ces réseaux pour intervenir, pour peser, pour détourner le cours normal de la justice. Au terme de ces cinq années, qui n'ont pas été simples, nous sommes arrivés, nous tous, avocats, magistrats du siège et du parquet, à faire en sorte que le soupçon s'éloigne. Pour autant, il faut être extrêmement vigilant : on ne peut pas dire que l'on déjeune ou que l'on dîne avec n'importe qui. Il faut toujours faire extrêmement attention, être sur la réserve, et être toujours en état de veille, pour savoir à qui s'adressera ensuite celui qui vous parle, celui qui vous rencontre, celui qui vous reçoit. La prudence a été constante.

À l'évidence, c'est une juridiction où, peut-être, la déontologie doit être rappelée. J'ai eu la chance – je l'ai dit publiquement, je le redis aujourd'hui sous serment – d'avoir un entretien assez long avec le premier président de la cour d'appel de Versailles, qui, à l'époque, était membre du CSM, et qui, avant mon départ à Nice, m'a donné un grand nombre de conseils sur le plan déontologique. Je m'en souviendrai toute ma vie. Je pense qu'il m'a évité beaucoup d'erreurs. Sur des postes aussi difficiles, une veille déontologique me semble devoir être mise en place.

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