Au moment de l'application du texte, j'exerçais mes fonctions au tribunal de grande instance de Paris, maintenant tribunal judiciaire. Il était impossible de faire du jour au lendemain la déclaration d'intérêts pour les 360 magistrats. J'ai procédé à un maximum d'entretiens et j'ai délégué pour les plus jeunes et les moins gradés, ceux qui étaient sortis d'école assez récemment. Depuis 2018, je ne délègue plus du tout la moindre déclaration d'intérêts. Je procède à tous les entretiens déontologiques de tous les magistrats qui rejoignent le tribunal, dans un premier temps, et maintenant la cour d'appel.
Je pense qu'il faut clarifier encore plus les choses : en cas de changement de fonction, cet entretien déontologique doit être obligatoirement repris. Pourquoi ? Parce qu'un chef de juridiction doit absolument avoir un entretien avec le ou la future collègue, pour s'assurer qu'il ou elle a bien pris en compte toutes les exigences déontologiques. Le chef de juridiction doit avoir parfaitement repéré les éventuels conflits d'intérêts qui pourraient naître. D'ailleurs, certains magistrats reviennent me voir, à la suite de cet entretien. Je leur explique que la vie fait que l'on se marie, que l'on divorce, que l'on se remarie, etc. Je prends souvent pour exemple que ce n'est pas la même chose d'être marié avec une professeure de piano et de se remarier avec une patronne du CAC 40. J'explique également que la vie fait que l'on perd ses parents, que des successions vont changer considérablement la configuration du patrimoine, etc. Voilà qui nécessite aussi de prendre en compte de nouveaux intérêts.
À mon sens, il ne faut pas déléguer cet entretien. Ces moments d'échange sont toujours assez riches, parce que les collègues vont évoquer spontanément des situations où ils ont besoin d'un éclairage sur un éventuel conflit d'intérêts. La question est généralement : « Pensez-vous que je puisse juger cette affaire ? » Je leur dis que le simple fait de poser cette question indique un problème. Avoir de tels débats est excellent.
Dans l'ensemble, après beaucoup de scepticisme au départ, les choses ont été comprises. La déclaration de patrimoine avait été envisagée pour tous les magistrats ; elle ne concerne que les membres du CSM et les chefs de la Cour de cassation, qui la font auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Il ne me semble pas nécessaire d'aller plus loin.