Intervention de Jean-Michel Hayat

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 8h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-Michel Hayat, premier président de la cour d'appel de Paris :

Il faut faire bouger les choses. La règle de dix ans doit s'imposer également à tous les magistrats non spécialisés. Cette règle est saine pour toutes les fonctions spécialisées : juge d'instruction, juge des enfants, ex-juge d'instance et juge d'application des peines. En revanche, nous constatons des situations aberrantes, où l'on peut être président de chambre correctionnelle pendant vingt-cinq ans à Limoges. Cela existe – pas à Limoges en l'occurrence.

Un magistrat peut accéder, pour son premier grade, à des fonctions non spécialisées, et ensuite, comme il est inamovible, ne pas bouger. En restant très longtemps dans une fonction non spécialisée, on se fossilise. Il est absolument indispensable d'aller se confronter à la problématique d'une autre juridiction. Si nous demandons cet effort aux magistrats spécialisés, je pense qu'il faut le demander aussi aux autres magistrats. C'est une vraie garantie démocratique, pour découvrir d'autres réalités.

Il n'est pas sain, non plus, que, dans la situation actuelle, de jeunes juges d'instruction, par exemple, ou d'autres jeunes juges se spécialisent dans des thématiques très particulières : propriété intellectuelle, pôle santé publique de Paris, où ils vont avoir à traiter d'affaires hypersensibles, que ce soit des problèmes d'environnement ou d'accidents collectifs et que pour des simples questions d'avancement, ils doivent partir dans un tribunal de la périphérie parisienne. Voilà qui est absolument absurde !

Je me permets également d'évoquer le cas d'une collègue qui était en charge du crash de la Malaysia Airlines. Elle connaissait à la minute près ce qui s'était passé dans le cockpit de cet avion, ce qui représente des mois et des mois de travail pour bien comprendre la législation, le fonctionnement d'un avion, les systèmes de sécurité, etc. Pour des raisons de carrière, elle doit réaliser son premier grade ailleurs. C'est catastrophique.

En revanche, s'il peut réaliser son avancement sur place, dans les limites d'un total de dix ans, nous garantissons l'indépendance du magistrat, nous ne l'écartons pas d'un dossier le cas échéant, et il ne se fossilise pas en exerçant les mêmes fonctions pendant une durée trop longue. Au-delà de dix ans, on n'est plus assez souple pour se remettre en cause et s'adapter à des réalités différentes. Pour les chefs de juridiction, la règle est de sept ans et elle est extrêmement saine également. Au-delà de sept ans, les influences et le climat local font que peut-être les réflexes s'émoussent. Ces règles de mobilité sont absolument indispensables.

Devant le CSM, j'avais pris l'exemple des Alpes-Maritimes : les tribunaux de Nice et Grasse devraient être considérés comme une seule et même juridiction, parce que la passerelle de Nice à Grasse ne permet pas cette oxygénation. En revanche, pour les carrières en région parisienne, passer de Paris à Bobigny implique un véritable changement parce que les départements ont des réalités et des thématiques complètement différentes. Il est extrêmement sain de connaître les différentes juridictions. J'ai moi-même pu circuler entre Paris, Nanterre, Pontoise, Versailles et Nice. Toutes ces juridictions présentent des thématiques et des problématiques sociales hétérogènes.

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