Intervention de Marie-Christine Tarrare

Réunion du jeudi 20 février 2020 à 15h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Marie-Christine Tarrare, procureure générale près la cour d'appel de Bourges :

Précisons tout d'abord que la cour d'appel de Bourges ne s'est pas portée candidate à l'expérimentation parce qu'elle rencontrait des difficultés pour gérer le stock d'affaires criminelles. Au contraire, nous pouvions juger les affaires criminelles dans des délais extrêmement raisonnables, de l'ordre de huit mois après le renvoi. Nous voulions justement montrer quelles répercussions cette future évolution législative aurait sur des cours qui fonctionnent bien. Le concept a été imaginé pour des cours qui n'étaient pas capables de juger dans des délais raisonnables des personnes à qui l'on reprochait des faits extrêmement graves, et qui se trouvaient en détention provisoire pendant très longtemps. Or, il n'est pas question que les mesures pensées pour aider des juridictions très engorgées viennent désorganiser celles qui fonctionnent bien.

L'expérimentation a commencé au mois d'octobre dernier. Nous avons donc très peu de recul : nous n'avons traité que deux dossiers en deux sessions, car dans les deux cas, il s'agissait de dossiers très lourds. Un cas impliquait des accusés multiples, l'autre un nombre de parties civiles très important.

Avec ce tout petit recul, il ressort que l'oralité des débats n'a pas été oubliée. Les présidents de cour criminelle et l'ensemble des participants ont tenu à échanger comme ils le feraient devant une cour d'assises, afin que les parties civiles, les accusés ou les témoins puissent s'exprimer. Devant la cour criminelle du département du Cher, nous continuons à faire citer des témoins ; ce n'est pas une audience correctionnelle à un échelon supérieur. Il faut se laisser le temps nécessaire pour juger une personne.

Dès le premier dossier, il est également apparu que les débats sont plus juridiques et techniques que devant une cour d'assises ; nous avons beaucoup plus discuté de points de droit.

S'agissant des moyens, la cour criminelle est effectivement composée de cinq magistrats juges et le parquet est représenté par un avocat général – ce dernier point ne change pas. Il est possible de faire siéger des magistrats temporaires et des magistrats juridictionnels honoraires, ce qui peut aider dans certains ressorts. Le premier président de la cour criminelle départementale du Cher a décidé d'ouvrir l'assessorat à l'ensemble des magistrats du siège du ressort de la cour, répondant à la demande des magistrats du siège d'autres départements qui souhaitaient participer à cette expérimentation et voir vivre cette cour criminelle pour se forger un avis sur la pertinence de l'expérimentation.

Enfin, la seule économie constatée est celle liée au dédommagement des jurés, puisqu'il n'y a plus de jury d'assises.

Vous me demandez si nous ne risquons pas de nous couper encore plus de nos concitoyens. Ceux-ci connaissent très peu et très mal le fonctionnement de leur justice. Chaque fois que j'ai reçu dans ma juridiction des personnes qui n'étaient pas juristes, elles en sont reparties positivement étonnées, et j'ai pensé qu'elles pourraient ensuite expliquer autour d'elles comment fonctionne notre justice. Derrière des murs parfois un peu austères, notre fonctionnement n'est pas obscur : des règles sont appliquées, au quotidien, par des personnes compétentes, motivées, d'une grande déontologie et animées par le respect du service public.

Votre question est donc pertinente. Notre droit fait juger les affaires les plus graves avec une participation citoyenne. La participation des citoyens aux tribunaux correctionnels a même fait l'objet d'une expérimentation pendant un temps. Je n'ai pas eu l'occasion de la mettre en œuvre, mais l'expérimentation n'a pas prospéré.

La présence de citoyens aux côtés du magistrat est incontestablement une richesse : tous les présidents de cour d'assises vous diront que les délibérés y sont riches et les interventions des jurés de qualité. Ces derniers prennent vraiment à cœur cette mission, qui leur est parfois imposée. Lors des révisions de listes, on voit souvent des personnes arriver en traînant les pieds, espérant ne pas être tirées au sort, mais après avoir participé à un jury d'assises, elles souhaitent recommencer. Cette participation permet de comprendre notamment combien il est compliqué de juger une personne. Tout le monde se fait aisément un verdict au-dehors, mais lorsqu'il faut prendre la décision, c'est beaucoup plus compliqué.

Faire participer nos concitoyens à l'œuvre de justice contribue à leur éducation civique. Mais si l'on constate que le système ne fonctionne pas, pourquoi ne pas essayer de trouver une autre solution ? Peut-être que la conclusion de cette expérimentation sera qu'il ne faut pas se passer des jurys populaires. Il est difficile de dire s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise idée, pour l'instant. Nous essayons de faire fonctionner l'expérimentation au mieux, pour reproduire la dynamique qui existe au sein d'une cour d'assises. La présence des magistrats à titre temporaire, qui peuvent avoir une autre profession et venir d'un autre horizon permet d'apporter un regard différent. Nous verrons, au terme de l'expérimentation, s'il est décidé de la généraliser.

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