Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 16h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d'État :

L'indépendance n'est pas le recroquevillement sur soi, ce n'est pas l'autisme, mais l'obligation de rendre des comptes, d'expliquer ce que faisons et de faire de la pédagogie autour de nos décisions et nos avis. Le Conseil d'État dispose d'un service de communication, qui gère cette relation avec les journalistes et les médias. L'une de mes ambitions, en tant que vice-président – je ne le cache pas – est d'ouvrir davantage la maison du Conseil d'État à l'extérieur, par exemple aux parlementaires. Nous avons invité les parlementaires – j'espère que la commission des lois a déjà saisi cette offre, comme d'autres commissions – à découvrir les métiers du Conseil d'État et à assister à une séance de référé au contentieux, à dialoguer avec la section administrative correspondante, à entendre une présentation de la gestion de la juridiction administrative, et même à participer à une assemblée générale consacrée à l'examen d'un projet de loi, pour comprendre comment nous travaillons et délibérons. Ces nouvelles habitudes ont rencontré un très grand succès, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Nous allons continuer, car nous n'avons rien à cacher. Au contraire, nous voulons montrer ce que nous sommes et comment nous travaillons concrètement.

Pour la communication, nous établissons une différence entre les décisions juridictionnelles et les avis, qui eux sont transmis à un autre pouvoir, à l'exécutif ou au Parlement. La communication ne peut être la même pour une décision dont nous sommes l'auteur ou pour un avis qui est rendu à une autre autorité.

Pour les décisions qui ont le plus de sensibilité médiatique ou d'intérêt juridique, nous rédigeons des communiqués de presse. Nous recevons parfois des journalistes, quand ils souhaitent mieux comprendre la portée d'une décision. Pour l'affaire Lambert, qui a été scrutée avec beaucoup d'attention et a suscité un immense intérêt, nous avons par exemple tenu un point presse pour expliquer nos décisions et répondre aux questions de journalistes. Cela va dans le sens d'une bonne pédagogie.

Pour les avis, c'est plus difficile. Nous rendons des avis à une autorité qui est maîtresse de sa diffusion. Pour les avis sur les projets de loi, l'ancien Président de la République François Hollande a décidé, depuis 2015, sans texte, de rendre publics les avis du Conseil d'État ; cette coutume présidentielle n'est inscrite dans aucun texte. Nous la respectons. Quand le Conseil des ministres se réunit le mercredi sur un projet de loi qui a été examiné par le Conseil d'État, l'avis est publié sur le site Legifrance et sur le site du Conseil d'État, dès le mercredi après-midi. Cependant, nous ne commentons pas cet avis, c'est à l'autorité destinataire de cet avis de le faire, si elle le souhaite. Nous sommes heureux quand nos avis, qui constituent une littérature relativement longue et austère, sont lus. Cela nous fait plutôt plaisir – en tout cas, cela ne nous fait pas de peine. La publicité des avis n'a rien changé à notre métier de fond. Nous nous exprimons avec la même franchise et la même impartialité que par le passé. Cependant, cela nous oblige à rédiger nos avis en sachant qu'ils seront publics et que, par conséquent, leur résonance médiatique sera plus grande. Cela ne change rien sur le fond, mais, par exemple, nous expliquons désormais les points d'accord, et non plus seulement les points de désaccord. Lorsque nous adressons une note au Gouvernement, nous passons en revue tous les points importants d'un projet, y compris quand une disposition particulière ne soulève pas d'obstacle juridique de notre part. En revanche, nous sommes parfois invités par les commissions parlementaires pour expliquer nos avis ; nous n'acceptons pas ces invitations, car nous ne souhaitons pas être en porte-à-faux par rapport aux avis rendus collégialement. Nous pourrions alors être interrogés sur des amendements ou des modifications qui pourraient être introduites. Nous ne commentons pas, nous ne faisons pas de service après-vente, qui consisterait à expliquer nos avis devant la représentation parlementaire. Les avis doivent se suffire à eux-mêmes pour comprendre notre position.

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