Intervention de Xavier Ronsin

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 15h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Xavier Ronsin, président de la Conférence des premiers présidents de cour d'appel :

La Conférence regroupe les 36 premiers présidents des cours d'appel judiciaires. Son bureau est composé de cinq membres élus. J'en suis membre depuis un an et demi et préside la Conférence depuis janvier 2020, pour un an. La Conférence fonctionnant par consensus : l'ensemble des membres n'est engagé que si deux tiers des voix ont pu être réunis sur un projet de résolution. Magistrat depuis quarante ans, j'ai occupé diverses fonctions au siège, au parquet et en administration centrale.

Le chapitre premier du recueil des obligations déontologiques du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s'ouvre ainsi : « L'indépendance de l'autorité judiciaire est un principe fondamental de valeur constitutionnelle, découlant du principe de séparation des pouvoirs. Elle constitue l'une des garanties de l'État de droit. Elle est, pour la société, la condition de sa confiance dans la justice. Elle est, pour le justiciable, la condition d'un procès équitable. Elle est, pour le magistrat, la condition de sa légitimité. »

La notion d'indépendance, institutionnelle et personnelle, participe de la colonne vertébrale de la magistrature et les règles déontologiques encadrent sa vision subjective. Cette notion est d'autant plus importante qu'elle peut se révéler fragile, dans nos vieilles démocraties comme dans les jeunes issues de l'effondrement de l'URSS.

L'évolution de l'office et des marges d'appréciation du juge, qui n'était que la « bouche de la loi » en 1789, sont en outre considérables depuis 50 ans, notamment du fait de la possibilité d'effectuer des contrôles de conventionnalité et de proportionnalité reconnus par la jurisprudence de Strasbourg.

L'indépendance n'a cependant vocation ni à faire plaisir au juge ni à servir son confort personnel. Ce n'est pas l'autre nom du corporatisme. C'est une puissante exigence pour le juge comme pour l'appareil judiciaire, qui à la fois justifie les garanties statutaires du corps – notamment l'inamovibilité des magistrats du siège – et s'impose aux hommes et aux femmes qui rendent la justice. Cela renvoie au savoir-être et au savoir-faire du magistrat, à son éthique personnelle comme à son respect des obligations déontologiques.

L'École nationale de la magistrature (ENM) que j'ai dirigée pendant quatre ans joue un rôle fondamental dans les apprentissages et les déclinaisons de l'indépendance de la magistrature. Comme l'a relevé la Conférence, la volonté d'améliorer la connaissance de l'administration que traduit le rapport Thiriez ne doit pas entraîner une disparition de l'ENM voire une fusion-absorption dans un ensemble « mou » destiné à former plusieurs corps de l'État, où tous les fonctionnaires se ressembleraient. Un policier, un administrateur et un juge ne remplissent pas les mêmes missions. L'indépendance de l'ENM, par les enseignements qui s'y font et le pluralisme de son recrutement, contribue à l'indépendance de la magistrature.

Les conditions matérielles dans lesquelles la justice est rendue ont aussi leur importance, comme l'ont souligné les recommandations de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) ou de la Commission de Venise. Une magistrature tellement démunie qu'elle dépendrait d'une série de contraintes insurmontables pour traiter des contentieux ne pourrait avoir qu'une indépendance de façade.

Par ailleurs, les règles présidant au rôle du CSM sont perfectibles. Il devrait notamment pouvoir être entendu par le Parlement lors de l'examen des projets de loi de finances, et mieux traiter la question de la transparence des postes à pourvoir. La direction des services judiciaires (DSJ) du ministère de la Justice pourrait lui être rattachée pour certaines de ses fonctions. L'impossibilité pour le CSM de substituer un nom à un autre qui lui est proposé limite également son pouvoir d'appréciation.

Le système judiciaire français a de grandes qualités, notamment par son ouverture vers la société civile, mais il peut encore s'améliorer.

L'image selon laquelle l'institution judiciaire serait marquée par un fort corporatisme m'apparaît erronée : 52 % des entrants dans la magistrature passant par l'ENM ont déjà eu une vie professionnelle antérieure, d'avocat, juriste, ou autre. Ce mythe régulièrement agité d'une ENM qui servirait à remplir des cerveaux vides pour façonner des juges sur un moule identique est totalement contraire à la réalité. L'âge de ses élèves va de 27 à 40 ans. Il s'agit donc de personnalités déjà formées. L'ENM est suffisamment pluraliste et accueille suffisamment d'intervenants pour ne pas être accusée d'inculquer une idéologie.

Avant la création de l'ENM par Michel Debré, les élèves magistrats se formaient au parquet sous l'autorité d'un seul maître de stage. L'ENM est reconnue comme l'une des meilleures écoles du monde par les justices européenne et mondiale. Au-delà de l'apprentissage de l'article 64 de la Constitution, elle dispense des enseignements concrets relatifs à la notion d'indépendance, à travers des exercices déontologiques et des cas pratiques.

Je suis responsable de budget opérationnel de programme (RBOP) pour les cours d'appel de Rennes, Angers et Caen. M. Accomando relève d'une unité opérationnelle (UO) dépendant du RBOP de Bordeaux.

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