Le droit présente des lacunes qu'il faut s'efforcer de combler, dans l'intérêt du Gouvernement, du Parlement et, au-delà, du citoyen. Les magistrats l'ont dit, la remontée d'informations a une base légale, répartie en quatre domaines.
Un paragraphe du rapport de Jean-Yves Le Bouillonnec sur le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique est consacré à la remontée d'informations. Elle est décrite comme permettant de nourrir la réflexion du garde des Sceaux sur la conduite de la politique pénale, telle que prévue par l'article 30 du code de procédure pénale et par l'article 20 de la Constitution. En 2013, le législateur a eu le sentiment de franchir un pas supplémentaire vers l'indépendance de la magistrature, mais il reprenait là une préconisation de la commission Truche de 1997.
Les remontées d'informations alimentent aussi le rapport sur l'application de la politique pénale qu'aux termes de l'article 30, alinéa 4 du code de procédure pénale, le ministre de la Justice transmet chaque année au Parlement, et qui peut donner lieu à un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Par ailleurs, lorsque le ministre de la Justice est amené à rencontrer ses homologues, ces informations peuvent s'avérer utiles pour faire avancer les dossiers de ressortissants français enlisés dans une procédure à l'étranger.
Enfin, lors de son audition par la commission des Lois le 21 mai 2013, Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, a précisé que ces signalements, sur lesquels le ministre peut se fonder pour répondre aux questions orales et écrites qui lui sont adressées, sont pour les « parlementaires, une source d'information fort utile, qui [leur] permet de ne pas dépendre des médias pour connaître l'état des procédures ».
Les remontées d'informations sont-elles utiles ? Je me permettrai de citer le rapport de politique pénale que j'ai remis au Parlement le 22 mai 2017 : « Il me paraîtrait cohérent que le Parlement soit en mesure d'évaluer la loi qu'il a votée. L'exercice serait utile à tous. Il pourrait, par exemple, mettre ainsi en lumière la pertinence et le processus de rationalisation engagé quant au nombre de procédures donnant lieu à une remontée d'informations – un nombre passé de plus de 50 000 avant l'entrée en vigueur de la loi à un peu plus de 8 000 au début de l'année 2017. Et plus largement, il serait aussi des plus instructifs de revisiter cette question des ‘remontées d'informations', laquelle continue à alimenter tous les fantasmes et toutes les spéculations, en dépit du fait que les critères de signalement sont désormais fixés en toute transparence. »
Ma réponse n'est pas de circonstance puisque, dans un portrait que la revue Charles m'avait demandé de dresser de François Molins, alors procureur de la République de Paris, j'écrivais en février 2018 : « J'espère qu'un jour le législateur consentira à évaluer ce texte, ce qui permettrait de démontrer combien ces fameuses remontées d'informations auxquelles les parquets sont tenus de procéder à l'intention de la direction des affaires criminelles et des grâces […] sont bien souvent moins fournies et systématiquement plus lentes que celles qui alimentent nombre d'articles publiés dans la presse. »
Si donc je devais qualifier l'intérêt de ces remontées d'informations, destinées non pas au ministre mais à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), je dirais qu'il est mesuré.
Dans certains cas, ces fiches m'ont été indispensables : dans le cadre du conseil de défense traitant chaque mercredi des questions de terrorisme, j'en avais besoin pour retracer les parcours judicaire et pénitentiaire des individus mis en cause – cela nous a d'ailleurs permis de constater que le traitement par le logiciel de la direction de l'administration pénitentiaire n'était pas identique à celui effectué par la DACG, ce qui introduisait une fragilité. Comme les magistrats vous l'ont précisé, les circulaires du directeur des affaires criminelles et des grâces étaient très claires : ces fiches ne devaient pas contenir des éléments de procédure. Du reste, le rapporteur avait précisé lors des débats que « ces remontées d'informations ne constituent en aucune manière des éléments susceptibles d'influer sur l'engagement de la poursuite ni sur le sort qui a été réservé par le ministère public à la question posé ». Des éléments de narration figuraient donc dans ces fiches, mais pas des éléments d'enquête.
Ces fiches m'ont été aussi d'une grande utilité lors de déplacements internationaux : ainsi, en me fondant sur ces informations, j'ai pu appeler l'attention de mon homologue algérien sur les litiges portant sur la garde des enfants dans les divorces de couples franco-algériens.
Je me souviens que deux fiches d'action publique ont retenu mon intérêt. La première portait sur le procès AZF : le procureur général de Toulouse y appelait l'attention sur le fait que, les victimes étant toulousaines, il convenait d'anticiper les troubles que pouvait créer l'organisation à Paris de ce procès très attendu. Par quel autre biais aurais-je pu avoir cette information ? Dans la seconde fiche, le procureur général de Pau indiquait que la saisie de 3,5 tonnes d'armes dans huit caches de l'ETA, après l'opération de désarmement unilatéral, posait un problème de stockage. Or cela relevait du parquet de Paris, compétent en matière de terrorisme.
Je ne condamne pas les fiches d'action publique, qui peuvent apporter ici ou là des éléments intéressants. Mais la réalité, d'une banalité confondante, est très loin de la curiosité et des fantasmes qu'elles suscitent.