Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du mercredi 27 mai 2020 à 16h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Le circuit de diffusion des fiches d'action publique est coutumier – il ne repose sur aucun texte –, ce qui n'est pas un gage de clarté. Lorsque j'étais à la Chancellerie, c'étaient le directeur des affaires criminelles et des grâces et mon directeur de cabinet qui décidaient du circuit de diffusion. J'imagine que depuis le jugement rendu par la CJR, la directrice des affaires criminelles et des grâces l'a modifié. Il serait souhaitable de préciser le niveau de protection dont ces documents administratifs doivent faire l'objet, ce qui contribuerait à protéger le ministre et les autres destinataires. Il faudrait normer ces fiches d'action publique comme on l'a fait pour les notes du service national du renseignement pénitentiaire.

La CJR a décidé, sur une base juridiquement hésitante, que le ministre était dépositaire d'un secret professionnel. Se fondant sur un arrêt de la CEDH du 18 mai 2004, concernant l'interdiction de la publication du livre du Dr Gubler, la CJR a estimé que la divulgation des informations contenues dans une fiche d'action publique « ne peut trouver un fondement légitime que si elle est justifiée par un motif d'intérêt général dont l'importance doit être proportionnée à la gravité de l'atteinte portée au secret ». J'en conclus que l'on peut violer le secret professionnel si l'exercice de la liberté d'expression le justifie, dès lors que cela s'inscrit dans l'intérêt général. La règle actuelle me paraît assez gazeuse et je pense qu'il serait dans l'intérêt du Gouvernement et du débat parlementaire que le législateur précise dans quelles conditions un ministre peut s'exprimer, tout comme l'article 11 du code de procédure pénale le prévoit s'agissant du procureur.

Je n'ai pas de proposition concernant la déontologie des magistrats, qui reçoivent une formation de qualité. Le risque auquel s'expose l'ENM, comme toutes les écoles, est de souffrir d'un fonctionnement par trop autarcique.

Je suis surpris qu'un auditeur de justice puisse occuper, pour son premier poste, la fonction de juge d'instruction. Au Royaume-Uni, on ne peut exercer de fonctions touchant les libertés individuelles qu'après avoir eu une première expérience dans le domaine du droit. J'ai rencontré une magistrate, tout juste sortie de l'ENM, qui se trouvait confrontée à la solitude du juge d'instruction. J'ai cité Marc Aurèle : eh bien, je ne pense pas qu'elle était sereine !

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