Spontanément, je suis opposé à l'exposition des juges, au pénal et peut-être également au civil. Je crois beaucoup à la pédagogie. Je suis très critique lorsque la pratique ou la décision d'un juge me paraît incompatible avec sa mission, mais nous côtoyons quotidiennement de très grands magistrats, qui expliquent leur décision à la personne à laquelle ils infligent une sanction. Cet effort pédagogique me paraît absolument indispensable, même s'il peut n'être pas suffisant.
Qu'un chef de juridiction publie un communiqué pour expliquer une décision et rappeler qu'elle a été précédée par un débat contradictoire, pourquoi pas ? Mais, au pénal, la question ne devrait pas se poser. Bien entendu, on ne peut pas empêcher les médias d'émettre des critiques. Mais lorsque j'entends des élus s'étonner du quantum de la peine prononcée… Chacun peut commettre des erreurs, mais cela, c'est impossible. J'ai été entendu, il y a quelque temps, par la commission des Lois dans le cadre de sa réflexion sur la législation applicable aux infractions sexuelles. Cette réflexion a été menée dans la précipitation, après une décision du tribunal de Pontoise dont nous ne savions rien, puisque l'audience s'était déroulée à huis clos. Les avocats de la défense estimaient que l'affaire avait été très bien jugée ; l'avocat de la partie civile prétendait le contraire. Mais c'est normal ! Un recours avait été formé, mais les critiques ont été telles que, dans les trois semaines suivantes, une nouvelle loi était élaborée…
Je ne suis pas favorable à une expression publique du juge. Je crois beaucoup à la force et à la sacralisation de l'audience publique : le juge statue en faisant abstraction du tumulte – peut-être est-ce une vision un peu idéalisée. Il peut être protégé si les uns et les autres assument leurs responsabilités personnelles : les avocats en maîtrisant leur communication, certes, le procureur en donnant des explications.
De même que je ne souhaite pas l'exposition des juges, je ne suis pas favorable a priori à la publicité de leurs déclarations d'intérêts. Que le chef de juridiction reçoive chacun des magistrats et qu'ils réfléchissent ensemble aux risques de conflits d'intérêts est un progrès formidable, car cela signifie que les magistrats ont pris conscience du regard que l'on porte sur eux. Je suis navré que l'on s'intéresse de plus en plus à la personnalité des uns et des autres. Pour ma part, je m'intéresse, car mon métier l'exige, à la jurisprudence d'une chambre, dont je dois avoir connaissance pour adapter ma défense, mais je ne veux rien savoir de la personne. En revanche, je suis heureux qu'un président puisse recevoir un juge et, le cas échéant, l'inviter à se déporter. Je peux moi-même prendre une initiative en la matière si j'ai connaissance de faits qui jetteraient la suspicion sur l'impartialité d'un juge.
Enfin, j'ai tellement de respect pour la justice et pour la fonction de magistrat que je ne voudrais pas qu'il soit trop facile de devenir juge. Il faut faire attention : on peut choisir véritablement de devenir juge, mais on peut aussi – car n'oublions pas que notre profession traverse une très grande crise économique – faire ce choix par dépit ou par incapacité à poursuivre son activité d'avocat. Il ne faut pas que cela devienne une voie de garage ! Certes, il faut favoriser la venue de personnes extérieures, mais – je suis désolé de cette trivialité – si nous voulons que les bons avocats, qui connaissent parfaitement la matière juridique, intègrent la magistrature, il faut que la carrière de juge soit financièrement attractive.