La séance est ouverte à 10 heures 05.
Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.
La Commission d'enquête entend, en visioconférence, M. Jean-Michel Prêtre, avocat général près la cour d'appel de Lyon.
La commission d'enquête entend M. Christian Saint-Palais, président de l'Association des avocats pénalistes.
Maître, je vais vous donner la parole pour un exposé liminaire qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(M. Christian Saint-Palais prête serment.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole sur un sujet qui me préoccupe au même titre que tous les autres citoyens. Mon intervention risque cependant de vous décevoir, dans la mesure où il m'apparaît impossible de répondre à certaines des questions que vous m'avez adressées par écrit. Ainsi, vous m'invitez à rapporter des cas où l'indépendance d'un juge ou de la justice aurait été mise à mal, mais je n'en aurai pas à vous soumettre : s'il peut arriver que nous nous interrogions au sujet d'une décision rendue parce qu'elle nous semble difficilement explicable, en tant qu'avocat, je ne me permettrai jamais d'évoquer publiquement une suspicion qui n'est pas avérée – et j'espère toujours, d'ailleurs, que mes doutes ne sont pas fondés. Je n'ai jamais rencontré de cas avéré dans l'exercice de ma profession et, ayant interrogé à ce sujet les membres du comité directeur de l'association et certains de mes collègues pénalistes, je n'en ai aucun à vous rapporter.
Cela dit, force est de reconnaître que le lien de confiance entre nos concitoyens et la justice s'est à ce point effiloché qu'il est aujourd'hui presque rompu. L'une des critiques revenant le plus souvent à l'encontre des juges est celle d'un supposé manque d'indépendance. Dans le rôle d'observateur qui est le leur, les avocats sont pour leur part témoins de ce qu'ils perçoivent comme un manque d'impartialité, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, bien que les deux notions puissent se rejoindre : je pense en effet que le manque d'impartialité comporte le risque d'un manque d'indépendance par rapport à soi-même.
On peut également s'interroger sur l'indépendance entre les juges et le pouvoir exécutif ; sur l'indépendance des juges par rapport au procureur ; sur l'indépendance entre juges du siège et juges du parquet, en raison du fait que ces magistrats appartiennent au même corps – le principe de l'indépendance publique entre les juges du siège et ceux du parquet étant cependant affirmé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur son site – ; sur l'indépendance entre les juges et la police judiciaire ; enfin, sur l'indépendance des juges par rapport aux médias.
Pour ce qui est des rapports entre la justice et l'exécutif, les critiques à l'égard de la justice sont assez naturelles. Dans un procès, il y a toujours un perdant, et celui-ci met parfois un certain temps à admettre que son dossier était peut-être mauvais – l'idée que son avocat l'était faisant, elle, son chemin assez rapidement. Vous connaissez sans doute l'adage selon lequel « on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses juges » : je peux vous dire que nos concitoyens ne s'en privent pas lorsqu'ils perdent une affaire ! Quand l'un d'eux se trouve dans cette situation, il ne va généralement pas mettre en doute l'indépendance du juge, mais critiquer son incapacité à comprendre les choses, son incompétence, sa partialité.
En revanche, quand elles ont affaire à la justice, nos élites sont très enclines à véhiculer l'idée d'un manque d'indépendance de sa part, se plaignant de ce que le traitement de leur affaire ait été altéré par la volonté du procureur de faire plaisir à son supérieur, à savoir l'exécutif. Certaines des formules utilisées en de telles occasions ont été très médiatisées. La phrase : « Je suis ici par la volonté d'un homme » a été prononcée devant une juridiction par un ancien Premier ministre, qui comparaissait devant elle à la suite d'une ordonnance rendue par un juge d'instruction, donc un juge du siège, et l'homme visé par cette formule n'était autre que le Président de la République…
De même, quand un chef de parti découvre la violence d'une perquisition – une violence légitime, parce qu'elle est prévue par la loi et que des centaines de nos concitoyens y sont soumis chaque jour –, sa première réaction – que je peux comprendre, car il est normal de chercher à se défendre en employant tous les arguments possibles – est d'invoquer l'instrumentalisation de la justice à ses dépens, et ses amis ne se privent pas de répandre dans l'opinion publique l'hypothèse selon laquelle cet épisode aurait été motivé par des raisons exclusivement politiques.
Enfin, le fait qu'un ancien Président de la République accuse « deux dames » d'acharnement, en soulignant l'appartenance des magistrates à un syndicat, ne peut que discréditer la qualité de juge d'instruction en incitant au doute quant à son indépendance : de tels mots marquent les esprits de nos concitoyens, qu'ils incitent à croire que les juges sont à la solde de l'exécutif. Évidemment, il peut arriver que des expressions de ce genre soient reprises par nous, les avocats, qui avons pour mission de porter la parole de ceux que nous défendons. Dès lors, il se peut que nous participions à cette atteinte à l'autorité de la justice.
Vous avez largement abordé, au cours des auditions précédentes, la question des nominations. Pour ma part, à l'instar de l'ensemble des avocats pénalistes, je ne suis pas opposé à ce qu'il existe un lien hiérarchique au sein du parquet, et je ne crois pas à l'idée d'un corps qui serait tout à fait autonome, voire « hors sol ». Cependant, les atermoiements auxquels on a pu assister lors de la nomination de certains procureurs, notamment du procureur de Paris, alors que les personnalités pressenties étaient incontestables et ne pouvaient en aucun cas être soupçonnées de manquer de la force nécessaire pour faire preuve d'une parfaite indépendance, ont pu être source de confusion. Puisqu'il semble qu'on ne pourra jamais se passer de l'avis conforme du CSM, décidons une bonne fois pour toutes que tous les magistrats, y compris ceux du parquet, seront désignés par le CSM à l'issue d'une instruction intégralement menée par celui-ci.
Par ailleurs, il me semble que l'on pourrait tout à fait aligner le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des juges du siège. Comme pratiquement tous les pénalistes, je suis convaincu de la nécessité de séparer les magistrats du siège et ceux du parquet en deux corps distincts – les magistrats étant, eux, quasi unanimes à penser le contraire. Je ne suis pas opposé à l'existence d'un lien hiérarchique au sein du parquet, qui ne me fait pas peur, ni même à la remontée d'informations : j'ai toujours pensé que le garde des Sceaux devait être informé de ce qui se passe dans le pays. Par le passé, une garde des Sceaux a été informée de ce qu'un ancien Président de la République – un opposant politique au pouvoir en place au moment des faits – était placé sur écoute, et que des conversations avec son avocat avaient été entendues. Ce qui a posé problème dans cette affaire, c'est que l'information remonte sans qu'on en connaisse l'étendue et sans que l'on sache quelle utilisation en avait été faite. Pour éviter cela, pourquoi ne pas envisager que, lorsque de telles remontées se produisent, il y ait une trace écrite des informations remontées, afin que par la suite, un juge indépendant, ayant toute latitude pour examiner les choses, puisse porter une appréciation sur l'intégralité de l'enquête au regard de ce que l'on sait des contacts ayant existé entre les uns et les autres ? Il me paraît important que la défense puisse savoir, ne serait-ce qu' a posteriori, ce qui a pu se passer.
Il est essentiel d'assurer l'indépendance des juges par rapport au procureur. Pendant très longtemps, on a critiqué la façon dont se déroulaient les audiences, reprochant aux magistrats de ne pas mesurer comment les justiciables pouvaient analyser leur comportement en audience – je pense notamment à des choses aussi simples que le fait d'arriver ensemble et de repartir ensemble. Heureusement, les pratiques ont beaucoup évolué et chacun a fini par comprendre que, publiquement, il faut afficher une distance.
Pour moi, la justice est une institution, une entité, et je m'étonne toujours de voir que les justiciables cherchent constamment à connaître le nom de ceux qui vont les juger. Ce qui était difficile dans les années 1990 est devenu un jeu d'enfant depuis que tout le monde a accès à internet, et les gens savent maintenant qui sont leurs juges, ils connaissent leur parcours et leurs prises de position publiques. Dès lors, quand ils ne sont pas satisfaits d'une décision, ils vont pouvoir imputer la motivation de celle-ci à des pratiques du parquet marquées par un manque d'indépendance.
Lors de précédentes auditions, vous avez évoqué la question des allers-retours des magistrats entre le siège et le parquet, qui est loin d'être anodine : selon moi, aucun procureur ne peut avoir la force de s'abstraire totalement des pratiques du parquet pour devenir juge. Ceux qui prétendent le contraire portent atteinte à ce qu'il faudrait valoriser, à savoir la grandeur de la mission de juger. Car juger, c'est bien plus difficile que requérir : pardon pour ce manque d'humilité, mais un avocat peut tout à fait requérir, quasiment du jour au lendemain, sans avoir de techniques particulières à apprendre. Accepter qu'un procureur puisse instantanément devenir juge contribue à donner le sentiment que juger n'est pas si difficile que cela. Par ailleurs, tout le monde n'est pas capable de s'abstraire de certaines pratiques telles que la remontée des données ou du lien hiérarchique qu'il a eu durant des années avec son supérieur.
Bien sûr, on peut changer de carrière, et nous sommes très favorables à la diversité au sein du corps des juges, qui nous paraît nécessaire pour comprendre nos concitoyens et bien les juger. Avec les solides bases juridiques qu'ils possèdent, complétées par une formation, certains avocats peuvent devenir juges. Qu'au bout de dix ans d'exercice, et après une formation, des procureurs deviennent juges, c'est très bien aussi. Cependant, tout cela ne doit se faire qu'une fois et dans un seul sens, sans allers-retours.
En revanche, qu'un juge devienne procureur, je n'y suis pas du tout favorable, car cela altère même ses décisions passées. Il arrive en effet que, voyant un président de tribunal devenir avocat général par nécessité de carrière, on dise de lui qu'il a trouvé sa place, tant il était répressif quand il était juge... Cela dévalorise ce qu'il faisait précédemment, c'est pourquoi j'estime qu'il faudrait mettre fin à cette pratique. Je crois à l'aptitude et à la volonté de chacun de redevenir juge : ce n'est pas parce qu'on a été directeur de cabinet que l'on n'est plus capable de juger, mais il faut tout de même savoir faire preuve d'une certaine humilité et reconnaître qu'il est bien compliqué de se défaire de ses anciennes amitiés – en d'autres termes, de se méfier de soi-même, comme je le disais tout à l'heure.
Personnellement, je ne suis pas favorable à l'idée d'une école qui réunirait tous les professionnels du droit – procureurs, juges et avocats –, car j'estime qu'on ne peut bien juger qu'avec une certaine distance, nécessaire pour laisser de la liberté à celui qui va juger. Quand des liens d'amitié sont nés dans une école, cela ne permet pas de garantir que les esprits les plus faibles – oui, on trouve des médiocres partout, y compris au sein de la magistrature ! – vont pouvoir s'élever, plutôt que glisser sur la mauvaise pente. Abolir les distances est une mauvaise chose à tout point de vue, notamment en termes d'image. Certes, les décorations ne doivent pas avoir été sollicitées mais, quand un magistrat en reçoit une, croyez-vous que les justiciables ne s'interrogent pas sur les raisons qui ont présidé à son octroi ? Je ne suis pas en train de dire que l'indépendance de tel ou tel magistrat est compromise – je ne l'ai jamais fait –, mais d'insister sur les dommages que cela produit sur l'image – car chacun sait que, pour obtenir une décoration, il faut avoir pris garde à ne froisser personne. Si l'on tient en grande estime l'ordre de la Légion d'honneur, on peut penser qu'elle n'a pas à être décernée à ceux qui font simplement leur devoir, et il est donc légitime de s'interroger sur les raisons présidant à ce qu'elle soit accordée à des personnes n'ayant pas accompli les actes de bravoure qui devraient être les seuls à la justifier.
Enfin, quand je parle de se méfier de soi-même, je pense aussi à la parole publique. Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause la faculté pour le juge de se syndiquer ou de prendre part à la vie sociale, mais une certaine modération est nécessaire, afin de ne pas donner trop de prise aux tentatives des justiciables d'en savoir toujours plus sur ceux qui les jugent. Il arrive que des juges en fonction expriment leurs humeurs sur les réseaux sociaux. Or, j'estime qu'un juge du siège n'a justement pas à manifester d'humeurs : il doit avoir une telle maîtrise de lui-même que, lors de l'audience, il doit même être en mesure de renoncer à la conviction qu'il s'était forgée en lisant le dossier, afin d'être parfaitement réceptif à tous les arguments qui vont être échangés au cours du procès. Quand un juge exprime publiquement des opinions très tranchées sur telle ou telle personnalité publique et sur les décisions qu'elle prend, et qu'il est ensuite chargé de l'instruction d'un dossier, il est normal que les justiciables mettent en cause, si ce n'est l'indépendance, du moins l'impartialité de ce juge.
Je suis convaincu que, de par les fonctions que nous exerçons – y compris au barreau –, nous avons tous une responsabilité individuelle à assumer en termes de prises de position publiques : en d'autres termes, nous devons faire en sorte de ne pas mettre en cause l'autorité de la justice, qui n'a pas besoin d'être fragilisée. Après un débat qui doit être vif, car tous les arguments doivent pouvoir être exposés, il est très important pour la cohésion du corps social qu'une fois les décisions devenues définitives, c'est-à-dire quand elles ne sont plus susceptibles de recours, on puisse parvenir à un apaisement. Récemment, il a été rendu une décision de justice relative à une agression sexuelle, qui était susceptible de heurter l'opinion, mais que les magistrats avaient prise sur le fondement exclusif de considérations de droit. Or, cette décision a été critiquée publiquement par des députés, ce qui, à mon sens, porte atteinte à l'autorité de la justice.
. Vous dites ne pas avoir eu connaissance de cas avérés de manquement à l'indépendance ou à l'impartialité, même s'il est parfois permis de s'interroger. Il n'y aura, de toute façon, jamais moyen de vérifier ce qui s'est vraiment passé, à moins, peut-être, de construire et de mettre en place un contre-pouvoir chargé de le faire.
Vous avez également dit que les justiciables cherchaient souvent à se renseigner sur ceux qui vont les juger. N'est-ce pas un secret de Polichinelle que tel ou tel magistrat est plus ou moins sévère, et rend tel ou tel type de décision ? Que tel ou tel magistrat du parquet est enclin à prendre telle ou telle réquisition ? Le cas échéant, comment vivez-vous cela ?
Il existe une voie de recours quand nous avons un soupçon de manquement à l'impartialité, à savoir la requête en suspicion légitime. Il est déjà arrivé que notre cabinet aille trouver le chef de juridiction afin de l'interroger sur l'opportunité de la désignation d'un juge qui, pour nous, n'était pas en mesure d'être impartiale – ou du moins de renvoyer cette image –, car il avait déjà jugé et condamné notre client précédemment pour des faits similaires : il y avait tout lieu de penser que ce magistrat pourrait être enclin à rejuger la même personne de la même façon. Le juge en question a lui-même admis que, pour ne pas altérer l'image de la décision qui serait rendue, il était préférable qu'il se déporte.
Certains juges ont effectivement une réputation, d'où les interrogations que peut susciter le choix de confier l'instruction d'un dossier à tel ou tel juge. Personnellement, je repousse systématiquement les demandes de mes clients tendant à éviter un juge en raison de sa réputation, car je veux croire qu'un juge rend toujours sa décision en conscience et de bonne foi. L'essentiel est qu'il y ait un débat public, que chacun ait pu présenter ses arguments et que nous ayons des voies de recours. Je refuse de dire, par exemple, que tel ou tel juge d'instruction est un opposant politique – ce qui ne m'empêche pas de déplorer que certains véhiculent cette image, prêtant ainsi le flanc à la critique et à la suspicion.
Pour vous, qu'est-ce qui est préférable ? Est-ce avoir affaire à un juge qui a des convictions mais les cache, ce qui fait que le justiciable ne trouve rien à redire, ou avoir affaire à un juge qui assume ses convictions, ce qui est plus transparent et ne l'empêche pas de faire preuve d'indépendance dans son comportement individuel et personnel ?
Par ailleurs, pensez-vous que l'évolution du code pénal et du code de procédure pénale a aidé les juges à être de plus en en plus indépendants, ou au contraire qu'elle a contribué à porter atteinte à leur indépendance ?
Pour ce qui est de votre dernière question, j'ai relu récemment le livre Justice et politique, le couple infernal, de l'avocat pénaliste Patrick Maisonneuve. Il y rapporte qu'au début des années 1980, un juge d'instruction qui venait de lui dire qu'il n'allait pas libérer son client avait reçu un appel téléphonique alors qu'il se trouvait dans son bureau. Le juge répond : « Oui, monsieur le directeur de cabinet », il raccroche et annonce à mon confrère que la liberté est finalement possible… Aujourd'hui, de telles pratiques ont disparu. Si certains politiques ont cherché à engager des réformes pour supprimer les juges d'instruction, c'est parce que ceux-ci disposaient d'une liberté leur permettant de convoquer un Président de la République. Le droit qui s'est construit au cours des dernières décennies est allé dans le sens d'un renforcement de cette indépendance.
Avons-nous besoin de connaître nos juges pour mieux anticiper leurs critiques ? Les juges peuvent avoir eu une autre vie professionnelle et s'être exprimés par le passé en tant qu'avocats ou procureurs, cela ne me dérange pas. Cependant, dans la manifestation de son regard sur la société, le juge doit s'astreindre à une certaine mesure, à ne pas montrer qu'il peut être dominé par l'humeur. Si le justiciable voit le juge se laisser aller à la colère au cours des débats, cela va évidemment l'inquiéter. Il ne s'agit pas d'exiger que le juge soit inaccessible aux passions, mais seulement qu'il maîtrise son image publique. Il en est ainsi des magistrats les plus respectés, qu'ils soient procureurs ou juges du siège : on sait qu'ils sont habités par certaines idées – une vision humaniste, ou au contraire une grande sévérité dans la répression – mais cela n'empêche pas qu'on les respecte, du moment qu'ils s'expriment avec la mesure qui sied à un magistrat. Un procureur peut s'agiter comme un avocat, cela importe peu, mais il en est autrement d'un juge du siège : si celui-ci peut dire le fond de sa pensée et exposer les grands principes qui l'animent, il doit le faire avec retenue.
Je comprends votre analyse sur le procureur, mais il me semble que, pour le public, celui-ci représente tout de même le ministère public, et non simplement lui-même – à la différence de l'avocat qui, lui, représente son client.
Lors du mouvement des gilets jaunes, le pouvoir politique a clairement exprimé son intention de réprimer cette mobilisation sociale : des circulaires de politique pénale ont demandé au ministère public de requérir avec une certaine sévérité, et on a même vu la garde des Sceaux se déplacer au tribunal de Paris pour s'assurer de cette orientation. On peut comprendre que cette pratique fonctionne pour le parquet, mais comment s'expliquer que son effet se soit étendu au siège, et que les jugements rendus aient correspondu à cette volonté de sévérité ?
Il peut être difficile pour un juge de s'abstraire d'un climat, c'est pourquoi nous exhortons les politiques à ne pas intervenir dans des affaires en cours. Cependant, je me refuse à penser que l'exécutif dicte au siège le comportement qu'il doit avoir. Premièrement, quand il y a une circulaire, je compte sur les magistrats du parquet pour résister à l'expression d'une volonté publique : ils peuvent être loyaux vis-à-vis de la Chancellerie, mais ils doivent en tout état de cause faire preuve de discernement et ne pas perdre de vue leur obligation en tant que magistrats de rester dans le cadre de la loi. Lors de la grève des avocats de début 2020, je me félicite que les procureurs aient appliqué avec loyauté, mais aussi avec discernement, les instructions qu'ils avaient reçues sur le renvoi des affaires.
Je refuse également le postulat selon lequel les juges du siège auraient cédé à des injonctions. Bien sûr, ils ne peuvent être insensibles au tapage, mais il ne faut pas oublier que les avocats sont présents lors des audiences. Si nous ne pouvons pas convaincre systématiquement les juges, nous les exhortons à s'abstraire du tapage. Je suis peut-être un peu naïf, mais je tiens aux principes, et j'en demande le respect : je vais reprocher publiquement au procureur d'appliquer une circulaire sans discernement et, pour ce qui est des juges, je vais les exhorter à prendre du recul. Ce qui me gêne le plus, c'est l'idée que ces magistrats puissent montrer de la faiblesse. Certains d'entre eux – d'anciens directeurs de cabinet, par exemple – ont pu conserver des accointances avec des politiques ; celui qui a été décoré à plusieurs reprises va-t-il être assez fort pour résister aux attentes du pouvoir ? De même, il peut être difficile pour un ancien procureur, qui requérait naguère avec fermeté, d'envisager les choses du point de vue opposé. Si un justiciable est jugé sévèrement, comme le permet la loi, il doit avoir l'assurance qu'il l'a été en toute impartialité et en toute indépendance.
Il ne peut y avoir de procès équitable que si l'avocat lui-même respecte la déontologie et fait preuve d'une totale indépendance. Or, il arrive que des sanctions soient prises à l'encontre de certains de vos consœurs et confrères en raison de manquements à l'indépendance. Le fait de passer d'un dossier à l'autre peut être à l'origine d'un conflit d'intérêts – on a pu reprocher à certains avocats d'avoir mal défendu des étrangers, par exemple. On compte 70 000 avocats en France : comment faire en sorte que chacun d'eux agisse constamment dans le souci de préserver son indépendance ?
Tout d'abord, nous prêtons le serment d'exercer nos fonctions non seulement avec probité et humanité, mais aussi avec indépendance. Bien entendu, nous avons l'ambition d'être à la hauteur de cette exigence ; mais c'est parfois difficile, surtout en période de crise économique. Ne l'oublions pas, nous avons des rapports d'argent avec ceux que nous défendons. Pardon pour cette trivialité, mais nous faisons tourner une boutique. Or, vous le savez, beaucoup de membres du barreau sont dans une situation précaire. C'est pourquoi nous réclamons des dotations substantielles en faveur de l'aide juridictionnelle, de façon à ce que les avocats soient indemnisés de manière décente. Du reste, des magistrats ont rappelé devant votre commission la dimension budgétaire de l'indépendance.
Si l'avocat est vulnérable, il peut être accessible à certaines séductions. C'est un danger que nous connaissons et auquel nous nous efforçons de résister, individuellement et collectivement, par la formation et, le cas échéant, par la mise en œuvre de procédures disciplinaires. Notre bâtonnier, qui est notre autorité disciplinaire, engage ainsi les procédures qu'il y a lieu d'engager. Ceux de nos confrères qui ont fauté doivent évidemment être défendus, mais nulle complaisance ne saurait être admise, car l'indépendance dépend de l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. Il s'agit donc d'une véritable préoccupation.
Sous cet aspect, la question de l'avocat en entreprise soulève de sacrées questions, dont nous débattons souvent. Autant on est intransigeant, et il le faut, avec des confrères qui se battent sur des terrains compliqués, comme celui du droit des étrangers, que vous avez évoqué, autant on serait prêt à accepter l'atteinte à l'indépendance que représente l'avocat en entreprise. Ce n'est pas fait : la profession a résisté, surtout en province. La déontologie est une véritable préoccupation, et les procédures disciplinaires sont efficaces.
J'apprécie le regard critique que vous portez sur votre profession et, je dois le dire, je suis agréablement surpris par vos propos empreints de tempérance et de pondération, qui se distinguent sensiblement de certains comportements de vos confrères. Mais c'est ainsi : la justice est faite par des hommes, pour des hommes.
Vous avez commencé votre intervention par un propos qui aurait pu paraître choquant si vous ne l'aviez développé par la suite. Vous avez affirmé, en effet, que vous étiez un observateur. Or, les avocats sont, me semble-t-il, des acteurs du processus judiciaire. Vous semble-t-il que les avocats respectent parfaitement les règles en matière d'indépendance de la justice ? On constate, par exemple, qu'ils critiquent volontiers les décisions de justice et passent parfois outre l'article 11 du code de procédure pénale.
Mes propos, je l'espère, sont mesurés et conformes à ma conception de la justice – en tout cas, c'est ainsi, me semble-t-il, que me connaissent mes interlocuteurs magistrats. Mais j'admets que mes actes et les déclarations que je peux faire dans l'effervescence qui suit une audience, par exemple, ne sont pas toujours à la hauteur de mes ambitions en la matière. Je l'assume sans difficulté, car la passion de la défense peut conduire à certains excès. Et je préfère les avocats excessifs aux avocats trop timorés. Au reste, vous avez failli me reprocher de ne concevoir ma mission que comme celle d'un observateur. Mais, vous l'avez compris, je suis un observateur pour ce qui concerne l'indépendance de la justice : je suis une vigie en la matière, prêt à agir en cas de problème.
Notre mission, comme celle des magistrats, est très difficile. Les exigences auxquelles nous nous soumettons en prêtant serment nous imposent de réfléchir, d'être mesurés, de nous élever. Sommes-nous toujours à la hauteur des prescriptions de l'article 11, par exemple ? Oui, il m'arrive de critiquer des décisions de justice. Ma mission, au pénal, est d'ériger au rang de vérité judiciaire la vérité de celui que je défends. Or, je n'atteins pas toujours cet objectif, hélas, de sorte que je peux être parfois animé d'une colère ou d'une déception telle que j'ai du mal à reconnaître publiquement que j'ai échoué. Ainsi, peut-être m'avez-vous entendu critiquer un juge, incapable de comprendre... Mais il ne faut pas reprocher ce type de propos aux avocats ; ils n'ont pas la même fonction que les juges. À cet égard, le laisser-aller d'un avocat dans l'exécution de sa mission est, certes regrettable, mais beaucoup moins grave que celui d'un juge.
Nous pouvons communiquer sans préjudice des droits de la défense. Ainsi, lorsque je parle, je dois le faire, non pas en pensant à ma petite personne et à ma publicité, mais dans l'intérêt exclusif de celui qui m'a confié la défense de ses intérêts, voire son destin. Telle est ma seule préoccupation. Mais nous sommes des personnalités, nous avons une appétence pour l'exposition, si bien que nous ne parvenons peut-être pas toujours à contenir notre propos. En tout état de cause, si vous avez pu m'entendre critiquer une décision de justice – je suis dans mon rôle, lors que je le fais –, vous ne m'avez jamais entendu critiquer le juge lui-même. De même, dans mes plaidoiries, je ne nomme jamais le juge d'instruction ; c'est une fonction que je critique. Nous ne sommes peut-être pas toujours à la hauteur, mais notre préoccupation est de l'être.
Vous avez indiqué que les procureurs et les juges du siège pourraient relever de deux corps distincts. Pourriez-vous expliciter la manière dont cela pourrait être organisé ? Par ailleurs, faut-il conserver le modèle français, dans lequel il suffit pour être magistrat de réussir, souvent très jeune, un concours ou êtes-vous plutôt favorable au modèle anglo-saxon, dans lequel on ne devient juge du siège qu'après avoir exercé en tant que professionnel du droit ou de l'économie ?
Les avocats pénalistes sont divisés sur ce point. Le discours qui devient peut-être dominant met l'accent sur l'aptitude à juger, laquelle serait conditionnée par l'expérience. De fait, comment ne pas s'interroger sur l'obligation à laquelle se soumet une personne jeune, souvent brillante – certains sont devenus avocats parce qu'ils n'étaient pas capables d'intégrer la magistrature –, de se contenir et de s'engager, pour ne pas s'exposer aux critiques, dans une vie presque monastique ? Je me refuse à dire qu'un jeune n'est pas apte à juger ; au contraire, j'apprécie que, dans le cadre de la collégialité, un magistrat d'expérience délibère avec un plus jeune, qui peut lui apporter un regard différent. Mais un jeune qui, souvent, a suivi un parcours sans faute peut-il être juge d'instruction et donner à ceux qui vont comparaître – des décideurs économiques, par exemple – le sentiment qu'ils seront bien jugés ? On peut s'interroger. Au demeurant, je crois que les promotions actuelles de magistrats comptent 52 % de personnes qui ont eu une autre expérience professionnelle. La critique selon laquelle les magistrats forment une caste et vivent entre eux n'est donc plus valable.
Je puis vous dire que, lorsque j'ai rejoint l'Association des avocats pénalistes, au début des années 1990, le seul sujet qui faisait l'unanimité en son sein était celui de la séparation des corps – et c'est encore le cas aujourd'hui. Mais la réflexion ne va guère au-delà ; ce sera à vous de travailler si vous explorez cette piste. Il importe, en tout cas, d'éviter les allers et retours entre les deux statuts et d'avoir conscience que ce sont des missions différentes. Si la magistrature était composée de deux corps distincts, les juges du siège auraient la possibilité de contrôler l'engagement des poursuites par les procureurs, lesquels appartiendraient, quant à eux, à un système hiérarchisé – ce qui ne me dérange pas.
L'évolution de la procédure pénale vous paraît-elle favorable à l'indépendance ? Je pense, par exemple, au rôle des parquets, qui paraît sensiblement renforcé, notamment sous l'impulsion des directives européennes, de même que celui du juge des libertés et de la détention (JLD), auquel on fait de plus en plus appel. Est-ce un mouvement normal, qui correspond à l'évolution des mentalités ? Faut-il l'accompagner de réformes structurelles, telles que l'indépendance du parquet ?
Je ne suis pas spontanément favorable à l'indépendance du parquet, mais je constate l'évolution de ses pouvoirs. Celle-ci me paraît possible mais, l'indépendance du parquet n'étant pas, selon la Cour européenne des droits de l'homme, suffisante pour qu'il mène ses investigations jusqu'à leur terme – ses membres ne peuvent pas remplir les fonctions de juge –, il faut nous assurer que ses initiatives peuvent être contrôlées à tous les stades par un juge du siège.
Vous avez évoqué le renforcement du rôle du JLD – c'est une possibilité. L'extension des pouvoirs du parquet ne peut être admise que si elle s'accompagne d'une extension des pouvoirs du JLD. Mais se pose alors, là encore, la question des moyens. Pour que la décision du juge du siège ait du poids, pour qu'on ait confiance dans cette décision, il faut qu'il ne soit pas submergé. Or, à chaque fois que l'on étend ses pouvoirs, on omet de prévoir une augmentation adaptée du nombre des postes.
En somme, il faut veiller à maintenir l'équilibre, ce qui suppose d'introduire le contradictoire : si la défense peut saisir le juge du siège pour qu'il contrôle les actes du parquet, alors cet équilibre peut être trouvé. Cependant, il ne suffit pas d'inscrire dans la loi que le JLD peut être saisi ; encore faut-il lui en donner les moyens. Force est de constater que, quels que soient leurs efforts, leur volonté, la connaissance que les JLD ont d'un dossier n'est pas à la hauteur de celle du parquet, et ils ne peuvent pas être instruits par la défense puisque celle-ci n'est pas encore dans le dossier.
Comme Jean-Jacques Urvoas l'a déclaré lorsqu'il a été nommé garde des Sceaux, le budget la justice n'est pas à la hauteur – nous ne cessons de le constater, notamment dans le cadre de cette commission d'enquête.
L'indépendance de la justice se construit avec tous les acteurs, et pas uniquement les juges et les procureurs. À cet égard, l'avocat en entreprise est un ver dans le fruit de l'indépendance ; nous devrons donc être vigilants sur ce point.
On veut connaître son juge, avez-vous dit. Cette évolution vous paraît-elle irrépressible et, si tel est le cas, devons-nous renforcer les garanties d'indépendance et d'impartialité du juge ? Nous avons déjà agi en ce sens en imposant les déclarations d'intérêts, qui ont suscité un vif débat. Ces déclarations doivent-elles désormais être rendues publiques, au même titre que celles des élus ou des hauts fonctionnaires ? Une telle mesure me semble de nature à rassurer les justiciables et à couper court à d'éventuelles rumeurs.
Par ailleurs, un avocat peut faire un bon juge, et réciproquement. Or, il est actuellement très difficile pour un avocat de devenir juge. Ne devrions-nous pas simplifier le passage d'une profession à l'autre, afin de favoriser la diversité culturelle qui contribue à l'impartialité et l'indépendance ?
Enfin, la justice doit, en tant qu'institution rassemblée, prendre davantage en compte les difficultés et les contraintes des avocats. Pour ce qui est de la justice civile, par exemple, les délais d'attente sont souvent très longs, les audiences reportées…
J'ajoute que l'indépendance n'est pas le repli et l'isolement. Je ne me suis jamais permis de critiquer une décision de justice, mais il me semble que le juge du siège devrait, à l'instar du procureur, pouvoir s'exprimer afin d'expliquer ses décisions, car leur motivation n'est pas toujours suffisamment claire et précise. L'institution doit faire un effort d'ouverture sur la société.
Spontanément, je suis opposé à l'exposition des juges, au pénal et peut-être également au civil. Je crois beaucoup à la pédagogie. Je suis très critique lorsque la pratique ou la décision d'un juge me paraît incompatible avec sa mission, mais nous côtoyons quotidiennement de très grands magistrats, qui expliquent leur décision à la personne à laquelle ils infligent une sanction. Cet effort pédagogique me paraît absolument indispensable, même s'il peut n'être pas suffisant.
Qu'un chef de juridiction publie un communiqué pour expliquer une décision et rappeler qu'elle a été précédée par un débat contradictoire, pourquoi pas ? Mais, au pénal, la question ne devrait pas se poser. Bien entendu, on ne peut pas empêcher les médias d'émettre des critiques. Mais lorsque j'entends des élus s'étonner du quantum de la peine prononcée… Chacun peut commettre des erreurs, mais cela, c'est impossible. J'ai été entendu, il y a quelque temps, par la commission des Lois dans le cadre de sa réflexion sur la législation applicable aux infractions sexuelles. Cette réflexion a été menée dans la précipitation, après une décision du tribunal de Pontoise dont nous ne savions rien, puisque l'audience s'était déroulée à huis clos. Les avocats de la défense estimaient que l'affaire avait été très bien jugée ; l'avocat de la partie civile prétendait le contraire. Mais c'est normal ! Un recours avait été formé, mais les critiques ont été telles que, dans les trois semaines suivantes, une nouvelle loi était élaborée…
Je ne suis pas favorable à une expression publique du juge. Je crois beaucoup à la force et à la sacralisation de l'audience publique : le juge statue en faisant abstraction du tumulte – peut-être est-ce une vision un peu idéalisée. Il peut être protégé si les uns et les autres assument leurs responsabilités personnelles : les avocats en maîtrisant leur communication, certes, le procureur en donnant des explications.
De même que je ne souhaite pas l'exposition des juges, je ne suis pas favorable a priori à la publicité de leurs déclarations d'intérêts. Que le chef de juridiction reçoive chacun des magistrats et qu'ils réfléchissent ensemble aux risques de conflits d'intérêts est un progrès formidable, car cela signifie que les magistrats ont pris conscience du regard que l'on porte sur eux. Je suis navré que l'on s'intéresse de plus en plus à la personnalité des uns et des autres. Pour ma part, je m'intéresse, car mon métier l'exige, à la jurisprudence d'une chambre, dont je dois avoir connaissance pour adapter ma défense, mais je ne veux rien savoir de la personne. En revanche, je suis heureux qu'un président puisse recevoir un juge et, le cas échéant, l'inviter à se déporter. Je peux moi-même prendre une initiative en la matière si j'ai connaissance de faits qui jetteraient la suspicion sur l'impartialité d'un juge.
Enfin, j'ai tellement de respect pour la justice et pour la fonction de magistrat que je ne voudrais pas qu'il soit trop facile de devenir juge. Il faut faire attention : on peut choisir véritablement de devenir juge, mais on peut aussi – car n'oublions pas que notre profession traverse une très grande crise économique – faire ce choix par dépit ou par incapacité à poursuivre son activité d'avocat. Il ne faut pas que cela devienne une voie de garage ! Certes, il faut favoriser la venue de personnes extérieures, mais – je suis désolé de cette trivialité – si nous voulons que les bons avocats, qui connaissent parfaitement la matière juridique, intègrent la magistrature, il faut que la carrière de juge soit financièrement attractive.
Votre association a publié plusieurs communiqués sur des poursuites engagées contre certains avocats, notamment un de vos confrères marseillais ainsi qu'un avocat désigné par le bâtonnier pour assister aux perquisitions menées chez des avocats. L'autorité judiciaire peut être tentée de s'en prendre à un avocat qui la titillerait trop sur sa non-indépendance ou sa non-impartialité. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Nous avons en effet publié un communiqué après l'incarcération de l'un de nos confrères pour qui nous avons beaucoup d'estime. À aucun moment, nous ne mettons en cause la légitimité des poursuites ; je ne sais rien de ce dossier. Mais nous nous sommes interrogés publiquement sur le recours à la détention provisoire s'agissant d'un confrère âgé de 70 ans, ancien bâtonnier, qui bénéficie de toutes les garanties de représentation et qui est très respecté pour la qualité de son travail. Par ailleurs, nous nous sommes également interrogés sur la multiplication des perquisitions et la mise en cause d'un des délégués du bâtonnier qui y a assisté. Il faut accepter que l'avocat soit excessif, le cas échéant. Or, en l'espèce, le délégué du bâtonnier est poursuivi pour des propos qu'il a tenus durant une audience, alors qu'il défendait le secret.
À ce propos, monsieur le président, je vous ai entendu dire qu'il faudrait peut-être entourer la perquisition des locaux d'un député de garanties particulières analogues à celles dont bénéficient les avocats. Puis-je me permettre de vous dire que vous vous méprenez en établissant un tel parallèle ? Je souhaite que tous les citoyens bénéficient des meilleures garanties, mais si un délégué du bâtonnier assiste aux perquisitions, c'est pour protéger, non pas l'avocat, mais le secret dont il est le garant. Il doit s'assurer que le juge ne portera pas atteinte aux secrets qui nous ont été confiés. Lorsque nous vous exhortons à modifier la loi qui permet que l'on écoute les conversations, absolument secrètes, que nous avons avec ceux que nous défendons, nous nous plaçons sur le même terrain.
Il faut que nous rappelions aux magistrats, par nos actions collectives, les fonctions que nous assurons. Nous ne sommes pas exempts de reproches ; si les juges estiment qu'il existe, contre un avocat, des indices de participation à des faits répréhensibles, ils doivent le mettre en examen dans le respect des droits de la défense. Mais nous devons veiller à ce que l'on ne se trompe pas, car notre proximité avec ceux que nous défendons, qui est légitime et que nous entendons protéger, peut attiser des convoitises. Nous surveillons donc les perquisitions pour savoir quelle est leur motivation réelle. On peut en effet être tenté de déstabiliser une défense. Quoi qu'il en soit, dans nombre de cas, on se trompe en s'introduisant dans un lieu qui doit être sacralisé comme doivent l'être les conversations que nous avons avec nos clients. Il ne s'agit pas de nous protéger, il s'agit de protéger l'État de droit.
Certes, les députés ne sont pas les gardiens de tels secrets, mais le bon déroulement du jeu démocratique entre majorité et opposition exige que les uns ne s'introduisent pas dans les petits papiers des autres. On pourrait imaginer que l'institution s'en porte garante, en la personne du président de l'Assemblée nationale, par exemple. Quant aux perquisitions, je suis favorable à ce que l'ensemble d'entre elles, et pas seulement celles de parlementaires, soient mieux encadrées. Cela dit, il me semble que nous devrions surtout imposer des conditions plus strictes pour l'ouverture d'une information judiciaire, non pas par défiance envers le parquet, mais en raison des garanties qu'offre le siège.
Nous avons surtout besoin de contradictoire dans l'enquête menée par le procureur.
La séance est levée à 11 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Vincent Bru, M. Sébastien Nadot, M. Didier Paris, M. Antoine Savignat, Mme Cécile Untermaier