Au nom de la manifestation de la vérité pour les victimes, nous souhaitons mettre en lumière tout ce qui pourrait relever d'un dysfonctionnement qui viendrait tempérer l'indépendance du juge, à commencer par la question budgétaire. Le manque de moyens s'observe dans diverses situations, notamment le recours aux experts. Ceux-ci ne sont pas assez nombreux et interviennent dans moult domaines. Qui plus est, du fait de cette pénurie, obtenir une contre-expertise devient de plus en plus complexe, ce qui rend impossible la confrontation avec la première expertise. Or c'est de la confrontation des expertises que naît le débat et que se manifeste la vérité. Les UMJ, unités médico-judiciaires, par exemple, qui s'apparentent à la médecine légale du vivant, ne sont pas légion sur le territoire, loin s'en faut, et leur création pose des difficultés. En tant que président de l'association de la Nièvre, j'en ai créé une il y a environ 18 mois, dans des conditions extrêmement difficiles. Il a fallu la ténacité, pour ne pas dire la pugnacité de Mme la préfète de la Nièvre, de Mme la procureure générale et de Mme la procureure de la République pour que cette unité voie le jour au sein de l'hôpital. Dans la justice classique, les UMJ ont pour rôle de déterminer l'étendue des préjudices subis par une victime, étant entendu que dans le cas d'une interruption temporaire de travail de plus de huit jours, les peines ne sont pas les mêmes. Ne pas permettre un recours des victimes à ces unités leur fait donc perdre un droit et empêche le juge de statuer utilement sur des certificats médicaux de constatation de blessures.
Un autre obstacle vient du caractère limitatif des crédits, qui étaient auparavant évaluatifs. Alors qu'il faut désormais respecter des enveloppes, on peut se demander si certaines expertises ne sont pas refusées aux victimes pour des raisons économiques et financières, ce qui viendrait tarir une partie de l'indépendance du juge.
Une autre difficulté concerne l'indemnisation des victimes. Je prendrai deux exemples. Tout d'abord, l'arrivée du logiciel DataJust en mars 2020 dans le cadre de la justice numérique, avec l'idée que l'intelligence artificielle permet de compiler des données jurisprudentielles, législatives et réglementaires pour quantifier, grâce à un algorithme sans doute savamment pensé, un préjudice et son quantum. C'est très compliqué, puisqu'au motif de tendre vers une égalité, on tire les indemnisations vers le bas – en tout cas, nous en sommes convaincus – et on limite le pouvoir d'appréciation du juge. Un préjudice ne s'apprécie pas avec une formule d'algorithme, mais in concreto. Ensuite, il faut renforcer l'indépendance et l'autorité de la chose jugée du juge pénal par rapport aux CIVI, les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions. Trop souvent, celles-ci retiennent une faute de la victime pour amoindrir son droit à indemnisation, mettant ainsi en cause l'autorité de la chose jugée – soit du juge correctionnel, soit, surtout, de la cour d'assises. Nous ne pouvons qu'y être défavorables. Aussi militons-nous, depuis des années, pour que les CIVI ne puissent pas descendre au-dessous des indemnisations fixées par la cour d'assises ou un tribunal correctionnel. Ce serait, à mon avis, une véritable garantie d'indépendance des juridictions répressives.
J'en viens à la transparence des instructions écrites. Récemment, dans le contexte de la crise sanitaire liée au covid-19, des instructions adressées par mail ont fait florès dans la presse. On peut, là encore, se demander si l'indépendance du juge n'a pas été mise à mal. Certes, le sujet est délicat et nul ne nie l'intensité de la crise sanitaire. Mais depuis quelque temps, notamment depuis la loi Fauchon diminuant la responsabilité pénale des élus, les restrictions législatives posent un véritable problème d'indépendance de la justice, parce qu'elles suppriment des droits au recours. Aussi pensons-nous que les instructions ministérielles doivent être diffusées par voie de circulaire et non par voie dématérialisée, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une politique de transparence. Nous ne sommes pas opposés à une politique pénale par voie de circulaire. Des avancées plutôt salutaires se sont d'ailleurs fait jour par ce biais, notamment en matière de lutte contre les violences conjugales. Quoi qu'il en soit, il faut que le justiciable y ait accès et que le juge en comprenne le sens.
Enfin, la critique des décisions de justice par voie de presse nuit aussi à l'indépendance de cette dernière. En effet, les victimes qui font porter une voix devant les juridictions correctionnelles, que ce soit dans les cours d'assises ou après un accident collectif, n'attendent certainement pas que l'on critique la justice, car cela remet en cause son indépendance et l'autorité de la chose jugée.
L'état du droit en France est plutôt bien fait pour les victimes, par comparaison aux autres pays européens. D'une part, celles-ci ont droit à des indemnisations par le biais de différents fonds de garantie. D'autre part, le droit des victimes a considérablement avancé au fil des ans, grâce notamment aux circulaires – en matière de droit des femmes, de protection de l'enfance, d'accidents collectifs ou de terrorisme. Enfin, force est de constater que les juges sont indépendants. Mais cette indépendance doit se concrétiser dans le cadre de garanties textuelles et réglementaires – je pense, par exemple, à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, pour la nomination des procureurs. Et non seulement elle doit être actée, mais la théorie de l'indépendance développée dans différents arrêts par la Cour européenne des droits de l'homme, la CEDH, au même titre que l'impartialité objective et subjective, doit être une réalité. C'est de cette manière que nos justiciables et nos concitoyens retrouveront une véritable confiance dans un système qui a fait ses preuves et qui les protège.