Différentes procédures sont effectivement prévues par le droit français comme par les conventions internationales, auxquelles les justiciables peuvent avoir recours une fois les recours internes épuisés – la Cour de cassation pour le juge judiciaire et le Conseil d'État pour le juge administratif. Je précise ici que ce dernier ne statuait historiquement que par le biais de jurisprudence, même si des avancées législatives ont ensuite permis une codification. La justice administrative s'est créée sur la jurisprudence pour protéger les victimes, en matière d'indemnisation et de responsabilité du fait des actes de l'administration. Le juge est ainsi venu au secours des victimes.
Je n'ai pas d'exemple précis s'agissant du renvoi pour cause de suspicion légitime ou de la règle de récusation d'un magistrat, mais je sais qu'il est possible de recourir à ces procédures. En revanche, dans un certain nombre d'affaires, j'ai vu des magistrats se déporter, considérant qu'ils ne pouvaient pas statuer notamment pour des questions d'impartialité objective – par exemple quand ils avaient eu à connaître l'affaire avec une autre casquette. Dans les petites juridictions, en effet, il peut y avoir plusieurs contentieux autour d'une même affaire. Il arrive, d'ailleurs, que des magistrats ne puissent pas intégrer certains tribunaux comme juges du siège en correctionnelle puisqu'ils y ont déjà été en charge de l'instruction et ont eu affaire aux justiciables. Le droit est donc assez bien fait.
La CEDH assimile assez naturellement indépendance et impartialité. Pour sa part, le droit français s'est structuré autour de principes compliqués, pouvant laisser supposer un défaut d'impartialité objective. La règle de la double appartenance du Conseil d'État, par exemple, a ainsi été sanctionnée et les magistrats qui ont eu à connaître des affaires en tant que conseillers du Gouvernement ne peuvent plus statuer sur les projets de décret soumis au contentieux. Autre exemple, la CEDH a considéré que quiconque ayant manifestement tenu des propos racistes ne peut être juré pour juger une personne de nationalité étrangère.
Les avocats usent des procédures de recours. Dans la majorité des cas, les affaires ne prospèrent pas et la CEDH, dont on sait qu'elle est pourtant très sourcilleuse en la matière, ne condamne pas la France.
S'agissant de la récusation des experts, tout rapport entaché de défaut d'indépendance ou d'impartialité vis-à-vis des parties est une faute pouvant conduire à des procédures disciplinaires dans le cadre des ordres professionnels, mais aussi à des procédures judiciaires. Toute la difficulté vient de la pénurie d'experts, notamment en matière d'expertise psychiatrique. Parfois, un ressort territorial ne compte qu'un seul expert. Je le constate en tant que suppléant à la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Bourges, où les expertises dans le cadre des libérations conditionnelles considèrent régulièrement que la personne apparaît réinsérée mais qu'il existe un risque à la faire sortir. Heureusement, nous sommes indépendants lorsque nous statuons sur ces affaires, notre rôle étant de nous affranchir des recommandations de l'expert, le cas échéant. Cela s'avère particulièrement compliqué lorsque les affaires sont très techniques et nécessitent de faire appel à des experts nationaux, dans le contexte de pénurie que je mentionnais.
Pour citer un exemple évocateur de dysfonctionnement, je pense à la création de l'UMJ de la Nièvre, intervenue après que les parents d'un enfant se plaignant d'abus sexuels n'ont pu trouver, en plein été, de médecin dans aucun des quatre services d'urgence du département pour conduire les expertises et les investigations nécessaires. Plainte a été déposée, mais le juge a considéré qu'en l'absence d'expertise, l'auteur supposé ne pouvait être poursuivi. Depuis, l'UMJ est devenue un véritable outil d'expertise.
Pour finir, je prendrai l'exemple de l'affaire du dentiste de Château-Chinon, condamné à huit années de prison pour avoir mutilé 92 victimes et lésé la CPAM de la Nièvre. Au départ, il a été très compliqué de distinguer ce qui relevait de l'art médical fautif ou de l'infraction pénale et, en l'absence d'expertise, les premières plaintes pénales ont été difficiles à recevoir. Il a fallu constituer un collectif pour réamorcer l'affaire et permettre au juge de statuer en toute connaissance de cause. Sans les associations de victimes et d'aide aux victimes, le juge n'aurait pas pu suivre, en dépit de son indépendance et des garanties statutaires. Il est indispensable de pouvoir disposer de pièces authentifiant les infractions et les préjudices.