Intervention de Corinne Morel

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 14h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Corinne Morel, présidente de l'association En quête de justice :

Vous l'avez dit, il existe des voies de recours. C'est d'ailleurs ce que l'on nous objecte en permanence. Mais ces voies de recours prolongent les procédures et coûtent cher, d'autant qu'elles sont financées par le justiciable. Bien sûr, il y a l'aide juridictionnelle, mais les seuils sont extrêmement bas. Par ailleurs, certaines personnes ont les moyens de faire appel à de gros cabinets d'avocats. Mais la majorité, qui constitue la classe moyenne, ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle et ne dispose pas non plus d'importants moyens financiers. Or les sommes pour engager des recours sont pharaoniques : 3 000 euros pour la première instance, 3 000 euros pour l'appel, 4 000 à 8 000 euros pour la cassation, puis une nouvelle somme pour le retour en cour d'appel si la décision est cassée, etc. Les voies de recours sont une bonne chose, mais elles ne suffisent pas en tant que telles. Encore faut-il pouvoir les utiliser.

Qui plus est, elles ont été créées pour permettre la réouverture des débats aux parties qui n'étaient éventuellement pas d'accord avec la décision rendue, pas pour corriger les abus de pouvoir commis par les juges. D'ailleurs, si tel était le cas, il serait incroyable que l'on mette à la charge du justiciable la correction des erreurs et des fautes qu'il subit et qu'il n'a pas commises. C'est incompréhensible, mais c'est ce qui se passe. On peut payer jusqu'à trois fois pour qu'une affaire soit jugée ! Certes, la justice peut mettre ces coûts à la charge de l'autre partie. Mais l'autre partie n'est pas responsable non plus. Si une décision est annulée parce qu'elle n'était pas conforme aux règles de droit, il n'y a pas de responsabilité du justiciable. Comment se fait-il que ce soit lui qui paie ?

Finalement, les voies de recours sont un moyen facile d'affirmer qu'il existe des solutions. Mais il faut avoir les reins sacrément solides pour tenir un parcours judiciaire de 10 ans ou plus. Beaucoup ne peuvent pas le faire. Ils renoncent alors à leurs droits, qu'ils perdent. Je parlais tout à l'heure d'une démocratie qui nous prive de nos droits fondamentaux : c'est une réalité. Quand on ne peut pas payer les voies de recours, il n'y a pas de solution.

En outre, les voies de recours restent en interne et on finit toujours par se retrouver devant le juge. En l'absence de garde-fou, les problèmes se répéteront nécessairement. Nous pourrions citer plusieurs exemples, par exemple celui de l'une de nos adhérentes qui a vu la garde de son enfant confiée au père en première instance. Elle a alors fait appel, car elle n'avait pas eu accès à certaines pièces. La cour d'appel a effectivement considéré qu'il y avait eu une violation de l'article 16 du code de procédure civile, relatif au respect du contradictoire, et a infirmé la décision. Mais cela a pris un an, durant lequel l'enfant est resté chez son père qui, comme le mentionnait la décision de la cour d'appel, avait commis des violences contre la mère. Vous me direz que les voies de recours ont fonctionné. Peut-être, mais pendant un an, on a laissé une situation en l'état, en violation d'une loi fondamentale. De façon générale, lorsque la Cour de cassation annule une décision, cette dernière a déjà produit ses effets. Comment peut-on laisser des décisions produire leurs effets, parfois très graves et irréversibles ?

Autre exemple, de nombreux copropriétaires ne parviennent pas à obtenir la simple reconnaissance et application de la loi à propos des comptes séparés des syndics. Systématiquement, les tribunaux considèrent que ce n'est pas grave s'il n'y a pas de comptes séparés. La loi n'est donc pas appliquée. Pourquoi voter une loi pour qu'il soit ensuite considéré que sa non-application n'est pas grave ?

J'évoquerai un troisième cas, dans le domaine du droit d'auteur. Celui-ci n'autorise pas le juge à juger l'œuvre, ce qui est très important dans une démocratie : l'œuvre est protégée quels que soient sa destination, sa forme, son genre et son mérite. Or quand un auteur saisit la justice à propos d'une atteinte à ses droits, par exemple une reproduction illicite de son œuvre, faite de surcroît sans le citer, les juges demandent à l'auteur de faire la preuve de l'originalité de son œuvre et ce, sans délai. D'une part, le critère d'originalité n'est pas prévu par la loi. D'autre part, le juge écarte tous les arguments comme l'antériorité, le style ou le traitement des idées pour apprécier subjectivement l'originalité de l'œuvre. Nous menons un combat dans ce domaine depuis plusieurs années. Il est actuellement aux mains du ministre de la Culture, et j'ai été auditionnée par le CSPLA, le Conseil supérieur de la propriétaire littéraire et artistique. Nous attendons une réponse depuis deux ans, alors qu'un tel délai n'est jamais laissé aux auteurs devant les tribunaux pour faire la preuve de l'originalité de leur œuvre. Le problème est que le CSPLA est une émanation du ministère de la Culture, et que son président et son vice-président sont tous deux magistrats. Ainsi, même quand on parvient à sortir des tribunaux pour pointer une jurisprudence qui pose problème, ce qui est très difficile, on se retrouve devant des juges.

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