L'indépendance de la justice est souvent envisagée sous l'angle des rapports entre la sphère politique et la justice, notamment sur la capacité de la justice à affirmer son indépendance lorsqu'une personnalité politique est mise en cause. C'est une très bonne approche et un point fondamental.
L'indépendance de la justice est d'abord une question de moyens. La justice en manque singulièrement et son indépendance n'est souvent envisagée qu'à travers le prisme de l'éventuelle impartialité de quelques personnes, c'est-à-dire quelques juges, journalistes et personnalités politiques.
Or, par exemple, lorsque la chancellerie interprète une circulaire prise pendant l'État d'urgence en prolongeant automatiquement les détentions provisoires pendant le confinement – et alors que cette circulaire pouvait être comprise comme ne valant que pour les personnes arrivant au terme de leur détention et sans que le juge ne soit de facto écarté – il s'agit, là aussi, de l'indépendance de la justice.
Ce sujet a soulevé des questions intéressantes chez les syndicats de magistrats. Cela nous renvoie à la question des moyens, car cette circulaire a été appliquée pour faciliter l'activité de magistrats qui n'avaient pas les moyens de travailler normalement et se heurtaient à la complexité des conséquences liées au covid-19.
Je vous renvoie aux excellents travaux de Michel Bouvier, auteur d'un rapport commandé par la Cour de cassation. Ils soulignent que l'autonomie budgétaire pourrait être une solution envisageable.
Ensuite, la justice est une autorité et non un pouvoir. Elle est allée chercher auprès des médias une aide pour combler son sentiment de faiblesse.
Ce couple a très bien fonctionné et a participé à l'émancipation de la justice, impulsée par le Syndicat de la magistrature. L'affaire Fillon démontre que l'émancipation de la justice a été très forte. Il serait toutefois intéressant de se demander si cette émancipation pourrait créer une situation de dépendance de la justice à l'égard des médias.
Enfin, concernant le pouvoir des médias, je ne pense pas que les magistrats puissent être sous influence médiatique. Je crois que les magistrats résistent très bien à l'opinion publique.
En revanche, j'ai une inquiétude : le système médiatique – c'est-à-dire les journalistes, les réseaux sociaux et les émissions de divertissement – ne serait-il pas suffisamment puissant pour imposer ses valeurs, ses règles, ses réflexes à une justice qui a des valeurs antagonistes ? La justice a besoin de temps, supporte la complexité d'un dossier, travaille sur la raison tandis que les médias sont dans l'immédiateté, recherchent la simplification à l'extrême et sont sensibles à l'émotion.
Le système médiatique est devenu si puissant que nous devons nous interroger sur la meilleure manière de préserver les valeurs du système judiciaire.