À Mediapart, et cela est également le cas ailleurs, nous faisons l'objet depuis plusieurs mois d'atteintes au libre exercice de notre métier.
La semaine dernière, ma collègue, Pascale Pascariello, a été entendue par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) dans le cadre d'une enquête préliminaire pour violation du secret professionnel et recel de violation du secret professionnel. Cela concerne des révélations qu'elle a publiées sur l'affaire Geneviève Legay. Pendant une heure et demie elle a été entendue afin de connaître les sources de ses articles.
Autre exemple : en février 2019, la tentative de perquisition à Mediapart. Le motif était, du point de vue du procureur de Paris, l'atteinte à l'intimité de la vie privée de deux personnes auxquelles Mediapart avait consacré des articles, MM. Benalla et Crase. Finalement, cette perquisition n'a pas eu lieu. Comme le permet le cadre de l'enquête préliminaire, nous avons pu nous y opposer. Il s'agissait cependant d'un événement historique.
Troisième exemple : en avril 2019, les auditions de plusieurs journalistes de Disclose, collectif de journalistes d'investigation auquel Mediapart est associé. Nous avions publié leur article qui portait sur l'implication de la France dans des ventes d'armes censées être prohibées au Yémen. Ces journalistes ont été entendus, cette fois-ci par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour connaître la source de la note classifiée sur laquelle ils s'étaient appuyés pour faire ces révélations.
Quatrième exemple : en octobre 2019, les convocations de quatre journalistes de Mediapart par la police judiciaire, toujours dans le cadre d'une enquête préliminaire. Elles faisaient suite à un article que nous avions consacré à M. Guédon, garde du corps d'Emmanuel Macron et proche de Monsieur Benalla,
Ces différents exemples posent plusieurs problèmes. Le premier, c'est la menace sur le secret des sources. L'arrêt Goodwin, rendu par la CEDH explique très précisément que le secret des sources est une pierre angulaire de la liberté de la presse.
Notre métier de journaliste c'est de parler à des gens qui n'ont pas le droit de faire. Ils doivent pouvoir s'exprimer sans que personne, jamais, ne connaisse leur identité. Sinon, nous ne faisons pas du journalisme mais de la copie de communiqués de presse. Or, les pressions que nous constatons intimident ces personnes qui ont déjà beaucoup d'hésitations à parler à des journalistes.
À la suite de l'audition de ma collègue Pascale Pascariello, le policier soupçonné par la justice d'avoir donné les informations qui auraient été utilisées dans son article a été suspendu. Le message adressé aux sources est alors très clair : ne parlez pas aux journalistes.
Le deuxième problème est que toutes ces enquêtes émanent du parquet. Or, le parquet est en lien de dépendance statutaire vis-à-vis du pouvoir exécutif. Cela est confirmé par un arrêt de la CEDH qui considère que le parquet français ne peut être considéré comme une autorité indépendante.
Enfin, et c'est le troisième problème, cette situation représente pour nous un contournement du droit de la presse. En tant que journalistes, nous ne demandons pas à échapper aux lois. Nous devons rendre des comptes sur notre travail et pour cela, il existe des lois fondatrices. La loi de 1881 sur la liberté de la presse précise le cadre dans lequel il est possible d'attaquer des journaux pour diffamation ou pour atteinte à la présomption d'innocence.
Les journalistes de Mediapart, comme beaucoup de confrères, sont régulièrement convoqués par la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance et c'est normal. C'est devant les tribunaux, devant des chambres spécialisées et indépendantes du pouvoir exécutif, dans le cadre d'audiences publiques, que nous devons rendre des comptes.
Pour nous, une bonne information relève de l'intérêt général et permet un éclairage sur un dysfonctionnement institutionnel, sur des atteintes aux libertés, sur des violences policières ou des situations de corruption. Une bonne information n'est pas liée à sa source.