Merci de la confiance que vous m'avez témoignée en sollicitant ma réflexion sur le sujet de votre commission d'enquête qui est l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le parquet national financier (PNF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, à la suite d'une affaire mettant en cause un ancien ministre du budget. Entré en fonction le 1er février 2014, il a une double spécificité : une compétence géographique étendue à tout le territoire national et une compétence matérielle limitée aux infractions économiques et financières les plus graves, c'est-à-dire les délits boursiers – il s'agit d'une compétence exclusive –, les atteintes à la probité et les atteintes aux finances publiques, ou fraude fiscale complexe, ces deux dernières compétences étant concurrentes avec les autres parquets, notamment les parquets des juridictions interrégionales spécialisées.
C'est peu dire que les vents lui étaient contraires. Il faisait l'unanimité contre lui. Beaucoup de hauts magistrats et l'ensemble des organisations professionnelles de magistrats étaient opposés à ce modèle de justice spécialisée, qualifié de construction compliquée, d'objet juridique non identifié, d'outil de communication politique et de coquille vide.
Sa création devait s'accompagner d'une réforme constitutionnelle portant notamment sur le statut du parquet. Cette réforme n'a jamais vu le jour. Pourtant, la question de l'indépendance du parquet, et singulièrement celle du PNF, est fondamentale.
Les moyens humains et matériels du PNF étaient très limités : cinq magistrats en tout, un greffier stagiaire, une secrétaire, cinq ordinateurs, cinq bureaux. J'y fais allusion car cet aspect n'est pas neutre sur le plan de l'indépendance.
En cinq ans et demi il est devenu une institution reconnue sur les plans national et international. La circulaire du 2 juin 2020 de la ministre de la justice relative à la corruption internationale consacre cette reconnaissance.
Cette expérience de presque six années jonchée de difficultés m'a permis d'appréhender de façon pratique ce que peuvent être les obstacles à l'indépendance de la justice. Le premier obstacle, dont découlent tous les autres, est d'ordre constitutionnel. En choisissant d'intituler le titre VIII de la Constitution « De l'autorité judiciaire », le constituant de 1958 a exclu d'emblée la reconnaissance d'un pouvoir judiciaire à égalité avec les pouvoirs législatif et exécutif – ce qui laisse d'ailleurs en suspens la question de la subordination du parquet.
Le Président de la République est garant de l'indépendance de la magistrature. Au sens de la Constitution, la justice n'est donc pas érigée en entité autonome, puisque son indépendance est garantie par le chef de l'exécutif. Cela a fait dire à feu le professeur Carcassonne : « Autant proclamer que le loup est gardien de la sécurité de la bergerie ». À travers cette expression nous voyons bien que la conception française de l'indépendance de la justice est politique et ancrée dans l'histoire.
C'est donc un membre de l'exécutif, le ministre de la justice, qui prépare les lois, en surveille l'application, gère la carrière des magistrats, assure leur discipline, propose le budget de la justice au Parlement et décide d'allouer les crédits entre les cours d'appel. Le poids de l'exécutif se fait aussi ressentir sur la formation des juges, puisque le conseil d'administration de l'École nationale de la magistrature (ENM) est composé de membres qui sont tous désignés par le ministre de la justice, à l'exception du président et du vice-président qui sont les chefs de la Cour de cassation.
En réalité, l'organe constitutionnel qui concourt à l'indépendance de l'autorité judiciaire est le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), puisque la carrière et la discipline des magistrats sont partiellement soumises à son contrôle. Se pose d'ailleurs la question de la composition de cet organe et de son indépendance à l'égard notamment du pouvoir syndical.
En France, l'indépendance du parquet est régulièrement mise en cause à l'occasion d'affaires pénales retentissantes à caractère politique. À travers ces affaires, c'est toujours le poids de l'exécutif sur la justice pénale qui est en débat. Le champ de compétence du PNF l'expose particulièrement car il concerne les lieux de pouvoir politique, économique ou administratif. Il semble donc essentiel que les magistrats qui assurent la répression de cette criminalité économique et financière échappent à toute forme de suspicion.
L'ordonnance de 1958 place les magistrats du parquet sous la direction et le contrôle de leur chef hiérarchique et sous l'autorité du garde des Sceaux. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette soumission hiérarchique au ministre de la justice n'était pas incompatible avec le principe d'indépendance des magistrats. Pour reprendre l'expression d'un professeur de droit public, Mme Letteron, « l'indépendance s'exerce donc dans la dépendance ». Je partage totalement cette analyse. Le principe de l'indépendance est posé, mais c'est une indépendance sous contrôle. Le parquet – c'est une réalité objective – est sous le contrôle du pouvoir exécutif.
Le ministre de la justice concentre l'élaboration de la loi pénale, la définition de la politique publique répressive et le pouvoir de nomination. Il est responsable de la mise en œuvre de la politique pénale par le biais des instructions générales données aux procureurs et aux procureurs généraux, lesquels les adaptent à leurs ressorts respectifs.
L'organisation du ministère est inchangée depuis des décennies. La direction des affaires criminelles et des grâces conçoit et prépare les textes. Elle suit l'action publique. La direction des services judiciaires gère toute la carrière des parquetiers. De cette organisation régalienne, verticale, de ce pouvoir direct ou diffus de l'autorité hiérarchique résulte nécessairement ce que certains ont appelé une « culture de soumission » ou – je préfère ce terme – une « culture de dépendance ».
L'indépendance n'est pas seulement une question d'individu ou de caractère. C'est une question de système. Un système dans lequel le processus décisionnaire n'est pas transparent et formalisé favorise la perte de repères chez les décideurs. Qu'il s'agisse du suivi de l'action publique ou de la gestion des carrières, pour ce qui concerne le parquet les processus manquent de transparence, et ce manque de transparence engendre la suspicion. Le parquet est suspecté de manquer d'indépendance par les avocats, le public, la presse, et par ses membres eux-mêmes lorsque les choix du procureur ne leur conviennent pas. Il est critiqué par les instances internationales. Cela porte atteinte à la confiance que l'on doit avoir dans le ministère public.
Il faudrait à mon sens réinventer la justice dont l'organisation ne correspond plus aux exigences d'une justice moderne. Les avancées du droit par l'intermédiaire de la Cour européenne des droits de l'homme, les exigences d'efficacité et de démocratie nécessitent une transformation. La subordination du parquet au garde des Sceaux nuit au traitement pacifié des affaires, notamment celles qui concernent le monde politique. La question de son indépendance perturbe le fonctionnement de l'institution tout entière.
La création du parquet européen a ouvert la voie sur ce point et devrait entraîner un changement tôt ou tard. Il serait souhaitable que ce changement intervienne rapidement. À trop tarder à agir le manque de confiance dans les institutions devient de la défiance et peut aboutir à la révolte. C'est, me semble-t-il, ce que nous ont enseigné les crises récentes qui ont traversé notre pays et le monde.
Concrètement, le sentiment de dépendance, je l'ai éprouvé dans l'exercice de mes fonctions. D'emblée, je dois vous dire qu'aucun des quatre gardes des Sceaux qui se sont succédé de 2014 à 2019 – j'ai quitté mes fonctions le 30 juin 2019 – ou de leurs collaborateurs immédiats ne m'a interrogée ou incitée à agir ou à ne pas agir dans des dossiers particuliers. Je n'ai jamais subi de pression directe de la part d'un ministre de la justice.
Mais la pression que j'ai pu ressentir, en dehors de celle de la presse qui s'est intéressée de très près aux affaires du PNF, s'est manifestée de manière plus indirecte ou plus subtile à travers le rôle du parquet général dans le contrôle de l'action publique du PNF. J'ai aussi éprouvé le poids de l'exécutif dans l'affectation des moyens humains et matériels de ce parquet « hautement spécialisé », pour reprendre les termes de la circulaire du 31 janvier 2014.
Il existe deux dimensions dans l'action publique. La première concerne son exercice, qui relève de la seule responsabilité du procureur de la République. La seconde est relative à la place du parquet général par lequel transitent des instructions générales et des demandes de rapports particuliers. Ce sont elles qui posent problème et qui peuvent constituer une entrave à l'indépendance.
Sur ce point la position du procureur de la République financier est spécifique. Si l'on se réfère aux critères fixés par la circulaire du 31 janvier 2014 qui définit les relations entre le garde des Sceaux et les parquets, presque tous, si ce n'est l'intégralité des dossiers suivis par le PNF répondent à l'un ou plusieurs de ces critères. Or, du fait de sa compétence nationale, le ressort du procureur de la République financier est plus étendu que celui de l'autorité hiérarchique sous laquelle il est placé, c'est-à-dire le procureur général de Paris. Le procureur financier informe donc le procureur général de Paris d'affaires particulières qui se déroulent dans d'autres ressorts que celui de la cour d'appel de Paris. La question se pose de la légitimité du procureur général de Paris pour solliciter des informations sur des faits qui ne concernent pas son ressort. Le code de procédure pénale ne résout pas cette difficulté. Il prévoit que « le procureur général près la cour d'appel de Paris anime et coordonne en concertation avec les autres procureurs généraux la conduite de la politique d'action publique » pour l'application de la compétence concurrente, mais les conflits de compétences concurrentes sont rares. Quelques-uns sont survenus au début, mais il ne s'en est plus produit depuis lors. Il n'est pas besoin de coordination puisque la compétence du procureur de la République financier s'étend à tout le territoire national.
À travers les instructions générales et les rapports particuliers, le procureur général s'arroge un droit de regard sur la conduite et les choix d'action publique des procureurs de la République – en tout cas du procureur de la République financier, je ne parle ici qu'en mon nom. Ce droit de regard est omniprésent. Il se traduit par des demandes de rapports, de copies de réquisitoires définitifs dès qu'ils sont transmis au juge d'instruction, et des demandes de précisions.
Lorsqu'une personnalité politique est mise en cause, le contrôle est très étroit. Je l'ai personnellement vécu – avec parfois deux ou trois demandes dans la même journée : demandes de renseignements, de synthèses d'auditions, etc. On nous écrivait par exemple : « La presse se fait l'écho d'une perquisition à tel endroit, merci de bien vouloir nous dire avant telle heure les résultats de cette perquisition. »
Il s'agit donc d'un contrôle extrêmement étroit. Dans une affaire, il m'a même été suggéré de modifier les termes d'un communiqué. Les procureurs ont l'obligation de transmettre au garde des Sceaux, par l'intermédiaire du parquet général, le communiqué qu'ils destinent aux agences de presse, ce que j'ai toujours fait. Or on m'a demandé de modifier les termes d'un communiqué, ce que je n'ai pas fait. L'article 11 du code de procédure pénale autorise le procureur de la République seul à communiquer. Il n'est pas envisageable que quelqu'un d'autre communique à sa place. Le procureur informe le garde des Sceaux par l'intermédiaire du parquet général, mais sa libre communication fait partie de son indépendance.
La question que l'on peut se poser est la suivante : pourquoi ce droit de regard du procureur général sur l'action publique à travers des affaires particulières ? Comment l'interpréter ? Agit-il pour lui ou pour quelqu'un d'autre ? Ce contrôle de l'action publique laisse la possibilité d'une intervention dont la profondeur des motivations est inconnue, et cela nuit véritablement à l'indépendance.
Le fonctionnement de la remontée d'informations m'est apparu empreint d'archaïsme. Il me semble que peu de choses ont changé depuis l'époque lointaine où j'étais jeune magistrat à la Chancellerie ! Les rapports individuels existent dans la même forme. La dématérialisation des échanges a seulement accéléré les demandes et les délais de transmission des réponses. Aux rapports formels écrits s'ajoutent désormais les comptes rendus et les échanges par messagerie électronique.
La circulaire de 2014 prévoit que les parquets généraux puissent apporter leur assistance juridique et technique aux parquets de première instance. Je n'ai pas le souvenir que le parquet général de Paris nous ait apporté sa réflexion juridique ou technique sur un dossier, probablement parce qu'il n'était pas outillé pour apporter son expertise à un parquet aussi spécialisé que le nôtre. Au contraire, les demandes de rapports circonstanciés et de précisions ont entrainé un accroissement considérable de la tâche des magistrats du PNF. Dans certaines affaires, entre la pression de la presse et celle du parquet général qui nous envoyait des demandes incessantes de renseignements ou de précisions, la tâche était extrêmement lourde. Dans ce cas, nous n'avons que la loi à laquelle nous raccrocher : que dit la loi ? Que devons-nous faire ?
Il me semble que lorsque l'on demande un rapport sur une affaire particulière on devrait être en mesure d'indiquer les raisons et les origines de la demande. Ce serait bien plus simple et plus transparent. Qui interroge ? Pour quel motif ? Du fait de ce manque de transparence, le problème est moins dans les interventions que dans le doute qu'elles laissent planer.
On justifie parfois la remontée d'informations par l'obligation pour le garde des Sceaux de rendre compte de la politique pénale, notamment au Parlement. Là est bien le cœur du problème. En réalité, il n'existe pas de distinction dans la loi entre ce qui relève de la politique pénale et ce qui relève de l'action publique. En confondant les deux, on légitime la remontée d'informations et le lien hiérarchique.
Cependant, la politique pénale est une politique publique répressive qui est par définition, aux termes de la circulaire du 31 janvier 2014, « générale et impersonnelle ». Les rapports sur les affaires particulières permettent-ils de penser la politique pénale ? A-t-on besoin de connaître ce qu'il y a dans un dossier particulier pour construire une politique pénale ? Les rapports particuliers ne semblent pas être exploités dans cet objectif, plutôt dans celui de l'information de la Chancellerie. Les phénomènes criminels, les problématiques d'ordre sociétal, les difficultés procédurales que l'on peut rencontrer, l'évolution de la criminalité dans certains ressorts font l'objet d'un rapport annuel dressé par les procureurs et adressé aux procureurs généraux qui en font une synthèse transmise ensuite au garde des Sceaux. Ces synthèses me semblent suffire à la réflexion ou à la définition d'une politique pénale.
L'éventualité de devoir rendre compte d'une affaire particulière au Parlement ou à la presse justifie-t-elle le degré de précision qui m'a bien souvent été demandé ?
Cette organisation verticale administrative est un frein à l'indépendance et à l'action. Elle empêche les procureurs de la République d'être libres et audacieux dans leurs choix d'action publique. Leur carrière dépend de leur relation avec leur hiérarchie, donc de l'exécutif – et la dépendance est là. Si le procureur de la République refuse ou ne suit pas les préconisations ou les suggestions du parquet général, sa carrière ne va-t-elle pas en pâtir ? Sa réputation sera à tout le moins entamée : forte tête, mauvais caractère, etc. C'est une réelle difficulté. En maîtrisant la carrière du parquetier, l'exécutif pèse consciemment ou non sur la liberté d'action publique des magistrats du parquet. Dans un système qui ne favorise pas l'indépendance, ceux qui en font preuve sont marginalisés.
Je voudrais dire quelques mots sur les choix de procédure, entre l'ouverture d'une information et celle d'une enquête préliminaire. Dès mon arrivée à la tête du PNF, j'ai choisi de n'ouvrir d'informations que dans des circonstances précises, pour revendiquer et assumer l'indépendance du PNF dans la conduite des enquêtes et pour limiter la durée des procédures. En effet, particulièrement en matière économique et financière, les procédures sont très longues. Ce reproche a été souvent formulé concernant cette justice en général.
Lorsqu'il n'ouvre pas d'information judiciaire le parquet est toujours suspecté en raison de son lien organique avec le ministre de la justice. L'audition de l'association Anticor devant votre commission en témoigne d'ailleurs. On soupçonne très rapidement une intervention du pouvoir exécutif lorsque le parquet n'ouvre pas d'information. Ce soupçon, tout le monde l'utilise – les avocats, les médias, la société civile, les collègues eux-mêmes. Pour y échapper et pour échapper à toute critique, certains procureurs de la République prennent le parti d'ouvrir une information judiciaire dans des affaires mettant en cause une personnalité politique ou un parti politique. À mon sens, c'est l'aveu même que, quoi qu'il fasse, le système actuel ne permet pas au parquet de revendiquer son indépendance. Il n'est pas normal que la question de l'indépendance détermine le choix procédural de l'action publique.
On peut rétorquer que l'information judiciaire permet l'exercice du contradictoire, car les avocats des mis en cause et des parties civiles peuvent accéder aux dossiers. Dès mon arrivée j'ai souhaité que le PNF développe une phase de contradictoire à l'issue de toutes les enquêtes préliminaires qu'il conduit. J'ai souhaité que nous repensions nos relations avec les avocats, qui sont nos premiers partenaires de justice. Tout au long de l'enquête, les magistrats s'entretiennent librement avec les conseils des personnes suspectées ou des parties civiles qui en font la demande. La transparence dans un État de droit est une vertu, surtout lorsque l'on a les pouvoirs qui sont les nôtres en matière d'enquête préliminaire. Les avocats doivent être informés, dans la limite du secret de l'enquête bien entendu. Telle est, je crois, la conception du parquet national financier.
Cela étant, cette conception de l'action publique a ses limites. J'en fais la cruelle expérience, puisque je fais l'objet d'une enquête pour avoir échangé avec un avocat. Mais je recommencerais demain si cela devait être le cas, puisqu'il est plus honteux de se méfier d'un avocat que d'être trompé par lui parce qu'il n'aura pas respecté le secret. Nous n'avons pas à nous méfier de nos premiers partenaires de justice qui sont les avocats. Les avocats des parties civiles comme des mis en cause ou des personnes suspectées ont toujours reçu un accueil ouvert et attentif au PNF.
Ce mode de fonctionnement nuit à l'indépendance. La meilleure façon s'en sortir est de revoir le statut du parquet, de clarifier par la loi les relations entre les procureurs et les procureurs généraux, de refonder les relations entre les parquets et la Chancellerie, et de séparer ce qui relève de la loi au sens large et ce qui relève de l'action publique. Je suis favorable à un procureur général de la Nation ou à un chancelier, qui serait chargé de mettre en œuvre la politique pénale décidée par le garde des Sceaux. Le ministère de la justice devrait être le ministère du droit, qui pourrait être le jurisconsulte des autres ministères. Le procureur général de la Nation pourrait être désigné par le Parlement parmi une liste de magistrats. Tout ceci est à penser, et je ne suis pas là pour penser à la place du législateur ! De nombreuses pistes sont ouvertes, et l'idée du procureur général de la Nation a déjà été avancée par l'ancien premier président et juge constitutionnel Guy Canivet, par l'ancien procureur général de la Cour de cassation Jean-Claude Marin, ou encore par le professeur de droit international Serge Sur. De nombreuses réflexions d'universitaires et de hauts magistrats vont dans ce sens.
J'ai aussi éprouvé une entrave à mon indépendance en ce qui concernait l'affectation des moyens.
La carrière d'un magistrat du parquet se fait par des décisions successives de l'autorité administrative. Toutes les nominations, y compris celles des procureurs de la République, des procureurs généraux et des avocats généraux à la Cour de cassation, sont proposées par le ministre de la justice. Au regard de l'indépendance, ce poids de l'exécutif est peu contrebalancé par le CSM qui ne donne qu'un simple avis sur ces nominations.
Personnellement, j'ai ressenti le poids de l'exécutif à l'occasion de demandes d'effectifs supplémentaires et de moyens matériels. J'ai un exemple très clair en tête. L'étude d'impact réalisée en 2013 lors de la préparation de la loi du 6 décembre créant le PNF fixait à 22 magistrats, 21 fonctionnaires de greffe et 5 assistants spécialisés les effectifs de ce parquet spécialisé, dont on avait évalué la charge à 263 dossiers en vitesse de croisière. Je crois que le PNF gère 570 dossiers actuellement avec 18 magistrats. Les effectifs devaient évoluer en fonction de la réalité de l'activité et du rythme de montée en puissance du parquet.
En m'appuyant sur ce document public, j'ai sollicité des effectifs supplémentaires spécialisés au fur et à mesure de l'évolution de l'activité et de la montée en puissance du parquet. En janvier 2017, alors que je venais d'établir un rapport sur les trois premières années d'activité du PNF la réponse du ministère à une demande d'effectifs supplémentaires a été le déclenchement d'une inspection, malgré ma position sur le caractère inopportun et inutile de cette mesure. Je n'ai d'ailleurs jamais eu communication des conclusions de cette inspection.
Mon engagement n'a pas été entamé, mais j'ai ressenti cet épisode comme une immixtion dans le fonctionnement du PNF et comme une atteinte à son indépendance. Les moyens disponibles pour la conduite de certains dossiers ne permettaient pas les enquêtes d'envergure que j'aurais pu envisager. Je pourrais citer également des initiatives modernes de gestion, notamment un applicatif que nous avions demandé et qui nous a été refusé parce qu'il ne s'intégrait pas dans le modèle unique prévu par la Chancellerie.
La notion d'indépendance est liée à la sécurité juridique. La compétence juridique, en particulier pour tout ce qui concerne les contentieux spécialisés, est essentielle. Ce qui fait la force, c'est la connaissance du sujet. Or le recrutement des assistants spécialisés et des juristes assistants du PNF comme des magistrats est empreint d'une certaine lourdeur administrative, puisque c'est le ministre, via la direction des services judiciaires, qui décide lui-même de la pertinence du recrutement et du choix des personnes.
Tout ceci me semble être autant d'obstacles à l'indépendance de l'autorité judiciaire, en tout cas à celle des procureurs et singulièrement du procureur de la République financier que j'ai été.