Intervention de Éliane Houlette

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 14h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Éliane Houlette, ancienne procureure de la République financière :

C'était compliqué. Le parquet national financier a été créé parce que l'on considérait que la justice économique et financière en France manquait d'efficacité. Le reproche principal adressé à ces dossiers, tous confiés à des juges d'instruction, était celui de la lenteur des procédures. En matière économique et financière les personnes suspectées et mises en causes ont des avocats qui utilisent – ce qui est tout à fait normal – toutes les voies de recours et toutes les armes que leur offre le code de procédure pénale. Chaque acte de l'instruction est attaqué, et qui dit voie de recours dit cour d'appel puis Cour de cassation. Cela rallonge considérablement les délais.

Lorsque je suis arrivée, je me suis dit qu'il fallait lutter contre ce temps qui nuit à la justice et à la qualité des dossiers car il entraîne une certaine évanescence des faits. J'ai donc décidé qu'on ouvrirait peu d'informations judiciaires au bénéfice d'enquêtes préliminaires. Ainsi, lorsque le PNF est entré en fonction, sur la centaine de dossiers qui nous avait été transférée 80 % faisaient l'objet d'informations judiciaires et 20 % d'enquêtes préliminaires. Aujourd'hui, ce rapport est inversé.

Comment cela est-il possible ? Contrairement aux autres parquets, le PNF a une compétence matérielle limitée. Les parquets de droit commun doivent gérer une multitude d'infractions, dont les atteintes aux personnes et les atteintes aux biens. La gestion des contentieux de masse prend beaucoup de temps. Les magistrats peuvent moins se consacrer à l'étude des affaires économiques et financières. Or le PNF a été créé pour cela. Le rôle des magistrats est de suivre précisément des enquêtes préliminaires confiées à des services de police spécialisés.

Il fallait avoir une conception dynamique de l'action publique. Presque tous nos dossiers ont donc été suivis en enquêtes préliminaires. En 2016, le jour même de la révélation de l'affaire des Panama Papers nous avons ordonné une enquête. Le lendemain, nous avons perquisitionné la Société générale. Il fallait être réactif sur l'action publique.

Les magistrats du parquet travaillent avec les mêmes outils que les juges d'instruction : le code de procédure pénale, les services de police spécialisés. Lorsque des mesures coercitives particulières sont requises – contrôle judiciaire, détention provisoire, écoutes téléphoniques sur une longue durée – ou lorsqu'un problème de droit se présente, par exemple, si une enquête a pour origine des écoutes téléphoniques dont nous savons que la validité sera attaquée, il vaut mieux ouvrir une information judiciaire. Cependant, ma conception était de dire que l'on ouvrait une information judiciaire lorsque l'on avait une raison juridique de le faire, et non par confort. C'était un parti pris.

Dans l'affaire à laquelle vous faisiez référence, monsieur le président, j'ai fait la même chose. Nous nous sommes posé les questions que tout le monde pouvait se poser : sur le plan juridique, y-a-t-il une infraction ? Pouvons-nous ouvrir une enquête ? Que dit la loi ?

Le plus difficile a été de gérer en même temps la pression des journalistes – je n'avais pas de contact avec eux et ne lisais plus les journaux – et celle du parquet général. Ce dernier nous envoyait des « demandes de transmission rapide des éléments sur les derniers actes d'investigation », des demandes de transmission des premiers éléments sur les actes de la veille, avant onze heures, des demandes de précisions sur les perquisitions en cours, sur les réquisitions supplétives, des demandes de chronologie générale – et tout cela à deux ou trois jours d'intervalle –, des demandes d'éléments sur les auditions, de notes des conseils des mis en cause, etc. Les rapports que j'ai adressés étaient circonstanciés. L'un d'eux faisait dix pages !

J'ai été convoquée au parquet général pour une réunion à laquelle je me suis rendue accompagnée de trois de mes collègues, parce que le choix procédural que j'avais fait ne convenait pas. On m'engageait à en changer, c'est-à-dire à ouvrir une information. J'ai d'ailleurs reçu une dépêche du procureur général en ce sens. Nous avons ouvert une information uniquement pour des raisons procédurales, qui tenaient à la prescription.

S'exerçaient donc sur nous un contrôle très étroit et une pression très lourde.

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