Des collègues un peu plus anciens que moi m'ont décrit des temps hérités de la période antérieure à 1987 où, mécontents d'un jugement, des préfets passaient un petit coup de fil. Ces temps sont nettement révolus.
En 2012, 2015 et 2019, nous avons mené des enquêtes sur la charge et les conditions de travail. Pour la première fois, en 2019, nous avons introduit une question sur l'indépendance, à laquelle 580 magistrats ont répondu, soit près de la moitié des magistrats en juridiction. Seulement 5 % s'étaient déjà sentis menacés dans leur indépendance sur une ou plusieurs affaires. Les réponses faisaient état de pressions de deux types : des pressions, directes ou indirectes, exercées sur la formation de jugement, mais qui restaient très rares ; des pressions de nature plus structurelle mentionnées par des magistrats qui s'inquiétaient de constater une immixtion croissante du législateur et du pouvoir réglementaire dans le travail du juge. Deux exemples revenaient souvent, qui concernaient le contentieux des étrangers et le contentieux de l'urbanisme, dont les délais sont si nombreux et la multiplicité des procédures telle que plus personne n'y retrouve ses petits ! Le contentieux des étrangers est à ce point complexe que chaque organisation se réfère à un tableau pour comprendre le nombre de procédures. Le Conseil d'État n'y fait pas exception, et nous avons dressé un tableau à trente-six entrées – et fait des propositions de simplification…
La complexité est donc vécue comme une forme d'atteinte à l'indépendance –quand on priorise tout, on ne priorise plus rien. Et quand on contraint le juge avec des procédures dérogatoires, on réduit ses marges de manœuvre dans l'organisation de son travail, ce qui est également une forme d'atteinte à l'indépendance.
Cela dit, ces difficultés, en tout cas pour les premières que j'ai évoquées, restent rares – et heureusement ! Lorsqu'elles sont signalées, elles sont immédiatement transmises à la mission d'inspection des juridictions administratives du Conseil d'État. À ma connaissance, cela fait des années que nous n'avons pas eu à en connaître, ce dont nous nous félicitons.