Les pressions directes ou indirectes sur des membres de formations de jugement ou sur un magistrat statuant seul n'existent pas, ou marginalement. Cela a pu exister, mais n'existe plus. Peut-être peut-il y avoir exceptionnellement des préfets mécontents d'un jugement qui appelleront a posteriori. Dans ce cas, le chef de juridiction rappelle les voies de recours, appel ou cassation. Nous n'avons pas connaissance de magistrats qui seraient sanctionnés, fût-ce oralement, pour les positions qu'ils ont pu prendre dans le cadre de leurs fonctions juridictionnelles.
L'atteinte à l'indépendance que les magistrats peuvent ressentir est induite sur l'exercice de la fonction de juger, notamment par la charge de travail et les multiples procédures qui encadrent la fonction. Nous espérons que les procédures du contentieux des étrangers finiront par se simplifier. Le contentieux de l'urbanisme est également un très bon exemple. Le juge de l'urbanisme, qui est un juge de l'excès de pouvoir, dont la fonction est assez binaire – il annule ou rejette – est parfois contraint d'être la seconde main de l'administration et de régulariser des décisions illégales. Dans un souci de bonne administration de la justice, la légalité étant l'objectif à atteindre, peut-être le juge y arrive-t-il par une voie assez longue et détournée, mais l'office naturel du juge n'est pas de permettre à l'administration, en tout cas dans le cadre d'une instance encore pendante, de régulariser. En toute logique, le juge annule et l'administration reprend une décision conforme à la légalité.
Un tel encadrement de leurs fonctions peut être perçu par nombre de magistrats comme une atteinte à leur indépendance, d'autant plus qu'il se combine avec une charge de travail croissante. L'une des manières de préserver l'indépendance des magistrats serait de leur garantir les moyens de juger convenablement, en prenant le temps nécessaire. Cela passe également par une rémunération suffisante, pour éviter toute velléité d'augmenter celle-ci par d'autres biais – même si cela n'existe pas dans la juridiction administrative. Il faut aussi donner à la juridiction un budget et des effectifs suffisants pour absorber la demande de justice, qui croît depuis des années sans que les moyens de la justice, notamment administrative, progressent en proportion.
Les magistrats peuvent ressentir cette situation comme une atteinte ou une limite à la possibilité d'exercer correctement leurs fonctions selon des modalités qui conservent le sens de la justice, telles que consacrer à chaque dossier le temps qu'il mérite. Une autre atteinte indirecte peut prendre la forme de cas, de plus en plus nombreux, où le magistrat statue seul, ce qui participe à la dégradation de la qualité de la justice.
Au début de l'année, l'USMA a réalisé un sondage sur le port de la robe, auquel 800 magistrats ont répondu : un peu plus de 70 % se sont prononcés favorablement à la prestation de serment et presque 70 % favorablement au port de la robe. Il est ressorti de commentaires accompagnant les votes que le port de la robe était considéré comme nécessaire pour montrer aux justiciables – administration ou citoyens – que les magistrats incarnaient une fonction particulière dans la société, pour être identifiés en tant que juges. Dans l'imagerie populaire, le juge porte une robe ; la personne qui n'en porte pas n'en est pas un.