On ne peut être haut fonctionnaire et magistrat. Le Conseil d'État est très attaché à la combinaison des deux fonctions, qui se renforcent mutuellement : le poids de la fonction de conseil est nécessairement corrélé à celui de juger en dernier ressort, notamment s'agissant des actes réglementaires. C'est ainsi que si le Conseil d'État donne sur un texte un avis négatif qui n'est pas suivi, demeure la possibilité de le censurer au contentieux.
Le verrou que mettent les membres du Conseil d'État à leur reconnaissance comme magistrats lorsqu'ils exercent la fonction juridictionnelle est également psychologique. Appartenir à la section du contentieux, et donc à un corps de magistrats, n'exclut en rien la possibilité de travailler en administration active ou de rejoindre de temps en temps le Conseil d'État dans ses autres fonctions, notamment consultatives.
Nous attendons de voir dans quelle mesure le Conseil d'État se livrera à un examen de conscience. Le président de l'USMA a fait observer, ce que la Cour européenne des droits de l'homme avait relevé à plusieurs reprises, que – sans que cela remette en cause l'indépendance, la probité et l'impartialité des personnes qui, pour les unes, rendent l'avis, et pour les autres, statuent au contentieux –, l'apparence d'indépendance et d'impartialité peut être mise en doute si, au sein d'une même formation, une ou des personnes ont rendu un avis sur un texte et statuent quelques années plus tard au contentieux.
Dans l'arrêt Sacilor, ce problème d'impartialité ou d'indépendance au regard de la Convention européenne des droits de l'homme a été réfuté au regard de la période de temps de trois ans qui s'était écoulée. Le problème de la période récente tient à la brièveté du laps de temps entre le moment où le Conseil d'État a exercé sa fonction de conseil et celui où il a assumé sa fonction contentieuse. Il ne s'agit nullement de remettre en cause la qualité des décisions ni, par principe, l'indépendance, la probité ou l'impartialité des membres du Conseil d'État qui ont statué, mais de considérer qu'aux yeux du justiciable, il peut exister un problème d'apparence lorsque ce même Conseil d'État a à connaître au contentieux des ordonnances sur lesquelles une partie de l'institution a rendu un avis quelques semaines auparavant. Le problème est plus d'apparence que de réalité de l'indépendance, mais il compte tout autant. La période a révélé au grand jour un fait connu, mais sans doute celui-ci est-il moins problématique lorsque les fonctions de conseil et contentieuse s'exercent à intervalles suffisants.