Les travaux de votre commission ont en effet révélé la double dimension de l'indépendance : institutionnelle d'une part, individuelle d'autre part. Beaucoup des questions que vous nous avez transmises portent sur l'aspect institutionnel et c'est à celles-là que je souhaite apporter quelques réponses. Ma première observation concerne la rédaction de l'article 64 de la Constitution, qui accorde au CSM une simple mission d'assistance du président de la République, considéré comme le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Sans méconnaître le rôle du président de la République comme garant de la Constitution, cette formulation marquée par l'histoire constitutionnelle de la Vème République n'apparaît plus adaptée dès lors que le président de la République ne préside plus le CSM. En réalité, c'est le Conseil qui assure quotidiennement le respect de cette indépendance par l'ensemble de ses activités. D'ailleurs, hors des frontières françaises, ce rôle incombe logiquement à l'organe chargé d'assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire, non au pouvoir exécutif.
J'observe ensuite que le Conseil est dans une situation paradoxale. En l'état de l'article 65 de la Constitution, le Conseil ne peut se prononcer d'office en matière d'atteinte à l'indépendance que si le président de la République le lui demande, et il ne peut pas se prononcer sur des questions de déontologie ou de fonctionnement des juridictions si la garde des Sceaux ne le saisit pas. C'est un véritable obstacle à l'indépendance, au regard des normes internationales en cette matière et de la situation des Conseils européens comparables au nôtre. Une évolution indispensable serait que le Conseil puisse se saisir d'office et qu'il puisse l'être par tout magistrat ou par toute organisation professionnelle de magistrats en cas d'atteinte à l'indépendance. Actuellement, le CSM contourne cette difficulté en se prononçant par des communiqués de presse quand cela est nécessaire, mais seul un pouvoir d'avis spontané serait à la hauteur de l'enjeu. Le Conseil devrait également pouvoir donner son avis spontanément sur toute question touchant à la déontologie ou au fonctionnement des juridictions, et se prononcer sur les moyens budgétaires accordés à l'institution judiciaire.
Ma troisième observation concerne la mission de nomination du CSM et le nécessaire alignement des pouvoirs de la formation du parquet sur ceux de la formation du siège, de manière à lui attribuer un pouvoir de proposition pour les plus hauts postes du ministère public – membres du parquet général de la Cour de cassation, procureurs généraux et procureurs de la République – comparable à celui dont dispose la formation du siège pour les postes équivalents au siège.
En pratique, toutes les propositions de nomination des magistrats du parquet incombent aux gardes des Sceaux successifs qui, depuis une dizaine d'années, suivent les avis simples donnés par la formation du parquet. La proposition d'alignement de pouvoir des deux formations n'est pas une proposition nouvelle. Le Conseil, au fil des ans, s'est plusieurs fois prononcé en ce sens, tout comme la commission Nadal en 2013 et le CSM actuel. L'alignement des pouvoirs des deux formations ferait cesser le malaise profond qui résulte du mode de nomination actuel.
Ce malaise, qui est à l'origine de la suspicion de manque d'indépendance des magistrats, est palpable dans l'opinion publique ; un sondage assez récent a révélé que, pour au moins un Français sur deux, les magistrats ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif. Le malaise est encore plus fort au sein des magistrats du parquet qui, bien que partie de l'autorité judiciaire et bien qu'appartenant à un corps unique de magistrats qui ont la même formation, la même déontologie et la même mission de garantie des libertés individuelles, se voient fréquemment renvoyer comme une sorte de péché originel les conditions de leur nomination. Ce malaise concerne enfin les magistrats du siège, dont le mode de nomination des magistrats du parquet met aussi en cause l'indépendance, par capillarité.
La commission Nadal avait souligné la compatibilité du principe de subordination hiérarchique du ministère public pour l'application des directives de politique pénale d'une part et du pouvoir de proposition du Conseil pour les plus hauts magistrats du parquet assorti d'un pouvoir d'avis conforme pour les autres magistrats du parquet d'autre part. Eu égard à l'organisation hiérarchique du parquet, le pouvoir de proposition confié de la sorte au CSM constituerait une avancée déterminante pour l'indépendance des magistrats. Décorréler la nomination des membres du parquet de la subordination hiérarchique à laquelle ils sont soumis est le plus sûr moyen de mettre un terme à la suspicion évoquée précédemment. Le consensus s'est fait depuis plus de deux décennies pour renforcer le statut des magistrats du parquet ; dans le corps judiciaire et au-delà, l'incompréhension est assez grande de ne pas voir aboutir ces projets de révision.
Ma dernière observation concerne les pouvoirs de la formation du parquet en matière disciplinaire. En l'état des textes, le pouvoir disciplinaire appartient au garde des Sceaux, auquel la formation du parquet donne un avis sur la sanction à prononcer. Comme pour la formation du siège, il conviendrait de permettre à cette formation de statuer comme conseil de discipline. C'est ce que propose le projet de réforme constitutionnelle pendant devant le Parlement.