Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend Mme Hélène Pauliat et MM. Georges Bergougnous, Didier Guérin et Jean-Paul Sudre, membres du Conseil supérieur de la magistrature.

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Après avoir reçu Mme Chantal Arens et M. François Molins, respectivement présidente et vice-président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), nous entendons une délégation de quatre membres du Conseil. Leur diversité nous donnera un aperçu complet du fonctionnement de l'institution.

Madame, messieurs, je vous invite, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Hélène Pauliat, MM. Georges Bergougnous, Didier Guérin et Jean-Paul Sudre prêtent successivement serment)

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Nous représentons toutes les facettes du CSM, avec un magistrat du siège, un magistrat du parquet et deux personnalités extérieures : Mme Pauliat, professeure d'université bien connue pour ses travaux sur la justice, et M. Bergougnous qui fut haut fonctionnaire dans votre Assemblée.

Le Conseil est composé des chefs de la cour de Cassation, de huit membres extérieurs et de douze magistrats répartis en deux formations siégeant séparément. La tradition française est de toujours vouloir rebattre les cartes quant à la composition des institutions, mais n'attendez pas de nous l'affirmation que le Conseil devrait être composé autrement… Je puis vous dire, après un an et demi de fonctionnement, que nous formons une équipe au sein de laquelle on communique beaucoup. Si nous ne sommes pas d'accord en tout, nous acceptons avec beaucoup de tolérance le point de vue de chacun, car nous sommes convaincus que du frottement des esprits sort plus souvent la vérité que d'un esprit seul, cabré sur ses convictions. Une véritable collégialité existe donc, et que le Conseil soit en majorité composé de membres extérieurs à la magistrature est une chose positive.

Si nous siégeons au CSM, ce n'est ni par souci d'honorabilité, ni pour occuper une fin de carrière, ni pour satisfaire un hobby, mais parce que notre parcours à tous nous a conduits à croire aux vertus cardinales de la justice que sont l'indépendance et l'impartialité. Nous réfléchissons souvent aux problèmes généraux, comme le montre le communiqué que nous avons publié le 12 mai dernier, à la fin de la période de confinement, adressé à l'ensemble des magistrats de France pour souligner que, dans la crise actuelle, la justice devait poursuivre sa mission essentielle de protection de la liberté individuelle.

L'article 10 de la loi organique sur le CSM nous le rappelle : nous avons des exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité. Ces règles qui nous guident s'imposent aussi à l'ensemble des magistrats du corps judiciaire. Notre tâche occupe ceux d'entre nous qui sont magistrats deux jours par semaine, et les personnalités extérieures trois jours par semaine ; c'est une charge très lourde, car les dossiers s'étudient aussi en dehors de ces jours-là. En 2019, le CSM a rendu plus de 3 000 avis sur des propositions de la garde des Sceaux et lui a proposé quatre-vingt-seize nominations. Nous avons visité neuf cours d'appel et cinquante-quatre tribunaux judiciaires. Nous nous efforçons aussi de rendre des avis sur des points importants soulevés dans le débat public sur la justice. Ainsi avons-nous examiné le rapport de la mission Thiriez et réagi à ses conclusions relatives à l'École nationale la magistrature (ENM) ; nous avons aussi donné un point de vue sur le rapport du Premier président Canivet relatif à l'évaluation des chefs de cours.

Nous avons aussi des attributions disciplinaires. Vous êtes spécialement intéressés par la décision rendue le 19 décembre 2019 ; nous ne dévoilerons pas le secret du délibéré, mais nous avons écrit une décision fort complète.

L'exercice des missions du CSM supposerait qu'il soit doté de moyens supplémentaires. Il devrait notamment disposer de moyens d'inspection qu'ont souvent les conseils de justice équivalents au nôtre et sans lesquels nous n'avons pas d'outil autonome par rapport au ministère de la justice, puisque l'inspection générale de la justice dépend de la garde des Sceaux ; d'ailleurs, les inspecteurs généraux de la justice sont nommés sans intervention de notre Conseil.

La formation du siège du CSM a particulièrement conscience que l'exercice des attributions de gestion des chefs de juridiction et les moyens qui leur sont offerts sont des éléments essentiels de l'indépendance de la justice. Aussi nous sommes-nous efforcés de rationaliser le processus de nomination relevant de notre compétence en deux mouvements annuels ; nous achevons le premier mouvement de l'année 2020. Parce que nous avons conscience que la mobilité dans la magistrature est parfois trop ample, il est prévu que les nominations faites à dater de janvier 2021 le soient pour une durée minimale de trois ans.

Les listes de candidats aux postes de chef de tribunal et de chef de cour d'appel que nous avons à examiner sont très courtes. Cela nous conduit à nous interroger sur la faible attractivité de certains postes de responsable de juridiction, mais le pouvoir de gestion du CSM s'arrête là : il n'a aucun pouvoir de gestion des juridictions, de répartition des magistrats, d'attribution des moyens budgétaires : ces attributions sont – c'est une singularité de la France – confiée au ministère de la justice. Le CSM n'a aucune prérogative en matière de formation des magistrats et ne donne même pas son avis sur la nomination du directeur de l'ENM, qui forme à peu près un millier de futurs magistrats. La question se pose d'ailleurs pour toutes les postes de direction des écoles qui dépendent de la Chancellerie. On pourrait aussi s'interroger, et je le fais à titre personnel, sur la nomination du directeur des services judiciaires. Il n'en reste pas moins que nous collaborons quotidiennement avec la direction des services judiciaires (DSJ), service qui dépend du ministère de la justice.

Je conclurai ce propos liminaire par une interrogation faite à titre personnel : le renforcement des pouvoirs du CSM s'inscrit-il dans la tradition d'un pays souvent très méfiant vis-à-vis de l'autorité judiciaire ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Les travaux de votre commission ont en effet révélé la double dimension de l'indépendance : institutionnelle d'une part, individuelle d'autre part. Beaucoup des questions que vous nous avez transmises portent sur l'aspect institutionnel et c'est à celles-là que je souhaite apporter quelques réponses. Ma première observation concerne la rédaction de l'article 64 de la Constitution, qui accorde au CSM une simple mission d'assistance du président de la République, considéré comme le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Sans méconnaître le rôle du président de la République comme garant de la Constitution, cette formulation marquée par l'histoire constitutionnelle de la Vème République n'apparaît plus adaptée dès lors que le président de la République ne préside plus le CSM. En réalité, c'est le Conseil qui assure quotidiennement le respect de cette indépendance par l'ensemble de ses activités. D'ailleurs, hors des frontières françaises, ce rôle incombe logiquement à l'organe chargé d'assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire, non au pouvoir exécutif.

J'observe ensuite que le Conseil est dans une situation paradoxale. En l'état de l'article 65 de la Constitution, le Conseil ne peut se prononcer d'office en matière d'atteinte à l'indépendance que si le président de la République le lui demande, et il ne peut pas se prononcer sur des questions de déontologie ou de fonctionnement des juridictions si la garde des Sceaux ne le saisit pas. C'est un véritable obstacle à l'indépendance, au regard des normes internationales en cette matière et de la situation des Conseils européens comparables au nôtre. Une évolution indispensable serait que le Conseil puisse se saisir d'office et qu'il puisse l'être par tout magistrat ou par toute organisation professionnelle de magistrats en cas d'atteinte à l'indépendance. Actuellement, le CSM contourne cette difficulté en se prononçant par des communiqués de presse quand cela est nécessaire, mais seul un pouvoir d'avis spontané serait à la hauteur de l'enjeu. Le Conseil devrait également pouvoir donner son avis spontanément sur toute question touchant à la déontologie ou au fonctionnement des juridictions, et se prononcer sur les moyens budgétaires accordés à l'institution judiciaire.

Ma troisième observation concerne la mission de nomination du CSM et le nécessaire alignement des pouvoirs de la formation du parquet sur ceux de la formation du siège, de manière à lui attribuer un pouvoir de proposition pour les plus hauts postes du ministère public – membres du parquet général de la Cour de cassation, procureurs généraux et procureurs de la République – comparable à celui dont dispose la formation du siège pour les postes équivalents au siège.

En pratique, toutes les propositions de nomination des magistrats du parquet incombent aux gardes des Sceaux successifs qui, depuis une dizaine d'années, suivent les avis simples donnés par la formation du parquet. La proposition d'alignement de pouvoir des deux formations n'est pas une proposition nouvelle. Le Conseil, au fil des ans, s'est plusieurs fois prononcé en ce sens, tout comme la commission Nadal en 2013 et le CSM actuel. L'alignement des pouvoirs des deux formations ferait cesser le malaise profond qui résulte du mode de nomination actuel.

Ce malaise, qui est à l'origine de la suspicion de manque d'indépendance des magistrats, est palpable dans l'opinion publique ; un sondage assez récent a révélé que, pour au moins un Français sur deux, les magistrats ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif. Le malaise est encore plus fort au sein des magistrats du parquet qui, bien que partie de l'autorité judiciaire et bien qu'appartenant à un corps unique de magistrats qui ont la même formation, la même déontologie et la même mission de garantie des libertés individuelles, se voient fréquemment renvoyer comme une sorte de péché originel les conditions de leur nomination. Ce malaise concerne enfin les magistrats du siège, dont le mode de nomination des magistrats du parquet met aussi en cause l'indépendance, par capillarité.

La commission Nadal avait souligné la compatibilité du principe de subordination hiérarchique du ministère public pour l'application des directives de politique pénale d'une part et du pouvoir de proposition du Conseil pour les plus hauts magistrats du parquet assorti d'un pouvoir d'avis conforme pour les autres magistrats du parquet d'autre part. Eu égard à l'organisation hiérarchique du parquet, le pouvoir de proposition confié de la sorte au CSM constituerait une avancée déterminante pour l'indépendance des magistrats. Décorréler la nomination des membres du parquet de la subordination hiérarchique à laquelle ils sont soumis est le plus sûr moyen de mettre un terme à la suspicion évoquée précédemment. Le consensus s'est fait depuis plus de deux décennies pour renforcer le statut des magistrats du parquet ; dans le corps judiciaire et au-delà, l'incompréhension est assez grande de ne pas voir aboutir ces projets de révision.

Ma dernière observation concerne les pouvoirs de la formation du parquet en matière disciplinaire. En l'état des textes, le pouvoir disciplinaire appartient au garde des Sceaux, auquel la formation du parquet donne un avis sur la sanction à prononcer. Comme pour la formation du siège, il conviendrait de permettre à cette formation de statuer comme conseil de discipline. C'est ce que propose le projet de réforme constitutionnelle pendant devant le Parlement.

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La nomination du procureur de la République de Paris crée systématiquement une polémique ; cela n'a pas manqué la dernière fois encore. Des trois candidats initialement retenus, un seul vous a finalement été proposé par la DSJ. La brièveté de la liste – un seul candidat pour le poste – ne dit-elle pas en creux le faible poids du CSM dans ce processus ? Comment cette nomination s'est-elle déroulée ?

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Nous l'ignorons ; aucun d'entre nous ne siégeait au CSM quand cette nomination a eu lieu.

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J'entends cela, mais vous en avez sans nul doute suivi le cours. Comment faire mieux la prochaine fois ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Le seul moyen d'éliminer la suspicion serait de décorréler la nomination de la subordination hiérarchique. Le procureur de la République de Paris vous a communiqué les éléments relatifs à sa nomination : il a été proposé à ce poste par la garde des Sceaux, le CSM a nommé un rapporteur, examiné son dossier et l'a entendu. Dans le cadre de la « transparence » qui lui est soumise, le Conseil peut aussi entendre ceux des candidats observants dont le profil correspond au poste. La même procédure s'appliquera si une nomination à un poste au parquet doit intervenir.

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M. Jean-Michel Prêtre, ancien procureur de la République de Nice, a regretté devant nous de ne pas avoir été entendu par le CSM au sujet des faits qui lui étaient reprochés, alors même que le Conseil a exprimé un avis sur la proposition de sa nomination en qualité d'avocat général près la cour d'appel de Lyon.

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

L'occasion nous est donnée de rectifier ce qui a peut-être été un malentendu pendant son audition par votre commission : nous avons entendu M. Jean-Michel Prêtre.

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Hélène Pauliat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Je le confirme ; sans doute s'agit-il d'une maladresse de formulation. Nous avons rendu un avis sur une proposition de nomination classique au poste d'avocat général près la cour d'appel de Lyon. Étant donné nos attributions, il ne nous revenait pas d'aller plus loin.

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M. Prêtre a en effet rectifié par courriel ce qui, dans son propos, lui paraissait pouvoir prêter à confusion.

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Hélène Pauliat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Nous n'entendons jamais l'ensemble des magistrats qui font l'objet d'une proposition pour l'ensemble des postes – il nous faudrait entendre 3 000 personnes par an et ce serait vraiment compliqué. M. Prêtre n'a pas été entendu spécifiquement sur la proposition de nomination mais il a eu l'occasion de s'expliquer sur les faits pour lesquels il a été mis en cause.

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Le CSM prononce assez peu de sanctions. On peut en déduire que tout va bien et s'en féliciter, ou penser que la mécanique disciplinaire a des ratés.

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Je ne souhaite pas esquiver la question mais, selon le dispositif prévu, le CSM est saisi par le ministère de la justice. Les chefs de cour sont empêchés de faire des saisines directes faute de moyens d'inspection : il est très difficile de mettre un magistrat en cause sans qu'une instruction complète ait eu lieu. Le CSM répond aux saisines qui lui sont faites, et le collège actuel a prononcé plusieurs suspensions d'exercice temporaires contre des magistrats pour graves manquements au devoir de leur charge ; à chaque fois, nous avons suivi la demande de la garde des Sceaux. Certes, il s'agit de suspensions sans privation de la totalité du traitement mais les magistrats concernés ont bel et bien été mis hors du circuit judiciaire en raison de la gravité de leurs agissements. La procédure est assez largement entre les mains de la garde des Sceaux, puisque c'est son représentant qui demande l'intervention du CSM, mais pour chaque dossier le Conseil nomme un rapporteur qui fait toutes vérifications utiles et doit entendre le mis en cause, lequel peut bien entendu se faire assister.

Au sein de l'institution judiciaire, un homme seul – un juge d'instruction, un juge des libertés et de la détention – peut prendre des décisions graves. Mais, au-dessus de lui, il y a toujours une voie de recours : une hiérarchie peut toujours infirmer cette décision ; c'est une garantie essentielle. L'opinion publique et les politiques considèrent, nous le savons, que les sanctions ne sont pas nombreuses. Outre que, comme je l'ai dit, nous répondons aux saisines, l'institution judiciaire en tant que telle peine à satisfaire tout le monde. Notre guide primordial est celui des devoirs de la charge de magistrat. Chaque citoyen doit savoir que si le Conseil est saisi de manquements à des obligations de nature disciplinaire, il sera vigilant, et que sont souvent prononcées des sanctions très graves pour l'avenir professionnel des mis en cause.

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

André Leroi-Gourhan parlait de « la faculté déconcertante qu'ont les faits de se ranger dans le bon ordre pour peu qu'on les éclaire d'un seul côté à la fois »… Il en est ainsi dans le cas qui nous occupe. Je ne dis pas qu'il n'y a pas des problèmes de temps en temps, mais qui choisit le métier de magistrat est sensible à l'application de la loi et s'interroge chaque jour. Depuis l'affaire d'Outreau en particulier, la déontologie a progressivement pris dans la formation des élèves magistrats une place qu'elle n'avait aucunement quand j'ai débuté ma carrière ; alors, on n'en parlait jamais, non plus que du statut. J'ai siégé au sein d'un précédent CSM alors que la commission Cabannes rendait son rapport consacré à l'éthique dans la magistrature ; on s'interrogeait sur les moyens de renforcer la veille déontologique des chefs de juridiction. Ceux-ci conduisent à présent, à l'occasion de la déclaration d'intérêts qui accompagne toute prise de poste, des entretiens déontologiques qui amènent les magistrats à s'interroger sur d'éventuels conflits d'intérêts et permettent aux chefs de juridiction d'évaluer les risques potentiels. La déontologie est aussi un outil de prévention des manquements disciplinaires.

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Vous avez entendu M. Jean-Michel Prêtre à sa demande. Vous n'avez pas été saisi par l'exécutif pour des raisons disciplinaires mais pour porter un avis sur sa nomination à un poste qu'il n'avait pas demandé. Estimez-vous cette procédure satisfaisante ?

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Le CSM peut décider d'auditionner tout magistrat du parquet ou du siège figurant dans une transparence qu'il juge intéressant d'entendre – soit en raison de l'importance du poste où il est proposé de l'affecter, soit pour évaluer l'adéquation du candidat proposé au poste envisagé –, mais c'est assez rare car, comme l'a souligné Mme Pauliat, le faire systématiquement serait impraticable. Nous entendons tous les candidats proposés comme premier président de chambre. Nous aurions pu décider d'entendre M. Prêtre ; il a demandé à être entendu et nous l'avons entendu.

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M. Prêtre considère que sa mutation tenait de la sanction disciplinaire. C'est le fond de l'affaire : quelles garanties envisager pour qu'un tel cas, qui met tout le monde mal à l'aise, ne se reproduise pas ?

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Hélène Pauliat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Votre question ramène au débat général sur le statut du parquet, qui suppose un choix juridique et politique. Actuellement, pour les parquetiers, les mutations dans l'intérêt du service sont possibles, comme dans les autres administrations. Si l'on souhaite que les choses évoluent, il faut reconsidérer le statut du parquet, sachant que, comme l'a indiqué M. Sudre, une indépendance plus affirmée n'est pas incompatible avec le maintien dans une chaîne hiérarchique permettant de construire une politique publique.

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Estimez-vous disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de vos missions ?

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Hélène Pauliat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Nous partageons le constat que le CSM n'a pas totalement les moyens de ses missions mais je pense que votre question est, plus largement, de savoir comment garantir l'indépendance du Conseil – autrement dit, quelle administration de la justice voulons-nous ? On peut difficilement concevoir un CSM indépendant s'il n'a pas un minimum d'indépendance financière et budgétaire. Sans même comparer justice judiciaire et justice administrative car nous pourrions pleurer, il se trouve que nous sommes un des rares Conseils supérieurs à ne pas disposer d'un pouvoir d'avis minimal sur les ressources de l'autorité judiciaire, ce qui est un gage d'indépendance selon la Commission européenne pour l'efficacité de la justice du Conseil de l'Europe et les réseaux judiciaires européens. Faut-il aller plus loin ? La question et la réponse sont d'ordre politique.

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Le CSM appartient au Réseau européen des conseils de justice, qui a adopté la semaine dernière un rapport consacré à l'indépendance et à la responsabilité de ces organes. Une rubrique est consacrée aux moyens qui leur sont accordés tant pour renforcer leur indépendance que pour permettre aux magistrats d'être indépendants à titre individuel. Ce rapport considère la possibilité pour les Conseils supérieurs de se prononcer sur les moyens budgétaires alloués à la justice comme un marqueur fort de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Lors de nos visites dans les juridictions, nous constatons des manques d'effectifs, ou on nous en parle ; mais nous n'avons pas notre mot à dire dans la répartition des postes de magistrats.

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En somme, lorsque vous revenez de vos déplacements dans les juridictions, vous vous faites en quelque sorte les lobbyistes officiels des magistrats auprès de l'exécutif au sujet des effectifs et de l'organisation de la justice…

Un accord existe-t-il au sein du CSM sur le principe du transfert au Conseil de tout ou partie des missions de la DSJ, selon le modèle qui prévaut dans plusieurs pays européens ? Cela vous semble-t-il souhaitable, et dans quelle proportion ? Bien entendu, il faudrait en ce cas transférer au Conseil supérieur les moyens correspondants.

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

L'ensemble du Conseil est d'accord sur le principe selon lequel les magistrats du parquet devraient être nommés sur avis conforme de la formation compétente du CSM, disposition d'ailleurs adoptée par les deux assemblées du Parlement et qui attend le vote d'un Congrès. Pour le reste, donner compétence au Conseil pour les propositions de nomination concernant l'ensemble des mutations supposerait de lui attribuer des moyens administratifs considérables, sans doute en lui rattachant la DSJ. Se pose donc une question de dimensionnement, voire de dimensionnement constitutionnel, car on retirerait alors au garde des Sceaux une part importante de ses attributions et de ses services.

S'agissant des moyens d'investigation dont devrait disposer le CSM, on sait qu'actuellement l'inspection générale de la justice, administration spécialisée de haute qualité, est rattachée directement au ministre. C'est sa chasse gardée : le Conseil n'a pas de « droit de tirage » sur l'inspection générale pour quelque investigation que ce soit, ni en matière disciplinaire ni en matière de fonctionnement. Mais nous avons un groupe de travail qui nous permet, en liaison avec l'inspection générale et donc nécessairement avec l'autorisation de la garde des Sceaux, d'obtenir des informations sur le fonctionnement des cours d'appel ou des tribunaux ; pour peu que l'inspection dispose de ces éléments, elle nous les fait parvenir. Nous ne nous regardons donc pas en chiens de faïence, mais il n'en reste pas moins que nous n'avons pas de droit particulier sur l'inspection générale, alors même que nous pourrions avoir besoin de ce type d'aide à la décision.

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Hélène Pauliat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Il faut aussi s'interroger sur le sens qu'aurait le rattachement de la DSJ au Conseil. Au moment où l'on s'interroge sur le renouvellement de la gouvernance de la justice, il faut en première intention s'assurer que les réformes à venir renforcent la confiance du citoyen dans l'institution judiciaire. D'autre part, les réformes peuvent difficilement aboutir contre les valeurs dominantes dans la magistrature. Le rattachement d'une administration au CSM devrait sans doute s'insérer dans un ensemble plus général d'évolutions de la justice. S'orienter vers le schéma décrit modifierait l'administration de la justice, c'est-à-dire la répartition des compétences entre la Chancellerie et le CSM : on s'engagerait dans un processus qui n'est en rien incompatible avec les principes européens mais qui remettrait en cause le modèle ministériel actuel, qui laisse peu de place au CSM en matière d'investigation et de nomination. Actuellement, le pouvoir de proposition du CSM est limité, puisque nous n'avons pas les moyens d'aller chercher un magistrat qui nous semble particulièrement adapté à un poste donné : nous nous fions aux informations administratives qui nous sont données et qui sont quelquefois de très grande qualité. Je ne critique pas l'administration : les études de l'inspection générale de la justice sont pour la plupart extrêmement bien faites, elles fournissent des renseignements complémentaires à ceux que nous pouvons avoir et la DSJ nous donne un certain nombre d'informations. En réalité, votre question porte sur la gouvernance de la justice en France.

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

La formation du siège peut proposer des chefs de juridiction, mais une fois qu'ils sont en poste, nous ignorons quelle est l'efficacité de leur gestion. Nous avons décidé de les entendre après cinq ans dans l'exercice de leur fonction, mais nous n'avons d'autre circuit d'informations les concernant que les renseignements qui nous sont transmis par bon vouloir. Nous avons connu, au début de notre mandat, d'une juridiction dans laquelle il y avait des difficultés. Après que l'information nous a été donnée de manière quelque peu chaotique, nous nous sommes déplacés à trois magistrats et nous avons fait le tour de la juridiction pour savoir ce qui s'était passé ; il va sans dire que ce déplacement nous a été utile pour la nomination d'un chef de juridiction. L'enseignement à tirer de cet épisode est que sans attendre l'application des réformes de fond envisagées, le CSM pourrait obtenir d'avoir recours pour des missions ponctuelles à des inspecteurs de la justice mis à sa disposition et qui, pour ces missions, n'auraient de compte à rendre à nul autre qu'au Conseil. Nos interlocuteurs n'ont pas adhéré à cette proposition. Ce serait pourtant un prolongement utile de notre action, ne serait-ce que pour collationner des informations. J'ai moi-même été mandaté dans le passé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, alors que je n'étais pas membre du CSM, pour entendre des personnes dans le cadre d'une mission disciplinaire. Permettre au Conseil d'avoir recours à des inspecteurs du ministère de la justice est une proposition simple qui n'exige pas de texte, me semble-t-il, pour être mise en œuvre.

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L'audition étant publique et filmée, j'espère que vous serez entendu.

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Nous ne sommes pas dans un modèle de cogestion avec la DSJ – nous avons nos règles, nos objectifs et nos impératifs respectifs – mais je puis témoigner à titre personnel de la qualité de nos échanges avec cette direction : nous entretenons un dialogue approfondi et qui va dans le détail. En matière de nomination, le directeur des services judiciaires vient nous présenter les transparences – les listes des magistrats proposés – dont il nous explique la logique ; c'est un moment d'échanges important. Si, lors de l'étude des dossiers, nos rapporteurs s'interrogent sur l'opportunité de la proposition, un dialogue direct s'instaure avec la DSJ. Alors qu'au début des années 2000 on se regardait effectivement plutôt en chiens de faïence, les choses ont complétement changé.

Vous avez parlé, de manière imagée, du « lobbying » auquel se livrerait le CSM à la suite de ses missions d'information. En réalité, le Conseil supérieur n'est pas une institution désincarnée et depuis son origine ou peu s'en faut, ses membres suivent un programme annuel de visites à l'ensemble des cours d'appel et des juridictions. Nous avons alors des contacts avec les chefs de juridiction, les magistrats, les organisations professionnelles de magistrats et de fonctionnaires, les interlocuteurs de l'institution judiciaire. C'est une manière d'incarner notre mission.

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Deux fois cette année, Mme Chantal Arens et M. François Molins ont été amenés à rappeler publiquement la notion d'indépendance de la magistrature : une fois à la suite de propos tenus par le président de la République, une autre à la suite des propos de trois avocats. Quand on leur demande à quel titre ils sont intervenus, ils répondent que c'est en leur qualité de chefs de la Cour de cassation ; cela laisse penser que le CSM, qu'ils président, n'a pas vocation à intervenir. Le rôle du Conseil dans la préservation des intérêts fondamentaux de la justice devrait-il être renforcé ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Mme Arens et M. Molins sont intervenus en leur qualité de chefs de la Cour de cassation, mais ils ont une double casquette : quand ils s'expriment, ils le font aussi au titre de présidents du CSM. Mais le Conseil a conscience qu'il doit avoir un mode d'expression autonome. Le communiqué diffusé le 12 mai dernier, au terme du confinement, répondait à ce besoin d'expression à l'égard des magistrats.

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Vous considérez donc que le CSM n'a pas de difficultés à s'exprimer publiquement sur les questions relevant de la préservation des intérêts fondamentaux de la justice ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

J'ai dit dans mon propos liminaire que le Conseil ne peut se saisir d'office de certaines questions fondamentales pour l'indépendance de la justice. Mais il peut intervenir ponctuellement, comme l'ont fait Mme Arens et M. Molins en leur double qualité. Quant au communiqué du 12 mai, spécifique au CSM, c'est un bon exemple à suivre en cas d'événements de même nature à l'avenir.

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Notre fonctionnement est collégial. Étant donné la vitesse de l'information, il est difficile à un collège de former sa conviction dans un délai assez bref pour que sa réaction intéresse encore ; un communiqué du CSM réagissant à l'article des trois avocats publié dix jours plus tard aurait été en quelque sorte démodé. Mais nous sommes aussi là pour réagir sur des problèmes de fond. Ainsi, le communiqué du 12 mai est très général ; il s'agissait pour nous de traiter d'une question relative au cours de la justice et nous serions totalement démunis en l'absence de ce pouvoir d'initiative sur des sujets de politique législative et de politique judiciaire générale. Les chefs de la Cour de cassation parlent évidemment au nom de la Cour de cassation et en leur qualité de présidents du CSM, mais le CSM en tant que tel aurait peut-être des avis à donner sur des points que les présidents ne peuvent traiter à tout moment. Notre communauté d'une vingtaine de personnes aurait de la matière intellectuelle à fournir si elle avait la possibilité de donner des avis.

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Vous avez mentionné le Réseau européen des conseils de justice. Les systèmes judiciaires européens étant très différents, on ne peut se livrer à des comparaisons trop serrées, mais il est intéressant d'étudier l'organisation de l'autorité judiciaire chez nos voisins. Une idée majeure relative à l'indépendance de la justice vous paraît-elle devoir être importée d'urgence ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Les modèles sont effectivement très différents. Participer à ce réseau et à la Commission européenne pour l'efficacité de la justice du Conseil de l'Europe nous donne une vision un peu distanciée. Le pouvoir d'avis sur l'ensemble des questions qui intéressent l'indépendance de l'autorité judiciaire est ce qui nous différencie principalement de nos homologues. L'objectif immédiat que l'on pourrait atteindre serait de donner au CSM la faculté et les moyens de se prononcer sur toute question concernant l'indépendance de l'autorité judiciaire, la déontologie, le fonctionnement des juridictions. Juste après la création du Réseau européen, en 2004, un précédent CSM avait réalisé une étude comparée des Conseils européens en termes d'attributions, de moyens, d'insuffisance de nos compétences. Ce rapport a été publié en 2005 et nous sommes en 2020 ; mon témoignage personnel, pour avoir étudié ce sujet à l'époque et maintenant, est qu'en termes de moyens rien n'a véritablement évolué.

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Le CSM intervient dans le processus de nominations de parquetiers en exprimant des avis qui, depuis un certain temps, sont toujours suivis. Cela démontre la puissance sinon juridique du moins morale du Conseil et le poids qu'il a pris, et certains en viennent à considérer qu'il conviendrait de faire coller le droit aux faits. Quand il y a plusieurs candidats pour le poste considéré, les divergences au sein du CSM sont-elles rares ou fréquentes ? Êtes-vous souvent en désaccord avec les propositions de la Chancellerie ? Quels sont vos critères de choix ? L'analyse de la carrière, les notations, le service rendu à la Nation ?

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Les propositions qui nous viennent de la Chancellerie donnent lieu à l'édition de transparences, c'est-à-dire de documents sur lesquels figurent les noms des magistrats qui ont souhaité occuper un poste donné ; est souligné le nom de celui qui est retenu en pratique par la DSJ, formellement par la garde des Sceaux. Nous désignons en notre sein deux rapporteurs qui étudient attentivement les dossiers des intéressés. Cette analyse est essentielle. Dans l'ensemble, ces dossiers sont plutôt bien faits, mais certains magistrats, peut-être même membres du CSM, les jugent insuffisants ou faisant mention de critères non pertinents ; on pourrait entrer dans le détail, mais ce n'est pas l'objet de de votre commission d'enquête. Je les juge faits sérieusement par les autorités hiérarchiques et de manière interactive : il y a un débat avec l'intéressé, et l'on trouve par exemple le compte rendu de l'entretien d'évaluation. On apprend beaucoup dans ces dossiers, éléments essentiels dans le choix.

Est ensuite pesée l'adéquation entre le magistrat retenu et le poste considéré, et il peut arriver, rarement, que le rapporteur ou le collège, s'interrogeant, souhaite rencontrer le magistrat concerné. D'autre part, la transparence nous est communiquée dans son intégralité ; il peut se trouver parmi les personnes figurant sur la liste des « observants », c'est-à-dire des candidats qui formulent des observations sur le candidat retenu, en expliquant avec toutes sortes de précautions de langage pourquoi il ou elle s'estime un candidat de meilleur qualité pour le poste considéré. Nous pouvons décider souverainement d'examiner les candidatures des observants, ce que le rapporteur fait avec le même sérieux que pour le magistrat retenu, et il nous arrive de dire qu'à notre sens tel observant aurait peut-être mieux fait l'affaire que la personne retenue. Nous n'avons pas de pouvoir de substitution, mais cette opinion se traduira éventuellement par un avis non conforme s'il s'agit d'un magistrat du siège, d'un avis défavorable s'il s'agit d'un magistrat du parquet.

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Le principal critère est donc celui de l'adaptation au poste.

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

L'adaptation au poste ou la qualité du dossier. Il nous est arrivé de juger certains dossiers un peu légers ou de qualité trop moyenne. Ce n'est pas la majorité des cas, et l'on s'en réjouira. On peut également considérer que si, dans l'ensemble, le CSM donne des avis conformes ou favorables aux propositions qui sont faites, c'est aussi que du fait même que nous existons, la DSJ ne proposera pas n'importe qui : l'autocensure est inévitable. Je ne pense pas un seul instant, horresco referens, que la DSJ imaginerait proposer la nomination de gens qui ne correspondraient absolument pas aux fonctions envisagées, mais cette direction doit tenir compte de l'avis que donnera le Conseil si bien que, dans l'ensemble, les candidatures qui nous sont proposées sont tout à fait valables.

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Dans votre rapport d'activité pour 2017, vous préconisiez un pouvoir de plein exercice sur les détachements des magistrats. Est-ce toujours votre position ?

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Nous n'avons pas pris une nouvelle position. Nous sommes attentifs aux décrets et aux projets de décrets de détachement et nous vérifions qu'il n'y a pas de conflits d'intérêts dans le poste visé.

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Avez-vous déjà rencontré des difficultés à cet égard ?

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Nous nous sommes interrogés, mais nous n'avons pas fait obstacle au détachement. Il nous arrive de débattre avant de voter et puisque nous sommes en nombre impair, la majorité l'emporte.

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

La même attention est portée aux disponibilités. En pratique, elles sont de droit dans les services de l'État, et nous sommes également très attentifs à ce qu'il n'y ait pas un conflit d'intérêts avec la position qu'envisage d'occuper la personne qui demande une disponibilité.

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Considérez-vous que, du point de vue de l'indépendance de la justice, le dispositif de mobilité fonctionnelle prévoyant une durée maximale dans certaines fonctions est satisfaisant et correspond bien aux besoins ? Des évolutions vous semblent-elles souhaitables ?

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Il est vrai que, régulièrement, des juges d'instruction chevronnés, qui ont ce métier dans le sang, regrettent de devoir quitter leurs fonctions, mais nul n'est propriétaire de ses dossiers. Il est bon de passer le relais, et la règle des dix ans ne paraît pas poser de problème. Pour les chefs de juridiction, la règle des sept ans provoque une certaine anxiété dès la quatrième année, parce qu'ils s'interrogent sur leur devenir. Tout en comprenant cette règle, car un magistrat ne doit pas s'installer trop longtemps dans une cité, ce constat conduit la formation du siège à faire un point régulier avec les collègues parvenus à cinq ans d'ancienneté dans leur poste, pour envisager avec eux les perspectives qui s'offrent. Je pense traduire le point de vue de l'ensemble du CSM en disant que la règle actuelle paraît satisfaisante.

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

La mobilité fonctionnelle est un élément extrêmement important de la sauvegarde de l'indépendance du corps des magistrats. Ainsi, nous autorisons le passage des fonctions du siège au parquet ou du parquet au siège sous réserve qu'il n'ait pas lieu dans la même juridiction pendant la durée de cinq ans. La mobilité fonctionnelle est une richesse : les collègues du siège passés au parquet ont une image du parquet assez différente de celle des collègues du siège qui n'y sont pas passés. Quant à la mobilité géographique, elle est soumise à l'aléa de l'attractivité respective des juridictions. Pour certaines juridictions, il y a très peu de candidats, ce qui rend difficile une véritable mobilité. De plus, le taux de vacance des postes diminuant, la mobilité se réduira mathématiquement, d'autant que le Conseil a décidé d'appliquer à partir de janvier 2021 une nouvelle règle selon laquelle un magistrat devra rester trois ans au minimum dans son poste d'affectation.

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Qu'il n'y ait plus de vacances de postes ne devrait pas empêcher la mobilité ; même si la vacance est résorbée globalement, des marges d'adaptation demeureront selon les juridictions. Que pensez-vous de la mobilité des magistrats vers et depuis l'administration centrale et vers et depuis les cabinets ministériels ?

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

Avoir exercé très longtemps en administration centrale ne m'a pas empêché de me sentir ensuite un juge de plein exercice, mais peut-être faut-il effectivement distinguer les magistrats qui vont administrer la justice et ceux qui vont en cabinet ministériel, car ces derniers font un choix politique. En principe, les magistrats gardent leur identité de magistrat et sont obligés d'en faire état dans l'action qu'ils mènent. J'ai observé au fil des ans un changement de conception des administrations centrales vis-à-vis des cabinets. Autrefois, l'autonomie des directeurs d'administration centrale par rapport au cabinet ministériel était peut-être plus grande, ce qui leur permettait de conseiller utilement les ministres, peut-être plus utilement que s'ils vont systématiquement dans le sens que l'on attend d'eux. Être en poste à l'administration centrale permet d'avoir une conception plus large du fonctionnement de la justice, et je ne pense pas que cela doive susciter une méfiance. Les jeunes magistrats ont une conception du temps très accélérée : au bout de deux ans, après avoir travaillé à la Chancellerie sur quelques projets de textes, ils veulent en repartir, ayant l'impression d'avoir tout donné. Mon point de vue personnel est que lorsque vous commencez une carrière de quarante-cinq ans, vous pouvez prendre un peu de temps pour approfondir le sillon. En toute hypothèse, le CSM ne traite pas différemment les dossiers des collègues d'administration centrale, qu'il s'agisse de faire des propositions à des postes de chef de juridiction ou de donner des avis sur les propositions de sortie.

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Votre regard change-t-il selon qu'il s'agit de nommer à un poste d'administration centrale un magistrat du siège ou du parquet ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Quelle que soit l'origine du magistrat, pour toute proposition de nomination de magistrat à l'administration centrale, c'est la formation du parquet qui est compétente et elle examine les dossiers en s'arrêtant aux qualités des candidats et à leur adéquation au poste envisagé.

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Ce qui suscite le plus d'interrogations, c'est qu'un magistrat puisse être nommé conseiller pour les affaires judiciaires du président de la République ou du Premier ministre, ou encore directeur de cabinet du garde des Sceaux, puis occuper immédiatement des fonctions au siège ou au parquet. Ne serait-il pas sain d'instituer un « délai de carence » s'appliquant aux magistrats qui sortent des fonctions les plus proches du pouvoir politique, et d'éviter ainsi le doute qui peut saisir le citoyen usager du service public de la justice ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Vous avez interrogé à ce sujet un magistrat qui, après avoir été directeur de cabinet, a eu des responsabilités importantes dans une juridiction. Sa réponse est celle qui vient spontanément à l'esprit : le magistrat, qu'il soit en administration centrale ou en cabinet ministériel, est d'abord un magistrat qui, lorsqu'il retourne sur le terrain, remplit ses fonctions en tant que tel, soucieux d'appliquer la loi selon ses missions spécifiques, au parquet ou au siège. Un passage en cabinet est une expérience enrichissante, et les exemples auxquels on pense de magistrats ayant eu ce parcours sont ceux de magistrats qui ont démontré leur indépendance dans leur fonction ultérieure. Un « délai de carence » ne me paraît donc pas s'imposer

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Didier Guérin, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du siège

La difficulté n'existerait plus si le statut du parquet évoluait, puisqu'il n'y aurait pas de proposition directe de l'exécutif pour la nomination des magistrats du parquet. Mais, à mon sens, il s'agit d'une question d'apparence plus que de fond.

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Plusieurs magistrats, du siège ou du parquet, nous ont dit leur sentiment que la culture, au parquet, est plus d'obéissance et de rapports hiérarchiques, et qu'elle est davantage d'indépendance au siège ; je ne pense pas faire de grandes révélations en disant cela de manière plus directe que d'autres. Un magistrat en poste en cabinet ministériel ou en administration centrale ne peut faire valoir son identité de magistrat car ce n'est pas ce que l'on attend de lui. Si j'accédais un jour à une responsabilité ministérielle, j'attendrais logiquement de ceux qui sont à mon cabinet et des directeurs d'administration centrale qu'ils obéissent à la direction politique qui leur est donnée. Il n'est pas toujours facile de se départir de cette culture d'obéissance. Certains plaident d'ailleurs en faveur de la mobilité en début de carrière, après quoi le choix devrait être fait du parquet ou du siège.

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

Pour le magistrat du parquet que je suis, la distinction que vous faites entre l'obéissance qui serait propre au parquet et l'indépendance qui serait l'apanage des magistrats du siège relève du préjugé et d'une suspicion dont nous devons nous débarrasser. Magistrat du ministère public, je puis vous dire que l'indépendance reconnue par le Conseil constitutionnel pour les magistrats du siège comme pour les magistrats du parquet est une réalité quotidienne. Le parquet est une équipe ; les rapports ne sont pas d'obéissance mais de travail collectif et dans les rapports directs entre un magistrat du parquet et son procureur, il y a souvent plus de liberté de ton que dans les relations plus distanciées entre un magistrat du siège et son président. On se focalise sur l'indépendance juridictionnelle, ce qui est essentiel, mais il ne faut pas oublier l'indépendance du magistrat du parquet dans les décisions qu'il prend tout en étant subordonné hiérarchiquement. La subordination hiérarchique n'est pas l'obéissance ; je m'élève contre cette confusion. D'autre part, l'organisation administrative s'applique aussi bien aux magistrats du parquet qu'aux magistrats du siège. Enfin, vous avez indiqué que certains magistrats du siège estiment qu'il conviendrait de séparer les carrières à un moment donné. Vous observerez, en étudiant la sociologie des auditions que vous avez conduites, que les hauts magistrats du siège ont une analyse différente de ce sujet selon qu'ils sont ou non passés par le parquet. Ceux qui ont occupé les deux fonctions les trouvent extrêmement enrichissantes et sont assez partisans de ces échanges ; ceux qui ne sont pas passés au parquet pensent qu'il faudrait disjoindre les parcours. Je maintiens que l'indépendance est une culture commune aux magistrats du parquet et aux magistrats du siège.

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La confiance n'excluant pas le contrôle, quelle place réserver aux citoyens dans un futur CSM plus autonome pour éviter la critique selon laquelle les magistrats du Conseil décideraient de tout dans leur coin, indépendamment du politique ?

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Hélène Pauliat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Pour qu'il y ait confiance, il faut d'abord renforcer la transparence du processus de nomination. La participation des citoyens est plus délicate à concevoir. Face à la justice, le citoyen est en général mécontent parce qu'il a perdu ou content parce qu'il a gagné, et il faut tenir compte de ces biais ou de ces réactions épidermiques. La loi a ouvert la porte aux citoyens en créant les commissions d'admission des requêtes pour permettre la saisine du CSM par le justiciable. Le citoyen doit-il avoir une place directe, des relations plus explicites avec le Conseil ? Il faut l'envisager avec précaution pour éviter qu'il y ait une orientation, un pied dans la représentation. Je vois mal des citoyens siéger au CSM : il y faut des compétences techniques et de l'appétence.

Mes collègues et moi-même jugeons satisfaisant l'équilibre de représentation qu'offre le CSM dans sa composition actuelle. Nous avons constaté que lorsqu'il y a des débats au sein de l'institution, les divergences d'opinions n'ont jamais opposé les magistrats d'un côté, les personnalités qualifiées de l'autre côté, qu'il s'agisse de nominations ou de procédures disciplinaires ; on peut donc parvenir à une culture commune avec des représentations extrêmement différentes. Votre question appelle une ample réflexion et du recul. Que les citoyens aient un droit de regard sur cette institution comme sur toute institution publique me semble naturel mais je m'interroge sur les moyens de les intégrer de manière plus précise en leur trouvant une juste place. Peut-être y a-t-il matière à inspiration dans les conseils de juridiction, qui permettent une ouverture sur la cité.

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Georges Bergougnous, membre du Conseil supérieur de la magistrature, personnalité extérieure

Dans la composition actuelle du CSM, le constituant n'a pas donné par hasard la majorité aux personnes extérieures, et non aux magistrats : il voulait précisément éviter le soupçon de corporatisme. Comme Mme Pauliat, je n'ai pas un seul exemple, depuis presque dix-huit mois, d'un partage d'opinions reflétant un clivage entre les personnes extérieures d'une part, les membres du corps d'autre part : cela ne s'est jamais produit. Ne peut-on penser que les citoyens sont justement les personnes extérieures, désignées par le Président de la République et par les présidents des assemblées sous le contrôle des commissions parlementaires ?

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Jean-Paul Sudre, membre du Conseil supérieur de la magistrature, président suppléant de la formation compétente pour les magistrats du parquet

L'objectif principal est de renforcer la confiance des citoyens en la justice, et cette confiance est fragilisée par le soupçon de manque d'indépendance de l'autorité judiciaire. Mais prenons l'exemple d'un magistrat du parquet général à la Cour de cassation. Il n'y a pas plus indépendant que lui : il rend des avis dans l'intérêt de la loi et du bien commun et pour éclairer la chambre sur la portée de ses décisions et ne peut recevoir aucune instruction. Il est aussi indépendant qu'un magistrat du Conseil d'État et qu'un magistrat du siège. La seule différence avec les magistrats du siège, c'est le mode de nomination des magistrats du parquet, qui sont aussi indépendants qu'eux. La confiance du citoyen dans la justice passe par des modes de nomination garantissant totalement l'indépendance des magistrats au service de l'autorité judiciaire.

La séance est levée à 15 heures 40.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Olivier Marleix, M. Didier Paris