En complément du propos de madame la secrétaire générale, je souhaiterais faire deux séries d'observations. Une première d'ordre budgétaire, et une seconde en développant un autre élément au cœur de l'activité du directeur des services judiciaires : la relation avec le Conseil supérieur de la magistrature au titre de la gestion des nominations, qui, à mon sens, participe actuellement au renforcement de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Sur le premier point, je voudrais expliquer comment le directeur des services judiciaires fonctionne au titre de la mission Justice. J'ai en premier lieu une action au titre de la construction du budget du programme 166 et de l'allocation des moyens entre les différents BOP et les unités opérationnelles. Il s'agit donc d'un travail en amont et en aval, avec une responsabilité à l'endroit du Parlement. L'une de nos préoccupations est d'exécuter de manière efficiente le budget qui est voté.
En amont, c'est la participation à la construction budgétaire, un travail auquel est associé le directeur des services judiciaires à tous les stades et à toutes les étapes du dialogue budgétaire, en lien avec la secrétaire générale et l'ensemble des autres directions, qu'il s'agisse des dialogues techniques avec la direction du budget ou des conférences de budgétisation ou de répartition. C'est un travail en étroite collaboration et en bonne intelligence qui permet, de manière constructive, de pouvoir faire part des éléments nécessaires pour la construction du budget du programme 166. Cette association se fait – telle que je la vis – de manière vertueuse et permet que nous fassions valoir les arguments à l'appui des besoins des juridictions
J'aimerais faire un point sur la problématique de l'allocation des moyens, entre la direction des services judiciaires (DSJ) et les seize BOP. Depuis trois ans, un dialogue de gestion renouvelé s'est instauré avec les premiers présidents et les procureurs généraux, responsables des BOP. Il permet de construire le budget de l'année à venir, mais surtout d'envisager l'allocation des moyens, qui est un élément extrêmement important. La Cour des comptes a d'ailleurs mis en exergue la nécessité d'allouer de manière équitable les moyens pour ne pas créer de disparité entre juridictions. C'est l'un des sujets les plus difficiles pour le directeur des services judiciaires. Il se vit au quotidien, en relation avec les chefs de cours et les chefs de juridictions, pour expliquer que l'on va peut-être favoriser telle cour ou telle juridiction, non pas qu'on méconnaisse l'activité des autres, mais parce qu'il faut les renforcer pour tel ou tel contentieux.
Ce dialogue se construit tout au long de l'année lors des discussions techniques de mes services avec l'ensemble des services des cours d'appel, et également par un dialogue stratégique – en général à l'automne – sur la performance. Ce dernier permet d'évoquer l'année passée avec les chefs de cours, mais également les projets et les moyens de les faire aboutir. Nous avons, par exemple, mis en œuvre cette année pour la première fois un dialogue de gestion JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées) dans lequel nous retrouvons l'ensemble des chefs de cours des JIRS, pour essayer de rechercher l'équité dans l'allocation des moyens et de voir, au titre des priorités que la ministre nous a assignées – réforme du code de justice pénale des mineurs, mais aussi délinquance financière –, comment on renforce les JIRS, et comment on peut attribuer l'ensemble de ces moyens.
J'en viens à une deuxième série d'observations. Vous pourriez me demander si l'exécution budgétaire entrave mon action. Ce que j'ai vécu, depuis trois ans en tant directeur des services judiciaires, c'est que l'exercice budgétaire ne m'a jamais entravé dans la réalisation des moyens et du budget qui avaient été votés par le Parlement. On entend toujours comme une antienne que l'argent va à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et qu'il ne reste rien pour les juridictions. Vous pourriez vous demander si le budget que vous avez voté pour le programme 166 va bien au programme 166. Pendant plusieurs années avant 2017 – la Cour des comptes l'a montré –, il y avait une sous-exécution du budget du programme 166. Le pilotage du schéma d'emplois est très difficile : c'est un exercice de prévision très compliqué, et l'on peut adopter une démarche prudente ou une démarche offensive. Ce type de démarche prudente avait pu conduire à une sous-exécution chronique du budget du programme 166. Et effectivement, dans le cadre de sa responsabilité, la secrétaire générale pouvait considérer en fin de gestion que des crédits non utilisés pouvaient être redéployés vers d'autres directions.
Mon action a été d'optimiser les crédits alloués, donc de saturer le schéma d'emplois et la masse budgétaire. Nous l'avons fait progressivement : en 2018, partiellement ; puis en 2019, nous avons saturé totalement notre plafond budgétaire modulo quelques centaines de milliers d'euros qui restaient en fin d'année et qui ont été transférés. Et je peux témoigner qu'à aucun moment la secrétaire générale ou mon collègue de la DAP ne sont venus me voir en me disant qu'ils ne comprenaient pas qu'en fin d'année il ne reste rien du programme 166 alors qu'habituellement on en prenait quelques crédits. Au contraire : j'ai été encouragé par la ministre, par le directeur de cabinet, à aller au bout du budget.
Je vois bien dans les questions posées à la ministre au Parlement, votre souci de vérifier que les budgets alloués sont optimisés. Et sur ce point, je peux témoigner que dans ce souci d'efficience budgétaire, de saturation des schémas d'emplois, de dépense de ce que le Parlement avait voté, je n'ai pas connu d'entrave. J'indique d'ailleurs – la secrétaire générale l'a rappelé –, qu'en tout état de cause, les décrets de virement au sein d'une même mission sont limités. Il y a dans la LOLF, dans la construction budgétaire, des leviers de stabilisation : on ne pourrait pas faire n'importe quoi. On peut même imaginer qu'un jour les choses changent et que l'on ne puisse plus venir prendre dans le budget de l'un pour donner à l'autre.
En ce qui concerne les relations entre la direction des services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature, il s'agit d'un des points très importants de la gestion que j'ai souhaité avoir en tant que directeur. Je vous rappelle que je suis un ancien secrétaire général du CSM. Je peux témoigner d'un renforcement des liens entre la direction des services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature, évidemment dans le respect des prérogatives de chacun, aussi bien de l'indépendance de l'autorité constitutionnelle qu'est le CSM que des prérogatives de la ministre.
Ces dernières années, et avant moi déjà d'ailleurs, ont été engagées des actions de dialogue constructif, qui, à mon sens, renforcent l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le premier élément est le dialogue en dehors des nominations. Cette année, pour la première fois, j'ai été invité par le Conseil à échanger sur d'autres sujets. Il me semble extrêmement important.de dire au CSM quelle est la stratégie d'action du directeur des services judiciaires, du ministère de la Justice, quels sont les axes de priorité, et de lui permettre ainsi de comprendre comment s'inscrivent les politiques de nominations ou pourquoi nous renforçons telle juridiction par rapport à telle autre. Ce sont des dialogues de plusieurs heures : un séminaire notamment a duré toute une journée. Cela permet d'aborder l'ensemble des sujets – je peux témoigner de la richesse des débats – et au CSM d'être pleinement éclairé. Vous le savez, le CSM a un mission d'information sur les juridictions, les visite toutes, mais n'a pas accès à l'ensemble des éléments budgétaires. Il me semble donc très important de pouvoir lui en donner. Nous sommes à la disposition du CSM lorsqu'il a besoin d'éléments sur le fonctionnement des juridictions, ou de données chiffrés concernant le budget ou les effectifs, à l'occasion d'une nomination ou d'une mission.
Enfin, au titre des nominations, je veux évoquer le processus entre le CSM et la direction des services judiciaires sur les recommandations et les signalements. Lorsque la garde des Sceaux propose la nomination d'un magistrat, tout magistrat qui n'est pas proposé peut formuler une observation. Et s'il l'estime utile après avoir entendu le magistrat, le CSM peut formuler une recommandation ou un signalement – deux points d'intensité différente – faisant ainsi savoir au ministre que l'attention du Conseil a été porté sur tel magistrat et qu'il conviendrait, peut-être, de le nommer. Nous sommes extrêmement attentifs aux indications du Conseil. Il y a encore une petite dizaine d'années, un magistrat ne formulait pas d'observation, parce qu'il pensait qu'il ne serait pas nommé. Aujourd'hui, les choses sont claires et c'est devenu un exercice normal. Les magistrats font des observations, et le CSM nous aide en quelque sorte en nous éclairant sur des points que nous n'aurions peut-être pas vus. Cela me parait extrêmement intéressant et c'est au cœur de votre problématique. C'est une garantie du respect de l'indépendance, car nous agissons sous le contrôle du Conseil. Et, dès lors que depuis plusieurs années les ministres se sont engagés à suivre, pour le parquet, les avis du CSM, au-delà de cet engagement, on trouve le suivi des recommandations et des signalements.
À l'occasion de chaque « transparence », c'est-à-dire du projet de mouvement des magistrats, nous venons devant le Conseil en exposer à la fois les lignes stratégiques mais aussi les cas particuliers, les problématiques personnelles, qui nous ont amenés à faire tel ou tel choix. Nous apportons tout élément d'expertise, toute information complémentaire, qui permettent d'éclairer le Conseil. Et à cet égard, tout au long du processus d'examen d'une transparence par le CSM, il y a des questions qui sont posées, très concrètement, à la direction des services judiciaires, et nous nous employons à y répondre de façon extrêmement rapide.
En conclusion, j'insiste sur ce dialogue renforcé entre le CSM et la direction des services judiciaires représentant la ministre de la Justice. Il permet de renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire.