Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 9h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CSM
  • indépendance
  • juridiction
  • magistrat
  • nomination
  • procureur

La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures 05.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend Mme Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice, et M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires.

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Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice, et M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires.

Madame, Monsieur, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose à toute personne auditionnée par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C'est pourquoi je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Véronique Malbec et M. Peimane Ghaleh-Marzban prêtent successivement serment.)

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Mon propos liminaire sera relatif à la question que vous nous avez posée sur les éléments budgétaires relatifs au programme « Justice judiciaire » et à la mission Justice dans son ensemble, en lien avec la question de l'indépendance de la justice. Comme responsable de la fonction financière ministérielle, et en cohérence avec les prescriptions de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, le secrétaire général du ministère de la Justice assume le pilotage transversal des six programmes du ministère, en s'appuyant sur une vision d'ensemble des politiques publiques. Magistrate, je suis très attachée au respect de l'indépendance de la justice.

En tant que secrétaire générale et sous l'autorité de la garde des Sceaux, je me dois de poursuivre trois objectifs principaux : veiller à la défense des intérêts du ministère dans la négociation budgétaire dans la phase de préparation du projet de loi de finances, et ensuite au respect du cadre budgétaire qui a été fixé dans la loi de finances et voté par le Parlement ; veiller également à la bonne gestion du service public de la justice dans sa globalité ; garantir au sens large l'indépendance de la justice qui, comprise comme l'indépendance de la prise de décision juridictionnelle, nécessite des moyens – par exemple, en ressources humaines et pour le fonctionnement courant – suffisants pour ne pas être entravée.

Avant de détailler mon propos, il me semble en effet important de bien définir les concepts. Ce qui in fine est protégé, c'est bien l'indépendance de cette prise de décision individuelle ou collégiale des juges. Rien qui ne soit en provenance des partis, des pouvoirs publics, des médias, de l'opinion publique, ne doit pouvoir influer au fond cette décision, hors les règles de procédure définies par la loi ou les règlements. L'indépendance est un principe que nul ne conteste. Toutefois il est vrai qu'il n'est pas d'indépendance sans moyens matériels suffisants pour l'exercer.

Dans cette perspective, les questions financières dont j'ai la charge ont leur importance mais, selon moi, une importance relative car les vraies questions qui se posent sont de deux ordres : les moyens qui nous sont donnés sont-ils suffisants ? Et qu'en faisons-nous, c'est-à-dire comment sont-ils répartis en fonction des besoins qui sont exprimés ? Bien sûr, le budget doit permettre aux juridictions de fonctionner dans des conditions telles qu'elles garantissent le prérequis de ce fonctionnement. On doit leur assurer les locaux et les fluides. Ne pas y répondre favorablement pourrait attenter à l'indépendance dans la mesure où les juridictions ne seraient pas en capacité de répondre aux demandes des justiciables. Mais plus directement, ce sont les moyens mis à disposition pour préparer ou mettre en œuvre des décisions de justice – les frais de justice pour rémunérer des expertises ; les frais de déplacement pour exécuter une commission rogatoire internationale ; pour ne prendre que deux exemples – qui doivent faire l'objet d'une attention particulière, dans les limites du droit mais aussi du raisonnable. Un juge ne doit pas renoncer à un acte nécessaire à la réalisation de la vérité au seul motif qu'il saurait ne pas pouvoir le faire payer.

Les contours actuels de la mission Justice sont pluriels, comprenant les moyens dédiés à l'autorité judiciaire mais aussi notamment à l'administration pénitentiaire, à la protection judiciaire de la jeunesse, ou encore à l'aide juridictionnelle ou à l'aide aux victimes. Ils correspondent à un choix politique fort, celui d'un continuum du service public de la justice qui comprend : les moyens offerts aux citoyens pour connaitre leurs droits et saisir librement la justice ; le traitement de leur plainte ou requête dans un délai raisonnable jusqu'au jugement ou tout autre traitement alternatif ; la possibilité de bénéficier tout au long d'une procédure d'un conseil ou d'un soutien des avocats bien sûr, mais aussi des associations d'aide aux victimes, les points d'accès au droit, les relais d'accès au droit que vous connaissez ; l'exécution des décisions, qu'elles soient de détention, de probation ou de protection.

La justice est une institution. Elle embrasse aussi un ensemble de politiques publiques largement indissociables. Nous le voyons aujourd'hui avec l'application de la loi de programmation qui, par exemple pour la réforme des peines, nécessite un pilotage de plusieurs programmes du ministère. Si nous affectons par exemple dix conseillers d'insertion et de probation dans un ressort, cela a peu de sens, si en parallèle, nous n'affectons pas un magistrat et deux greffiers au service de l'application des peines, et inversement.

La justice est également un pilier de politique publique interministérielle, que ce soit dans le cadre de la protection de l'enfance, de la dépendance, du logement, du développement durable… La décision indépendante du juge est essentielle. Mais elle est toutefois un maillon d'une chaine qui la dépasse largement. En cela, il me semble que la justice judiciaire est fort différente de la justice administrative. Souvent citée en exemple, cette dernière ne me parait pas intervenir dans un tel degré d'interaction. Ainsi, loin de réduire les particularités de la justice, l'organisation actuelle permet d'intégrer le droit commun interministériel pour justement défendre nos spécificités et mieux porter nos politiques publiques.

À ce stade, vous me permettrez de vous présenter ma mission sous un angle plus technique. L'indépendance de la justice est un grand principe qui ne peut pas être mis à mal par des régulations budgétaires infra annuelles, qui restent limitées. Il a souvent été dit que la justice judiciaire avait à pâtir de sa coexistence avec l'administration pénitentiaire. Cette dernière a en effet des dépenses importantes, pour la gestion de ses personnels, des personnes placées sous-main de justice et des lieux qui les accueillent. Mais l'attribution des crédits est faite en parfaite transparence avec la direction du budget et le Parlement. Il n'y a pas de « détournement », du programme 166 « Justice judiciaire » vers celui de l'administration pénitentiaire. Une autre question est de savoir si la mission Justice, et plus spécifiquement le programme « Justice judiciaire », a suffisamment de moyens pour fonctionner.

Cette indépendance est soutenue par le statut des magistrats, qu'ils soient du siège ou du parquet, et même, depuis trois ans, par une loi de programmation quinquennale expansionniste, ce qui est assez rare dans le contexte budgétaire actuel. Avec cette hausse continue des ressources, et cette amélioration des conditions d'exercice de la justice, il m'est plus facile de défendre cette indépendance. Et je peux affirmer avec force qu'aucune des décisions de régulation budgétaire prises ces dernières années en gestion, par le responsable de programmes ou par celui de la fonction financière du ministère que je suis, n'ont évidemment jamais répondu à une quelconque volonté de représailles, pour quelque décision judiciaire que ce soit. Elles n'ont pas non plus contraint les juridictions dans leurs choix stratégiques, ni même dans leur gestion.

Certes, je le reconnais, certains crédits de personnels, initialement inscrits au programme budgétaire 166 « Justice judiciaire », ont pu par le passé être divertis en gestion vers le programme 107 « Administration pénitentiaire ». Cela été fait dans la limite, fixée par la LOLF, de 3 % des crédits votés par le Parlement. Et ces crédits, j'insiste sur ce point, n'ont pas fait défaut aux juridictions, puisqu'ils étaient de toute façon systématiquement annulés, car ils résultaient de marges budgétaires observées en gestion ; au-delà même du transfert effectué vers l'administration pénitentiaire, les lois de finances rectificatives en attestent.

Ces mouvements ne résultent pas non plus d'une pratique de gestion différenciée ex ante entre programmes de la réserve de précaution interministérielle que je refuse d'accorder au contrôleur budgétaire ministériel et à la direction du budget. Ce dernier souhaiterait en effet, dès le début de l'année et au moment de la programmation des crédits, auto-assurer des dépenses obligatoires par une augmentation du taux de réserve de certains programmes pour alléger le taux de réserve des programmes qu'il juge moins soutenables.

Si le programme 166 avait constitué une mission à lui seul, il n'aurait pas pu pour autant dépenser plus de crédits, puisque ses besoins en gestion n'étaient alors pas supérieurs, et il n'aurait pas pu non plus contribuer par ce geste marginal de mutualisation – et sans effort réel, puisqu'il s'agissait de crédits non consommés – au sein de la mission à la politique globale de la justice. Les transferts de crédits entre missions sont certes possibles, mais ils résultent alors d'équilibres budgétaires interministériels sur lesquels le ministère de la justice dispose de moins d'emprise. Les virements-annulations de crédits annuels ou même les révisions à la baisse des moyens budgétaires pluriannuels, comme ce fut le cas lors de la programmation budgétaire triennale de 2019, ne sont de fait pas à mettre au débit du découpage en programmes ou en missions de la politique de la justice, mais résultent de nos difficultés communes à faire croître nos effectifs aussi vite que prévu – il faut du temps pour recruter et former des magistrats ou des fonctionnaires de greffe –, mais aussi à développer nos ambitieux programmes d'investissements immobiliers ou technologiques. Si ces mouvements devaient saper un jour l'indépendance de la justice, le Parlement aurait par ailleurs tout loisir, lors de la loi de finances suivante, de les inverser puisqu'il est toujours pleinement informé.

Le secrétariat général œuvre sans relâche pour soutenir les efforts de tous les responsables de programmes, en faveur d'une gestion saine et efficace des deniers publics, ressource rare s'il en est. En facilitant l'accès aux formations continues des personnels des juridictions, en organisant la plus grande professionnalisation de leur fonction achats, en partageant les bonnes pratiques ou encore en offrant des compétences techniques en soutien depuis Paris mais également au sein de chaque région puisque nous avons des délégations du secrétariat général en régions, nous soutenons chacun des directeurs de programmes et nous montrons aussi chaque jour que la mutualisation de certaines fonctions renforce la capacité de gestion de chacun et permet ainsi à chaque responsable de programme ou chaque chef de cour, responsable de BOP (budget opérationnel de programme) de retrouver des marges de gestion.

Une mutualisation budgétaire telle que nous la pratiquons, limitée, entre programmes d'une même mission, n'affaiblit pas la gestion des programmes. Au contraire, c'est la mutualisation par un secrétariat général très volontaire, des compétences techniques rares, et des bonnes pratiques de gestion au sein d'une mission politique large, qui renforcent la capacité stratégique de chaque programme et donc in fine permet à la justice d'exercer ses activités en toute indépendance.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

En complément du propos de madame la secrétaire générale, je souhaiterais faire deux séries d'observations. Une première d'ordre budgétaire, et une seconde en développant un autre élément au cœur de l'activité du directeur des services judiciaires : la relation avec le Conseil supérieur de la magistrature au titre de la gestion des nominations, qui, à mon sens, participe actuellement au renforcement de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Sur le premier point, je voudrais expliquer comment le directeur des services judiciaires fonctionne au titre de la mission Justice. J'ai en premier lieu une action au titre de la construction du budget du programme 166 et de l'allocation des moyens entre les différents BOP et les unités opérationnelles. Il s'agit donc d'un travail en amont et en aval, avec une responsabilité à l'endroit du Parlement. L'une de nos préoccupations est d'exécuter de manière efficiente le budget qui est voté.

En amont, c'est la participation à la construction budgétaire, un travail auquel est associé le directeur des services judiciaires à tous les stades et à toutes les étapes du dialogue budgétaire, en lien avec la secrétaire générale et l'ensemble des autres directions, qu'il s'agisse des dialogues techniques avec la direction du budget ou des conférences de budgétisation ou de répartition. C'est un travail en étroite collaboration et en bonne intelligence qui permet, de manière constructive, de pouvoir faire part des éléments nécessaires pour la construction du budget du programme 166. Cette association se fait – telle que je la vis – de manière vertueuse et permet que nous fassions valoir les arguments à l'appui des besoins des juridictions

J'aimerais faire un point sur la problématique de l'allocation des moyens, entre la direction des services judiciaires (DSJ) et les seize BOP. Depuis trois ans, un dialogue de gestion renouvelé s'est instauré avec les premiers présidents et les procureurs généraux, responsables des BOP. Il permet de construire le budget de l'année à venir, mais surtout d'envisager l'allocation des moyens, qui est un élément extrêmement important. La Cour des comptes a d'ailleurs mis en exergue la nécessité d'allouer de manière équitable les moyens pour ne pas créer de disparité entre juridictions. C'est l'un des sujets les plus difficiles pour le directeur des services judiciaires. Il se vit au quotidien, en relation avec les chefs de cours et les chefs de juridictions, pour expliquer que l'on va peut-être favoriser telle cour ou telle juridiction, non pas qu'on méconnaisse l'activité des autres, mais parce qu'il faut les renforcer pour tel ou tel contentieux.

Ce dialogue se construit tout au long de l'année lors des discussions techniques de mes services avec l'ensemble des services des cours d'appel, et également par un dialogue stratégique – en général à l'automne – sur la performance. Ce dernier permet d'évoquer l'année passée avec les chefs de cours, mais également les projets et les moyens de les faire aboutir. Nous avons, par exemple, mis en œuvre cette année pour la première fois un dialogue de gestion JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées) dans lequel nous retrouvons l'ensemble des chefs de cours des JIRS, pour essayer de rechercher l'équité dans l'allocation des moyens et de voir, au titre des priorités que la ministre nous a assignées – réforme du code de justice pénale des mineurs, mais aussi délinquance financière –, comment on renforce les JIRS, et comment on peut attribuer l'ensemble de ces moyens.

J'en viens à une deuxième série d'observations. Vous pourriez me demander si l'exécution budgétaire entrave mon action. Ce que j'ai vécu, depuis trois ans en tant directeur des services judiciaires, c'est que l'exercice budgétaire ne m'a jamais entravé dans la réalisation des moyens et du budget qui avaient été votés par le Parlement. On entend toujours comme une antienne que l'argent va à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et qu'il ne reste rien pour les juridictions. Vous pourriez vous demander si le budget que vous avez voté pour le programme 166 va bien au programme 166. Pendant plusieurs années avant 2017 – la Cour des comptes l'a montré –, il y avait une sous-exécution du budget du programme 166. Le pilotage du schéma d'emplois est très difficile : c'est un exercice de prévision très compliqué, et l'on peut adopter une démarche prudente ou une démarche offensive. Ce type de démarche prudente avait pu conduire à une sous-exécution chronique du budget du programme 166. Et effectivement, dans le cadre de sa responsabilité, la secrétaire générale pouvait considérer en fin de gestion que des crédits non utilisés pouvaient être redéployés vers d'autres directions.

Mon action a été d'optimiser les crédits alloués, donc de saturer le schéma d'emplois et la masse budgétaire. Nous l'avons fait progressivement : en 2018, partiellement ; puis en 2019, nous avons saturé totalement notre plafond budgétaire modulo quelques centaines de milliers d'euros qui restaient en fin d'année et qui ont été transférés. Et je peux témoigner qu'à aucun moment la secrétaire générale ou mon collègue de la DAP ne sont venus me voir en me disant qu'ils ne comprenaient pas qu'en fin d'année il ne reste rien du programme 166 alors qu'habituellement on en prenait quelques crédits. Au contraire : j'ai été encouragé par la ministre, par le directeur de cabinet, à aller au bout du budget.

Je vois bien dans les questions posées à la ministre au Parlement, votre souci de vérifier que les budgets alloués sont optimisés. Et sur ce point, je peux témoigner que dans ce souci d'efficience budgétaire, de saturation des schémas d'emplois, de dépense de ce que le Parlement avait voté, je n'ai pas connu d'entrave. J'indique d'ailleurs – la secrétaire générale l'a rappelé –, qu'en tout état de cause, les décrets de virement au sein d'une même mission sont limités. Il y a dans la LOLF, dans la construction budgétaire, des leviers de stabilisation : on ne pourrait pas faire n'importe quoi. On peut même imaginer qu'un jour les choses changent et que l'on ne puisse plus venir prendre dans le budget de l'un pour donner à l'autre.

En ce qui concerne les relations entre la direction des services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature, il s'agit d'un des points très importants de la gestion que j'ai souhaité avoir en tant que directeur. Je vous rappelle que je suis un ancien secrétaire général du CSM. Je peux témoigner d'un renforcement des liens entre la direction des services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature, évidemment dans le respect des prérogatives de chacun, aussi bien de l'indépendance de l'autorité constitutionnelle qu'est le CSM que des prérogatives de la ministre.

Ces dernières années, et avant moi déjà d'ailleurs, ont été engagées des actions de dialogue constructif, qui, à mon sens, renforcent l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le premier élément est le dialogue en dehors des nominations. Cette année, pour la première fois, j'ai été invité par le Conseil à échanger sur d'autres sujets. Il me semble extrêmement important.de dire au CSM quelle est la stratégie d'action du directeur des services judiciaires, du ministère de la Justice, quels sont les axes de priorité, et de lui permettre ainsi de comprendre comment s'inscrivent les politiques de nominations ou pourquoi nous renforçons telle juridiction par rapport à telle autre. Ce sont des dialogues de plusieurs heures : un séminaire notamment a duré toute une journée. Cela permet d'aborder l'ensemble des sujets – je peux témoigner de la richesse des débats – et au CSM d'être pleinement éclairé. Vous le savez, le CSM a un mission d'information sur les juridictions, les visite toutes, mais n'a pas accès à l'ensemble des éléments budgétaires. Il me semble donc très important de pouvoir lui en donner. Nous sommes à la disposition du CSM lorsqu'il a besoin d'éléments sur le fonctionnement des juridictions, ou de données chiffrés concernant le budget ou les effectifs, à l'occasion d'une nomination ou d'une mission.

Enfin, au titre des nominations, je veux évoquer le processus entre le CSM et la direction des services judiciaires sur les recommandations et les signalements. Lorsque la garde des Sceaux propose la nomination d'un magistrat, tout magistrat qui n'est pas proposé peut formuler une observation. Et s'il l'estime utile après avoir entendu le magistrat, le CSM peut formuler une recommandation ou un signalement – deux points d'intensité différente – faisant ainsi savoir au ministre que l'attention du Conseil a été porté sur tel magistrat et qu'il conviendrait, peut-être, de le nommer. Nous sommes extrêmement attentifs aux indications du Conseil. Il y a encore une petite dizaine d'années, un magistrat ne formulait pas d'observation, parce qu'il pensait qu'il ne serait pas nommé. Aujourd'hui, les choses sont claires et c'est devenu un exercice normal. Les magistrats font des observations, et le CSM nous aide en quelque sorte en nous éclairant sur des points que nous n'aurions peut-être pas vus. Cela me parait extrêmement intéressant et c'est au cœur de votre problématique. C'est une garantie du respect de l'indépendance, car nous agissons sous le contrôle du Conseil. Et, dès lors que depuis plusieurs années les ministres se sont engagés à suivre, pour le parquet, les avis du CSM, au-delà de cet engagement, on trouve le suivi des recommandations et des signalements.

À l'occasion de chaque « transparence », c'est-à-dire du projet de mouvement des magistrats, nous venons devant le Conseil en exposer à la fois les lignes stratégiques mais aussi les cas particuliers, les problématiques personnelles, qui nous ont amenés à faire tel ou tel choix. Nous apportons tout élément d'expertise, toute information complémentaire, qui permettent d'éclairer le Conseil. Et à cet égard, tout au long du processus d'examen d'une transparence par le CSM, il y a des questions qui sont posées, très concrètement, à la direction des services judiciaires, et nous nous employons à y répondre de façon extrêmement rapide.

En conclusion, j'insiste sur ce dialogue renforcé entre le CSM et la direction des services judiciaires représentant la ministre de la Justice. Il permet de renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire.

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Merci pour vos explications précises. Je reprends quelques points. D'abord, l'aspect budgétaire, qui n'est d'ailleurs pas un thème évident au premier abord pour une commission d'enquête sur l'indépendance de la justice. N'entrons pas dans le débat « pouvoir », « autorité », qui sont des notions plutôt politiques. Il nous est apparu, au fil des auditions, que les magistrats ou la chaine de responsabilité judiciaire se sentent plus ou moins indépendants s'ils disposent de plus ou moins de moyens et s'ils ne sont pas trop contraints dans des choix faisant de certains pans de l'activité de la justice des priorités.

Nous avons entendu des présidents de conférences de procureurs, des procureurs généraux, des avocats, des premiers présidents, et des présidents de tribunaux judiciaires. Pour être franc, je ressens un décalage entre vos propos et les leurs. Si l'on prend aussi en compte le rapport Bouvier, on dresse une cartographie extraordinairement complexe, avec seize BOP, trente-six cours d'appel, le CSM qui donne des avis comme une sortent de DRH des magistrats, mais qui ne porte pas de regard spécifique sur le budget correspondant. Autres difficultés : l'absence d'une comptabilité analytique et l'existence de nombreux crédits fléchés dans le cadre d'une exécution budgétaire rigide, Ainsi, même quand une juridiction fait des efforts d'économie de moyens, on ne les lui restitue pas. Le professeur Bouvier propose une réorganisation de la mission Justice, afin de regrouper les six programmes existant en une mission judiciaire et une mission relative à l'administration de la justice.

Que pourrait-on imaginer pour redonner à nos juridictions le sentiment d'être moins contraintes et qu'il existe un dialogue de gestion et un dialogue de décision ? Quelles évolutions vous paraissent-elles souhaitables, possibles, nécessaires, utiles ?

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Ce qui est certain, pour la magistrate que je suis ayant exercé plusieurs années dans des juridictions, c'est qu'il y a eu une évolution très positive du fonctionnement de nos juridictions et des moyens qui leur ont été alloués. Il y a eu un effort très important en matière immobilière, la réforme de la carte judiciaire ayant permis de rationnaliser et de remettre en état des juridictions dont certaines étaient en difficulté. Mais peut-être faut-il aller au-delà et s'interroger sur la pertinence du maillage territorial : trente-six cours d'appel, c'est compliqué à gérer, par rapports aux neuf directions interrégionales de la pénitentiaire, ou aux neuf directeurs de la police judiciaire. Discuter à trente-six est plus compliqué et la ressource est émiettée entre toutes les juridictions.

Le fléchage a été fait pour que certaines dépenses soient un peu sanctuarisées. J'ai parlé des frais de justice : c'est aussi une grande difficulté que rencontrent les juridictions depuis que les crédits sont devenus limitatifs, alors – et cela rejoint la thématique de l'indépendance de la justice – qu'on ne peut pas restreindre la capacité du magistrat à ordonner des expertises ou autres.

En dépit d'une évolution très positive ces dernières années, grâce à la loi de programmation, notre budget demeure bien inférieur à celui de nos voisins, ce que confirme, année après année, la CEPEJ (Commission européenne pour l'efficacité de la justice). Aussi, je vous retourne la question : avec davantage de crédits pour la mission Justice, ne serait-il pas plus facile aux juridictions de fonctionner ?

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Je n'ai pas parlé du montant ou du volume du budget, mais de son mode d'exécution et du sentiment de liberté qui peut être donné à la chaine judiciaire.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Dans nos réponses aux questions que vous nous avez adressées, nous avons répondu à celle de savoir si la construction ministérielle et l'organisation budgétaire constituent une entrave à l'indépendance de la justice. De votre côté, du point de vue tant de l'envoie allouée que de l'exécution, ce que vous votez pour les juridictions va-t-il bien aux juridictions ?

On compte cinq cents magistrats de plus depuis 2012 : je ne méconnais pas plus la réalité de l'effort que les difficultés des chambres. En fait la question est moins celle de l'augmentation de l'enveloppe que de sa stabilité car les coups d'accélérateur et de frein sont ce qu'il y a de plus destructeur pour les juridictions. Nous avons mis des années à nous remettre de la baisse des recrutements intervenue en 2010-2011. Mettre un terme à la variabilité est un atout d'une loi de programmation, aussi faudrait-il déjà penser à l'après 2022, à l'après 2027, pour avoir une trajectoire.

S'agissant de l'exécution budgétaire, disposer de seize BOP ne rend guère les choses maniables… Mais je ne suis pas certain que l'ensemble des chefs de cours accepteraient de voir réduire le nombre de BOP ou d'unités opérationnelles. Le rapport Bouvier avait dit « une Cour d'appel, un BOP » : je ne suis pas certain que ce soit la voie dans laquelle se diriger. On parle de crédits fléchés, mais le budget des juridictions, c'est le loyer l'électricité, etc. Dans les budgets de fonctionnement, les budgets fléchés constituent plus de 99 % de la contrainte budgétaire. Le reste, ce sont l'amélioration de tel ou tel bureau, la dématérialisation dans les salles d'audience. Ne pourrait-on donner à chaque chef de cour un budget autonome ? Toutefois, démultiplier les lieux de décision budgétaire ne va pas dans le sens de l'efficience et de l'efficacité.

Le circuit de la dépense est complexe. Il faut de la technicité dans les services administratifs régionaux, notamment pour l'exécution de la paye. Je ne suis pas certain que nous puissions disposer de trente-six centres de gestions opérationnels dotés des compétences en matière de marché public et de suivi budgétaire. Pour ma part, je prône un renforcement des BOP, et c'est l'action que j'essaye de mener. Faut-il aller plus loin ? C'est un sujet difficile. Le Parlement a beaucoup discuté des questions d'organisation judiciaire et, en effet, ce n'est pas seulement une question technique, mais aussi politique.

Nous n'avons pas de comptabilité analytique qui nous dirait ce que coûtent le parquet national financier, les JIRS, telle juridiction… Peut-être est-ce un besoin qu'il faut prendre en compte dans notre évolution.

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Prendre l'avis du Conseil Supérieur de la magistrature sur le budget vous parait-il une idée intéressante ?

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

La place que l'on donne au CSM en ce domaine est une question politique, institutionnelle. Je peux avoir un avis en tant que magistrat mais, en tant que directeur des services judiciaires, je ne vais pas émettre un avis qui relève de l'autorité ministérielle. Je peux dire néanmoins que, dans le cadre du dialogue que nous avons avec le Conseil, je suis allé cette année présenter des éléments budgétaires.

M. Ugo Bernalicis prend place au fauteuil présidentiel.

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J'ai une première question toute simple : quel a été le circuit de validation des réponses que vous nous avez données par écrit ? Le contenu est-il la position de la direction des services judiciaires ? De la secrétaire générale ? Du cabinet de la ministre ? De la ministre ?

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Les réponses au questionnaire écrit ont été, disons, co-construites, puisque le secrétariat général assure la coordination de l'ensemble. Certaines questions relevaient plus précisément du programme 166, et nous avons donc travaillé avec le directeur des services judiciaires. Nous avons produit un document que vous avez sous les yeux, que j'ai évidemment transmis au cabinet de la ministre pour lui demander s'il le validait. Je crois me souvenir que deux lignes ont été biffées. Je m'exprime mal : le passage en question a été complété par le cabinet de la ministre.

Il s'agissait d'un tout petit passage à propos du transfert des cent ETP (équivalents temps plein) de greffiers qui a pu être réalisé grâce à un transfert du programme de l'administration pénitentiaire vers la direction des services judiciaires. Cela complète d'ailleurs nos réponses précédentes. On entend souvent que le programme de l'administration pénitentiaire absorbe une partie du programme des services judiciaires. Nous avons pu expliquer que si cela avait pu être le cas – dans des proportions extrêmement limitées, puisque nous sommes tenus par la LOLF –, il y a eu également, tout récemment, à l'inverse, grâce à une sous-exécutions de crédits de la DAP, des transferts vers les services judiciaires. En l'occurrence, cela nous a permis de procéder au recrutement de cent greffiers supplémentaires. C'est un complément que nous avions omis, le directeur et moi-même, et qui a été souhaité par le cabinet.

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J'ai été assez étonné de vos réponses à ce questionnaire.

En premier lieu, la vision que vous exprimez au travers des réponses aux questions certes plus politiques – sur la place du CSM, son avis, etc. – vont a contrario de celle qui est ressortie de la quasi-totalité des auditions que nous avons conduites : conférence des premiers présidents, conférence des procureurs généraux, conférence des procureurs de la République, certains des membres du Conseil supérieur de la magistrature, M. Molins, Mme Arens, et bien d'autres. Tout le monde plaide à la fois pour un renforcement de l'autonomie budgétaire – mais à la limite, ce ne serait que la stricte application de la LOLF – et pour la possibilité de prendre formellement l'avis du CSM. Or, vous dites ne pas voir de lien étroit et direct entre question budgétaire et indépendance du magistrat dans sa fonction de juger et son impartialité.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je ne crois pas que nous ayons écrit un seul instant qu'il n'y a pas un lien entre le budget et l'indépendance. Nous ne l'avons pas écrit, et nous ne le pensons pas. Ceux qui vous ont expliqué qu'il faut modifier les choses, ont exprimé une position institutionnelle. Moi, je vous ai répondu en tant que directeur des services judiciaires qui exécute un budget. Et la question à laquelle j'ai répondu est : l'exécution budgétaire est-elle une entrave à l'indépendance ? La question de savoir s'il faut que le CSM ait un rôle plus important, est encore une fois – pardonnez-moi, ce n'est pas pour me soustraire à la question, mais je suis très attaché à la place institutionnelle des uns et des autres – une question politique. Elle est extrêmement importante et d'ordre constitutionnel.

Si la question était de savoir si le budget que vous votez va bien aux juridictions, alors oui, je peux le dire. Ce qui pose problème aux chefs de cours, c'est la question de l'allocation des moyens. Allouer des moyens, c'est faire des choix, fixer des priorités. Vous renforcez telle juridiction dans tel segment, et évidemment vous ne le faites pas pour d'autres juridictions. Alors, on peut contester le choix du directeur des services judiciaires, et c'est ma responsabilité. La ministre m'a demandé par exemple d'accompagner la réforme du droit pénal des mineurs par soixante-dix magistrats, et de renforcer les JIRS en matière économique et financière : nous allons mettre vingt-trois magistrats pour ce faire. J'ai fait des choix. Et ceux qui ne bénéficient pas de ces choix vont peut-être les contester. Ce sera une question sur l'allocation des moyens, mais au fond, ils poseront alors celle du montant global de l'enveloppe accordée à l'autorité judiciaire. Au final, c'est un peu ça, aussi. Et cette question-là n'est pas une question de construction budgétaire, mais la question politique de la place qu'on donne à la justice dans l'État en termes budgéaires.

Je me permets de redire qu'il y a une progression ces dernières années. En cinq ou six ans, 500 magistrats supplémentaires ont été affectés en juridictions : c'est tout de même très positif. Quand j'ai présidé la chambre financière de Paris, la charge était extrêmement lourde. Mais il ne faut pas être naïf : décider de recruter demain 10 000 ou 20 000 magistrats, ce n'est pas possible. J'ai indiqué qu'il fallait une régularité dans l'allocation des moyens, et peut-être faudrait-il que la trajectoire qui a été dessinée se poursuive. Si c'est le cas pendant cinq ou dix ans, on rehaussera l'autorité judiciaire française par rapport à l'ensemble de celles de ses voisins européens. Je pense qu'il faut continuer ce renforcement.

Mais les réponses que je vous ai apportées sont celles d'un DSJ en charge de l'exécution d'un budget. C'est peut-être pour cela que vous avez cette dissonance en tête. Nous ne nous plaçons pas au même niveau, du même point de vue, que ceux que vous avez entendus.

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Dans votre document écrit, vous faites une distinction très claire entre indépendance du magistrat dans le jugement de chaque affaire, et organisation du service public de la justice dans son ensemble, où le sujet ne se poserait visiblement plus. C'est ce que je comprends en creux dans votre formulation, et ce n'est pas l'impression qui ressort de nos autres auditions.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je vous confirme qu'évidemment le budget a un lien avec l'indépendance de la justice, si vous aviez un doute sur ce point.

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Je n'en ai aucun pour ma part ! En ce qui concerne les frais de justice, par exemple, vous expliquez à certains moments que le magistrat ne doit pas être limité, qu'il n'existe pas de limite. Mais en même temps, que le seul intéressement sur le mode de fonctionnement dans la juridiction repose sur la capacité du chef de juridiction à ne pas trop dépenser en frais de justice. Je cite votre propre document : « par ailleurs des mesures d'intéressement des juridictions lié à la performance de leur gestion des frais de justice ont été mises en place ». Que dois-je comprendre ?

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je ne crois pas qu'aujourd'hui une cour, une juridiction ou un magistrat ait été entravé dans une enquête parce que nous aurions excipé d'une difficulté en matière de frais de justice. À tous ceux qui m'ont entendu, j'ai toujours expliqué que la maîtrise des frais de justice ne saurait revenir en aucun cas sur l'indépendance juridictionnelle. Nous l'avons toujours dit et je ne pourrais pas, en tant que magistrat, dire autre chose. D'où l'intérêt d'ailleurs d'avoir des magistrats à l'administration centrale, parce qu'ils apportent leurs regards et leurs convictions. Mais qu'en revanche, on puisse avoir une vision rationalisée des frais de justice, cela peut avoir une incidence. Selon que vous recourriez, par exemple, pour des expertises génétiques, à tel expert ou à tel autre, cela peut avoir des conséquences budgétaires. Vous voyez bien qu'il est intéressant de rechercher le meilleur prix en passant par les laboratoires de police scientifique, par la gendarmerie nationale, plutôt que par un laboratoire privé.

Autre exemple : lorsque vous placez sous scellés un véhicule et que pendant dix ans, tous les mois, vous payez un garage car la procédure dure, ne peut-on pas essayer de rationnaliser ? De même quand vous placez tous ces véhicules dans 40, 50, 60 garages dans tout le département – au point que vous ne savez même pas où ils sont – ne peut-on pas exercer un suivi ? Les chefs de cours en sont convaincus. Concrètement, c'est de cela qu'on parle.

En ce qui concerne l'intéressement, l'idée est de dire aux chefs de cours de mettre en place une rationalisation – c'est-à-dire leur demander ce qu'ils ont fait sur le plan des véhicules, sur le recours à telle ou telle solution – et, s'ils ont pris certaines mesures, nous leur donnons effectivement des crédits complémentaires : c'est aussi cela, le dialogue de performance. Quand dans certaines juridictions, on recourt massivement aux interprètes-traducteurs, on peut en recruter. Voilà les solutions dont on parle.

Jamais nous n'avons limité les frais de justice. Je tiens à dire devant les caméras, puisque nous sommes filmés, que si demain il y a une affaire de viol dans un village et que le juge d'instruction souhaite faire des examens sur toute une partie de la population, il peut et il pourra toujours le faire. Jamais on ne lui dira « ça coûte un peu cher, n'y allez pas ». Je n'ai pas un exemple de magistrat à qui l'on aurait dit qu'il ne pouvait pas avoir telle ou telle chose parce qu'il y aurait une entrave budgétaire. Notre rôle justement est de faire respecter cette indépendance juridictionnelle tout en trouvant des moyens d'efficience budgétaire. L'action que nous devons mener, c'est une action métier. De la même manière que, dans un débat judiciaire, vous vous posez les questions « l'infraction est-elle constituée ? » et « quelle sanction faut-il prononcer ? », il faut se poser la question du sort des biens. Confiscation ou non ? Et se poser cette question, tout au long de la procédure. Faut-il attendre le jugement pour restituer un véhicule ? Ne faudrait-il pas le restituer en cours d'information judiciaire ? C'est de cela dont nous parlons, dans les préconisations que nous faisons à l'endroit des chefs de cours. On peut parler d'optimisation et d'efficience des frais de justice, tout en garantissant l'indépendance.

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Les associations d'aide aux victimes, les policiers ou les gendarmes, un certain nombre d'intervenants, d'acteurs judiciaires ou d'avocats, nous disent que, dans telle affaire, on leur a expliqué qu'une reconstitution, ça coute trop cher. Peut-être qu'effectivement aucun magistrat ne s'est-il vu refuser telle ou telle chose, mais qu'il existe une certaine autocensure. Il est déjà compliqué de trouver des experts, car ils ne sont pas payés rapidement, voire pas payés du tout. Les articles de presse sont assez nombreux et assez nourris au sujet des interprètes qui ne veulent plus travailler avec les ministères de l'Intérieur et de la Justice. Nous n'inventons pas le sujet.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je le connais. Et je sais très bien que chaque fin d'année, nous avons des difficultés à couvrir les dépenses…

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Également parce que ce sont des crédits limitatifs. La LOLF nous a placés face à une difficulté : rendre limitatifs des crédits qui, par essence, ne peuvent pas l'être. Sur la fin de gestion, chaque année, on voit bien un dépassement du montant des crédits, mis en report sur l'année suivante. C'est tout le problème, tant qu'on n'aura pas remis les frais de justice dans l'ordre des choses : ils sont par essence évaluatifs. En début d'année, évidemment, on ne peut savoir qu'une grosse affaire va se présenter. On fait une moyenne des années précédentes, mais ce n'est pas efficient. J'ai en tête le crash du Concorde qui en frais de justice, en expertises, avait couté extrêmement cher. Même chose avec l'affaire du Bugaled Breizh, et bien d'autres exemples. Évidemment en début d'année, ou l'année précédente, on ne peut pas prévoir.

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Nous en sommes bien conscients et le rapport Bouvier recommande notamment ce passage du limitatif à l'évaluatif. Je comprends que cela vous pose problème dans votre fonctionnement budgétaire, en vous obligeant à des reports. Si notre commission peut être force de proposition pour améliorer cette situation, j'espère que nous serons entendus.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je n'ai pas dit que les frais de justice ne sont pas un sujet de réflexion. Je pense même qu'en matière budgétaire c'est « le » sujet sur lequel il convient de travailler. En 2016, le rapport des trois inspections avait mis en exergue l'insuffisance des crédits de fonctionnement. La situation s'est améliorée grâce aux crédits votés par le Parlement. Il faut le reconnaître et sortir du discours « rien ne va ». Certaines choses doivent certes être améliorées, mais allez à la Cour d'appel de Poitiers, au tribunal de Pointe-à-Pitre, de Chalon-sur-Saône… Nous avons de très beaux palais et je suis fier de voir ce qui se fait, ce qui se construit. C'est ce que vous votez, en quelque sorte. Mais c'est un long cheminement.

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Je ne vais pas dire le contraire : oui, les 25 % d'augmentation sur la durée de la loi de programmation constituent un pas énorme. Oui, il faudra continuer quelle que soit la majorité parlementaire en 2022. Et oui, la justice doit être le primat de l'action publique, compte tenu de l'état de notre société. Mais il faut aussi avoir à l'esprit que nombre de difficultés dans l'exercice des professions de la justice par le passé ont traumatisé l'ensemble de ses acteurs.

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Pour les frais de justice, je pense qu'effectivement de gros progrès ont été faits, vous avez su combler l'arriéré. Mais ces frais ne peuvent pas être un puit sans fond où l'on puiserait de manière irresponsable. Même si je pense qu'il y a là une question de liberté et d'indépendance, je pense aussi qu'il y a une responsabilité. Je viens d'une juridiction administrative où le recours à l'expertise ne relevait pas simplement d'un juge d'instruction se précipitant sur une expertise pour asseoir son statut et, quelquefois, acheter en quelque sorte son indépendance. Je pourrais citer des mesures d'instruction qui n'avaient aucun sens. Elles sont prises par un juge d'instruction qui exprime ainsi son indépendance, en utilisant les moyens et les possibilités dont il dispose. Il me semble que d'une manière responsable, tous ensemble, nous devons réfléchir à cette question et voir si ce n'est pas par le recours à la collégialité, à la discussion entre magistrats, que, dans des dossiers très sensibles, la mesure d'expertise doit quelquefois être prise. Je tenais à le dire en contrepoint de cette idée que le recours à l'expertise est nécessairement la garantie de l'indépendance : il faut également y adosser la pertinence, la responsabilité.

Ma deuxième question concerne les choix que vous avez évoqués en termes budgétaires. Vous n'ignorez pas les gros projets de construction de prisons et de centres éducatifs fermés. Or il n'y a aucune transparence quant à leurs lieux d'implantation. Il me semble que la transparence serait de mise, de sorte que l'on ne puisse pas imaginer que ces constructions répondent à des sollicitations politiques. Dans mon département, nous avons enregistré la suppression d'un centre éducatif fermé (CEF) et l'annulation d'un autre projet de CEF, à un moment où la justice des mineurs va – à juste titre – se redéployer. Les magistrats se trouvent en difficulté. Dans le même temps, on apprend qu'alors que nous en avons déjà un à Chalon-sur-Saône, un autre tribunal va être construit ou réhabilité. J'ai besoin de voir clair dans les choix politiques. Je ne discute par la pertinence des choix, mais j'aimerais en comprendre la logique. J'espère qu'une véritable transparence lèvera mes craintes et qu'un autre choix sera fait, mais j'avoue redouter ce dont la presse s'est fait écho : des suppressions de postes liées à la couleur politique de la collectivité. Je ne voudrais pas que la justice s'abîme dans ce genre de choses. La transparence dans les choix de construction d'établissements pénitentiaires comme de CEF s'impose.

Ma troisième question concerne les nominations. Beaucoup de progrès ont été faits, et je pense effectivement qu'aller devant le CSM est une excellente chose. Mais reparlons transparence. Lors de son audition devant notre commission, madame Houlette a fait valoir qu'étant proche de la retraite, et donc n'attendant rien, elle n'avait pas de pression. Mais a contrario, une personne jeune ne se sentira-t-elle pas sous pression ? Dans le dispositif de transparence que vous évoquez, comment prévenir les craintes que pourraient avoir des magistrats certes consciencieux mais soucieux aussi de ménager leur avancement ?

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Ce programme immobilier, qui résulte de la loi de programmation, est extrêmement ambitieux. Il comprend un programme immobilier pénitentiaire, un autre judiciaire, et un autre, effectivement relatif à la construction des CEF. Ce sont les directeurs de programmes qui font part de l'expression des besoins pour la localisation ou la réhabilitation de telle ou telle structure. En ce qui concerne plus précisément votre question sur les CEF, c'est la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse qui, au regard des remontées du terrain demande un CEF à tel endroit plutôt qu'à un autre parce que cela répond à un besoin ressenti par les magistrats. Les critères sont donc en premier lieu l'expression du besoin et, ensuite, la capacité à faire. Il faut trouver un terrain, ce qui n'est pas forcément simple. Pour les constructions neuves, nous chargeons l'agence publique pour l'immobilier de la justice de ce travail d'anticipation. Entre la prise de décision, le choix du terrain, la construction et la réalisation effective, il se passe beaucoup de temps. À la place qui est la mienne – la directrice de l'APIJ pourrait vous répondre beaucoup plus précisément – je peux vous dire que ces choix résultent de l'expression d'un besoin, qu'il n'est pas toujours possible de satisfaire en raison des capacités.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je vais aborder la question extrêmement importante des nominations. L'acceptabilité du système pour les citoyens, et les magistrats, réside dans la croyance que les nominations ne sont pas faites sur des considérations qui pourraient être politiques, ou d'appartenance à telle ou telle école de pensée, ou même par rapport à un comportement. La vérification du dispositif est donc essentielle. Celui-ci repose sur le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, qui garantit à la fois pour les citoyens et pour les magistrats le contrôle réalisé. C'est la clé de voute.

Avant de soumettre une nomination au CSM, on travaille à partir des dossiers administratifs de magistrats, dans lesquels se trouvent les évaluations. Il y a tout un débat sur la manière de faire évoluer ces évaluations – nous y travaillons avec le CSM –, mais on n'y trouve aucune indication quant aux décisions prises par les magistrats dans telle ou telle affaire, aux affaires qu'ils auraient présidées… Ce sont des informations et un processus extrêmement normés, qui sont fixés par l'ordonnance statutaire. Le critère sur lequel nous faisons reposer notre décision, c'est le dossier administratif. S'agissant des procureurs et procureurs généraux, s'y ajoute tout un cycle d'auditions, par mes équipes, puis par la sous-directrice de la magistrature, enfin par moi-même. C'est tout un processus normé.

Lorsque nous faisons une proposition de nomination, le risque que vous évoquez – celui où un magistrat n'est pas choisi parce qu'il a déplu – est levé par le contrôle du CSM. Ce magistrat, qui n'aurait pas été proposé, peut faire, je l'ai dit, des observations devant le CSM. Si son dossier parait être intéressant, le Conseil l'entend. Et si le Conseil estime que c'était un meilleur candidat que celui que nous avons proposé, il peut formuler une recommandation ou un signalement faisant ainsi savoir au ministre qu'il conviendrait, peut-être, de le nommer. De surcroit, la situation ne s'est jamais produite depuis mon arrivée, il y a trois ans, mais si le CSM estime qu'il existe des raisons de ne pas nommer quelqu'un, il peut émettre un avis défavorable. Tous les ministres de la justice ont dit depuis dix ans qu'ils ne passeraient pas outre cet avis défavorable, d'où l'intérêt d'ailleurs d'aller vers l'avis conforme pour les parquetiers. Aujourd'hui, les ministres respectent l'avis simple, mais peut-être un jour y en aura-t-il qui agiront différemment, et il serait bien de le prévenir.

Un deuxième dispositif existe qui préserve du risque que vous évoquez, c'est le dispositif d'appel à candidatures qui permet à mon sens d'accentuer le contrôle par le CSM. Sur des postes spécialisés, nous faisons des appels à candidatures très précis. Ils permettent au CSM de savoir sur quel poste le magistrat sera affecté et quel contentieux il aura à connaitre. Imaginons un poste de premier vice-président chargé de l'instruction financière à Paris : un poste essentiel puisque c'est le coordinateur des juges d'instruction financiers qui voit l'ensemble des dossiers et participe à la nomination de tel ou tel juge d'instruction. On voit bien que c'est une nomination sensible. L'appel à candidatures permet de dire au corps judiciaire que nous recherchons tel magistrat. Les magistrats se portent candidats, et le Conseil supérieur de la magistrature sait quelle fonction le magistrat nommé va exercer. On pourrait, sur plusieurs centaines de magistrats à Paris, nommer des présidents et vice-présidents sans que le CSM sache très exactement où le président va les nommer. Car la nomination au sein d'une juridiction, c'est l'office du président. Mais en accord avec la Cour et la juridiction, il y a des appels à candidature fléchés. L'intérêt, c'est que le CSM examine le dossier du magistrat, non seulement dans sa compétence professionnelle intrinsèque, mais aussi sa compétence dans un segment très spécialisé. On renforce donc le pouvoir du Conseil.

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Peut-on imaginer que les réponses à l'appel à candidatures soient transmises au CSM en même temps qu'à vous-même ? Est-ce le cas actuellement ?

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Lorsque nous proposons une nomination, nous indiquons au CSM l'ensemble des personnes qui se sont portées candidates pour ces postes. Par construction, lorsque le CSM nous demande une information, nous la lui donnons pour qu'il puisse exercer un contrôle plein et entier.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Au parquet comme au siège, bien sûr. La question se pose de la même manière au parquet pour des postes fléchés.

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Madame la secrétaire générale, dans votre propos liminaire, vous avez à juste raison souligné votre attachement à l'indépendance de la justice, et un peu plus loin, indiqué que celle-ci était une institution. Je vous rejoins tout à fait. La justice est une institution, comme le Parlement en est une, et comme la presse libre et indépendante en est une autre dans une société démocratique, qui fonctionne sur ces fondamentaux.

J'ai été interpellé, il y a quinze jours par un article d'un hebdomadaire dominical qui traitait d'un sujet qui revient en boucle ces dernières semaines et concerne l'un de nos collègue, M. Thierry Solère. Cet article était titré « Le complot des juges » et cela m'a amené à m'interroger, à « googliser » comme on dit le sujet, et j'en ai tiré plusieurs interrogations dont je vais vous faire part.

Vous aviez, en qualité de procureur de Versailles, le 19 juin 2018, transmis une demande de levée d'immunité parlementaire concernant notre collègue. Deux faits essentiels y figuraient : des crédits immobiliers déclarés par le député réputés fictifs, et le fait qu'il aurait perçu plus d'un million d'euros de la part de l'un de ses amis, sans déclarer cette somme aux services fiscaux. Le parlementaire a été placé en garde à vue, à la suite de la décision de levée d'immunité parlementaire qui date, elle, du 11 juillet 2018. Comme la presse s'en faisait encore l'écho hier, notre collègue s'interroge sur le fait que figurait selon lui dans son dossier tous les éléments de preuves qui auraient dû amener au rejet de cette demande de levée d'immunité. Et ce, de manière bien antérieure à sa transmission au bureau de l'Assemblée nationale.

Ma question est toute simple, madame la secrétaire générale : avez-vous aujourd'hui, devant nous et après avoir prêté serment, connaissance de dysfonctionnements au sein de l'autorité judiciaire dans cette enquête ?

Je vais plus loin : vous avez transmis le 19 juin votre demande à madame la garde des Sceaux. Celle-ci l'a transmise le 22 juin au président de l'Assemblée nationale de l'époque. Et dans l'intervalle, le 21 juin, la direction des affaires criminelles et des grâces transmettait une note qui concernait elle – là aussi, c'est dans la presse – les rapports entre notre collègue et le juge d'instruction Roger Le Loire. Ce point avait fait l'objet d'un classement sans suite, par le procureur de Paris de l'époque François Molins, en février 2018. Toutefois, il apparait encore dans la demande de levée d'immunité parlementaire.

Comment qualifieriez-vous aujourd'hui juridiquement, le fait que soit transmis à l'Assemblée nationale un fait présenté comme avéré, alors que quatre mois auparavant, l'affaire avait été classée sans suite ?

Enfin, hier, dans l'hebdomadaire Marianne, la procureure de Nanterre, Catherine Denis, fait état d'une série de pressions entre les deux tours de l'élection présidentielle, dont certaines concernaient ce dossier et lesquelles émaneraient, je cite, « de la Chancellerie, via le Parquet général de Versailles ». Aviez-vous connaissance de ces pressions, madame la secrétaire générale ? Et je finirai par une question chapeau : comment peut-on expliquer que l'inspection générale de la justice n'ait pas été saisie de ce sujet ?

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Je suis la secrétaire générale du ministère. J'ai certes exercé précédemment un certain nombre de fonctions, dont celle de procureur général à Versailles. Mais j'ai été également procureur général à Rennes, et pendant 35 ans, j'ai exercé dans d'autres juridictions. J'ai bien évidemment lu les articles de presse que vous évoquez, parce que certains me citaient nommément. Ce que je peux vous dire, c'est qu'une information judiciaire est en cours, et qu'il ne m'est donc pas possible de répondre sur le fond de cette affaire.

Je peux ajouter, de façon toute personnelle, que lorsque vous êtes mise en cause, dans la presse – et c'est le cas à l'heure actuelle pour un certain nombre de magistrats –, c'est extrêmement difficile. Parce que vous ne pouvez pas répondre, puisque vous êtes soumis au secret des affaires, de l'instruction en l'espèce. Vous avez donc un journaliste qui fait une enquête, une enquête qui n'a qu'un élément du dossier en question puisqu'on ne vous demande pas votre avis et que, de toute façon, vous ne pouvez pas le donner. C'est extrêmement compliqué à vivre. Il est compliqué, alors même que la manière dont les choses sont présentées vous met en difficulté, de ne pas pouvoir y répondre. Et je ne peux pas vous répondre : il y a une information en cours et elle est couverte par le secret. Dans quelques années, je serai certainement à la retraite, et je pourrai peut-être répondre aux questions qui sont posées.

Quant à l'inspection générale de la justice, je vous rappelle qu'elle est directement rattachée au garde des Sceaux, et que c'est donc le garde des Sceaux et lui seul qui la missionne.

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Je n'entre pas dans le dossier en question, mais en règle générale, ce qui se passe au sein du ministère de la justice passe sous les radars. Il y a très peu d'enquêtes de l'inspection générale de la justice et encore plus rarement des enquêtes du CSM, puisqu'il ne peut pas se saisir, même s'il fait des visites de juridictions et « démine » un certain nombre de problèmes, on le sait. Il me semble que pour avoir une meilleure garantie de l'indépendance de la justice, il existe peut-être des interstices à combler. Peut-être qu'il y a beaucoup de fantasmes dans ce qui se raconte dans la presse, mais encore faudrait-il en faire la démonstration de sorte qu'ils s'évanouissent définitivement. Ce qui n'est pas le cas. Les éléments qui nous sont rapportés en général – le procès Urvoas l'a montré – ne sont pas couverts par le secret de l'instruction ni le secret de l'enquête, mais uniquement par le secret professionnel pour ce qui est des remontées d'informations. Ce n'est pas le fond de l'enquête : cela y est lié – évidemment, c'est dans la procédure – mais ce n'est pas le fond de l'enquête.

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Pour compléter, madame la secrétaire générale, j'entends bien votre réponse, et je m'y attendais un peu. Mais en tant que parlementaire et représentant du peuple au même titre que mes 576 collègues, ce qui m'interpelle, c'est de découvrir à travers une lecture dominicale et des recherches que j'ai envie de faire comme citoyen, à travers différents épisodes journalistiques non démentis, que peut être mise en cause l'institution judiciaire dans son ensemble, mais aussi un collègue qui représente la nation au même titre que chacun d'entre nous sans qu'il puisse faire valoir son bon droit dans un processus réglementaire ou législatif.

Je regardais récemment un sondage : plus d'un Français sur deux n'a pas confiance en l'institution judiciaire ; plus d'un Français sur trois n'a pas confiance en l'institution politique. C'est notre société démocratique et républicaine qui pâtit de toutes ces questions. Dans cette affaire, je ne sais pas ce qui s'est passé et à la limite, je ne veux pas le savoir, mais j'en mesure toutes les conséquences sur l'image de chacun des acteurs. Je rejoins monsieur le président : on doit trouver, dans notre société, les mécanismes institutionnels et juridiques qui fassent que cela ne se produise plus.

Faisons abstractions de ce cas particulier, l'immunité parlementaire a valeur constitutionnelle, imaginons que des éléments qui n'auraient pas dû figurer dans ce dossier ait entraîné sa levée de l'immunité, avec une volonté, réelle ou supposée, de ne pas respecter les bonnes règles de fonctionnement démocratique entre le monde judiciaire et le monde parlementaire. C'est cela qui m'intéresse.

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Cela fait un certain nombre d'années que je suis entrée dans la magistrature. J'ai à la fois des règles de déontologie et des règles d'éthique que j'ai respectées tout au long de ma carrière. Si la demande a été faite, je peux vous assurer qu'elle n'a été faite sous aucune pression politique quelle qu'elle soit. Je n'ai jamais, j'y insiste, au cours de ma carrière – et j'ai exercé trois ans au siège et tout le reste au parquet – subi une quelconque pression dans quelque dossier que ce soit. La demande qui a été faite, je l'ai faite au vu des éléments du dossier qui m'a été transmis par la procureur de Nanterre. Ce que je peux affirmer, c'est que la transmission que j'ai faite des éléments que j'avais, je l'ai faite dans le respect des règles d'éthique et de déontologie qui m'ont toujours animée, et qui, je crois, animent l'ensemble des magistrats de ce pays.

Donc, il est vrai qu'être traité de manière désagréable, met à mal l'institution judiciaire que nous représentons. Je comprends également vos propos et la difficulté pour le parlementaire de vivre certaines situations. Mais sachez que ce qui m'anime, c'est l'éthique et la déontologie. Vous avez reçu des membres du Conseil supérieur de la magistrature, ; monsieur Sudre a rappelé les éléments de la formation donnée à l'ensemble des magistrats et le souhait que nous avions tous de respecter l'éthique et la déontologie sous le contrôle du CSM. Et, je le répète, je n'ai jamais subi de pression en 40 ans de carrière.

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Je ne vous ai pas accusée de cela. Mais, à travers votre fonction actuelle, le fait que puisse être jointe à une demande de levée d'immunité une note faisant état de faits ayant été classés sans suite, en omettant de préciser qu'ils l'ont été, comment considérez-vous cela du strict point de vue du droit ?

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Dans mes fonctions actuelles, je dois vous avouer que je m'occupe assez peu des transmissions qui sont faites entre – d'après ce que je comprends –la direction des affaires criminelles et des grâces et le cabinet. Je ne dispose pas d'éléments à vous apporter, ou qui me permettent de vous répondre.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

J'aimerais intervenir sur un point qui me concerne davantage, à savoir la mise en cause des magistrats et la difficulté de leur assurer une défense. Un avis a été rendu par le CSM, en décembre 2014. Comme le dit la Cour européenne des droits de l'homme, ce sont des attaques destructrices du lien social. Le magistrat, soumis au secret, est enchaîné en quelque sorte car il commettrait une faute en se mettant dans une position de transparence. Il est soumis à un statut et à des règles déontologiques. Le CSM a pu définir une gradation avec le chef de juridiction, le chef de cour, le CSM ou le ministre, dans certains cas, pour apporter une réponse.

Par exemple, notre collègue le procureur de Mamoudzou, mis en cause de manière intolérable par des propos racistes, a reçu un soutien de la ministre. Des magistrats mis en cause dans le cadre de dossiers en cours sont en difficulté pour apporter une réponse parce qu'ils violeraient le secret. C'est très compliqué. En tant que directeur des services judiciaires, je ne connais rien du fond de l'affaire mais je dis que, quand il y a ce genre de choses, la meilleure réponse est la réponse juridictionnelle.

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La commission d'enquête n'a pas pour objectif de détruire l'image de la justice, loin s'en faut. Elle a vocation à faire un certain nombre de constats, issus de ses travaux, issus des réponses qui nous sont données, issus des regards qui sont les nôtres. Il n'y a aucune ambiguïté : c'est une commission d'enquête non pas de destruction, mais de constats et de propositions pour l'avenir.

La presse, évidemment, porte un regard sur nos travaux, comme sur la justice, Nous y sommes tous nécessairement sensibles. Mais ce n'est pas pour autant que la commission d'enquête fonde son action en réaction à tel ou tel article de presse. Nous savons les regarder, mais aussi nous en extraire. Enfin, vous l'avez évoqué, madame Malbec, les travaux de la commission d'enquête sont enserrés dans un cadre extrêmement clair : nous n'avons en aucune façon la possibilité de nous pencher sur des enquêtes judiciaires en cours. Et nous devons absolument respecter la séparation constitutionnelle des pouvoirs.

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Sur les moyens budgétaires, il nous a été dit – je me souviens notamment de l'audition de la présidente de l'Association nationale des juges d'application des peines – qu'il n'était pas rare que les magistrats soient contraints de prononcer telle ou telle mesure en fonction des places disponibles dans tel foyer, tel centre éducatif, etc. Du coup, la question des moyens limite le magistrat dans sa décision. Que faites-vous pour éviter ces problématiques ?

Je reviens sur les nominations en prenant un cas concret afin que vous nous expliquiez comment les choses se passent à l'intérieur de la DSJ avant de faire la proposition au CSM. Je pense à la nomination du procureur de la République de Paris, fin 2018, M. Heitz. Il a été dit qu'il y avait d'abord trois candidats, puis un seul. J'ai bien compris que toute la procédure prévue avait bien été respectée, mais j'aimerais connaitre le mode de fonctionnement.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Je ne vais pas entrer dans le détail de la procédure de nomination du procureur de Paris. De manière générale, la DSJ établit des propositions de nomination sur des postes qui peuvent être d'importance ou même de moins d'importance à partir d'un choix de plusieurs candidats. Je n'entrerai pas non plus dans les détails de la construction de ces propositions : il n'est pas de ma responsabilité de le faire. Ensuite, c'est une décision de la ministre de la Justice qui proposera ces nominations qui feront ensuite l'objet d'un décret du Président de la République. Il y a donc une validation des nominations par la ministre. Je dois dire à cet égard que le regard de la ministre sur les nominations que nous proposons est extrêmement réduit. Je me le permets de le dire car je trouve cela très positif. Il y a dans tout ce que l'on fait, un circuit de validation. Vous seriez étonnés de voir à quel point le circuit de validation est extrêmement réduit et à quel point les marges de manœuvre de la DSJ sont importantes dans les centaines et centaines de propositions, souvent très techniques, que nous faisons chaque année. Ensuite, on en vient à la proposition de la ministre.

Encore une fois, je crois aux institutions et je pense qu'il faut les promouvoir telles qu'elles sont. Le Conseil supérieur de la magistrature a été rénové en 2008. Depuis cette réforme, la présidence des formations du CSM a été confiée au premier président de la cour de cassation et au procureur général. C'est une avancée considérable. On a placé à la tête de l'institution les premiers magistrats du pays, qui sont reconnus, ont une aura, une autorité morale. C'est le rôle du CSM et l'avis qu'il émet qui sont essentiels pour éviter une altération d'une nomination. On a besoin d'une autorité qui soit légitime, et reconnue comme légitime du fait de son professionnalisme. Il est difficile pour un magistrat de voir sa nomination critiquée alors que les procédures sont respectées et que le CSM a parlé. Vous comprendrez le paradoxe pour un directeur des services judiciaires de parler autant du CSM. Mais il y a une réalité constitutionnelle, qu'il faut valoriser : c'est le rôle central – et croissant – du CSM dans notre dispositif qui garantit que les meilleures nominations qui soient faites.

Pour en revenir à votre première question, oui, c'est une réalité. Je n'ai jamais été juge aux affaires familiales, mais il est normal qu'un juge se pose la question concrète : la mesure que je vais prononcer aura-t-elle une efficience ?

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Les doutes ne concernent pas tant les magistrats du siège que les membres du parquet. Les doutes, d'une manière générale dans l'histoire contemporaine, ne portent pas sur la décision de justice prise in fine : elle est rarement remise en question. C'est sur la phase de l'instruction que les doutes sont distillés dans la presse, à travers des dénonciations avérées ou manipulées. C'est là où le doute s'exprime, pas sur la pertinence d'une décision une fois qu'elle est rendue.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

Avant la loi de 1993, la formation du CSM pour le parquet n'intervenait pas dans les nominations : il le fait désormais. Depuis, il y a eu la réforme de 2008, puis la loi de 2016, les transparences pour les procureurs généraux. Lorsque j'étais secrétaire général du CSM, ce dernier n'avait pas encore accès aux dossiers des autres magistrats candidats à la fonction de procureur général. C'était il y a moins de dix ans. Aujourd'hui, non seulement les dossiers sont présentés, mais on est dans une co-construction des recommandations. Les choses évoluent. L'avis conforme pour le ministère public : c'est la commission Truche qui en a parlé en premier, en 1995. Nous sommes en 2020, et c'est une attente très, très forte.

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On n'est même plus dans « l'attente très, très forte », mais un cran au-dessus, nous l'avons constaté lors de nos auditions.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

L'avis conforme serait déjà très bien, mais effectivement bien d'autres propositions sont faites.

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Permettez-moi de revenir sur une partie de ma question. Vous avez sans doute vu cet article de presse au sujet d'une femme qui a été incarcérée, parce qu'il n'y avait pas de place disponible en semi-liberté. Ce genre d'événements pose la question de la capacité du juge à prendre sa décision en toute indépendance. Je ne dis même pas en impartialité, je dis bien indépendance.

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Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires

C'est peut-être une réalité vécue, donc je n'ai rien à dire à ce sujet. Cela étant, la question des moyens est posée pour toute la politique pénale en matière de « bloc peines », qu'il s'agisse de la nouvelle conception des peines, de la construction de places de prison, de la protection judiciaire de la jeunesse… Effectivement, il peut y avoir des moments où le juge, conscient d'une réalité, prend une décision en adéquation avec cette réalité.

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Véronique Malbec, secrétaire générale du ministère de la Justice

Ce vers quoi l'on tend – et cela répond justement à la question sur les CEF –, c'est de pouvoir donner au juge une plénitude de possibilités quand il va rendre sa décision. Les constructions de SAS, les structures d'accompagnement vers la sortie, de CEF, de places de prison supplémentaires, de quartiers de semi-liberté font également défaut. C'est le rôle de l'administration pénitentiaire que de dire où il est nécessaire de créer des places qui correspondent aux besoins des magistrats, afin qu'ils puissent prendre des décisions pouvant être mises en œuvre.

De création récente, l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle mène un gros travail sur cette alternative très intéressante que sont les places de travail d'intérêt général.

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Chaque année, je reviens à la charge sur le budget des aménagements de peines et des alternatives à l'incarcération.

Je vous remercie.

La séance est levée à 10 heures 50.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Sébastien Nadot, M. Didier Paris, Mme Laurianne Rossi, Mme Cécile Untermaier