On parle de chapelles et aussi, parfois, de liens philosophiques. Je ne le constate pas directement. Les situations diffèrent selon la taille des villes. Dans les villes de taille moyenne où les barreaux comptent une petite centaine d'avocats et où l'on trouve quelques dizaines de magistrats, on se croise souvent à l'audience, au café ou au restaurant, les cercles amicaux sont les mêmes et il n'y a guère de problèmes. Dans les grandes villes, l'anonymat prévaut et avec lui l'éloignement. Les 30 000 avocats du barreau de Paris sont trop nombreux pour se connaître entre eux et, sauf à être spécialisés en une matière donnée, ils connaissent rarement les juges devant lesquels ils plaident ; il faut être chenu pour connaître les chefs de juridiction, et avoir été bâtonnier ne crée pas nécessairement des liens avec les magistrats. L'École nationale de la magistrature et l'École des avocats sont deux mondes qui coexistent ; ce n'est plus du tout la famille judiciaire d'antan. On correspond désormais par le biais du réseau privé virtuel des avocats, et à Paris la salle des pas perdus était désertée avant même le déménagement du tribunal.
Je ne veux accabler les magistrats. Rendre la justice est une œuvre difficile et délicate ; il est plus facile d'être avocat. Quelques avocats deviennent magistrats ; beaucoup de magistrats arrivant fringants à l'âge de la retraite deviennent avocats ; ils voient alors que ce métier très différent du leur a ses propres difficultés, et que le rapport à la chose judiciaire n'est pas le même.