Intervention de Léo Moreau

Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Léo Moreau, membre du bureau national du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) CFDT :

Je n'égrènerai pas les différents articles du code de procédure pénale qui régissent la façon dont les magistrats dirigent la mission de police judiciaire, mais je vous expliquerai comment ils se traduisent, de façon concrète, pour les enquêteurs officiers de police judiciaire (OPJ) et agents de police judiciaire (APJ). Pour cela, je m'appuierai sur le questionnaire que nous avons reçu.

Nous transmettons des comptes rendus réguliers au parquet, à la fois en flagrant délit et en enquête préliminaire, et au juge d'instruction lorsque nous travaillons en commission rogatoire dans le cadre d'une information judiciaire. Nous avons donc des échanges constants, que je qualifierai de fluides, les magistrats et les enquêteurs finissant par bien se connaître.

Cependant, il est clair que nous n'avons pas, matériellement, la possibilité d'informer le parquet, en direct, de toutes les infractions, comme le code de procédure pénale l'impose. Il est parfois très compliqué de joindre le parquet, notamment dans certains ressorts – en particulier à Bobigny – où le délai d'attente est long. Seuls les faits les plus graves, les faits criminels, font alors l'objet d'un avis immédiat, en urgence, au parquet, ainsi que les gardes à vue. Les modalités de suivi et de direction de l'enquête par les magistrats dépendent des faits, des actes à réaliser et de l'ampleur de l'affaire.

S'agissant de la manière dont s'articulent les instructions du ministre de l'intérieur avec la politique pénale menée par le ministère de la justice, celle-ci est en général très cohérente. Si je prends l'exemple des violences conjugales et intrafamiliales, le travail demandé aux enquêteurs – à la fois au niveau des patrouilles de police secours, du recueil de la plainte et des investigations – se traduit par des suites pénales dès lors que les faits sont avérés.

Ensuite, des plans sont mis en œuvre de façon régulière contre le trafic de stupéfiants, les bandes, les rodéos, etc. qui comportent un volet judiciaire afin que les enquêteurs puissent se saisir pleinement des infractions qui y sont associées. Il s'agit d'orientations qui guident les initiatives des services.

Concernant l'information de la hiérarchie administrative, les fonctionnaires de police ont l'obligation de rendre compte ; cette obligation, contenue dans le code de déontologie de la police nationale, permet également à la hiérarchie d'exercer le contrôle de l'action de ses subordonnés. Un compte rendu est effectué, non pas sur le contenu des dossiers, mais le volume des portefeuilles, l'organisation du service, etc. Pour les dossiers qui ont des implications en termes d'ordre public ou d'organisation, la hiérarchie est mise dans la boucle.

Les parquets et les juges d'instruction ont la liberté de choisir le service enquêteur, tout en respectant le lieu de commission des faits et la nature des actes à réaliser. Il existe, dans de nombreux départements, des protocoles entre le parquet et les différents services d'enquête pour définir des seuils : en matière de trafic de stupéfiants, à partir de certaines quantités, nous saisirons la police judiciaire (PJ) ; pour les victimes mineures de moins de 15 ans, ce sera la sûreté départementale, etc. Outre ce genre de prérequis, le parquet reste souverain dans l'appréciation du service ou des services qu'il souhaite saisir.

Concernant la notation des OPJ, elle arrive souvent avec retard dans les services, et le fait est que le procureur général ne peut pas, matériellement, avoir un regard sur l'activité de chaque OPJ. Ce sont les responsables des unités qui lui fournissent des éléments leur permettant d'apprécier l'action des OPJ. Cependant, le parquet n'attend pas l'échéance de la notation OPJ pour évoquer, le cas échéant, un problème qu'il pourrait rencontrer avec un enquêteur.

S'agissant de la communication, lors de notre audition par la mission d'information sur le secret de l'enquête et de l'instruction, nous avions exprimé le souhait, pour les services de police et de gendarmerie, de manière très encadrée et sous le contrôle du parquet, d'avoir la possibilité de communiquer – en droit, seul le procureur de la République a cette possibilité – sur des éléments factuels, en vue notamment de dégonfler les rumeurs et les fausses informations. Le secret de l'enquête est extrêmement compliqué à faire respecter, aujourd'hui, de nombreuses informations et pièces sont publiées dans la presse et postées sur les réseaux sociaux – quelle que soit l'origine des fuites. Notre recommandation avait été reprise par cette mission d'information et nous n'avons pas changé de position.

Ce n'est pas tant la hiérarchie administrative des services d'enquête de la police judiciaire qui menacerait l'indépendance de la justice que le manque de moyen et une forme d'embolie du système judiciaire, au niveau à la fois des services enquêteurs et de la justice. C'est cet engorgement qui conduit à des difficultés de contrôle de l'action de la police judiciaire et des délais qui sont difficilement compréhensibles pour les citoyens.

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