Je reviendrai sur la problématique du premier niveau, à savoir les « ouvriers spécialisés » du CEA. Je suis le seul aujourd'hui à être issu du corps des inspecteurs, j'ai donc bien connu cette période qui est définitivement révolue. À cette époque, nous étions des agents de catégorie B de la fonction publique.
Dans la question qui nous occupe, nous touchons, une fois de plus, à l'incapacité de notre administration à gérer de manière prévisionnelle ce qui va arriver. Car tout ce qui vient d'être dit concernant le désamour pour l'investigation n'est pas arrivé du jour au lendemain. Vous entendez cette plainte depuis plus d'une dizaine d'années. La situation mérite réellement d'être évaluée, les chiffres étant têtus.
Depuis la loi de 1995, quand les agents du CEA ont eu la possibilité d'accéder à la qualification d'OPJ, quelque 2 000 fonctionnaires faisaient, chaque année, acte de candidature ; cette année, ils sont moins de 800. Le vivier est à sec.
Par ailleurs, si les inspecteurs de police n'étaient pas plus intelligents que les autres, ils étaient extrêmement bien formés ; la formation initiale en matière de procédure pénale et sur la capacité à développer l'articulation des procédures était pointue. Ensuite, durant trois ans, en tant qu'APJ, nous servions de petites mains et apprenions. Notre inspecteur principal de l'époque était certainement un céphalopode, car il était capable de taper huit procès-verbaux en même temps. Tout cela pour vous dire que le niveau des OPJ qui sortent aujourd'hui est assez inquiétant.
En outre, nous ne disposons plus de cartographie des OPJ. Des collègues habilités demandent leur mutation, où rien ne nous dit qu'ils exerceront les fonctions d'OPJ. À ma connaissance, il n'existe pas d'outil numérique permettant ce pilotage à l'échelon national.
Alors que pouvons-nous faire ? L'administration commence à réfléchir sur la question, mais c'est un peu tard. Des modules d'adaptation aux premières fonctions sont dispensés en formation initiale des gardiens de la paix, afin d'identifier ceux qui souhaitent faire de l'investigation mais ce n'est pas suffisant. Nous devons être nettement plus ambitieux et délivrer une formation d'excellence pour l'investigation.
Enfin, aujourd'hui, quand le bureau d'un policier ressemble davantage à un bureau d'archiviste et qu'il subit sa charge de travail, il n'a plus aucune envie de prendre une initiative. Or pour faire de l'investigation, il faut avoir envie de « mordre dedans et de ne rien lâcher ».
Je ne m'exprimerai pas pour la police judiciaire, mais pour la sécurité publique, le constat est accablant, les policiers sont saturés de travail. À effectifs constants, les chefs de service sont obligés de faire des choix : couvrir le terrain ou assurer l'intendance judiciaire.
C'est un jeu d'équilibre, mais aussi un rapport de forces permanent avec les parquetiers. Nous devons être capables d'expliquer aux magistrats que nous ne sommes pas opérationnels, à tel ou tel moment. Ce qui est particulièrement vrai le week-end. Il n'est pas possible d'aller, sur demande d'un magistrat, procéder à une perquisition à 80 kilomètres du siège du service, alors que les gardes à vue se multiplient.
Si le corps des inspecteurs ne nous rend pas nostalgiques, la dimension de corps d'expertise technique des officiers de police, qui était une réalité, a été perdue de vue. Il serait intéressant de revoir le rôle du corps de conception et de direction, du corps de commandement et du CEA sur la mission d'investigation.