Intervention de Christiane Taubira

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 9h30
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Christiane Taubira, ancienne ministre de la justice :

Je vous remercie pour vos mots aimables, qui ne concernent pas ma personne, mais qui sont une appréciation de la fonction de garde des Sceaux en tant que telle, et qui soulignent l'importance de cette responsabilité. Le ministère de la justice est un ministère régalien qui a pour responsabilité un département de l'État essentiel à la démocratie. Il en est l'épine dorsale. Il faut effectivement assumer les contradictions, vouloir l'indépendance dans les fonctions juridictionnelles et garantir aux citoyens le bon fonctionnement de l'institution judiciaire. Il faut savoir le faire et c'est ce que vous avez appelé la dualité. J'ai dit que votre propos était aimable : il est surtout perspicace.

S'agissant de l'indépendance du parquet, la loi protège les procureurs. Même s'ils reçoivent une consigne orale, les procureurs sont protégés : c'est tout l'intérêt de la loi ! Un procureur qui reçoit un coup de fil peut le signaler, car c'est une contravention à la loi. Voilà l'utilité ultime de la loi ! Il faut faire confiance à notre magistrature. Je ne suis pas en train de dire que tous les magistrats sont irréprochables, ni que tous les procureurs sont travaillés en permanence par un souci d'indépendance. Nous sommes ce que nous sommes : homme parmi les hommes, comme disait Jean-Paul Sartre. Hommes et femmes parmi les hommes et les femmes : voilà ce que nous sommes. Dans la magistrature comme ailleurs, nous avons des personnalités, des tempéraments, des forces et des faiblesses, des vulnérabilités, des vanités : nous avons de tout, dans ce corps comme dans d'autres ! C'est pourquoi il faut un cadre. Une fois que l'indépendance du ministère public, dans ses fonctions juridictionnelles, est assurée, on peut brandir, de temps à autre, l'exemple de quelqu'un qui n'a pas fait ce qu'il faut, mais cela ne remet pas en cause l'ensemble. Vous dites que certains procureurs anticipent les attentes du ministre : c'est comme à l'école, certains veulent être aimés de la maîtresse, mais ce n'est pas la maîtresse qui leur demande de dénoncer leurs petits camarades !

L'unité du corps est une question importante. Le projet de réforme constitutionnelle que j'avais préparé renforçait l'unité du corps, comme la loi du 25 juillet 2013. À partir du moment où le ministère public ne reçoit plus d'instructions, il fonctionne, en tant que tel, comme autorité judiciaire. La CEDH peut donc reconnaître notre ministère public comme autorité judiciaire. Même si le ministère public ne prononce pas de jugement, il y a quand même un seul corps. Je suis plutôt favorable à ce que l'on continuer de consolider l'unité du corps.

Cela me permet de rappeler que, lorsque nous avons travaillé sur ces textes, certains voulaient interdire le syndicalisme dans la magistrature ! Il y a toujours cette tentation de dire : « C'est un pouvoir judiciaire, il est indépendant : on le lâche » – d'accord, mais on le lâche où ? Comment accède-t-on à ce pouvoir – élections, nominations – et, surtout, comment rend-il compte ?

Pour en revenir à votre question, je ne suis pas favorable à un procureur général national. Je ne pense pas que vous, parlementaires, soyez prêts à vous contenter d'un vague rapport annuel du procureur national : s'il vient une fois par an, qu'est-ce que cela dit des travaux du parquet, qui sont de très grande qualité, d'ailleurs ? Quelle utilité ? Personnellement, je n'ai pas envie de vivre dans une démocratie comme cela. Il y a des pays qui fonctionnent ainsi, et pas forcément mal, comme l'Espagne, mais nous ne sommes pas ces pays. On ne peut pas passer son temps à revendiquer un parquet à la française, à expliquer à la CEDH qu'elle ne comprend pas nos subtilités et que le parquet à la française est indépendant, pour ensuite se contenter d'un modèle standard ! Je n'ai pas envie de cela ! Alors oui, il faut consolider le corps, mais il faut aussi maintenir la responsabilité politique sur le bon fonctionnement du service public.

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