Intervention de Mario Stasi

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) :

Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir convié la LICRA à participer à vos travaux. C'est un honneur, pour moi et pour l'association que je préside, de pouvoir exposer devant vous le fruit de notre réflexion, ainsi que de vous présenter les actions que nous menons depuis plusieurs années et celles que nous souhaiterions voir le législateur mettre en œuvre.

Comme je réfléchissais aux propos que j'allais vous tenir, je me suis dit que, sous l'anonymat, derrière la main qui tient la batte de base-ball ou sous le casque qui masque le visage, on trouve d'abord l'expression d'une haine, parfois d'une ignorance, souvent d'un mépris ou d'une jalousie. Ce sont ces ressentiments et cette absence de réflexion qui produisent la violence de l'extrême droite, et pas seulement celle-ci.

Le combat de long terme que mène la LICRA est avant tout celui de l'éducation. Je me présente en effet devant vous en tant qu'acteur associatif mais aussi en tant que militant politique œuvrant au sein d'une association dont le but est que la réflexion sur la non-discrimination, l'acceptation d'autrui et le sentiment d'élévation soient des composantes de la vie dans la cité.

La première exigence doit, selon nous, être d'améliorer sans cesse l'éducation prodiguée aux plus jeunes de façon à les aider à parvenir à une meilleure compréhension d'autrui et de ce qu'est la diversité – la pierre angulaire de cette construction étant la laïcité, sur laquelle je ne m'étendrai pas car tel n'est pas le sujet de cette audition.

La LICRA a passé, avec le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, le ministère des sports et le ministère de l'intérieur, des conventions qui l'ont conduite à mener des actions d'éducation dans les classes de lycées et de collèges et, depuis peu, dans les écoles primaires, dans le cadre du Plan mercredi.

Nous contribuons également à la formation des référents racisme et antisémitisme dans les établissements d'enseignement supérieur. Peut-être avez-vous d'ailleurs vu que Mme Frédérique Vidal a organisé avant-hier, à son ministère, une réunion de dirigeants antiracistes à laquelle j'ai participé.

Enfin, nous intervenons auprès de conseils régionaux, comme celui d'Ile-de-France, afin de former, pour le sport amateur, des référents capables de déceler les dérives verbales ou gestuelles, tant sur les terrains de sport que dans les vestiaires.

Ainsi, l'éducation est pour nous une obsession, et nous nous en enorgueillissons.

Je souhaite aborder, en deuxième lieu, l'aspect législatif et judiciaire de la lutte contre les extrémismes, le racisme et l'antisémitisme, qui ne peut être séparé de la volonté politique. J'ajoute que la LICRA combat aussi les discriminations qui actuellement sont nombreuses.

Lisant la proposition de résolution qui a abouti à la création de votre commission d'enquête, j'ai noté que vous citiez l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et que vous indiquiez qu'il fallait « agir » ou « réagir » face aux violences d'extrême droite. Il ne faut pas que vous réagissiez, mais que vous agissiez ! Et il faut que vous agissiez en tenant compte du droit en vigueur, notamment de cet article que vous mentionnez, mais aussi de démarches comme celles que nous avons entreprises. Je pense, en particulier, aux courriers que nous avons adressés à M. Gérard Collomb, alors ministre de l'intérieur, le 11 juillet 2018 puis, de nouveau, le 16 août 2018, après la condamnation de Steven Bissuel. Dans ces courriers, nous demandions la dissolution en application de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, du Bastion social, dissolution qui n'a été prononcée qu'en avril dernier. Il a ainsi fallu un an et demi pour que la volonté politique se manifeste ! De même, la LICRA a demandé, il y a un an ou un an et demi, la dissolution de Génération identitaire.

Notre association participe ainsi à l'action politique non seulement en exerçant sa vigilance et en lançant des alertes mais aussi en menant des actions contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.

Le troisième point que je souhaite aborder, particulièrement important à nos yeux, s'inscrit dans le prolongement du précédent. Demain a lieu la Journée mondiale de la liberté de la presse. Or, en application de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, un délinquant raciste, extrémiste de droite, bénéficie de la même liberté et des mêmes protections que les journalistes morts dans l'exercice de cette belle mission que nous nous apprêtons à commémorer !

L'actualité renforce notre conviction qu'il faut faire du délinquant extrémiste et raciste un délinquant ordinaire et non un délinquant d'exception. Je rappellerai en effet que le racisme n'est pas une opinion comme une autre, mais un délit, et qu'il ne constitue en aucun cas, comme j'ai pu le lire, une exception à la liberté d'expression ! Le 15 avril dernier, la 13e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance, qui délestait la 17e chambre correctionnelle, peut-être débordée, a condamné Alain Soral à une peine de prison ferme pour contestation de la Shoah. Son avocat, qui reprenait les pires affirmations négationnistes de Faurisson, a lui aussi été condamné. La condamnation a été assortie d'un mandat d'arrêt contre cet homme qui n'a cessé de mépriser, de vilipender et d'injurier aussi bien les associations et leurs avocats que les magistrats. Or le parquet de Paris a fait appel du mandat d'arrêt à son encontre, pour la raison ou le prétexte que le code de procédure pénale ne permettrait la délivrance de mandats d'arrêt que pour les délits de droit commun, dont ne relèverait pas le délit en question ! Cette décision m'amène à me demander si ces considérations techniques ne cachent pas une décision politique. Elle me fait, en tout cas, douter qu'existe une volonté politique de mettre fin à de tels agissements.

Pour sortir de ce qui nous est présenté comme une impasse technique, il faut, nous le disons et le répétons, que les délits racistes, institués en 1972 par la loi Pleven, cessent d'être couverts par la loi sur la liberté de la presse, de la même façon que le Parlement a ôté les délits de provocation et d'apologie du terrorisme de la loi de 1881 pour les transférer dans le code pénal, ce qui a permis de les traiter assez rapidement.

Lorsque nous avons défendu cette proposition, il nous a été répondu que les délits racistes concernent des propos et non des actes. Pourtant, nul n'ignore que, trop souvent, l'ensauvagement des mots précède l'ensauvagement des actes. Nous avons également fait cette proposition à Mme Laetitia Avia dans le cadre des débats qui ont précédé l'examen en commission du projet de réforme de la justice. Pour cette députée, la procédure de l'ordonnance pénale rend inutile la sortie des délits racistes de la loi de 1881. Avec cette procédure, le délinquant raciste recevra, sauf dans les cas complexes ou emblématiques, une ordonnance pénale à son domicile, ce qui permettra un jugement plus rapide. Cette nouvelle procédure peut être comparée à celle qui concerne les contraventions routières.

L'œuvre de justice doit être solennelle et rapide, et elle doit également être comprise. Or l'ordonnance pénale en matière de délit raciste ne possède aucune de ces qualités. C'est donc, j'ose le dire, une erreur manifeste d'appréciation que de considérer qu'une simple contravention constitue une réponse adaptée au problème de la prolifération des propos racistes, antisémites, homophobes et discriminatoires que les nouveaux outils informatiques permettent. J'espère que l'absurdité du cas Soral permettra aux uns et aux autres d'ouvrir les yeux pour considérer qu'il faut faire sortir de façon urgente les délits racistes de la loi de 1881.

Le rapport de Mme Avia comporte toutefois des avancées. S'inspirant très largement de la responsabilisation des hébergeurs et du système d'amendes dissuasives mis en place en Allemagne, il prévoit que si les hébergeurs, alors qu'ils ont été dûment avertis que des propos racistes ou antisémites ont été publiés sur leurs sites, ne les suppriment pas dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures – ce délai reste à préciser –, ils devront payer une amende. Cette responsabilisation des hébergeurs est une bonne chose.

La facilitation de la levée de l'anonymat que le rapport préconise constitue aussi une avancée tout aussi importante à nos yeux. Nous ne devons pas oublier, en effet, le contexte dans lequel nous nous trouvons. À ce sujet, je vous rapporterai, au risque de me montrer impertinent, quelle fut ma première réaction lorsque je reçus votre invitation. Je pensai aussitôt : encore une commission, encore une enquête sur l'extrême droite, en sorte que je ne pourrai que répéter, après tous les représentants d'associations auditionnés avant moi, que l'extrême droite est un mal qu'il faut combattre ! Puis j'ai replacé votre invitation dans son contexte qu'est le temps d'impunité dans lequel nous vivons – Soral est un exemple de cette impunité, mais le racisme quotidien en est un autre, effrayant.

L'impunité est telle que certains vont jusqu'à tenir des propos racistes à visage découvert. Récemment, on a pu voir des images d'Alain Finkielkraut insulté par un homme sorti de l'anonymat d'une foule – car la foule, comme les réseaux sociaux, permet l'anonymat – pour commettre ce délit à visage découvert, tant il éprouvait un sentiment d'impunité. Ce sentiment étant entretenu par l'anonymat, il faut que la loi garantisse sa levée toutes les fois qu'il sera enjoint aux hébergeurs d'y procéder.

Il est urgent de mettre fin à l'impunité : hier, Alain Soral a encore pu tranquillement faire sa publicité sur Twitter, et Vincent Reynouard lui apporter son soutien. J'ai vu également que Jean-Marie Le Pen a pu tranquillement dire ce qu'il pensait de la condamnation d'Alain Soral sur les réseaux sociaux. Parce qu'ils permettent l'anonymat et empêchent la prise de conscience de la gravité des propos exprimés, les réseaux sociaux sont souvent un déversoir d'immondices.

Pour conclure, l'action que nous menons est une action politique, et elle doit être conduite dans la durée. J'invite les élus locaux à faire preuve de responsabilité : il faut qu'ils aient le courage de ne plus mettre la poussière sous le tapis, de nommer le mal et, pour lutter contre lui, il faut qu'ils travaillent de concert avec des associations locales dont les principes sont universalistes.

L'universalisme consiste à considérer qu'il ne faut pas être noir pour défendre les noirs, blanc pour défendre les blancs ou jaune pour défendre les jaunes. Il s'oppose au repli identitaire, dont se réclame l'extrême droite skinhead depuis qu'elle a opéré son « relooking » en se réclamant « identitaire ». Tomber dans le piège identitaire c'est nourrir le combat de ceux qui se considèrent comme seuls légitimes à défendre leur cause, oubliant l'œuvre collective à laquelle doit s'attacher l'esprit laïc universel.

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